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14 juin 2014
La situation de l’Irak n’a cessé de se détériorer depuis le départ des troupes américaines fin 2011 avec une recrudescence de la violence et des attentats. On peut ainsi constater une nouvelle fois les méfaits des interventions « humanitaires » américaines pour l’instauration de la démocratie qui depuis la seconde guerre mondiale et les discours de Truman ne cessent de nous empester et de couvrir une politique agressive et impérialiste, une lutte féroce pour la suprématie sur ses adversaires tout aussi voraces, russe et chinois, pour le partage du monde et donc des marchés.
Malgré une situation économique meilleure en raison de l’immense manne pétrolière, l’Etat irakien est faible et paralysé par l’insécurité et les antagonismes communautaires et politiques, d’autant plus que le président kurde Talabani qui jouait le rôle de modérateur s’est retiré pour des raisons de santé. Le gouvernement du premier ministre chiite Nouri Al Maliki se maintient désormais en exerçant une dictature féroce, en particulier contre la minorité sunnite du pays non kurde soit 20% de la population présente dans l’ouest du pays (contre 60%pour les chiites qui habitent surtout l’est et le centre du pays, soit les régions les plus pauvres, 20% de Kurdes à majorité sunnite et se trouvant dans le nord du pays, la zone autonome du Kurdistan irakien, et 800 000 chrétiens chaldéens et nestoriens d’ethnie assyrienne, arménienne ou latine). Mais le malaise social touche toute la population du pays en raison de l’insuffisance de la reconstruction des infrastructures (grave problème d’approvisionnement en eau et électricité, transports et voies de communications insuffisants et détériorés) et de la menace de modifier drastiquement le code du travail en faveur des entrepreneurs ; en effet il s’agit là de satisfaire les exigences du FMI qui négocie ainsi de nouveaux emprunts indispensables pour assurer la reconstruction du pays, ravagé par des décennies de guerre. L’Irak reste le deuxième producteur de l’OPEP soit la quatrième réserve mondiale en pétrole avec des coûts d’extraction faible et une immense réserve de gaz. L’économie irakienne reste entièrement dépendante de la production d’hydrocarbures qui représente 95% des revenus budgétaires et 100% des recettes en devises, tandis que le ratio d’endettement public a été ramené à un niveau gérable (la dette publique ne représente aujourd’hui plus que 25% du PIB) grâce à l’annulation de 80% du stock de la dette de 2004 et au rééchelonnement du solde depuis 2011 consenti par les créanciers publics du club de Paris, ainsi que par des annulations et réductions de dettes accordées en 2010 par la Chine, en 2011 par l’Algérie, en 2012-2013 par les pays du Golfe. Mais la situation sociale est explosive, avec une population de 57% de jeunes touchés par le chômage et qui constitue un vivier pour les groupes extrémistes de tout bord, djihadistes sunnites, ou milices chiites. Il est bien clair pour toute la population qu’une énorme partie des revenus pétroliers est détournée par la corruption qui sévit parmi la gente au pouvoir et toute sa clientèle et qui provoque également des dissensions au sein de la bourgeoisie chiite.
L’Irak, patrie d’Abraham, père de tous les croyants juifs, chrétiens et musulmans, est désormais brisée par les divisions religieuses (chiites-sunnites) et ethniques (kurdes – arabes). Les dissensions entre les communautés religieuses et ethniques se sont fortement accrues depuis 2003 du fait de la stratégie communautariste américaine qui distribuait à un chiite le poste de premier ministre, à un sunnite celui de porte-parole du parlement et à un kurde la présidence ; et de plus le gouvernement américain favorisa l’autonomie du Kurdistan irakien, situé près de la Turquie et de l’ Iran, par conséquent la prospérité économique qu’il connaît aujourd’hui. La guérilla sunnite qui appelle à la croisade anti-chiite, et qui regroupe les groupes djihadistes et les anciens militaires liés à Saddam Hussein, puis le conflit syrien voisin, la politique agressive anti-sunnite du premier ministre Al Maliki, les concurrences régionales entre les monarchies sunnites du Golfe et l’Iran chiite – sans parler des ambitions régionales de la Turquie qui commerce sans retenue avec le régime autoritaire du Kurdistan irakien, ce dernier étant en conflit ouvert avec le premier ministre irakien –, sans oublier l’omniprésence des grands impérialistes US, chinois et russe, tout cela conduit a un éclatement de l’entité irakienne.
Dans ce contexte politique et social catastrophique, et avec le conflit désastreux qui sévit dans la Syrie, voisine à l’ouest du pays, qui a vu l’émergence de groupes djihadistes en lutte contre le régime pro-iranien de Bachar mais aussi entre eux, l’Irak se trouve désormais confrontée depuis des mois à une attaque en règle d’un groupe sunnite radical, connu pour sa férocité, ses rackets, ses kidnappings, sa contrebande pétrolière et ses combattants fanatiques et aguerris, l’ EIIL.
