Parti Communiste International |
4 juillet 2014
ISIS ou EIIL
Sources : New York Times, Thomas Van Linge, J. Lewis : «The islamic state returns to Dilaya ». Institut for the study of war (cité par Courrier International).
Prés
de trois ans après le départ des troupes américaines (mais la
présence US est toujours là par le biais des multinationales, des
troupes militaires privées et d’un arsenal diplomatique
impressionnant représentée par l’ambassade américaine barricadée
dans la « zone verte » ultra sécurisée de Bagdad),
l’Irak est au bord de l’implosion tandis que la Syrie voisine n’en
finit pas de sombrer dans le chaos de la guerre civile, et le Liban
de voir resurgir les attentats à la voiture piégée. Les révoltes
contre les régimes autoritaires en Irak, Tunisie, Libye, Égypte,
Syrie laissent la place à la prise du pouvoir des religieux ou à un
affrontement sanglant entre les deux principales branches de l’islam,
sunnisme et chiisme. Mais derrière cet antagonisme multiséculaire
sunnisme-chiisme, se joue une bataille géopolitique pour le
leadership régional dont les djihadistes fanatiques de l’EIIL ne
sont qu’une des incarnations et ne représentent que l’arbre qui
cache la forêt. L’EIIL semble avoir aboli les frontières entre
l’Irak et la Syrie et menace désormais Bagdad, mais quelques
centaines d’hommes même bien armés ne peuvent expliquer la
situation actuelle.
La clé du problème demeure avant tout l’affrontement entre les grands impérialismes pour le contrôle stratégique du Moyen Orient, de ses voies maritimes et de ses ressources en pétrole et en gaz. N’oublions pas que le pétrole irakien est un des moins chers du monde avec un coût de production de 4 dollars le baril, alors que le pétrole est vendu actuellement aux alentours de 110 dollars le baril donc avec des profits énormes. Ce pétrole est convoité non seulement par les multinationales mais aussi par tous les bourgeoisies locales, des cheikhs tribaux aux responsables politiques régionaux, des groupes djihadistes, qui le vendent en contrebande aux plus offrants. Pour le moment, le secteur pétrolier dans le nord de l’Irak est plus ou moins à l’arrêt en raison des combats, mais les exportations de brut par Bassora, dans le sud, d’où le plus gros de la production pétrolière irakienne est exporté, continuent. Les plus gros clients de l’Irak sont en tête les chinois (premier importateur de brut irakien, la Chine s’inquiète donc des combats en Irak), suivis de la Turquie qui pour cela s’est rapprochée étroitement du Kurdistan irakien présidé par Massoud Barzani.
Le conflit actuel irakien est présenté par toutes les bourgeoisies du monde comme un conflit confessionnel ou ethnique quand on aborde la question kurde. En effet, au Maghreb et au Moyen Orient, les musulmans sunnites règnent sur la plupart des pays, notamment dans le golfe persique. Les musulmans chiites sont majoritaires en Iran et en Irak ; dans ce pays, ils ont souvent été relégués au rang de dissidents, méprisés et persécutés. Mais le problème est bien autre que religieux ou ethnique. La région du Moyen Orient a été contrôlée durant des siècles par l’empire ottoman et sa hiérarchie sunnite qui se disputait déjà avec son puissant voisin perse le contrôle de la Mésopotamie. Puis elle a été l’objet de l’atroce marchandage de la première guerre mondiale entre les deux impérialismes victorieux français et anglais, suivis de près par celui américain, qui ont divisé la région en fonction de leurs intérêts géopolitiques et économiques (le pétrole !). Malgré les révoltes tribales des années 20 réprimées dans le sang, les communautés sociales se sont trouvées écartelées, et les différentes nations qui sont nées sous l’œil vigilant des impérialismes occidentaux n’ont jamais pu connaître la paix tant les antagonismes causés par le découpage des frontières étaient insolubles. Durant le règne dictatorial du baasiste (et sunnite) Saddam Hussein, qui s’est appuyé sur la bourgeoisie sunnite, le pays a connu un développement économique important lié à la manne pétrolière, et qui a profité aux affairistes du monde entier. Mais les guerres contre l’Iran puis le Koweit puis la coalition anglo-américaine et ses sbires ont martyrisé la population, ruiné le pays et les ambitions régionales de sa bourgeoisie.
