|
|||
Juillet 2012 | |||
|
Le procés de Moubarak est présenté comme la preuve que l’Égypte s’est rapprochée d’un « système juridique » acceptable par les gouvernements des États-Unis et de l’Union Européenne (bien que ces gouvernement ne se préoccupèrent guère des méthodes judiciaires de ce pays avant le soulèvement de février). Il est même interprété comme une concession faite aux protestations des masses égyptiennes qui ont conduit à la chute de Moubarak.
Au mois d’avril 2011, le parquet a ordonné l’arrestation de Moubarak et de ses fils Alaa et Gamal, accusés de corruption et d’homicide. Mais il s’agit là d’une concession offerte aux masses qui ne change pas la substance des choses. Moubarak a été condamné afin de protéger le pouvoir du Conseil suprême des forces armées. Il a servi de fusible et le tribunal militaire du Caire, connu sous le nom de « C-28 », sait bien à qui il doit rendre des comptes.
Jusqu’à 10 000 civils ont été jugés par les tribunaux militaires, à portes fermées, face à un seul juge militaire. Ils ont été jugés pour l’accusation de vandalisme, agression, atteinte à la sécurité de l’État (exactement comme sous le régime de Moubarak). Parmi eux se trouvaient de nombreux manifestants et activistes connus, mélangés avec des criminels de droits communs et quelques spectateurs. Ils furent tous condamnés à des peines de détention allant de quelques mois à cinq ans.
La soi-disant « révolution » de février est arrivée en réalité à un moment opportun pour l’élite militaire. Les relations entre l’armée et Moubarak étaient très tendues. 40% de l’économie égyptienne, constituée de nombreuses entreprises qui produisent de tout, depuis des fournitures médicales jusqu’aux ordinateurs portables et téléviseurs, est contrôlée par l’armée qui possède et contrôle également un vaste portefeuille de biens immobiliers.
Dans les années 90, l’ambition de Moubarak de constituer une dynastie familiale, l’amena à donner à son fils Gamal une position influente dans le Parti National Démocratique. Un grand nombre d’entreprises étatiques furent privatisées et remises aux souteneurs du parti, parmi lesquels Ahmed Ezz, qui obtint le monopole presque total de la production d’acier (Ezz a été un des premiers représentants du parti à finir en prison après la chute de Moubarak).
Le Conseil suprême, guidé par le commandant en chef des forces armées égyptiennes, le maréchal Mohamed Hussein Tantawi, craignait surtout que son pouvoir et son influence ne diminuent, et ne se préoccupait guère de la situation des travailleurs. La spéculation à l’intérieur des forces armées est si diffuse qu’un coup d’état était tout à fait possible. Quand les protestations de la place Tahrir prirent de la vigueur, les militaires se rendirent compte qu’ils avaient plus à perdre à rester avec Moubarak qu’à le laisser tomber. Et n’oublions pas que dans le même temps de nombreuses grèves secouaient l’Égypte.
La crise serait survenue de la même façon avec ou sans le soulèvement populaire. Les forces armées détestaient le fils de Moubarak et étaient opposées à la succession prévue. Elles craignaient que les privatisations ne lèsent le grand bussiness de leurs trusts. L’unique solution était celle d’un coup d’État qui n’aurait pourtant pas été bien accepté des alliés potentiels en Europe et en Amérique. Le « peuple » leur a ainsi fourni la solution : tout semblait avoir changé, et Tantawi fut accueilli comme un héros par les manifestants anti-gouvernementaux de la place Tahrir le 4 février 2011. Tout de suite après, ses alliés, les bourgeoisies américaines et européennes, accueillirent ces évènements comme un progrès vers « la liberté et la démocratie ».
L’unique peur des militaires et de leurs alliés capitalistes furent les 600 000 travailleurs en grève au cours de ce mois de février. La force de la classe travailleuse organisée aurait pu amener à des manifestations plus radicales, et agiter le spectre de la révolution prolétarienne. L’armée s’engageait à enlever tout élan aux protestations.
Il fut proclamé que « l’armée n’aurait pas le pouvoir », et un plan d’un montant de 20 milliards de dollars fut annoncé pour la création d’un « centre d’assistance sanitaire et social » destiné « aux familles des martyrs du 25 janvier », et aux manifestants blessés. Fin juin, après des heurts place Tahrir entre manifestants et forces de sécurité, le Conseil suprême condamnait la violence et donnait la faute « aux forces obscures... qui n’ont d’autre but que la destruction de la sécurité nationale et de la stabilité de l’Égypte ».
