Parti Communiste International
 
 
ALGERIE, HIER ET AUJOURD’HUI

(«à suivre - Sommaire - à suivre»)










V. LE CAPITALISME A VISAGE DECOUVERT
 

La trinité Armée-Etat-parti unique va connaître avec la crise économique mondiale des années 80 ses premièrs lézardes. Jusqu’alors, le pouvoir a pu "satisfaire" pour l’essentiel la population avec une diminution criante de la misère par rapport aux années 60: le taux de scolarisation a franchi les 90%, le revenu annuel par tête d’habitant a connu un bond impressionnant grâce à l’industrie et aux services. La grève de la Régie Syndicale des Transports Algérois à Alger en 1977, et la contestation kabyle de 1980 marquent la fin du "consensus national".
 
 
 

1. LA SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE SE DEGRADE (1978-1988)
 

Boumédiène meurt en 1978, et la "révolution" des Imams s’empare de l’Iran. L’économie algérienne est elle-aussi atteinte par la crise qui sévit déjà au niveau mondiale, et la bourgeoisie nationale est contrainte à trouver des "remèdes", évidemment anti-prolétariens. Au pouvoir, 2 clans se disputent pour la succession de Boumédiène: d’une part autour de Bouteflika, partisan d’une réforme économique de "libéralisation" et de jeter ainsi le masque du "socialisme algérien", d’autre part autour de Yahiaoui, partisan de défendre les acquis de la révolution socialiste. L’armée arbitre et propose l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, le colonel Chadli Bendjedid, partisan de la "libéralisation". Chadli est désigné dans le congrès du parti (sur les 3200 délégués présents, 600 sont des militaires !) comme chef du parti en 1979. En janvier 1984, il sera élu président de la la République avec plus de 95% des suffrages (mais en Algérie, il vaut mieux présenter une carte d’électeur tamponnée pour satisfaire à certaines formalités administratives !). De 1984 à 1988, il entreprendra une politique prudente de "libéralisation" de l’économie et de restructuration des entrepises publiques, tandis que le code de la famille de 1984 restreindra les droits des femmes !

La situation économique algérienne est donc mauvaise. A la veille des années 80, selon Smaïl Goumeziane ("Le mal algérien"), ancien ministre algérien du commerce de 89 à 91, l’endettement international est très élevé, les exploitations agricoles et les entreprises industrielles sont en déséquilibre chronique, le poids des importations est sans cesse grandissant, la balance des paiements est en déficit depuis 1975. La rente pétrolière ne suffit plus pour pallier aux multiples "défauts" du socialisme algérien. L’endettement est passé de 6 milliards de dollars en 1974 à 26 en 1979 et il est utilisé pour réaliser des projets non rentables, de faible productivité, et pour importer des biens de consommation de plus en plus coûteux. Les usines connaissent des retards de mise en service, une sous utilisation chronique, des coûts de production gonflés par des amortissements élevés. Pour bloquer l’inflation, les prix de vente des produits industriels sont gelés à partir de 1974. Les pénuries deviennent chroniques sur le marché étatique tandis que le marché parallèle, et le chômage se développent. Les conditions de vie se dégradent et des fortunes colossales se constituent. La balance commerciale agricole positive jusqu’à la fin des années 60, devient négative à partir de 1973. La production agricole qui assurait 93% des besoins nationaux en 69 ne couvre plus que 30% au début des années 80.La dépendance alimentaire devient énorme. La population a doublé en 25 ans, alors que la production agricole s’est maintenue au même niveau. Les besoins sont ainsi couverts à 90% en 1969, à 30% en 1979, 25% en 1986. L’Algérie doit alors importer 41% de ses besoins en céréales, 50% pour les produits laitiers, 70% en matières grasses et 95% en sucre (Cf Paul Balta "Etudes et réflexions").

En 1979, se produit un retournement de la politique américaine: le taux d’intérêt de base monte brusquement de 12 à 20% et le dollar est rapidement réévalué (cf. Alain Cotta "Les 5 erreurs" 1985).Cette stratégie permettra le "renouveau américain" grâce à l’afflux d’épargne mondiale qu’elle entraîne, et contribuera à financer plus de 50% du déficit budgétaire et l’industrie militaire américaine. La conséquence est double pour les pays comme l’Algérie: l’augmentation des taux d’intérêts internationaux entraîne l’augmentation du service de la dette et la hausse de la monnaie américaine renchérit la dette libellée en dollars. Alger est lié à la CEE par des accords conclu en avril 76 et en 1988, de type strictement commerciaux et qui tendent à perpétuer l’asymétrie des échanges en confortant le pays dans sa fonction traditionnelle de fournisseur de produits énergétiques, si possible à flux réguliers, et à prix stables. Pour les produits autres qu’énergétiques, les accords fonctionnent comme un dispositif protectionniste jouant au profit de la CEE, et singulièrement de la France (grâce aux prix de référence, clauses de sauvegarde,...; Paris souhaitant défendre, notamment, l’emploi des salariés français et les revenus de ses agriculteurs).

"Une telle asymétrie, comme l’écrit le Monde diplomatique d’août 92, maintient l’Algérie dans sa position de débouché pour les produits industriels et agro-alimentaires des pays d’Europe. Deux armes principales sont utilisées à cet effet:d’une part, le dumping, permettant de solder les excédents céréaliers européens à des prix défiant toute concurrence. Au moyen de primes à l’exportation, de subventions de toutes sortes, Paris cherche, en particulier, à empêcher d’éventuels concurrents, comme les Etats Unis, de mettre pied sur le marché maghrébin, considéré comme une chasse gardée de l’Europe. La dramatique dépendance alimentaire de l’Algérie trouve ses sources certes dans l’échec de la réforme agraire lancée dès 1973, mais surtout dans cette pratique de dumping qui, par la concurrence déloyale qu’elle introduit, finit par décourager la paysannerie algérienne et par faire reculer la production locale. D’autre part, il est frappant de constater que, trente ans après la décolonisation, les flux de capitaux européens en direction de l’Algérie sont restés pour l’essentiel des crédits destinés à soutenir les exportations. Qu’ils soient d’origine publique ou d’origine privée, les apports financiers en provenance des pays de la CEE sont rarement destinés à soutenir des opérations d’investissements directs ou de délocalisations productives. Ce phénomène témoigne de la persistance d’une forme strictement mercantile de l’aide, en particulier de la part de la France (39).

Manifestement héritée des traditions coloniales, une telle stratégie, qui continue à privilégier la défense des parts de marché, tranche avec celle adoptée, par exemple, par le Japon à l’égard de sa zone de co-développement dans le Pacifique. Tokyo conduit une stratégie visant à intégrer sa périphérie asiatique (...). En revanche, l’Europe des Douze considère sa périphérie maghrébine comme un simple marché de consommateurs, qu’elle tend d’ailleurs à marginaliser au fur et à mesure que progressent sa construction et son élargissement, sans comprendre que, en termes politiques, il serait bon de maintenir un certain équilibre dans la zone. S’il y a effectivement des pays qui réussissent leur décollage industriel, et d’autres qui n’y arrivent pas, ne serait-ce pas aussi parce qu’il y a des pays "développeurs" et d’autres qui le sont moins ?".

On peut souligner par ailleurs que la particulière attention de la CEE vis-à-vis de l’Algérie réside aussi dans le fait qu’un éventuel conflit de longue durée dans l’aire du canal de Suez et l’instabilité des approvisionnement de gaz de la Russie rend le pays maghrébin essentiel pour la continuité des apports d’hydrocarbures. La vente des excédents européens de produits agricoles restent aussi une bonne affaire.

Dans le domaine agricole, la réponse bourgeoise aux pénuries est inéluctablement celle qui appliquent les lois capitalistes. En 1980, le C.C. du FLN encourage les familles à accéder à la propriété privée. En 1981, la restructuration des domaines agricoles autogérés est commencée. En effet après l’indépendance 22 000 domaines abandonnés par les européens dans les régions les plus riches ont été transformés en "coopératives des moudjahidin" ou en domaines autogérés de plusieurs milliers d’hectares. En principe l’exploitation était dirigée par un comité de gestion élu par les travailleurs; en fait l’administration les nommaient en fonction de critères politiques. La réforme agraire de 1971 voulut remédier à la non rentabilité de ces exploitations en les morcelant en un grand nombre de fermes sans moyens d’exploitations modernes et en confisquant la terre des non agriculteurs ou des "absentéistes". Plus d’un million d’hectares, dont 400 000 hectares de bonnes terres, furent redistribuées à des coopérateurs regroupés au sein de "coopératives agricoles de production de la révolution agraire" (CAPRA). Au terme de cette révolution agraire, le secteur privé se trouvait amputé de 850 000 hectares. En 1983, une loi favorisa l’accession à la propriété foncière. Depuis 1983, les transactions entre particuliers sont possibles à certaines conditions, et le domaine public peut être redistribué, s’il s’agit de terres non exploitées situées "en zone saharienne ou présentant des caractéristiques similaires".

Plus de 40 000 hectares de terres vierges ont été attribués à 5000 personnes dans le sud. Les lots ne dépassent pas 5 hectares et deviendront la pleine propriété des attributaires si une production significative est constatée dans les 5 ans. Les candidats sont nombreux et tous ne sont pas agriculteurs: la répartition étant faite par les autorités locales, de nombreux cas de "copinage" sont dénoncés. Parallèlement la restructuration du secteur d’Etat entreprise en 1980 dans les domaines "autogérés" et en 1982 dans les "coopératives de la révolution agraire" s’est poursuivie. Ces coopératives sont appelées à disparaître au profit des domaines autogérés appelés "domaines agricoles socialistes" plus nombreux mais moins étendus qu’autrefois. L’agriculture est totalement restructurée. Les fermes d’Etat sont réorganisées en coopératives privées de plus petite taille; on veut introduire un processus de privatisation progressif du secteur agricole consistant à accorder des droits d’usage à long terme au secteur privé. Les fermes d’Etat sont cédées en 2 étapes en gérance à de nouvelles coopératives ou à des particuliers, les prix agricoles sont progressivement libérés-ce qui provoque une envolée de la production et des prix.

Selon les responsables, la surface agricole utile est en 1985 de 7,5 millions d’hectares soit 3% de la superficie de l’Algérie. Seulement 4,6 millions d’hectares sont effectivement cultivés dont 250000 irrigués tant bien que mal. Quelques 700 000 agriculteurs travaillent à leur compte environ 60% des terres cultivées, généralement les moins bonnes, puisque les riches plaines du nord, autrefois exploitées par les européens, ont été placées sous gestion "socialiste". Néanmoins le secteur privé produit 60% des céréales et des fruits et légumes, et 90% de la viande. Le fiasco de l’autogestion, aggravée par la "révolution agraire" est patent. En 1984, l’Algérie a importé 60% de sa consommation alimentaire, ce qui constitue plus du quart des importations totales. Les jeunes de moins de 20 ans représentent 60% de la population, mais 60% des agriculteurs ont plus de 50 ans. L’exode rural qui a atteint 1,3 million de personnes entre 1967 et 1978 est préoccupant (cf. Les dossiers du Monde octobre 92).