L’EIIL ou État islamique en Irak et au Levant est un groupe de confession sunnite, fondé en Irak en 2007 par un jordanien, passé par la guerre d’Afghanistan, dans le cadre de la lutte contre l’occupation américaine, est donc l’enfant monstrueux de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, comme Al Qaida avant lui a été celui de l’affrontement en Afghanistan et au Pakistan des impérialistes US et russe. Ses guerriers viennent d’Arabie Saoudite, du Yémen, de Lybie, de Jordanie, d’Egypte. D’abord lié à la mouvance Al Qaida, le groupe s’en sépare après la mort de son chef durant la répression US. Il connaît son apogée en 2008-2009 en Irak avec une diffusion sur tout le territoire, mais perd pied suite aux attaques américaines, et se retranche avec son nouveau chef au nom de guerre Abou Bakr Al Baghdadi 1 dans les provinces de l’ouest de l’Irak, Ninive et Anbar à majorité sunnite. Il se répand en Syrie où sévit une guerre civile et où les groupes djihadistes tiennent l’est du pays. Après avoir subi ces derniers temps des revers lors d’affrontements avec d’autres groupes islamistes, il ouvre des fronts en Irak, Jordanie et Liban avec une armée de combattants venus de toutes parts du Moyen Orient et aussi du monde occidental 2. Actuellement certaines sources estiment à 12 000 leurs combattants en Syrie et 6 000 en Irak. Il s’impose ainsi comme la force principale du djihadisme et affiche l’ambition de créer un État islamique à cheval sur la Syrie, l’Irak et le Liban, pour constituer un « califat islamiquement pur » au cœur du monde arabe. Évidemment derrière tout cela se cache un monde plus prosaïque : l’appui financier des monarchies sunnites du Qatar et d’Arabie Saoudite qui cherchent à contrer l’influence régionale de l’Iran chiite et de ses alliés (ou l’axe chiite :le gouvernement du premier ministre irakien Al Maliki, celui de Syrie et le Hezbollah libanais), et le rapprochement actuel des USA et de Téhéran n’est pas là pour les rassurer. Sous la pression des occidentaux, ces États arabes auraient suspendu leur aide, mais les « investisseurs » privés sont nombreux.
Dès le 3 janvier 2014, après des bombardements de l’armée irakienne sur la province d’Anbar et sur les villes de Ramadi et Fallouja, le groupe qui affiche une terrible haine anti-chiite, lance une offensive de reconquête de l’Irak en nouant des alliances avec des chefs de tribus sunnites et d’anciens officiers baassistes de Saddam Hussein. Ses colonnes de véhicules 4x4 (comme pour l’offensive djihadiste au Mali) avancent et prennent Fallouja (dans la province d’ Anbar à 80 km de Bagdad). Le groupe multiplie les opérations kamikases ; c’est ainsi qu’un de leurs combattants, d’origine française, se fait exploser à Mossoul le 19 mai devant un centre de la police fédérale. Le 10 juin, les combattants djihadistes s’emparent de Mossoul, la deuxième ville d’Irak avec deux millions d’habitants, et de la province de Ninive ; dans tout le nord sunnite de l’Irak, c’est la débandade de l’armée irakienne : les officiers prenant la fuite en abandonnant leurs soldats qui désertent. 48 ressortissants turcs sont faits prisonniers par les assaillants, avertissement certain adressé au gouvernement turc à ne pas intervenir. Dans cette zone disputée entre le Kurdistan autonome et l’État central de Bagdad, se trouve la ville chrétienne de Qaraqosh composée à 95% de syriaques catholique. Les forces armées kurdes (les peshmergas) ont renforcé leurs positions autour de la ville, mais la croisade djihadiste s’adresse surtout aux chiites. La prise de contrôle par les djihadistes de Mossoul et de Kirkouk menacent directement les intérêts économiques du Kurdistan irakien autonome dont l’essentiel des ressources provient de cette région pétrolifère, et malgré l’antagonisme politique entre le gouvernement régional kurde et celui central de Bagdad, l’ennemi commun est l’EIIL, même si les Kurdes sont majoritairement sunnites. 150 000 réfugié, arabes, kurdes et chrétiens, et des milliers de soldats irakiens en déroute, ont afflué dans la région autonome kurde dont la capitale est Erbil.
Les djihadistes foncent vers le sud, s’emparant de la ville de Baji, siège de la plus importante raffinerie du pays, et de Tikrit. Ils se rapprochent de Bagdad, qui compte 8 millions d’habitants à 80% chiites et où des comités de défense populaire se sont constitués après l’appel du premier ministre Nouri Al-Maliki et du grand Ayatollah Ali Sistani de Nadjaf (ville au sud de Bagdad). Al-Maliki, qui n’a pu obtenir du parlement le vote pour l’état d’urgence, a renforcé ses alliances avec les milices chiites radicales, satellites de l’Iran. En effet Téhéran a évidemment rapidement assuré le gouvernement irakien de son soutien. Les milices chiites ont déplacé certaines de leurs forces en Syrie vers l’Irak. Quant aux USA, par la voix d’Obama ou de l’ONU, ils ne semblent pas décidés à intervenir militairement et cherchent ainsi d’autres bras armés comme celui de l’Iran.
1 Abou Bakr est le nom du premier calife, compagnon du prophète, et Al Baghadadi singinfie : de Bagdad.
2 Ces derniers mois, le gouvernement français tente d’enrayer le départ de centaines d’invidus pour le djihad.