En 2003, la chute de Saddam Hussein permet à la bourgeoisie chiite d’accéder au pouvoir grâce à l’aide des vainqueurs. En effet, l’occupation américaine s’est alors appuyée sur les divisions religieuses et ethniques qu’elle a grandement encouragées, favorisant en particulier les bourgeoisie chiite et kurde ; l’armée irakienne a été dissoute et avec elle des milliers de soldats et d’officiers renvoyés dans leurs foyers, les baasistes ont été pourchassés, les riches familles sunnites reléguées au placard. La « résistance » à l’occupant s’est vite organisée autour des tribus sunnites regroupées dans l’ouest et le nord avec les militaires de l’ancien régime baasiste tandis que des groupes islamistes sunnites faisaient leur apparition comme Al Qaïda et l’Armée islamique en Irak. Le Premier ministre chiite, proche de l’Iran et de Washington, Nouri al Maliki, retranché dans la zone verte de Bagdad, a aggravé les tensions entre les deux communautés religieuses par des mesures discriminatoires et répressives, afin de satisfaire sa base sociale et les partisans de Moqtada al Sadr qui lui permettent d’avoir une majorité au parlement. Moqtada al Sadr est un chef politique chiite, à la tête d’une milice, et dont le bastion se trouve dans les faubourgs de Bagdad. Il a combattu la présence américaine en Irak. Favorable à un rapprochement avec Bachar Al Assad, il entretient en partie pour cela des relations tendues avec le grand ayatollah Ali al Sistani de Nadjaf. La discrimination vis à vis des sunnites s’exprime surtout dans l’accaparement par Maliki et sa clientèle d’une bonne partie des revenus pétroliers dont la bourgeoisie sunnite, chefs tribaux (le plus souvent des propriétaires fonciers citadins et notables), affairistes, s’est trouvée largement lésée (après en avoir bien profité sous Saddam !). Quant au Kurdistan irakien « autonome » de Barzani, la crise actuelle pourrait lui permettre de devenir indépendant et de rafler Kirkouk, zone pétrolière et source de conflits décennaux, et que ses Peshmergas occupent depuis la prise de Mossoul par les insurgés. Des affrontements ont déjà eu lieu entre les armées irakiennes associées aux milices kurdes et les insurgés dans les villes de Jaloula et Saadiya. Des milliers d’Irakiens ont cherché refuge dans cette région bien protégée par les Peshmergas depuis le début de l’offensive de l’EIIL.
Pour nous communistes, il est absolument indispensable de dénoncer l’instrumentalisation qui est faite dans tous les camps de la dimension confessionnelle, cause de tous les maux actuels. Derrière les messianismes démocratiques occidentaux, ou les luttes religieuses et ethniques se cachent – mais si peu qu’il faut être plus qu’aveugle pour ne pas le voir – l’avidité des impérialismes bourgeois petits et grands, régionaux et mondiaux, dont les intérêts s’entrelacent ou s’opposent selon le moment. Dans la région, les puissances qui se battent pour la suprématie demeurent la Turquie qui a succédé à l’Empire ottoman, l’Iran et l’Arabie Saoudite, l’Irak ayant été irrémédiablement rayée de la carte des nations qui comptent. Quant aux grands impérialismes de ce monde, USA, Chine et Russie, ils se disputent tout autant pour des raisons de stratégie économique (richesses du sol) et géopolitique (les grandes voies maritimes du commerce mondial) et prennent dans leur giron les puissances régionales. Actuellement l’Iran dont l’arc d’influence va de la Syrie au Liban, intervient régulièrement dans tous les conflits de la région. Il a donné l’ordre au Hezbollah libanais, qu’il finance, de s’engager militairement aux côtés de Bachar el Assad en Syrie, et ceci avec l’aide des armes russes qui transitent par le port syrien de Tartous. La Perse est courtisée par tous les grands impérialismes, celui américain depuis bien longtemps, et ceux russe et chinois ; et l’Arabie Saoudite avec les autres pays du Golfe, alliés pourtant congénitalement aux USA, sans parler de la Turquie, ne voient pas d’un très bon œil le rapprochement irano-yankee. Cerise sur le gâteau, Israël, forteresse des USA en plein Moyen Orient, qui a développé des relations de tout ordre (achat de pétrole, coopération dans les constructions hydrauliques dont pourrait profiter Tel Aviv) avec le Kurdistan de Barzani, et dont les conseillers militaires sont très présents dans cette zone voisine de l’Iran, vient d’annoncer son soutien à l’indépendance de la zone kurde autonome. Et son intervention dans la région ne fait que s’accentuer. Ainsi en raison de la guerre civile en Syrie, les routes par lesquelles transitaient les marchandises européennes et turques exportées vers la Jordanie et d’autres pays du Moyen Orient sont coupées depuis deux ans. C’est pourquoi depuis la fin de 2012, des milliers de tonnes de biens divers transitent par les ports israéliens et sont transportées par des camions turcs, grecs, bulgares et roumains vers la péninsule arabique et la Jordanie. Les négociations en cours sur le nucléaire iranien entre les 5 membres du conseil de sécurité et l’Allemagne d’une part, les représentants iraniens d’autre part sont très suivies par Tel Aviv d’autant plus que le conflit irakien semble avantager les Iraniens.