La détérioration économique va donc peser sur les conditions de vie des masses. La situation sociale se détériore. L’agriculture sacrifiée à l’industrie durant les années 70 ne permet plus à l’Algérie de nourrir sa population en croissance rapide. Tant que les revenus du pétrole et du gaz permettaient d’importer 60% de la consommation alimentaire et de subventionner les produits de base, le malaise restait caché. Depuis le retournement du marché pétrolier en 1982, l’Algérie essaie de se passer des bons offices des argentiers mondiaux et entreprend une politique de "redressement" sur le dos des masses. La dette extérieure bien que lourde a même été réduite de 1982 à 85, les remboursements et intérêts réglés rubis sur l’ongle (près de 6 milliards de dollars par an). En 1986, la chute des prix du pétrole (les cours du pétrole chutent de 50%) et du gaz (98% des recettes en devises du pays) s’ajoutant aux remboursements des emprunts contractés et à l’explosion démographique, devait déboucher sur une impasse économique et une profonde crise sociale. Le pays parvient tout de même à surmonter le contre choc de 1986 en rééquilibrant sa balance excédentaire en 1987 de 1,5 milliards avec un déficit de 800 millions en 1986, alors que les recettes pétrolières sont amputées en 1986 de 40% (Les recettes pétrolières sont de 12,5 milliards de dollars soit 95% des revenus du pays. Elles sont amputées de 5 milliards de dollars, le baril de pétrole valant 40 dollars en 79 et 12 en 88). Ces résultats sont le prix d’une double cure d’austérité: réduction sans cesse plus forte depuis 1982 des importations (7,5 milliards de dollars dont un tiers pour les achats alimentaires) donc pénurie, marché noir, envolée des prix; réduction en 1986 d’un quart des dépenses du budget. Les grands projets d’investissement (automobiles, sidérurgie) sont gelés. Ceci stoppe brutalement la croissance: de plus 5% l’an, elle tombe dès 1987 à moins de 3% tandis que la croissance démographique s’accélère (3,06% par an) entraînant une augmentation du chômage (17% de la population active officiellement). Le déficit public passe de 9,8% du PIB en 85 à 12,3 en 86, 7,5 en 87 et 10,4% en 88.

Tous les défauts du système apparaissent: manque chronique d’infrastructures (pénurie des transports; crise dramatique dans le logement; pénurie dans les communications; insuffisance des équipements hydrauliques qui se traduit déjà par le rationnement de l’eau dans la plupart des villes), absence totale de système bancaire, bureaucratie paralysante et vénale, pénuries alimentaires chroniques (viande, huile, sucre, semoule, campagnes. Une classe de privilégiés profite de l’économie souterraine (travail clandestin, marché noir, contrebande, corruption, fraude fiscale,..). De 1986 à 88, les réformes s’accélèrent. Sur l’ensemble du Maghreb, comme sur le reste du tiers monde, souffle un grand vent de "libéralisme". Les réformes économiques s’accélèrent sous l’égide du FMI manipulé par les USA: entreprises publiques privatisées, prix libérés, pays ouverts à la concurrence internationale. Les brigands capitalistes n’ont plus de freins "nationaux" pour piller les richesses des petites nations. Le président Chadli décide de tenter l’aventure de la privatisation et du retour à l’économie de marché, déstabilisant brutalement l’économie et la société algérienne. Les mesures de libéralisation ne sont réellement entamées qu’avec la loi de 1988 autorisant les entreprises publiques (anciennes sociétés d’Etat) à constituer avec des partenaires étrangers des joints-ventures (sociétés à capitaux mixtes). Toute limite à la participation étrangère dans ces sociétés sera supprimée dès la fin de l’année 89.
 
 

2. OCTOBRE 1988, LES MASSES SE REBELLENT !
 

Après trente ans de règne sans partage, le régime du parti unique soutenu par les militaires, est ébranlé par les mouvements sociaux de 1988.

Comme l’écrit le Monde Diplomatique de novembre 1988, les tensions sociales étaient très vives depuis 1985 avec la chute du cours du pétrole et la baisse du dollar; la survenue des "émeutes" étaient tout à fait prévisibles. Un baril de pétrole valait 40 dollars en 79, 12 en 88. Le pays, qui vit essentiellement de la rente pétrolière, se trouve donc pour ainsi dire ruiné avec des réserves en devises qui s’élèvent en juillet 88 à 1,06 milliards de dollars. Dans les mêmes conditions, d’autres Etats comme le Nigéria et le Mexique ont connu de violentes secousses sociales et on peut prévoir qu’il en sera de même pour le Venezuela et l’Indonésie (émeutes de mai 98) qui vivent essentiellement du pétrole.

Ainsi depuis le début de la décennie, la crise économique avec son cortège de chômage, de misère, de détérioration des conditions de vie entraînaient de vives tensions sociales, et des émeutes ponctuelles avaient déjà éclaté dans le Maghreb (1980: émeutes à Tizi Ouzou en Kabylie; 1981: émeutes de la faim au Maroc; 1982: émeutes à Oran; 1984: émeutes de la faim en Tunisie; avril 85: manifestation de jeunes dans la Casbah d’Alger en raison des conditions insalubres et du manque d’eau; novembre 1986: révolte des étudiants et des lycéens à Constantine, capitale de l’est algérien, réprimée durement; 1987: grande grève universitaire des étudiants organisés en Coordination, autonome de l’Union Nationale de la jeunesse algérienne ou UNJA). Sur 22,6 millions d’habitants en 85, la population active est de 3 700 000 personnes. Depuis le début des années 80, l’Algérie compte plus de citadins que de ruraux. Conçue pour 800 000 habitants, Alger en a plus de 3 millions. Au cours de l’été 88, plusieurs incidents ont éclaté à l’est comme à l’Ouest, à cause du manque d’eau. Une pluviométrie trop faible, conjuguée à une structure des réseaux d’adduction encore insuffisante en dépit de grands travaux menés ces dernières années, ont imposé un rationnement de l’eau de plus en plus difficilement accepté.

Le Monde du 4-10-88 nous donne une description de la situation sociale. Les pénuries de denrées de première nécessité, comme la semoule, base de l’alimentation en Algérie, qui fait cruellement défaut en ce moment, le beurre difficile à trouver tout au long de l’année, les "tensions" sur d’autres produits aussi divers que les détergents, les ampoules électriques, l’huile, le café, le thé, les augmentations faramineuses des prix des fruits et des légumes, exacerbent les ressentiments des algériens. Ces derniers vivent cette situation comme une éternelle injustice, d’autant plus que le fossé s’agrandit entre les déshérités d’un côté, et les affairistes liés à la nomenklatura de l’autre. Dans l’est, des entrepôts et des camions transportant de la semoule auraient été mis à sac. Des réfrigérateurs fabriqués par l’Eniem à Tizi ouzou, et destinés à l’exportation vers la Libye, alors que la demande intérieure algérienne va croissant, auraient été interceptés et détruits.

La rentrée des classes a été une épreuve pour tous les parents. La pénurie chronique des fournitures scolaires, engendrant une spéculation éhontée sur des produits revenus, bien souvent, en troisième main, a grevé des budgets familiaux déjà mis à mal par la cherté de la vie. La viande peut coûter jusqu’à 200 dinars le kilo et reste, de toute façon, hors de portée de la plupart des bourses dans un pays où le salaire minimum ne dépasse guère 1200 dinars par mois.

La situation économique de l’Algérie n’a jamais été aussi noire. Elle doit faire face à des échéances considérables avec des recettes en constante diminution. Tous les moyens sont bons pour économiser les devises.

La classe dominante algérienne doit donc jouer serré. L’islamisme implanté par la volonté du FLN dans les écoles et les universités et dans le réseau très développé des mosquées draîne déjà une partie du mécontentement des masses au nom d’un islam purificateur. Le FLN connaît des divergences en son sein entre les tenants des acquis de la "révolution" socialiste, qui contrôlent les organisations prolétariennes avec le syndicat unique (UGTA) et appartiennent à une bonne partie de l’armée restée fidèle au boumédisme, et les partisans d’une politique ouvertement capitaliste, et donc ouvertement anti-prolétarienne, menée par le président de la République, Chadli. Le congrès du FLN doit se dérouler en décembre 88. Les différents courants s’agitent, car il s’agit de désigner le secrétaire général du parti, qui sera le candidat unique à la présidence de la République au début de 1989, et décidera donc des orientations économiques du pays.

Le 20 septembre 1988 (40), le président Chadli passe à l’attaque et rappelle que "notre objectif est de rembourser les dettes contractées ces dernières années". Elles s’élèvent en effet à 20,7 milliards de dollars. Les autorités ont imposé une politique aussi sévère que celle exigée par le FMI. Les salaires ont été bloqués et les subventions aux produits de première nécessité réduites. Il introduit prudemment des réformes qui encouragent l’initiative privée, cassent les grandes sociétés nationales, érodent la bureaucratie, restituent la terre aux fermiers. Il renoue avec le Maroc. Le président entouré du noyau dur des réformistes – le général Lardi Belkheir, le ministre de l’Intérieur El Hadi Khediri et le ministre de l’information Bachir Rouis – critique l’étatisme, la planification bureaucratique, l’incompétence. Il dénonce, dans son discours démagogique du 20 septembre 88,les spéculateurs, les nouveaux riches, les incompétents, et vise une partie de l’appareil d’Etat incapable de s’adapter: "Ceux qui ne peuvent suivre doivent choisir: se démettre ou bien ils seront écartés". Cette menace s’adresse à l’aile gauche du FLN qui va immédiatement riposter par la voix de l’Union Générale des Travailleurs algériens ou UGTA, syndicat officiel du régime: "Les travailleurs algériens n’accepteront jamais une quelconque atteinte aux acquis de notre révolution socialiste, ni à l’indépendance politique et économique du pays" (Révolution du 14-10-88).

L’UGTA déclenche alors fin septembre une première grève d’envergure dans la zone industrielle entre Rouïba et Réghaïa à 30 km d’Alger; les 8000 ouvriers d’une usine de camions (la société nationale de véhicules industriels), prenant comme motif la suppression d’une prime de "jouet" de 100 dinars par enfant, réclament la fin du blocage des salaires. D’autres usines – à Arzew, Annaba, El-Hadjar – reprennent le mot d’ordre. Un imposant dispositif anti-émeutes est mis en place.

Des centaines d’hommes de CNS (compagnies nationales de sécurité), l’équivalent des CRS français, ont été déployés, casqués, munis de boucliers, afin de barrer l’accès au centre de Rouïba, interdisant du même coup la route de la capitale aux grévistes, qui avaient pourtant décidé d’aller s’y faire entendre. De violents affrontements ont opposé les manifestants aux forces de l’ordre, qui disposent de canons à eau et de chiens policiers. Plusieurs personnes auraient été blessées.

Le dimanche 2 octobre, la grève éclate dans la matinée au centre des chèques postaux et au centre de tri postal d’Alger-gare, avant de s’étendre au cours de la journée à l’ensemble des PTT. Les fonctionnaires des postes réclament l’application d’un statut spécial prévu par le statut général du travailleur, sorte de grille des salaires à l’échelle nationale. Mais Alger et sa banlieue n’ont pas le monopole de la tension sociale. Des conflits sont signalés ici et là en province, qui traduisent un mécontentement général de plus en plus sensible. Les cheminots se joignent au mouvement, et le pays se dirige vers une grève générale pour la première fois depuis l’indépendance. L’UGTA, le syndicat unique du parti unique, soutient le mouvement. Il semble donc s’agir là d’un véritable coup de force au sein du FLN contre Chadli, secrétaire général du parti et président de la République.