La proposition d’élections anticipées a été repoussée par la majorité du mouvement pro-démocratique comme un stratagème pour donner aux Frères Musulmans la suprématie électorale. Il devenait évident que l’armée transformait la « révolution » en un coup d’état et on disait : « les soldats sont avec le peuple, mais leurs chefs ne le sont pas ».
Le 8 juillet 2011, devant l’incapacité de limiter les protestations, il est annoncé que Moubarak allait passer devant les tribunaux. Le jour précédent, la Commission d’Enquête Judiciaire, instituée par le procureur militaire, avait annoncé que deux douzaines de fonctionnaires civils et alliés de Moubarak, auraient à répondre d’accusations d’homicide et tentative d’homicide. Pour beaucoup il s’agissait là d’une tentative de neutraliser les protestations. Mais la foule place Tahrir était encore estimée par des observateurs à 80 000 personnes.
Pour maintenir son pouvoir, l’armée n’hésite pas à faire appel aux Frères Musulmans, ce rapprochement ne pouvant qu’augmenter la répression sur les organisations prolétariennes et ses activités syndicales.
Les bourgeois soutiennent que le chemin vers « la liberté et la démocratie » progresse, et pour le démontrer ils se réfèrent à la courageuse histoire syndicale en Égypte, qualifiée de façon expéditive de revendication de « liberté et de démocratie », et assimilée aux évènements qui entourèrent la chute du mur de Berlin : « Tandis que le mur de Berlin tombait, Abbas, à cette époque un jeune sauveur, se trouvait à la tête d’une grève illégale de 17 000 travailleurs qui se battaient pour le salaire et les conditions de travail dans une grande aciérie du quartier méridional de Helwan au Caire. L’État y répondit par une répression massive. 5000 soldats furent envoyés qui utilisèrent de vrais projectiles et des balles en caoutchouc, ainsi que des gaz lacrymogènes. Un gréviste, Abdelhai Suleiman, fut tué, quinze autres blessés et plus de 600 incarcérés ». Mais aujourd’hui ils ne parlent pas de la vague de grèves qui déferle en Égypte, ni d’une quelconque aide à apporter. Tout ce qui est proposé par les syndicats de régime est de contribuer à la création d’un bureau au Caire de l’International Trade Union Confederation.
Un représentant des syndicats indépendants égyptiens a tenu une série de conférences en Europe occidentale, avec des rencontres en Espagne et en Grande Bretagne, afin de communiquer des informations sur les évènements survenus dans son pays, et sur les leçons à en tirer.
En Espagne, l’orateur a parlé devant des jeunes qui occupaient les rues pour protester contre le chômage et ses conséquences. Ces derniers ont exprimé de la sympathie pour les luttes que les travailleurs égyptiens mènent contre l’attaque de leurs conditions de travail et de vie matérielle.
L’orateur est ensuite allé en Grande Bretagne où les syndicats avaient organisé des conférences dans différentes villes. A celle de Liverpool, tenue à l’hôtel Adelphi, où notre parti était présent, les invitations avaient été faites seulement par mails, certainement pas dans le but d’organiser une mobilisation pour le soutien des travailleurs égyptiens. Seules des questions furent permises, mais pas de débat ni de discussions visant à exprimer et organiser une solidarité avec les travailleurs Égyptiens. Ces conférences sont évidemment réservées aux fonctionnaires politiques et syndicaux : aucune implications des adhérents sous aucune forme soit-elle, aucun signe de soutien ni de solidarité effectifs. Rien en somme qui n’aurait pu interférer avec les petites manœuvres et équilibres entre les dirigeants à l’intérieur des syndicats regroupés en Trade Unions Congress (TUC).
Un représentant de l’Egypt Workers Solidarity, le comité organisateur du cycle de conférence, a démarré la réunion, suivi par un fonctionnaire régional du Syndicat des Travailleurs Publics et Civils (PCS) qui s’est lamenté longuement sur les attaques concernant les travailleurs du secteur public en Angleterre, a évoqué la possibilité de relier les grèves entre elles, et aussi qu’elles aient lieu le même jour ! Il a poursuivi en regrettant le peu d’affluence aux dernières élections ce qui avait défavorisé les partis « anti-capitalistes », se référant, du moins on le présume, aux inqualifiables mixtures environnementalistes – gauche-scargillistes (Scargill est le leader du Socialist Labour Party), etc. Le programme de ces soi-disant partis qui n’ont rien d’anticapitalistes, reflètent bien peu les luttes économiques de la classe ouvrière et demandent uniquement quelques réformes à l’État capitaliste et à ses représentants politiques. On ne s’étonne guère que la masse des travailleurs ne se soit pas dérangée pour voter pour eux.