L’avancée fulgurante de l’EIIL, groupe scissionné de l’organisation terroriste Al Qaïda en 2006, dont la masse des combattants se trouve en Syrie, constitue une menace pour l’Iran qui y voit la main de l’Arabie Saoudite. En 2001 après les attentats du 11 septembre, l’intervention militaire américaine a chassé les talibans, soutenus par Moscou, du pouvoir en Afghanistan ; puis les Américains s’en sont pris à un de leur ex-allié, ennemi de l’Iran, Saddam Hussein, avec l’installation en Irak en 2003 d’un gouvernement chiite. Tout cela a favorisé le pouvoir iranien dans la région, souffletant au passage l’« allié » saoudien avec lequel l’impérialisme US avait enfanté le monstre Ben Laden. L’inquiétude de Riyad s’est aggravée avec le « dialogue » actuel engagé par les Américains avec l’Iran, et la diplomatie américaine doit faire le grand écart entre l’Iran qu’ils veulent reprendre dans leur giron et qu’ils disputent à la Russie, et l’Arabie Saoudite qui demeure pour eux un allié plus que précieux. Si les gouvernements d’Arabie Saoudite et du Qatar démentent formellement toute aide à l’EIIL, on sait bien qu’ils en ont favorisé le développement pour contrer l’Iran en Syrie, comme ils l’ont fait pour l’autre groupe djihadiste al Nosra qui a d’ailleurs combattu l’EIIL en Syrie. L’EIIL va-t-il devenir le nouveau grand diable à combattre ? Quoiqu’il en soit cette organisation reçoit des financements privés et le chercheur au CNRS Pierre Jean Luizard, spécialiste de l’Irak, affirme qu’’il s’agit désormais du groupe terroriste le plus important au monde ; ses ressources propres, c’est-à-dire le pillage des banques, le racket systématique, les rançons, la contrebande pétrolière, les casernes d’armes et de matériel militaire qu’il rafle au passage, en ferait toutefois un groupe très indépendant de toute tutelle étrangère. Eric Chol du journal Courrier international affirme également que ce groupe est concurrent de Al Qaïda et serait désormais plus puissant dans la lutte pour mener le Djihad global ; ce serait aussi la thèse développée par la chaîne d’information de la famille royale saoudite Alarabiya pour qui la présence sur le terrain de l’EIIL et le travail parmi les populations démunies est beaucoup plus efficace. En réalité de tels groupes armés ne peuvent exister que si ils rendent des services aux impérialismes locaux et aux grands États impérialistes comme les USA. Lorsque de tels groupes deviennent une entrave, ils sont aussitôt balayés. Un petit groupe armées de 10 000 à 20 000 hommes ne constituent pas en soit une force suffisante pour s’opposer à des États, il leur faut au contraire pour se maintenir l’appuie d’État qui ont une influence décisive dans la région et un appuie important d’une partie de la population locale.