Les travailleurs en grève de la zone industrielle de Rouïba-Réghaïa reprennent le travail. Des rumeurs insistantes de grève générale pour le mercredi 5 octobre ont convergé de tout le pays vers la capitale depuis plusieurs jours. Des tracts auraient circulé appelant à cesser le travail. Mais le mardi soir, aucune confirmation de mot d’ordre précis n’a pu être obtenue. La presse, étroitement contrôlée par le pouvoir ou le parti, est restée d’une discrétion exemplaire sur le sujet. Il faut lire entre les lignes un "appel de l’UGTA" diffusé par l’agence officielle Algérie Press Service (APS), puis repris par les quotidiens nationaux, pour comprendre que l’ordre national est perturbé. L’UGTA, dirigé par Tayeb Belakhdar, l’une des principales organisations de masse du FLN, dans son communiqué "réaffirme le bien fondé des aspirations légitimes des travailleurs en matière de pouvoir d’achat et de conditions de vie, tout en mettant en garde contre les dépassements qui nuisent en dernier ressort aux travailleurs, à l’économie nationale [sic !] et à notre Révolution socialiste". Le gouvernement est ainsi prévenu du soutien que l’aile gauche du FLN, à travers l’UGTA, entend manifester aux travailleurs, dont l’attention est, par ailleurs, attirée sur les effets néfastes que pourraient avoir un mouvement social plus ample ! Nous reconnaissons bien là les man

C’est alors que la "jeunesse" d’Alger prend le relais des travailleurs. Mardi soir, le 4 octobre, la police intervient violemment pour disperser des manifestants qui occupent le quartier populaire de Bab-el-Oued, à l’Ouest d’Alger, pillant les magasins et brûlant des dizaines de véhicules,à proximité de la direction générale de la Sûreté nationale, comme s’ils avaient voulu lancer au pouvoir un suprême défi. Le mercredi 5 octobre, des centaines de jeunes déferlent par vagues successives, par les grandes artères de la capitale, vers le centre d’Alger, saccageant tout sur leur passage. Ils s’attaquent avec des pierres au fief du FLN vers la place de l’Afrique, protégé par des CNS et trois blindés de l’armée. Comme une nuée de criquets, ces milliers de jeunes (ils ne seraient pas plus de 2000 dans une ville de plus de 2 millions d’habitants, selon le Monde diplomatique de janvier 89), pour la plupart des écoliers et des lycéens, mais aussi de nombreux désexclus du système éducatif et apprentis-chômeurs, se sont abattus sur la ville. Ils choisissent leurs objectifs comme ceux qui représentent l’Etat, le parti ou l’opulence. Ils brisent toutes les vitres du ministère du commerce, envahissent le ministère de la jeunesse et des sports, allant jusqu’à brûler le fauteuil du chef de cabinet en place publique; ils mettent à sac, avant de l’incendier, le ministère de l’éducation et de la formation qui à son siège à Kouba, en proche banlieue. La mairie d’El-Biar, un quartier résidentiel, sur les hauteurs d’Alger, a brûlé jusqu’à la tombée du jour.

La détermination affichée par cette jeunesse en ébullition est farouche. Les autorités ont retenu les forces de l’ordre qui n’étaient visibles qu’à certains endroits stratégiques. Peu ou pas de slogans politiques, mercredi dans la journée, mais des revendications du maintien du pouvoir d’achat.

Les forces de l’ordre et les compagnies anti-émeutes aux ordres du ministre de l’Intérieur proche de Chadli s’en prennent surtout aux représentations du parti, mais Chadli se tourne vers l’armée pour faire le sale boulot. Le jeudi 6 octobre, l’état de siège est décrété (pour la première fois depuis 1962); toutes les administrations civiles administratives et de sécurité sont placées sous le commandement militaire. Le vendredi 7, le commandement militaire décide de maintenir les écoles et les lycées fermés jusqu’à nouvel ordre. L’armée est présente sur certains sites industriels comme à Sidi-Bel-Abbes.

Les troubles vont s’aggraver dès le vendredi 7 dans l’après midi et s’étendre à plusieurs villes. Des troubles sont signalés en Kabylie mais peu (Tizi Ouzou est toujours un foyer de contestation avec des réseaux de jeunes très organisés aussi bien à l’université que dans les usines), à Oran, Mostaganem, Annaba, Tiaret, Blida.

C’est le tour des islamistes à vouloir prendre le train en marche. Les intégristes, apparemment exclus des manifestations ouvrières de la zone industrielle de Rouïba-Réghaïa, saisissent l’occasion de la grande prière du vendredi pour se manifester. A Alger, après la prière, un cortège de milliers de personnes part de Belcourt, un quartier populaire à l’est de la capitale, le vendredi 7 octobre. Il est bloqué par des CNS. L’imam Ali Belhadj (futur dirigeant du FIS) use de son éloquence pour faire rentrer la jeunesse de Belcourt dans son quartier. C’est un orateur fort écouté de la mosquée de Sunna sur les hauteurs de Bab-el-Oued. La manifestation "pacifiste" se heurte aux forces de l’ordre; plusieurs morts dont des enfants et des centaines d’arrestation suivent. A Oran, à 400 km d’Alger, l’armée s’est déployée après de violentes manifestations où le siège du parti, des hôtels luxueux, les locaux d’Air Algérie et d’Air France ont été saccagés. Les manifestations sont parties des mosquées après la prière du vendredi vers 14h, et les manifestants ont afflué vers le centre de la ville. L’armée tire. Ainsi, c’est la première fois que les intégristes apparaissent sur le devant de la scène politique (en dehors des universités) avec leurs revendications (En 1982, une manifestation d’islamistes avait été organisée près des facultés à Alger, après le meurtre d’un dirigeant étudiant non islamiste). Des imams dont Belhadj se proposent pour aller négocier avec les autorités algériennes le remplacement de l’état de siège par la loi islamique !! Mais la bourgeoisie algérienne a déjà choisi le type de bâton à utiliser contre le prolétariat.

L’ordre est rétabli de manière féroce, non par la police et les forces anti-émeutes mais par l’armée qui fait donc le sale boulot, ouvre le feu sur les manifestants, emprisonne, torture, etc.. Après six jours d’incidents survenus dans plusieurs grandes villes d’Algérie, et une répression impitoyable, le lundi 10 octobre le président Chadli fait un discours. Dans les heures précédent son intervention, une manifestation de 2000 personnes encadrées par les intégristes traversent Alger de Belcourt à l’est à Bab-el-Oued au nord, en mémoire des morts tués durant les émeutes. L’un des organisateurs est encore Ali Belhadj. Les manifestants se heurtent au niveau de Bab-el-Oued à des gendarmes et des commandos de parachutistes qui armés de kalachnikovs tirent sur les manifestants. 30 personnes sont tuées. Le premier coup serait parti des manifestants (Le Monde du 15-10-88), laissant suspecter une manipulation du pouvoir. Puis le président de la République Chadli, chef du FLN, s’adresse à la "Nation" pour lui annoncer des réformes politiques de "démocratisation" !

Dès le 10 octobre, des produits de consommation courante que l’on ne voyait plus depuis des semaines réapparaissent, les boulangers reçoivent de la farine dès le dimanche 9 octobre. Le 12 octobre, l’état de siège est levé, les blindés sont retirés d’Alger. Après ces 6 jours d’émeutes, les arrestations se comptent par milliers. Le nombre de blessés est considérable, mais ces derniers refusent de se faire soigner dans les hôpitaux de peur d’être fichés. Alger et sa banlieue ont versé le plus lourd tribut: plus de 250 morts dont une centaine le samedi 8 octobre; 30 morts à Oran et Mostaganem. Les procès des arrêtés de tous bords commencent. Mais le 13 octobre, plus d’un millier sont relâchés: intellectuels, islamistes, syndicalistes, membres du PAGS (ex-parti communiste interdit en 1965:Parti de l’Avant Garde Socialiste qui aurait conservé une influence dans les milieux ouvriers). Le 17 octobre, le gouvernement lance un programme d’importations dont une partie du financement est assurée par du crédit saoudien.

L’armée est montrée du doigt comme étant la principale responsable des massacres. Le très officiel journal El Moudjahid (FLN) rend compte dans son édition du 22 octobre de l’installation de la commission d’enquête sur les atteintes aux droits de l’homme et de la défense commises à l’occasion des événements que vient de connaître l’Algérie. Il reconnaît l’utilisation de la torture, cet aveu étant impensable il y a trois semaines encore ! Les intellectuels algériens se déchaînent, les journaux aussi. Les sources hospitalières font le bilan des émeutes le 15 octobre, et annoncent 600 morts. Le 25 octobre, un communiqué de la présidence de la République réduit les pouvoirs du parti unique sur les organisations sociales et professionnelles. Le 29 octobre 88, le n°2 du FLN et le chef de la sécurité militaire sont limogés. Le président Chadli est réélu président de la République en décembre 88 et prend des mesures de "démocratisation" de la vie politique. En février 89, une nouvelle constitution ouvre la voie au multipartisme. Un bien étrange "vent de liberté" semble souffler sur l’Algérie ! Et pour le VI ème congrès du FLN en décembre 88, Chadli et sa clique trouvera ses adversaires laminés et pourra se présenter comme le sauveur de la nation... des nantis. Il promet encore une fois des réformes économiques et une démocratisation de la vie politique.

Peut-on parler d’un mouvement insurrectionnel des masses algériennes en octobre 88 et du séisme politique et social qu’il provoquera ? Ne sommes-nous pas plutôt face à une mandes classes dominantes qui, précédant le mouvement insurrectionnel inéluctable, l’ont favorisé avec l’UGTA comme mercenaire pour pouvoir justifier une répression disproportionnée par rapport à l’ampleur du mouvement ? Les mesures économiques féroces que le pouvoir devait poursuivre pour se maintenir ne pouvaient se réaliser sans l’utilisation de la terreur de classe. La montée de l’islamisme, que le pouvoir a favorisé dès 1962, lui permettra d’acquérir l’appui des classes moyennes, effrayées par l’extrémisme religieux et le mouvement des masses pauvres.

Le Monde Diplomatique de janvier 89 expliquait ainsi que les émeutiers d’Alger le 5 octobre ne dépassaient pas plus de 2000 personnes, que seules les 2 manifestations de masses pacifiques organisées à l’initiative des mosquées le vendredi 7 et le lundi 10 regroupaient de 20 000 à 30 000 personnes, que les émeutes s’étendirent à une dizaine de villes, mais l’est (à l’exception d’Annaba et de Skidda) et la Kabylie, qui sont les régions les plus peuplées, restèrent en majorité calmes. Selon le journaliste, on ne peut donc pas parler de soulèvement populaire ni d’insurrection, et la disproportion entre la violence de la répression et le caractère limité des émeutes est flagrante. Et l’article de se terminer par cette prévision que nous approuvons totalement comme stratégie typique de la bourgeoisie, et que confirmera l’histoire ultérieure de l’Algérie: "Le pouvoir pourrait, en définitive, choisir à la fois la dictature sur les ’classes dangereuses’[évidemment le prolétariat] et une tolérance relative à l’égard des classes moyennes".

Si les syndicats traîtres et le FLN sortent ruinés de cet épisode, la bourgeoise a pour sa part gagné sur tous les fronts. En effet les masses algériennes se sont mises courageusement en mouvement pour leur survie, malheureusement sous la houlette de chefs issus des vieilles structures corrompues, ou derrière les imams au discours démagogique; et elles payent encore aujourd’hui leur audace. Dans la crainte d’un mouvement insurrectionnel prolétarien, la classe dominante algérienne a utilisé avec son armée le terrorisme de classe pour passer à visage découvert à une exploitation plus impitoyable encore de ses masses sous la bannière du libéralisme économique et de la démocratie en danger; et ceci avec le concours direct ou indirect du FMI, des bourgeoisies européennes et américaines, avides de sauvegarder leurs intérêts économiques et géopolitiques, souvent antagonistes entre eux, sur la région, et soucieuses aussi de maintenir les masses algériennes dans l’oppression de classe.
 