Le dirigeant syndical égyptien a pu enfin évoquer ce qui se passait en Égypte et les leçons à tirer des luttes au Moyen-orient, et de la « révolution » en Tunisie. Aux demandes de liberté et de démocratie, on a répondu par des gaz lacrymogènes, et d’autres équipements anti-émeutes, fournies en particulier par les États Unis. De nombreuses batailles sont à venir. L’exigence primordiale des travailleurs est la liberté d’association. Mais pour obtenir ceci, il faut le soutien des travailleurs des autres pays. A l’intérieur de l’État se déroule en ce moment un heurt entre les factions religieuses et celles laïques.
Des documents en arabe, qui évoquent l’avenir des luttes ouvrières, sont disponibles. Les syndicats indépendants (s’entend indépendants du contrôle étatique) ont été touchés par l’attaque faite aux droits des travailleurs à partir de 2006. Les grèves pour la nationalisation de la production (Sous Moubarak, 175 entreprises ont été cédées aux privés, et 700 000 travailleurs licenciés ou mis à la retraite) ont permis des rencontres pour soutenir d’autres luttes. La direction de la fédération des syndicats indépendants a organisé une grève en opposition aux syndicats contrôlés par l’État. En février 600 000 travailleurs se sont mis en grève. Les travailleurs désirent aller de l’avant jusqu’à la révolution : leur objectif est d’avoir des syndicats vraiment indépendants. Les principaux syndicats existants jusqu’à maintenant ont été sous le contrôle de Nasser et Compagnie.
44% de la population égyptienne vit au dessous du seuil de pauvreté. Les syndicats indépendants doivent se relier à la base. Pour s’opposer aux lois contre les grèves, ils ont besoin de lutter pour obtenir une négociation collective sur les questions économiques. Les lois ne peuvent empêcher les grèves.
Les syndicats étudiants sont historiquement dominés par l’État et sous le contrôle de la police. Quand ce contrôle a diminué, celui des Frères Musulmans a pris le relais. Dans certaines universités, les étudiants ont pu s’organiser. Des groupes se sont également formés pour protéger la position laïque de l’État.
Après une série de questions du parterre, l’orateur a résumé les
points suivants :
- Les évènements place Tahrir ont représenté la lutte du peuple
entier.
- De nombreuses organisations féminines étaient présentes.
- Il est désormais bien clair qu’il faut parvenir à une négociation
collective, puis s’imposer à l’État, et enfin parvenir à un parti
des travailleurs.
La rencontre s’est terminée par quelques observations du fonctionnaire syndical régional qui n’avait rien de plus à proposer. L’orateur devait s’entretenir à la fin de la semaine suivante avec les Trades Unions de Londres. Il y eut un tas de publications sur la réunion du TUC, mais rien sur le discours du syndicaliste égyptien. Ce dernier a certainement rencontré « discrètement » des dirigeants syndicalistes de « gauche ». Et dans cette publicité concernant la réunion du TUC, n’apparaît que l’attention portée au discours du nouveau chef du parti travailliste qui s’échine à donner un lustre populaire au parti. Pour caresser son électorat, il ne cesse de souligner les problèmes de la classe moyenne, c’est-à-dire de gens comme lui.
En somme, la lutte de classes n’est pas le premier point de l’ordre du jour du TUC, ni la lutte des travailleurs égyptiens, et surtout pas la lutte des travailleurs britanniques. Et de plus une requête d’indépendance des syndicats seraient la pire des offenses pour le TUC qui se donne pour but d’en empêcher l’existence au Royaume Uni. Le TUC continue à être ce qu’il a toujours été dans le passé, un pilier de l’appareil étatique et du capitalisme en général.
Nous espérons que l’escale britannique du syndicaliste égyptien lui a bien appris que les prolétaires égyptiens n’ont rien à attendre, ni soutien, ni solidarité, du syndicalisme de régime. Mais pour ce syndicaliste, une chose semble bien clair : il n’y aura pas de changement décisif pour la classe travailleuse de son pays sans l’appui de celle des pays occidentaux chez qui il est venu chercher de l’aide. Que le prolétariat occidental reprenne la route du heurt de classes, crée de vrais syndicats de classe et se relie au prolétariat mondial pour le renversement du capitalisme, en rejoignant les rangs du Parti Communiste International.