Revenons sur le conflit qui sévit dans une Irak socialement déprimée, économiquement liée aux seules ressources du pétrole dont la population et le pays ruiné par les guerres ne profitent guère, le Kurdistan irakien mis à part. On voit d’un côté un mouvement sunnite aux allures djihadistes qui a envahi presque tout l’ouest du pays du nord au sud, épargnant le Kurdistan bien défendu, une partie de l’est du pays, et dont l’avancée fulgurante menace désormais la capitale ; de l’autre côté du front, une armée qui à Mossoul, où se trouvait une forte garnison de troupes entraînées par les Américains et à prédominance chiite, a préféré s’enfuir, les officiers prenant la tête de la débandade, et un appel des Ayatollahs chiites des villes saintes du sud dont Moqtada al Sadr à former des bataillons contre l’envahisseur sunnite ! Le premier ministre chiite, Al Maliki, homme de main de l’Iran et des diplomates US, secrétaire général du parti islamiste Dawa, a demandé l’aide de ses patrons, qui pour le moment font beaucoup de promesses mais restent néanmoins prudents. Les USA ont déployé 200 soldats pour renforcer la protection de leur ambassade à Bagdad, la plus importante en personnel au monde, et l’aéroport qui s’ajoutent aux 275 soldats envoyés en juin et 300 conseillers militaires. Et fin juin, le gouvernement de Maliki a reçu une première livraison d’avions de combat Sukhoi, russes. Les Su-25 sont des avions d’attaque au sol conçus dans les années 1970 et très efficaces. L’Iran aurait envoyé aussi des troupes.
Et qu’en est-il de l’offensive de l’EIIL (État Islamique de l’Irak et du Levant) qui vient d’annoncer le rétablissement du califat, supprimé en 1924 par Mustafa Kémal, qu’ il étendrait depuis Alep au nord de la Syrie jusqu’à Diyala à l’est de l’Irak, et sa nouvelle appellation : l’État Islamique ? Après avoir été peu bavarde, les mass média délient leurs langues et avec l’aide des sites internet de diverses obédiences, des déclarations de chercheurs et de spécialistes du Moyen Orient, il s’avère de plus en plus clairement que l’arrivée de ce petit groupe d’islamistes enragés dans les bastions sunnites provoquent ou sont précédées de soulèvements locaux comme à Mossoul, Tikrit et Fallouja.
La résistance à l’occupation américaine et également à l’emprise de l’Iran sur l’Irak s’est organisée dès la chute de Saddam Hussein autour de différentes organisations. Parmi celles-ci, l’Armée islamique en Irak se définit comme nationaliste à tendance salafiste et est composé essentiellement de militaires et d’officiers de l’ancienne armée irakienne dissoute par l’administration américaine, et elle revendique plusieurs centaines d’opérations armées contre les forces de la coalition anglo-américaine et des enlèvements de journalistes. D’autres groupes armés sont apparus comme Kataëb Al Ichrine, Al Qaïda en Irak dirigé par le jordanien Al Zarqaoui assassiné en 2006 qui comprend une forte proportion d’étrangers et pratique des attaques suicides. Des divergences ont surgi entre ces différents groupes ; Al Qaïda ayant indisposé des notables et des cheikhs tribaux en raison de leur cruauté envers la population et de divergences sur la contrebande de pétrole, une partie des groupes de la résistance et des cheikhs tribaux sunnites de la province d’Anbar ont aidé les troupes américaines à s’en débarrasser en 2007. Actuellement le groupe EI se dispute le contrôle de la contrebande pétrolière le long de la route qui relie Amman en Jordanie à Bagdad avec certains cheikhs. Au milieu de cette confusion, il n’en reste pas moins qu’une partie de la bourgeoisie sunnite, lésée économiquement depuis la chute de Saddam Hussein et la main mise de la clique bourgeoise chiite de Maliki sur les revenus pétroliers, s’est organisée derrière des cheikhs tribaux sunnites,des officiers de l’armée de l’ancien régime, et des membres du parti Baas irakien, pourchassés depuis 2003. Ces derniers dont un bon nombre se sont formés dans le service ultra-sophistiqué des renseignements contrôlés par l’ancien dictateur ont infiltré depuis des décennies tous les groupes islamistes. L’insurrection