 
 

3. "LIBERALISATION" POLITIQUE ET ECONOMIQUE
 

En septembre 1989, Mouloud Hamrouche devient premier ministre. En avril 90, l’importante loi sur la monnaie et le crédit, assortie d’un code d’investissement, a parachevé le dispositif d’ouverture totale aux capitaux étrangers, en autorisant les non-résidents à importer des capitaux, soit pour des investissements directs, soit pour des investissements de portefeuille, et à rapatrier le principal et les bénéfices de ces investissements en supprimant l’obligation de la participation de 51% du secteur public algérien; en autorisant les banques étrangères à s’implanter dans le pays. Une autre loi votée en 1990 a ouvert les activités de commerce aux capitaux étrangers. Elle autorise grossistes et concessionnaires à s’installer sur le territoire algérien pour y vendre directement des produits importés, remettant ainsi en cause le monopole d’Etat sur le commerce extérieur. En même temps, pour encourager l’investissement étranger, des mesures de dévaluation ont modifié la parité du dinar, préparant à terme, sa convertibilité. Enfin, la loi du 30 novembre 91 autorise les sociétés étrangères à participer jusqu’à hauteur de 49% à l’exploitation des gisements déjà en exploitation en échange du paiement d’un "ticket d’entrée" dont Alger attendait en tout quelques milliards de dollars. La compagnie Total, associée à deux compagnies japonaises, serait disposée à avancer 600 milliards de dollars.
Cette politique conduite par Mouloud Hamrouche puis par A. Ghozali est appuyée par le FMI, dont le gouvernement algérien attend 400 millions de dollars de crédits nouveaux. En fait les mécanismes d’ajustement structurel obéissent, et ceci pour tous les pays endettés, à une seule logique: permettre aux pays endettés d’assurer coûte que coûte la poursuite du paiement du service de la dette. Et les mesures actuelles en Algérie renforcent la spécialisation asymétrique (exportation de pétrole et de gaz; importation de mécanique, chimie, agro-alimentaire, électricité) en ancrant davantage le pays dans la mono-exportation. (Le Monde diplomatique d’août 1992).

La loi de juillet 89 permet la libération des prix et en juin 91, il ne restera plus que 22 produits soumis à des prix fixés par l’administration, 4 en 92 (lait, farine, semoule, pain). Des mesures très strictes sont prises sur les petits commerçants qui réagissent violemment.

Pour diminuer l’endettement du pays, des négociations sont engagées dès 1990 avec les principaux partenaires de l’Algérie afin de maîtriser cet endettement sans recourir au rééchelonnement. Les banques françaises sont réticentes à prêter, la France elle-même a déjà prêté ces dernières années 50 milliards de francs à l’Algérie qui lui en doit 35 et 39 (30 à 33 sont garantis par la COFACE). En 92, le service de la dette est supérieur à 9 milliards de dollars soit 78% des exportations annuelles de 1992. En 90, la banque d’Algérie devient indépendante du Trésor Public. Les banques sont soumises à la concurrence. Hamrouche fait appel au FMI. Un accord est signé le 27 avril 1991. L’accord est politique: 2 prêts de 210 millions et 300 millions de DTS (un droit de tirages spéciaux du FMI = 1,35 dollar) sont accordés à Alger; et c’est un appui manifeste des USA aux réformes engagées qui peut induire à terme une réouverture du marché des capitaux. La contre partie est comme partout ailleurs un programme d’ajustement avec 3 contraintes: assainir les entreprises publiques (elles sont un gouffre financier avec un déficit d’exploitation de 90 milliards de francs), libérer les prix et supprimer la taxe compensatoire de 20% sur le commerce, réajuster la parité de la monnaie.

En juillet 91, Hamrouche est remplacé par Ghozali. La situation économique est sombre: inflation de 16,7%, diminution de la consommation de 5%, du niveau de vie de 8%. Le gouvernement s’engage à modifier l’accès des compagnies internationales aux champs pétrolifères déjà en exploitation, et non plus aux seuls nouveaux gisements, et à lever l’obligation faite aux concessionnaires-grossistes étrangers de s’engager à investir en Algérie. Le projet intéresse des compagnies française (Total), italiennes, japonaises et américaines, mais il s’agit d’opérations de longue haleine qui ne donneront des résultats qu’à partir de mi 92. Dans ces conditions, le FMI débloque une dernière tranche de crédit en juin 92. Des mesures sont prises pour la liberté de circulation des capitaux et la privatisation de l’économie; les capitaux étrangers s’installent en Algérie en 91; la privatisation des entreprises publiques commencée dès le milieu des années 80 avec des mesures pour vendre le parc immobilier de l’Etat aux locataires se poursuit avec les prix de cession du patrimoine qui sont fixés très bas permettant la constitution de rentes spéculatives lors de la revente sur le marché libre. Une spéculation effrénée se développe à cette époque sur le nouveau marché de l’immobilier.

En ce qui concerne la privatisation des terres agricoles, la loi 87/190 du 3 décembre 1987 confère aux producteurs agricoles un droit de jouissance perpétuelle sur les terres constituant l’exploitation et un droit de propriété sur tous les biens de l’exploitation qui sont de ce fait transmissibles, cessibles et saisissables. Il faut d’abord supprimer les fermes d’Etat et les coopératives administrées, puis redistribuer les exploitations remembrées et assainies à des collectifs de paysans volontairement constitués et ne dépassant pas 7 personnes (ou à un seul paysan) afin d’éviter la reconstitution des anciens systèmes de production. Dès 1987, les travailleurs agricoles sont mobilisés pour délimiter des parcelles devant leur être attribuées (circulaire du 3 août 87).

Puis il faut éliminer après contrôle les attributions illégales de terres faites entre 1987 et 89 au bénéfice de fonctionnaires, médecins, commerçants ou hommes politiques, sans lien aucun avec l’agriculture, si ce n’est la rente. Entre 1990 et 91, 13 000 attributions illégales ont été annulées et les terres rendues à leurs anciens propriétaires. Il faut assainir les contentieux nés de la nationalisation des terres en 64 et lors de la révolution agraire des années 70. Ces règlements sont confiés à la justice et non à l’administration.

La situation sociale ne s’améliore pas. Selon le syndicat UGTA (le monopole de l’activité syndicale tenu par l’UGTA n’a pas été levé !), 152 000 ouvriers ont déjà été licenciés en 88-89. Les prix partant d’une base 100 en 73 atteignent l’indice 193: ils doublent voire quadruplent pour certains produits, même ceux de première nécessité. Cette politique se heurte encore à l’opposition des politiques FLN au parlement et à l’UGTA. A coups de grève et de pressions, le puissant syndicat arrache plus que le doublement du salaire minimum (qui passe de 1000 DA par mois à 2000 en janvier, 2500 en juillet 91) ce qui compense à peine la perte du pouvoir d’achat. Le pays compte officiellement 1 200 000 chômeurs, 2 millions officieusement soit 25% de la population active, et 1,5 millions d’adolescents qui désvivent de petits trafics, et s’enrôlent dans les rangs d’organisations islamistes.
 
 
 

4. LES VICTOIRES ELECTORALES DU FIS ET DE L’ISLAMISME
 

La "démocratisation" est le cadeau empoisonné de la bourgeoisie algérienne après les évènements de 1988. Le pays se dote d’une Constitution démocratique en février 89 après référendum, instaure la liberté de presse, et autorise la création des associations à caractère politique. La branche de la Sécurité Militaire en charge des civils est soi-disant démantelée. Des dizaines de partis naissent et ceux interdits réapparaissent.En septembre 1989, le Front Islamique du Salut ou FIS est légalisé. En avril 90 a lieu à Alger une manifestation à l’appel de cette organisation. En décembre 89, Hocine Aït Ahmed, un des chefs historiques de la "révolution algérienne" et chef du Front des Forces Socialistes FFS fondé en 1963, rentre en Algérie après 24 d’ans d’exil.

En mars 90, on compte au moins 20 formations politiques et 2 autres qui attendent d’être reconnues, le Mouvement pour la Démocratie en Algérie, MDA, de Ben Bella (Ben Bella a soutenu Khomeiny et Kaddafi et revient en Algérie en octobre 90), et l’Organisation Socialiste des Travailleurs, d’obédience trotskiste (ou OST de Louisa Hanoune). Un seul s’est vu refuser l’agrément, le Parti du Peuple Algérien ou PPA héritier du MNA de Massali Hadj auquel le pouvoir voue toujours une haine féroce. Cinq formations comptent (Le Monde diplomatique de mars 90): le FFS de Hocine Aït Ahmed qui cherche à élargir son audience au delà des populations berbères, le PAGS (Parti de l’Avant Garde Socialiste, ex-PCA. Le PCA est né en 1936, a rejoint le FLN de 56 à 62, a soutenu Ben Bella en 62, et est devenu le PAGS en 1966 pour soutenir Boumédiène) qui dispose de relais dans l’UGTA et les organisations de masse du FLN, le PSD social démocrate, le RCD Rassemblement pour la culture et la démocratie du Dr Saïd Saadi (laïc, influent dans les milieux berbères et concurrent du FFS), le FIS, le FLN dont le chef est Chadli Bendjedid, président de la République. En fait, cette "démocratisation" profite surtout aux islamistes, qui grâce à leur formidable réseau de mosquées, est le mieux à même de récupérer les mécontentements dans un parti, le FIS, rassemblant des courants hétéroclites.
Les conflits sociaux se sont multipliés depuis 1988 et l’Algérie vit à l’heure des grèves qui touchent les entreprises industrielles du secteur public mais aussi les administrations (PTT, enseignement, hôpitaux,...). Depuis le début de l’année 90, ce ne sont plus uniquement les travailleurs qui font grève mais aussi les patrons: les bijoutiers pour protester contre les nouvelles taxes auxquelles les assujettit la loi des finances; les industriels du textile d’Oran, pour protester contre les difficultés d’approvisionnement par les organismes publics en matières premières et produits semi finis; les boulangers et les pâtissiers d’Alger ont décidé eux aussi de baisser leurs rideaux les 17 et 18 février 90.

Et en juin 90, les élections municipales et communales, premières élections "libres" depuis 1962, donnent une large majorité au FIS: 54,2% au FIS soit la moitié des communes, 28,13% au FLN, 34% d’abstention (le FFS et le parti de Ben Bella ont appelé à l’abstention). Le FIS contrôle toutes les grosses concentrations urbaines; il a réussi à s’implanter dans les villes moyennes et dans les campagnes et bénéficie d’une assise sociale solide. Le FIS remporte 32 wilayate sur 48: tout le nord est et toutes les grandes villes du pays (Alger: 64,7%, Oran 70,57%, Constantine 72%, surtout dans les quartiers populaires), à l’exception de Tizi Ouzou en Kabylie, dirigée par le RCD. Le FLN a perdu tous ses fiefs et ne dirige plus que 14 wilayate surtout dans le sud saharien, dans le triangle Batna-Tebessa-Souk Ahrras, région qui est le berceau d’une large composante des élites du pouvoir. Il s’agit clairement d’un vote sanction contre le FLN. Mais cette force politique constituée par l’islamisme militant n’est pas uniquement née de la misère des masses, même si cette dernière explique son succès grandissant.

En effet, la bourgeoisie algérienne, "laïque" ou non, a très vite dévoyé les revendications des masses vers l’arabisation et la religion, non comme moyen d’émancipation du diable occidental colonialiste, comme elle le proclamait, mais comme moyen d’oppression et de détournement de toute forme de lutte de classe.