actuelle serait constituée par la rébellion de nombreux cheikhs tribaux sunnites à la tête de milices, encadrés par des militaires irakiens de l’armée dissoute. Mais qui sont ces cheikhs sunnites qui rejoignent la résistance à l’occupant étranger et à la main mise de l’Iran sur le pays, si ce ne sont des notables ; propriétaires fonciers, gros commerçants, industriels et affairistes de toutes sortes. Une bonne moitié de ces cheikhs qui sont désormais pour la plupart citadins, a été nommée par Saddam Hussein pour lui servir de base sociale lors de la dernière décennie de son règne, et ils représentent une bourgeoisie sunnite qui réclame sa part du gâteau pétrolier. Dans un interview au mois de juin 2014 au quotidien pan arabe Asharq Al Awsat (Moyen Orient en arabe, ce quotidien créé à Londres en 1978 par un prince saoudien est le quotidien pan arabe le plus important, diffusé sur 4 continents), Ali Hatim Al Suleiman, le cheikh de la tribu Dulaim, une des plus importantes tribus dont les 3 millions de membres (150 tribus sont identifiables en Irak dont 30 sont influentes et sont divisées en clans puis en familles ; elles représenteraient de la moitié voire plus selon les sources de la population irakienne, les membres d’une tribu se réclamant d’un ancêtre commun mais pouvant être composées de chiites, de sunnites, et de groupes ethniques différents) se dispersent entre la Syrie et l’Irak et sont majoritairement sunnites (il existe une branche chiite dans le sud de l’Irak!), et qui est très présente dans l’ouest de la province irakienne d’Anbar, ce cheikh a déclaré que la situation actuelle en Irak est celle d’une révolution tribale contre le gouvernement de Al Maliki et que les tribus rebelles ont le contrôle de Mossoul. Selon lui il n’est pas raisonnable de dire que l’EIIl qui a un petit nombre d’hommes et de véhicules puisse contrôler une ville aussi grande que Mossoul. Les combats dans cette zone seraient menés par quelques tribus sunnites opposées aux forces gouvernementale depuis décembre 2013. Des comités militaires spéciaux auraient été créés pour organiser les provinces occupées, conjointement avec des cheikhs tribaux sunnites et les officiers de l’ex armée de Saddam. Il faut bien comprendre que ces fameuses « tribus » n’ont plus rien à voir avec les tribus originelles des nomades : il s’agit de superstructures politiques, qui conservent peut-être certains liens de parentés, mais assez lâches, qui se sont adaptées à la société bourgeoise et qui jouent le rôle de réseaux tenus par de puissantes familles.
Selon les déclarations de Gilles Munier qu’il faut prendre avec des pincettes (diplomate français impliqué dans la libération des otages français en Irak en 1990, il fut proche de Saddam Hussein lors des grandes amitiés franco-irakiennes ; il soutient la résistance irakienne depuis la chute du dictateur) sur sur son site France-Irak actualité, aurait été créé un « Conseil militaire général des révolutionnaires irakiens », organisme clandestin qui administre les provinces envahies (distribution de pain et d’eau, contrôle des prix des denrées alimentaires, bureau de relation avec les tribus) et coordonne les avancées des forces insurgées. Son porte parole est le général Mizher al Qaissi. Ce dernier a été interviewé par la chaîne de télévision qatari Al Jazeera (interdite désormais en Irak) et déclare que l’EIIL ou Daash en arabe existe bien mais que le « nouveau printemps irakien » est une révolution armée menée par les tribus. Son organisation coordonne les activités des Conseils militaires régionaux comprenant des chefs de tribus, des dirigeants d’organisations de la résistance ainsi que des milliers d’officiers et de soldats ; elle planifie et exécute ses objectifs sur le terrain et il se peut, affirme ce général, que quelques groupes puissent avancer vers le même objectifs, mais ce sont les membres de son organisation qui encerclent les villes et les prennent. Les vidéos que cette organisation mettrait en ligne pour publier ses communiqués sur « You Tube », dont le siège est en Californie, ne dureraient que 48 h.