Le Monde Diplomatique de mai 94 nous retrace le parcours de l’islamisme en Algérie qui dès le début de l’indépendance fut utilisé par le pouvoir en place pour s’opposer à tout processus de démocratisation. Dès les années 50, le FLN est déjà une juxtaposition de courants très divers, islamistes et laïcs occidentalisés. En 1962, les jalons de la restauration culturelle comportent le code de la nationalité distinguant nationalité d’origine définie par l’appartenance musulmane et nationalité par acquisition; délaïcisation de l’école par l’introduction de l’enseignement religieux et par la volonté de faire de l’arabisation un instrument démagogique de contrôle social; consécration de l’exclusion des femmes dont le code de la famille de 1984 est l’expression ultime; extension du réseau des mosquées; répression des organisations à vocation démocratique. L’élite francophone gérant l’armée et l’économie, donc le pouvoir, l’élite arabophone gérant la culture, l’enseignement, la justice, donc les masses. La montée en puissance du mouvement islamiste date de la fin des années 1970; il a acquis en 10 ans une base sociale importante parmi les classes moyennes exclues du banquet du pouvoir, les jeunes et les déshérités, et s’est doté d’un puissant réseau de mosquées, centres d’aide sociale (aides alimentaires, scolaires, etc...) et de rayonnement d’une contestation du système politique.

Rappelons quelques faits. Lors de la rentrée scolaire de 1963, l’Algérie démunie de tout, avait besoin de 12 000 maîtres d’école. Sollicité, Paris détacha 4000 instituteurs et professeurs. Dans un contexte de nationalisme pan arabe accentué par la 2ème guerre mondiale et le mouvement planétaire de décolonisation (conférence de Bandung de 1955), les principaux dirigeants de la région (Hassan II du Maroc, Bourguiba de Tunisie et Boumédiène en Algérie) nationalisent les grands secteurs industriels, procèdent à des réformes agraires. Mais toutes ces mesures furent incapables de nourrir la population. Au Maroc et en Tunisie, des émeutes de la faim éclatent. Pour combattre la contestation "marxiste", on favorise l’arabisation à marche forcée et ainsi en Algérie on fait venir massivement du Proche Orient (surtout d’Egypte) des enseignants liés à des organisations islamistes comme les Frères musulmans. C’est dans les écoles et les mosquées que le discours islamiste va surtout se diffuser dans les années 80 tandis que la crise économique et la corruption politique s’accroît. L’islamisme qui sur le fond est un apport étranger à la tradition de l’islam populaire local séduit à cause de l’intégrité morale dont ce courant est crédité. Plusieurs dates emblématiques vont encourager les masses à se jeter dans l’islamisme: la débâcle arabe de juin 67 face à Israël marque la défaite du nationalisme arabe, incarné par le nassérisme, et l’attitude hostile des puissances occidentales vis-à-vis des revendications arabes; la " révolution" islamique en Iran de 79 favorise la radicalisation de certains courants islamiques; la guerre d’Afghanistan attirera à elle de nombreux algériens, dits les "afghans"; la violente répression des émeutes de 88 en Algérie, de Fès au Maroc en décembre 90; la crise du Golfe et le conflit entre les puissances impérialistes occidentales et le tyran Sadam Hussein, des années 90.

C’est en 1978 que se sont constitués, sous la forme de cercles de réflexion implantés dans les mosquées "libres" (c’est-à-dire non soumises au contrôle du ministère des Cultes) de plusieurs centres urbains, les premiers noyaux contestataires issus de l’islamisme. Au début des années 80, après qu’eut soufflé le vent iranien, la mobilisations s’amplifie et les premières escarmouches violentes font leur apparition: un magasin d’alcool est détruit à El-Oued en mars 81, un policier est tué en septembre de la même année lors de l’assaut donné à une mosquée de Laghouat où s’étaient retranchés des tenants de la "guerre sainte" contre le régime.

L’arabisation touchera les universités de droit, littérature, sciences humaines où les cours seront donnés en arabe, la mixité des amphis et des classes supprimée. En médecine et dans les sciences exactes, la pénurie de professeurs arabes fera que les cours sont dispensés en français ou en anglais. En novembre 1982, la seconde grande grève des étudiants arabophones entraîne de violents affrontements dans l’enceinte de l’université algéroise. Pour protester contre la répression (28 arrestations), les islamistes regroupent cinq mille personnes dans la faculté centrale d’Alger pour une prière de protestation. En 84, ils seront vingt mille à oser braver le régime en assistant aux obsèques du cheikh contestataire Abdellatif Soltani. Les islamistes en 89 organiseront des grèves dans les universités pour exiger une arabisation complète; seules les écoles supérieures où l’enseignement est donné en français ont été touchées tandis que celles où l’anglais est dispensé (Institut national d’électricité et d’électronique) seront épargnées. En fait pour les islamistes, l’arabisation est surtout un combat contre les références culturelles françaises et ceci dès les années 1970 avec l’appui de la bureaucratie du FLN qui s’opposait alors à la gauche universitaire francophone. En 1988, le gouvernement interdira à ses nationaux la fréquentation du lycée français. Cet enseignement malmené a souvent abouti à former des "analphabètes bilingues" ne maîtrisant ni l’arabe ni le français. Evidemment l’arabisation se fait au détriment des populations berbères dont celle de la Kabylie (la capitale, Alger, est une ville à majorité kabyle), et au détriment également de la population arabe qui utilise les dialectes arabes. Les Kabyles, francophones, communiquent entre eux en tamazigh, ne parlent pas l’arabe littéraire et s’expriment très mal en dialectal. Le processus d’arabisation qui culmine avec la "stupide" (Zéroual lui-même s’exprime difficilement en arabe littéraire) loi de décembre 1996 imposant l’utilisation généralisée de l’arabe littéraire, idiome du Coran et de l’islamisme égyptien, à la date butoir de juillet 98, ne peut qu’entretenir l’irrédentisme kabyle et la sédition entre population d’origine arabe et celle berbère (41).

Dans les années 80, une opposition islamiste armée se dessine, opposée à toute recherche de compromis avec le FLN. L’Etat tente de réprimer les noyaux armés et le poids de l’islamisme dans l’Université. Ces noyaux armés veulent imposer l’Etat islamique par la force. Il s’agit du groupe de Mustapha Bouyali, Mansouri Meliani (exécuté en 94), Abdelkader Chebouti, et ce groupe, à l’exemple de l’ancien PPA de 1947 met en place une organisation paramilitaire. Celle-ci recoure à des hold-up, des actions contre les forces de l’ordre, les citoyens "impies", et ceci depuis octobre 81, lançant des attaques armées dans le sud algérien en avril 85. Mustapha Bouyali, ex-militant FLN, candidat déçu de la députation, passé à la clandestinité, et dont le frère a été assassiné par la police, commence une guerre de harcèlement avec le régime. Aidé par la population de sa région d’origine, il tiendra tête à la police jusqu’en février 1987, date à laquelle les balles de ses poursuivants mettent fin à son épopée. En avril 1987 puis en juin 1987, le procès de 130 puis de 202 de ses partisans condamnés assez légèrement lors du premier verdict, plus lourdement ensuite (7 condamnations à mort lors du second), permet de lever le voile sur son mouvement, plus "archaïque" et moins structuré que les groupes tunisiens. Hormis le cas du groupe Bouyali, extérieur à l’université, l’assise sociale du courant dans son ensemble est citadine et jeune, les étudiants anglophones fournissant le fer de lance du mouvement, les jeunes le gros de ses troupes, les classes moyennes son ancrage extra-universitaire.

A la fin des années 1980, le courant semble avoir mesuré les limites de l’action armée. Tout en développant une stratégie d’entrisme dans les institutions de l’islam officiel, il se déploie dans le réseau des mosquées associatives et plus encore sur le terrain de l’action sociale, stratégie à laquelle la crise économique ouvre alors des territoires sans limites.

L’Etat essaiera d’instrumentaliser l’islam et de l’opposer aux culturalistes berbères et aux groupes laïcs partisans d’une démocratisation du régime et donc exclus du pouvoir. En 1986, certains généraux comme Elhachemi Hadjeres, Mohammed Alleg et Larbi Lahcène préconiseront même un Etat islamiste: une dictature islamiste contre une dictature laïque ! Le FIS s’est donc développé au sein du FLN sous forme de courant de pensée islamiste, et certains le surnomment le fils du FLN ! Les islamistes apparaissent politiquement au moment du mouvement des masses de septembre-octobre 1988. Durant les émeutes de 1988, l’islamisme algérien se pose en médiateur entre le régime et les émeutiers. Le 10 octobre 88, le président Chadli reçoit A. Madani, l’enseigant ex-FLN, A. Belhadj, l’imam charismatique de la mosquée de Bab el-Oued, Mahfoudh Nahnah, professeur à Blida (leader d’unmouvement islamiste proche des Frères musulmans, il ne rejoindre pas le FIS), le cheikh Ahmed Sahnoun, vétéran de l’islamisme. Les trois premiers sont sortis de prison l’année précédente, le dernier a été assigné à résidence jusqu’en 1984. Ils se regroupent dans le FIS, autorisé à s’organiser en parti en 89, et fondé par Abassi Madani, 58 ans, et Ali Belhadj, 33 ans.

C’est un parti formé de courants hétéroclites qui récupère les mécontents, les laissés-pour-compte du pays dont une partie des classes moyennes exclues du banquet du pouvoir. La population est passée de 10 à 26 millions depuis 1962, c’est-à-dire que les trois cinquièmes des algériens sont nés ces 30 dernières années. 25% de la population active est au chômage. Le manque de logements atteint un niveau dramatique. 600 000 logements sont inhabités pour des raisons de spéculation. La "maison" est le meilleur thème de recrutement du FIS. Mais en dehors de ses discours démagogiques, ce parti n’a tenu ni congrès, ni publié un vrai programme économique et social. A la différence de l’islam chiite, l’islam sunnite n’a pas de clergé, pas d’Eglise, pas d’institution "autorisée" à parler et agir au nom de l’Islam comme l’ayatollah Khomeiny. Les dirigeants politiques sont des lettrés, des universitaires arabophiles dont beaucoup ont fait leurs études en Occident.

Le FIS,que le pouvoir désigne comme un "parti des gueux", utilise donc le réseau très serré des mosquées et des salles de prière pour faire sa propagande et réunir tous les mécontents. Il rassemble toutes une série de tendances très disparates allant de groupes extrémistes à des groupes modérés, et selon un de ses leaders, Abassi Madani5 "le FIS est un front, non un parti traditionnel" (Le Figaro du 24-10-89). Les extrémistes se rangent derrière Belhadj et sont "internationalistes"; ils sont proches de l’Arabie Saoudite, de l’idéologie des Frères musulmans égyptiens et des groupes islamistes activistes de l’Orient arabe; ils sont par conséquent partisans d’un état islamiste fondé sur la charia, et ils qualifient la démocratie de péché. Les modérés derrière le leader historique Madani sont plus nationalistes et tentent de se réapproprier l’héritage symbolique du mouvement national démocratique algérien qu’ils considèrent comme dévoyé par le FLN depuis 1962. Abdelkader Hachani, syndicaliste à la Sonatrach (compagnie nationale des pétroles), modéré, prendra en main le FIS en juillet 91 pour le mener à la victoire électorale. Au plan économique, ce courant soutient fermement les réformes du gouvernement Hamrouche et encourage l’éclosion du secteur privé. Les petits propriétaires et commerçants deviendront les principaux bailleurs de fonds du FIS. L’annulation du processus électoral en 92 diminuera au sein du FIS l’influence des modérés, qui soutiendront la signature du pacte de Rome en 95, en faveur des courants plus extrémistes. Le FIS est doté d’un bureau exécutif d’une dizaine de membres, et d’un conseil consultatif, sorte de comité central, appelé le Majlis ech Choura, comptant environ de 30 à 60 membres, tous des imams. Sa composition varie selon les alliances (les services secrets de l’armée infiltre suffisamment le FIS pour connaître ses modifications). Au dessous reprenant les structures du FLN avant 62, a été créé dans chaque wilaya au lendemain des élections de juin 90, un bureau de wilaya qui double les administrations officielles.

Le FIS revendique 3 millions d’adhérents. Le financement vient pour une part d’industriels et de commerçants algériens qui jouent la carte de l’islamisme, mais le gros des fonds provient de l’étranger. Jusqu’à la guerre du Golfe (90-91), de nombreux princes saoudiens et koweitiens encourageaient l’expansion de l’islamisme. Pour les municipales de juin 90, le FIS pourra ainsi utiliser une agence de promotion américaine payée par une banque saoudienne avec affichage dans le ciel au laser du nom d’Allah ! Cette aide financière saoudienne ne peut d’ailleurs exister sans l’assentiment des USA. Le seul soucis des Américains est la "stabilité" des pays arabes, quel que soit le régime, surtout s’ils sont comme l’Algérie, assis sur des milliards de m3 de gaz, et s’ils savent "tenir" les masses. Le gaz naturel sera en effet la source d’énergie la plus utilisée aux USA dans les décennies à venir. L’Algérie a moins de réserves que la Sibérie, mais l’exploitation de son gaz est moins chère et plus facile. Un ancien conseiller du président Chadli, prosaïque, remarquait que les USA, après avoir utilisé "les organisations intégristes, en particulier, les Frères musulmans, comme leur cinquième colonne, contre les mouvements révolutionnaires d’inspiration marxiste, les ont laissé choir lorsque la menace communiste a disparu" !

Le Monde du 31-12-91 écrit: "Sur une population largement analphabète, profondément croyante et ignorante des jeux politiciens, le discours simpliste et réducteur du FIS a fait mouche. Logique imparable" Voter pour le FIS, c’est voter pour Dieu. Voter contre le FIS, c’est voter contre L’Islam. (...) Parmi les gens qui ont rejoint les rangs du FIS se retrouvent ceux qui croient avoir tout à gagner à sa victoire et n’ont pas hésité à lui faciliter financièrement la tâche, en espérant être bientôt payés de retour. Cette bourgeoisie commerçante, dont le système bureaucratique et socialisant du FLN avait paralysé les activités – sauf à appartenir à la nomenklatura – entend prendre sa revanche. Les islamistes ne se font-ils pas les avocats du libéralisme économique – "un mot qui ne nous fait pas peur" dit Abdelkader Moghni, l’imam de la mosquée Es Sunna à Alger, – "de l’ouverture des frontières", en somme du négoce tous azimuts ? Le plus gros des troupes, le FIS l’a recruté dans le vaste monde des marginaux, qui n’ont rien à perdre à lui donner ses chances, qui sont prêts à courir tous les risques. Si tant est que lui soit ouverte la route du pouvoir, comment le FIS pourra-t-il sans heurts gérer le pays au nom d’une masse aussi disparate d’électeurs ? Se faisant l’écho d’une base imposante et vociférante, les radicaux – par la voix de Mohamed Saïd, imam de la mosquée Al Arkam à Alger – ont déjà appelé leurs compatriotes à se préparer à changer leurs habitudes vestimentaires et alimentaires (...) Pour autant, lui et les siens, s’attacheront à appliquer la loi de Dieu et à rédiger "après l’élection présidentielle" une nouvelle constitution "inspirée du Coran et de la Sunna" (la tradition). "Le modèle de nos islamistes semble donc être celui de l’Arabie Saoudite, société bourgeoise moderne régie par une dictature religieuse familiale. D’ailleurs le FIS est généreusement arrosé par les finances de l’Arabie Saoudite qui coupera ses largesses quand poussé par sa base le FIS basculait du côté de l’Irak au moment de la guerre du Golfe durant l’été 90. L’Iran prendra rapidement la relève du mécène.

La victoire du FIS aux élections communales de juin 90 représente un avertissement sérieux pour le clan au pouvoir qui doit poursuive bon an, mal an, sa marche vers la démocratie, comme l’exige ses créanciers. Les élections législatives sont prévues pour juin 91. En septembre 90, Ben Bella rentre d’exil.

En décembre 90, une manifestation du FFS à Alger proteste contre une nouvelle loi pour la généralisation de la langue arabe, votée au Parlement en décembre 90. Le 17 janvier
91, Belhadj prend la tête d’une manifestation d’une dizaine de milliers d’islamistes demandant d’aller se battre aux côtés de l’Irak.

En avril 91, la nouvelle loi électorale (il s’agit d’un scrutin majoritaire uninominal à 2 tours défavorable au FIS),dont est à l’origine le premier ministre Hamrouche, ennemi du FIS, est votée à l’Assemblée nationale. Chadli annonce des élections législatives anticipées du 27 juin au 18 juillet.

Le 5 mai 91, le FIS par la voix de Madani lance un mot d’ordre de grève générale illimitée dans tout le pays pour exiger une élection présidentielle anticipée et l’abrogation de la loi électorale défavorisant les agglomérations urbaines acquises au FIS, au profit des campagnes et des zones peu peuplées. Pendant trois semaines le FIS ramène des quatre coins du pays ses troupes de"barbus " qui investissent le centre d’Alger et le bloquent. Le mot d’ordre de grève générale illimitée est un quasi échec. Ses membres manifestent au cri de "A bas la démocratie" ce qui aura pour effet de jeter les classes moyennes dans les bras du pouvoir. Le 4 juin 91, 3 jours après l’ouverture de la campagne électorale pour les élections législatives, l’état de siège est instauré; les chars entrent dans la capitale. Des affrontements sanglants ont lieu entre les forces de l’ordre et les partisans du FIS qui occupent le centre d’Alger. L’armée donne l’assaut aux militants islamistes et des affrontements violents se produisent entre ces derniers et des bandes de jeunes d’un côté et les forces de l’ordre de l’autre faisant au moins 17 morts. D’autres troubles insurrectionnels se seraient produits dans d’autres villes. A la demande de l’armée, le président Chadli décrète l’état de siège, le limogeage de son Premier ministre Hamrouche, opposé à l’emploi de la force, et le renvoi des élections. Les dirigeants du FIS, Madani et Belhadj sont arrêtés en juillet 91, et incarcérés à Blida.

Le premier ministre Hamrouche est remplacé par Sid Ahmed Ghozali. Larbi Belkheir est promu au grade de général-major de l’armée et rejoint le ministère de l’Intérieur. Le pouvoir avec Chadli réfléchit à une possibilité de compromis avec le FIS. Abdelkader Hachani, le porte-parole du FIS, prône la cohabitation avec le chef de l’Etat; mais il doit affronter l’hostilité des partisans de la lutte armée. Une réunion de conciliation a lieu à Batna le 23 juillet 91 dans les Aurès qui est un fief du FIS. Le Majlis ech Choura compte alors 38 membres; 5 membres partisans de la lutte armée donnent leur démission.

Le Monde diplomatique de juillet 91 écrit: "L’hypothèse d’un accord tacite entre le pouvoir et le FIS pour éliminer Hamrouche est-elle totalement absurde ? Le meilleur allié du FLN est souvent le FIS, et vice versa. Pour preuve: tandis que les deux poids lourds poursuivaient leurs épreuves de force, les véritables perdants – au moins à court terme – de cet épisode dramatique étaient les partis dits "démocrates". Victimes de la bipolarisation FIS-FLN, piégés alors même qu’ils avaient été les premiers à dénoncer la loi électorale, ils ont en effet dû observer un silence prolongé trahissant une évidente incapacité à occuper une place entre les deux grands partis".

Le premier tour des élections législatives a lieu en décembre 91. Le FIS obtient 188 sièges sur 430 avec 47,54% des suffrages soit 3 260 222 voix; il a perdu un million de voix par rapport aux élections communales de juin 90. Le FFS obtient 25 sièges avec 510 661 voix, le FLN 15 sièges avec 1 612 649 voix car il a présenté des candidats dans 429 des 430 circonscriptions ce que n’a pas fait le FFS. Les indépendants ont obtenu 3 sièges. Le taux d’abstention est de 41%.
 
 
 

5. RETOUR A LA DICTATURE MILITAIRE AU NOM DE LA SAUVEGARDE DE LA DEMOCRATIE
 

Si les milieux d’affaires ne sont pas effrayés par la victoire du FIS, il n’en est pas de même du clan au pouvoir avec l’armée à l’arrière plan qui sait que le FIS au pouvoir s’attaquera aux militaires (le sort réservé aux généraux du Shah par les imans iraniens est bien mémorisé !). Les classes moyennes effrayées se jettent dans les bras des militaires et cherchent à entraîner avec elles le prolétariat. Le FFS lance un mot d’ordre de manifestation pour provoquer un "réveil": "une grande marche populaire pour défendre la démocratie et la république" contre le FIS pour le 2 janvier 1992. Un comité de défense de la république se crée avec à sa tête l’UGTA. 300 000 personnes venues de tout le pays défilent à Alger avec les représentants de tous les partis démocratiques. Cette marche est une caution populaire pour que l’armée justifie son intervention et ferme l’ascension du FIS en bloquant le processus électoral. Le président Chadli, plutôt favorable à un compromis avec le FIS, est obligé de démissionner le 11 janvier 1992 (une pétition de 181 officiers exige le départ de Chadli). Le 2ème tour des élections est prévu pour le 16 janvier. Le 12 janvier un haut conseil de sécurité annule les élections législatives et un Haut Comité d’Etat ou HCE est créé à qui l’on cherche un chef. Mohammed Boudiaf, alors exilé volontaire au Maroc, est contacté pour incarner une "légitimité historique", faute de légitimité des urnes. (42) Il arrive à Alger le 13. Le Haut Comité d’Etat HCE comprend le général Khaled Nezzar, Ali Kafi, Ali Harou, Tidjani Haddam.

Le président du HCE, Boudiaf, organise la répression contre le FIS. Le 22 janvier 92, le HCE décide que les mosquées reviendront sous la coupe du ministère des affaires religieuses. Le président du bureau exécutif du FIS, Abdelkader Hachani, est arrêté ainsi que la majorité des responsables du mouvement. Ses locaux sont fermés, ses archives sont saisies. Le 9 février 92, l’état d’urgence est instauré sur l’ensemble du territoire. 15 000 hommes en armes sont stationnés à Alger et dans ses environs. Les chars sont dans le centre ville et les blindés sont massés à proximité des zones sensibles. Des manifestations éclatent autour des mosquées tous les vendredis mais sont impitoyablement réprimées par les forces de police avec les forces spéciales cagoulées, les "ninjas". Le 13 février, Amnesty International rend public le bilan de 2 semaines de répression: 70 civils tués, 500 blessés et plus de 100 arrestations.

En mars 92, le FIS est dissous; en juin 92, Madani et Benhadj sont condamnés à 12 ans de réclusion. Des milliers de militants et de sympathisants du FIS sont raflés et conduits dans des camps d’internement dans le grand sud. Les cadres les plus actifs passent au maquis ou fuient à l’étranger. En Allemagne, Rabah Kébir, représentant politique de la branche nationaliste du FIS, tente de se faire connaître. A Londres, les "internationalistes" sont liés aux princes saoudiens et au monde anglo-saxon; ils sont tolérés en France puis seront expulsés en août 92. Des armes et même du gros matériel sont ainsi achetés sur le marché des armes. Les Iraniens participent au financement (en novembre 92, l’Algérie expulsera 6 diplomates iraniens qui auraient été en contact avec le FIS). Les islamistes peuvent aussi s’approvisionner en Bosnie où tous les trafics sont devenus possibles.