Toujours selon Gilles Munier, la prise spectaculaire de Mossoul et de ses installations pétrolières s’explique par la présence au sein même de la ville d’officiers de l’armée de Saddam et de la participation des milices sunnites menés par des cheikhs en rébellion contre Bagdad. Mossoul a été depuis des décennies une ressource inépuisable de hauts gradés de l’armée et de cadres importants du parti Baas. L’Armée Islamique et le groupe des Naqshabandi, d’inspiration soufie et dirigé par l’ex vice président de l’Irak, Ezzat Ibrahim al Douri, auraient participé avec l’EIIL à la prise de la ville. Ezzat Ibrahim al Douri, âgé de 71 ans, surnommé Ezzat le rouge en raison de sa chevelure rousse, est un civil ayant des liens tribaux et familiaux dans la région de Mossoul ; à la mort de Saddam, il a pris la succession de celui-ci à la direction du Baas, devenu illégal, et sa tête ayant été mise à prix par l’occupant américain, il s’est enfui et vit actuellement en Arabie Saoudite. Il entretient un vaste réseau de contact avec d’anciens officiers de l’armée irakienne et des groupes para-militaires au service de l’ancien régime. Il appartient à la confrérie soufiste (secte mystique sunnite) des Naqshbandiyya, puissante dans les régions de Kirkouk et Mossoul. Il entre en résistance dès 2003 et forme « L’Armée de la vie du Nakshabandi » regroupant les baasistes et se revendiquant de la secte soufie théoriquement pacifiste.. C’est un de ses commandos qui attaqua le 26 mars 2003 au lance roquette l’hôtel où se trouvaient des diplomates américains dans la zone verte de Bagdad et en 2004 ; et ses combattants participèrent à la bataille de Fallujah puis à celle de Samarra. En 2009, selon des sources du renseignement américain, 2000 à 3000 de ses soldats combattaient dans la région de Kirkouk et attaquaient les bases américaines. Cette armée se caractérise par sa foi religieuse, son mode de vie ascétique et le patriotisme de ses membres, transcendant les clivages ethniques. Et son encadrement est composé de militaires de l’ex armée irakienne. Enfin Le Monde dans un article du 1er juillet 2014 intitulé « Ezzat le rouge, le phénix de Bagdad » dont le contenu est bien plus intéressant que le titre (Bravo, monsieur le rédacteur en chef!), d’autres informations intéressantes sur Ezzat Ibrahim El Douri nous parviennent. Né en 1942 à Daour dans un village voisin de Saddam Hussein, ayant rejoint le Baas à la fin des années 1950, il va seconder Saddam Hussein dans toutes ses manœuvres et cela jusqu’à la mort de ce dernier. En 1979, il devenait vice-président du Conseil de commandement de la révolution », organe situé au sommet de la pyramide baasiste et organisait la répression avec une poigne de fer, dont celle atroce contre le soulèvement kurde de 1980. Voici quelques extraits de l’article : « Il mène aujourd’hui aux côtés des djihadistes de l’EIIL l’insurrection qui ensanglante le pays (…) En retrait, mais aux commandes des troupes baasistes surentraînées qui accompagnent l’EIIL et ’tiennent’ les villes prises par les djihadistes, a resurgi la cible numéro 6 des Américains, le symbole de leur échec en Irak, l’insaisissable ’Roi de trèfle’. » ; ce surnom fait référence au célèbre jeu de cartes des principales cibles américaines en Irak. L’immense fortune du diable rouge qui viendrait d’un juteux trafic de pétrole avec les fils de Hafez Al Assad en Syrie, continue l’article, lui permettrait de financer l’insurrection en Irak et de s’assurer de puissants protecteurs dans la région.
Quoiqu’il en soit, la coalition qui mène les combats contre le gouvernement pro-iranien et pro-américain de Me Maliki, semble bien hétéroclite et porte déjà en elle les germes de discordes inévitables à venir. On peut compter sur les traditions d’alliances opportunistes et de trahisons sanglantes du parti Baas nettoyé par Saddam Hussein et sur les velléités fanatiques de l’EIIL pour s’attendre à de prochaines luttes entre les faux amis, si jamais l’Irak devait subir une partition ou même avant.
La nouvelle donne géopolitique régionale est à l’image d’un jeu d’échec sinistre où Ezzat et l’EIIL sont des pions que les impérialistes ne peuvent négliger.
L’Irak va-t-elle vers une partition et un partage des revenus pétroliers entre les différents clans bourgeois irakiens, comme semble l’annoncer prudemment la diplomatie d’Obama, ou vers une guerre civile interminable où les masses irakiennes auront encore beaucoup à souffrir ? La classe prolétarienne irakienne ne semble pas donner de signes de vie. Or seul un mouvement du prolétariat de la région peut empêcher que la situation irakienne ne s’aggrave encore plus ou surtout peut permettre qu’elle prenne une voie réellement révolutionnaire par un combat contre toutes les brigands bourgeois, petits et grands.
Que le prolétariat irakien retrouve ses grandes traditions de classe derrière des organisations économiques vigoureuses et le Parti communiste international ! Il semble que désormais il n’ait plus rien à perdre que la vie !Mais la situation actuelle est celle la plus catastrophique pour le combat de classe, et l’intervention du prolétariat occidental en s’opposant aux politiques impérialistes de leur classe dirigeante serait la seule issue révolutionnaire à ces combats infâmes.