Le Monde écrit: "Au lendemain de la victoire du FIS au premier tour des législatives, les milieux d’affaires étrangers n’étaient pas inquiets à Alger. Le FIS au pouvoir, les exportations de pétrole et de gaz, selon eux, seraient poursuivies ainsi que les investissements étrangers prévus dans ces secteurs (...) Les importations par l’Algérie de produits occidentaux ne pouvaient pas non plus s’arrêter (...) L’inquiétude majeure portait sur les retombées sociales de la nouvelle situation; les milieux d’affaires étrangers redoutant moins le FIS que la rue, d’autant que le FIS pouvait être crédité de "tenir la rue". La nouvelle situation, après le coup d’Etat, multiplie les incertitudes et les menaces d’instabilité. Des débordements populaires sont à craindre, et selon ces milieux, se produiront fatalement soit pour soutenir le FIS, soit pour protester contre une nouvelle hausse intempestive mais obligatoire des prix. Comment corriger la dérive vers le naufrage économique ?". Ou plutôt comment corriger la dérive vers l’insurrection des masses ? Et la réponse bourgeoise est toujours la même: par le terrorisme sous toutes ses formes.
 
 
 

6. LE TERRORISME SUR LES MASSES PAUVRES
 

La libéralisation du secteur des pétroles en 92 a permis à des compagnies étrangères, françaises, américaines et italiennes, de se lancer directement dans l’exploitation des hydrocarbures, assortie de commissions occultes au pouvoir algérien et à ses généraux qui tiennent aussi les marchés des biens importés. Le terrorisme, le racket, le sabotage d’entreprises, et l’instabilité politique permettent de faire prospérer les affaires !
 
 

A. La dictature des créanciers impérialistes et la spirale infernale de l’endettement
 

(Cf. Comunismo n° 42, juin ’97, "Le fondamentalisme islamique")

En juin 92, Boudiaf, l’homme "intègre", qui s’est pourtant "sali" les mains dans la répression contre le FIS, est assassiné à Annaba par un membre de sa garde qui s’avèrera appartenir à une unité d’élite du ministère de l’Intérieur (le 3 juin 95, ce sous-lieutenant reconnu seul coupable de cet assassinat est condamné à mort. Les circonstances de son geste ne seront pas éclaircies). Il mécontentait certains milieux affairistes et menaçait de s’attaquer aux privilégiés de tous bords dont ceux du FLN. Ali Kafi est nommé président du HCE. Ghozali présente sa démission.

Belaïd Abdesslam, un orthodoxe des années de nationalisation de Boumédiène, est nommé premier ministre. La situation économique est toujours difficile; avec une dette extérieure de 26 milliards de dollars dont le service absorbe annuellement les trois quarts des recettes extérieures (estimées à 12 milliards de dollars); une inflation qui atteint 30% l’an; le dinar qui baisse (en 86, un dollar vaut 5 dinars, en 92, 25); des entreprises fonctionnant parfois au tiers de leur capacité de production, et dont le déficit s’est encore aggravé; un chômage estimé officiellement à 25% de la population active et touchant surtout la jeunesse; une grave pénurie, difficilement supportée par la population, de logements et de biens de consommation; et, enfin, un climat social et politique au bord de l’explosion, comme en témoignent l’assassinat du président Mohamed Boudiaf et la multiplication des attentats, des actes de guérilla et de sabotage visant désormais des équipements collectifs et des objectifs économiques de première importance, comme les centrales téléphoniques, les installations pétrolières, des ouvrages électriques, etc. Dans Comunismo n°42, nous faisions un rappel des données socio-économiques. Dans la décennie 1984-94, la population algérienne a cru de 18 à 23 millions. La population active monte de 4,3 à 6 millions et les employés dans l’agriculture descendent à 23,8% du total en 91. Les terrains incultes en 84 étaient de 190 millions d’ha soit 78,8% du total et en 94 ce chiffe passe à 81,7%. Les terres cultivables et les cultures arboricoles (7,5 millions d’ha) ont augmentés de 3,1% à 3,2%: une augmentation misérable de 94 000 ha en 10 ans. Les prés et les paturages permanents ont baissé de 15,1 à 13,1% pour un total de 31 millions d’ha. Les forêts et les bosquets (4,7 millions d’ha) augmentent de 1,8% à 2%. Par conséquent, les bouches à nourrir augmentent et les terrains incultes aussi, grâce aux réformes "socialistes" ! Inutile de s’étonner que le produit national brut par tête est de 2380 dollars en 84 et de 2020 en 91 (au Maroc, il est de 1030, et aux USA de 22 560 en 91) !

L’Algérie a obtenu des crédits de la CEE, du FMI, de la Banque mondiale et de l’Etat français (la dette s’élève à 35 milliards de francs en 92 !). La dette extérieure commande, en effet, les modalités d’insertion extérieure du pays et, par conséquent, obstrue toute issue à la crise économique. Hostile au principe du rééchelonnement (comme l’était M.Boudiaf), M.Abdessslam estime que, pour sortir le pays du cercle infernal de l’endettement, il faudra moins compter sur les capitaux extérieurs – qui, de toute façon, ne se sont pas montrés très empressés jusqu’ici et qui continueront sans doute à être réticents à l’égard de l’Algérie – que sur ses propres ressources humaines et matérielles. (...) Il propose que les algériens ’se serrent la ceinture’ et que le pays s’impose une cure d’austérité sévère, étalée sur une période d’au moins trois ans. En un mot: apprendre à vivre durant cette période avec les 3 à 4 milliards de dollars qui restent, une fois le service de la dette payé. Une politique draconienne de restrictions de la consommation, pouvant aller jusqu’au ’rationnement comme en temps de guerre’, devrait, selon lui, être alors appliquée, ce qui impliquerait une limitation des importations au strict nécessaire (par exemple, il faudrait supprimer, dit-il, l’importation de produits comme le café, mais maintenir celle de produits pharmaceutiques et des équipements nécessaires à la santé).

Mais la profondeur de la crise algérienne est telle que le programme d’économie de guerre lancé par le premier ministre en juin 92 est insuffisante.

Le 24 janvier 94, Liamine Zeroual, général en retraite, est "désigné" président de l’Etat pour une période de 3 ans. De nombreuses discussions secrètes sont menées avec les dirigeants du FIS. En février 94, Alger envoie un avis d’insolvabilité malgré les efforts imposés aux algériens. L’inflation galope à 30% annuel, le prix du pétrole descend à 16 dollars le baril. La France, qui avec ses 30 milliards de francs représente la moitié des crédits, veut organiser le réassainissement économique proposé par le FMI, tandis que le Japon qui représente 25% des crédits n’accepte pas un rééchelonnement de la dette. L’Algérie de son côté espère l’annulation de 6 milliards de dollars de dette publique avec la CEE comme "contribution à la sécurité énergétique des Douzes". La solution imposée par le FMI le 10 avril 94 est la dévaluation de 40% du dinar, la réduction des postes de travail soit 200 000 licenciements, programme de rééchelonnement de la dette et un changement de premier ministre !

L’UGTA dément avoir donné son accord préliminaire au plan du FMI, mais n’organise aucune grève. Et les masses travailleuses, désormais bien contrôlées et terrorisées par la répression de tous bords, étatique, islamiste, mafieuse, milicienne, ne bougent plus.

Tout en déclarant que la situation politique en Algérie est un obstacle à la reprise de l’économie et qu’une ouverture "démocratique" du régime du président Zéroual serait souhaitable, les banquiers prêtent à un pays qui leur offre pourtant des garanties. La France dans quelques mois doit renouveler son protocole d’aide (6 milliards de francs par an) et le FMI pose ses conditions d’usure. En mars 95 (Le Monde diplom. de mars 95) s’achèvent les négociations entre le gouvernement algérien et le FMI pour un ajustement structurel étalé sur trois ans: en contre partie de la poursuite des réformes entamées en avril 94, Alger se verrait octroyer un prêt global de 1,5 milliards de dollars, soit une somme sensiblement égale à celle que le FMI avait débloquée il y a un an lors de la signature d’un premier accord dit "stand-by" ou transitoire. Le dinar devrait être à nouveau dévalué, ce qui annoncerait l’avènement de la convertibilité commerciale, et permettra ensuite la libération du commerce extérieur. En effet le FMI souhaite que les derniers monopoles d’Etat en matière d’importations de produits soient supprimés au même titre que les remparts protectionnistes dont le but est de défendre la production des PME privées. D’un côté on prête de l’argent, de l’autre cet argent sera dépensé pour engraisser le créancier. Le FMI "souhaiterait" aussi la réforme du système fiscal qui n’arrive à collecter les contributions que dans le secteur public et les fonctionnaires soumis au régime du prélèvement à la source; cette réforme augmenterait les rentrées de l’Etat dont le déficit budgétaire atteindra en 95 148,54 milliards de dinars (soit 8,3% du PIB) contre 139,6 en 94 et 192 en 93. La réforme du système bancaire, la privatisation des entreprises publiques sont d’autres "souhaits" du FMI. Dans l’industrie, les restructurations devraient conduire à 200 000 licenciements. Ce plan de redressement se donne pour but la croissance économique, même si il donne peu de résultats: la croissance est restée presque nulle en 94 alors que le FMI prévoyait une progression de 3%. Le secteur privé importe mais spécule, ce qui provoque une hausse importante des prix sur le marché intérieur. Les gros importateurs sont évidemment liés aux dignitaires du régime. La libération du commerce extérieur incite de nombreux algériens à accuser le FMI de vouloir maintenir le pays dans son rôle de "consommateur": "C’est la curée, explique un syndicaliste. Cet argent frais qui provient d’un endettement que nous paierons cher à partir de l’an 2000 ne sert pas à relancer l’économie. Des fortunes considérables sont en train d’être bâties pendant que les gens meurent. Les réformes n’ont de sens que parce qu’elles perpétuent l’enrichissement de la nomenklatura" (le Monde diplomatique mars 95). Les entreprises d’import-export fleurissent. Et Le Monde du 4-10-95 écrit: "Un bon millier de PME, estime la Chambre de commerce franco-algérienne, ne ’vivent’ pratiquement que du marché algérien, sur un total de 9500 exportateurs recensés par les douanes (dont un millier de grands groupes et 8500 PME)". Les affaires n’ont jamais été aussi bonnes en Algérie depuis 10 ans. On s’égorge tous les jours, mais le business continue et prospère ! "la situation est dramatique, pas le commerce !" résume cyniquement un haut fonctionnaire. L’an dernier les exportations françaises ont augmentées de plus de 12% avec des pointes à plus 30% ou plus 40% dans l’alimentation, la pharmacie, l’acier, etc. Depuis le rééchelonnement de sa dette, qui a reporté après l’an 2000 le plus gros de ses remboursements, l’Algérie a de l’argent et peut même se permettre de payer comptant.

Par contre, comme l’écrit le Monde diplomatique de novembre 95, le complexe sidérurgique d’El Hadjar, au nord du pays, où travaillent de nombreux ouvriers originaires de Souk-Ahrass, est discrètement investi par les forces de sécurité. Il s’agit tout autant de protéger les installations qui ont connu plusieurs tentatives de sabotage que de prévenir un mouvement social qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences. Au début du mois d’octobre 1995, ulcéré par l’immobilisme du gouvernement, le directeur du site a déclaré le complexe en cessation de paiement et donc incapable de rembourser ses dettes (7 millions de dollars) et d’assurer les salaires d’une partie des 60 000 travailleurs. "C’est à El Hadjar qu’on peut toucher du doigt ce que le FMI est en train de préparer au pays, déclare un cadre de l’UGTA. La production est en baisse parce que le complexe n’a pas d’argent pour importer des pièces détachées, alors que n’importe quel privé peut importer des ronds à béton en utilisant l’argent du rééchelonnement. "Comme le rappelle un des responsables de l’usine, "En 1993, nous avons signé un contrat de performance avec l’Etat. Contre un assainissement de notre situation financière, nous nous sommes engagés à augmenter notre production. Or le matériel a besoin d’être constamment rénové, et les banques, sous prétexte que nos avoirs en dinars sont faibles, refusent de nous allouer des devises alors qu’elles n’hésitent pas à le faire pour ceux qui importent des bananes ou du nougat". "El Hadjar ? Que l’Etat nous le vende, et on verra monter la production. Le privé c’est l’avenir ", assène en guise de conclusion Dahmane, l’ancien conducteur de travaux devenu homme d’affaires grâce au FMI".

Jeune Afrique de septembre 96 commente la situation économique du pays. Grâce à toute une série de réformes, l’Algérie dispose du régime de commerce le plus libéral de la région: élimination des subventions généralisées aux produits énergétiques et aux denrées alimentaires, exception du lait pasteurisé; les prix de ces produits ont doublé en 94-95 et augmenté de 60% en 95-96. La libération des prix s’est accompagnée d’un ajustement de 50% du taux de change afin de corriger la surévaluation du dinar observée début 1994. Le pays s’est efforcé de réformer les entreprises publiques pour renforcer les mécanismes de marché. Cette réforme visait à imposer une contrainte budgétaire rigoureuse en vue de leur privatisation ultérieure. Une loi de 1995 permet de privatiser tous les secteurs de l’économie et donc ouvre la voie aux participations étrangères. Depuis avril 96, un programme de privatisations parrainé par la Banque mondiale prévoit de vendre, liquider ou concéder plus de 200 entreprises avec réduction au minimum des formalités que doivent accomplir les investisseurs nationaux ou étrangers. Les banques commerciales appartenant à l’Etat sont en cours de restructuration. Le déficit du budget de l’administration centrale a pu être ramené de 8,7% du PIB en 93 à 1,4% en 95 malgré une chute des cours du pétrole. Cette réduction a été facilitée par la dépréciation du dinar, une contraction vigoureuse des dépenses publiques (salaires, subventions, crédits et dépenses d’investissement). On s’attend à ce qu’en 1996 le solde budgétaire global devienne excédentaire. En effet les réformes engagées à ce jour ont donné des résultats impressionnants sur le plan de la stabilisation financière. L’inflation est tombée de 39% en 94 à 15% en 95. Les réserves de devises sont passées de 1,5 milliards de dollars fin 93 à 2,7 milliards en 96. Néanmoins la production industrielle manufacturière a continué de régresser, à cause de la libéralisation des importations et des problèmes structurels liés à l’obsolescence de l’infrastructure et des modes de production de nombre d’entreprises publiques. Il reste encore deux années 96-98 pour exécuter le programme d’ajustement appuyé par le FMI.

En effet les officiels algériens sont satisfaits de la situation économique et le ministre algérien des finances affirme en 97 que l’Algérie est sortie de dix années de crise économique majeure après l’effondrement des cours du pétrole de 86 qui a privé le pays de la moitié des ses recettes extérieures. Selon le Monde diplomatique de mai 97, la croissance du produit intérieur brut devrait atteindre 5% en 97, contre 4% en 96 et 3,8% en 95. De même, l’inflation sera vraisemblablement réduite à 9% pour l’année en cours, contre 18% en 96 et 30% en 95. Dans le même temps, et pour la première fois depuis plus de 10 ans, la balance commerciale a présenté en 1996 un excédent de 4,2 milliards, contre un déficit de 0,9 milliard de dollars en 95. Plus important encore: alors que le pays était à la limite de la cessation de paiement en 94, la Banque d’Algérie annonce que les réserves en devises ont atteint 4,2 milliards en 96, et les prévisions les plus pessimistes estiment que ces réserves devraient être de 5 milliards de dollars en 97, soit plus de 6 mois d’importations. Et le FMI de féliciter le gouvernement dont la fermeté (répression, aggravation des conditions de vie de la population) a été "payante". En fait, deux raisons majeures expliquent cet apparent redressement. La première, c’est le maintien à la hausse des cours du brut en 96 qui a poussé les autorités à dépasser régulièrement le quota de production au sein de l’OPEP, craignant que le retour inéluctable de l’Irak sur le marché mondial ne finisse par pousser le baril à la baisse. La seconde raison est beaucoup plus artificielle: ce sont les effets directs des divers rééchelonnements de la dette. L’Algérie a eu recours à deux rééchelonnements de sa dette publique en 94 et 95, accordés par le Club de Paris, soit au total 10 milliards de dollars, et à un rééchelonnement de sa dette privée en 1995 accordé par le Club de Londres, pour un montant de 3,2 milliards de dollars. En signant un accord d’ajustement structurel de trois ans en 95 avec le FMI, Alger a pu reporter le paiement de plus de 13 milliards de dollars de créances, faisant passer le service de la dette de 90% du total des recettes extérieures en 93 à 35% en 97. L’Algérie offre donc une incontestable solvabilité et les investissements étrangers viennent du Proche Orient, des USA et de l’Europe. "Mais dès 1998, le service de la dette repassera à plus de 50% des recettes extérieures, pour atteindre près de 75% des recettes en l’an 2000.La question du remboursement des créances et du financement de l’économie se posera alors de manière aussi brutale qu’en 1993 et les solutions sont peu nombreuses". L’option "tout hydrocarbure" est encore celle choisie par l’équipe au pouvoir, car les privatisations actuelles n’ont pas mené à une relance des exportations hors hydrocarbures mais a ouvert la voie aux spéculateurs, aux affairistes, et aux truands professionnels internationaux, dont le seul intérêt est de se faire de l’argent en pillant le pays. La Sonatrach, dont le programme de développement pour les dix années à venir est évalué à 18 milliards de dollars, prévoit d’atteindre une production d’un million de barils par jour contre 700 000 en 97 et de 134 milliards de mètres cubes de gaz naturel (contre 113 milliards en 97). Cette stratégie rend donc le pays complètement dépendant des cours mondiaux bien aléatoires des hydrocarbures. La solution consisterait à procéder à un nouveau rééchelonnement de la dette publique enserrant le pays dans les griffes de ses créanciers.

La principale conséquence de ce "redressement" de l’économie, c’est que les entreprises occidentales, notamment celles françaises, reprennent le chemin de l’Algérie. Les importations prennent un tour effréné et les différents ports du pays sont engorgés: l’importation de biens de consommation représente une affaire rentable pour une minorité d’algériens disposant de ressources en dinars et d’un réseau de "bonnes relations" nationales et internationales. La France accordant des visas au compte-gouttes, les importateurs algériens se tournent de plus en plus vers l’Espagne et l’Italie moins regardantes. Le patronat privé qui selon les experts de la Banque mondiale représenterait "le moteur idéal du redémarrage économique" de l’Algérie est plus que jamais divisé. Pas moins de trois organisations patronales se disputent le rôle d’interlocuteur privilégiés du gouvernement et des instances internationales. Les quelques rares entrepreneurs d’envergure privés ont de plus en plus tendance à abandonner leur appareil de production pour privilégier des activités commerciales d’import-export, en fait uniquement d’import. Et en outre, l’Algérie cherche à conclure au plus vite un accord d’association avec l’Union européenne afin de parvenir à la mise en place d’une zone de libre-échange en 2010. Elle assume déjà la charge de coordinateur des pays arabes méditerranéens et de porte-parole des pays tiers méditerranéens dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen engagé par la conférence de Barcelone en novembre 95. Tout cela ne peut concourir qu’à aggraver la détérioration du tissu industriel local. Par exemple, les officiels tunisiens, dont le pays a été le premier à signer un tel accord en juillet 95, reconnaissent que le tiers des PME locales va disparaître à l’horizon 2007, date d’entrée en vigueur de l’accord de libre échange. Certains spécialistes estiment que l’enjeu caché des tractations entre l’Union européenne et l’Algérie, c’est le sort de la puissante compagnie pétrolière Sonatrach, dont les responsables de la Commission souhaitent la rapide privatisation pour mieux asseoir la sécurité énergétique de l’Europe du sud (Le Monde diplomatique de mai 97).

Et l’Algérie n’est qu’un cas parmi tant d’autres d’un pays devenu la proie de ses créanciers. Acculé à la dette, il s’est jeté dans les bras du Fonds Monétaire International, manoeuvré principalement par le capital USA, et qui sous le couvert d’une aide charitable aggrave en fait la situation économique. L’Amérique latine en est un triste exemple, de même les pays de l’est. Le Monde diplomatique dans un article de décembre 1996 nous fait une description apocalyptique de "Comment les mafias gangrènent l’économie mondiale". Et la démonstration est de montrer comment l’intervention du FMI précède la pénétration criminelle de l’économie. " En Ukraine, par exemple, le FMI a patronné, en octobre 1994, des réformes macro-économiques qui ont contribué à précipiter une crise profonde de l’agriculture vivrière. Et l’Observatoire géopolitique des drogues confirme qu’avec la chute de la production de blé la culture de l’opium s’y développe rapidement. Avec le déclin de l’agriculture locale, la culture du pavot et les laboratoires d’héroïne, contrôlés par la mafia italienne de la Santa Corona Unita, ont également fait leur apparition dans l’ancienne Yougoslavie. Les privatisations et les programmes de restructuration de la dette exigés par les créanciers extérieurs ont fait passer un grand nombre de banques d’Etat latino-américaines et est-européennes sous le contrôle de banques d’affaires occidentales et japonaises. En Hongrie, par exemple, la Banque internationale centre-européenne (CIB) a été achetée par un consortium de banques étrangères (...) et a toute liberté d’intervenir dans le secteur juteux du blanchiment de l’argent, sans intervention du gouvernement et sans avoir à se plier à la réglementation et au contrôle des changes. (...) En Bolivie et au Pérou, les réformes du système bancaire sous la tutelle du FMI ont facilité la libre circulation des devises. Ce qui, selon un observateur, a abouti à rien moins que la légalisation du blanchiment par le système financier péruvien. (...). Les programmes de privatisation en Europe de l’est et dans l’ancienne Union soviétique comportent la vente de banques d’Etat, de services publics, du secteur énergétique, de terres appartenant à la collectivité, d’entreprises industrielles et commerciales – y compris celles du complexe militaro-industriel. Sous la houlette des institutions de Bretton Woods, le produit de ces ventes est affecté au service de la dette contractée auprès des créanciers occidentaux, dont les grandes banques commerciales. Les programmes de privatisation ont sans conteste facilité le transfert d’une fraction significative de la propriété publique au crime organisé. Il n’est pas surprenant que les mafias russes, qui constituent la nouvelle classe de possédants, aient été les fervents partisans du néolibéralisme ainsi qu’un soutien politique aux réformes économiques du président Boris Eltsine. On compte au total plus de 1300 organisations criminelles dans la Fédération russe. Selon une étude récente publiée par l’Académie des sciences de Russie, le crime organisé contrôle 40% de l’économie, la moitié du parc immobilier commercial de Moscou, les deux tiers des institutions commerciales, soit au total 35 000 entreprises, 400 banques et 150 sociétés d’Etat. (...) L’effondrement de l’activité économique légale, industrielle et agricole a précipité un grand nombre de pays en développement dans la camisole de la dette et de l’ajustement structurel. Il est des pays où le service de la dette excède le total des recettes d’exportations légales. Dans certaines circonstances, les revenus tirés du commerce illicite procurent une source alternative de devises qui permet aux gouvernement endettés de remplir le service de la dette. (...) L’acquisition de sociétés d’Etat par le crime organisé, grâce aux programmes de privatisation, est tacitement acceptée par la communauté financière internationale comme un moindre mal: elle permet aux gouvernements de rembourser leurs dettes. (...) Il y a une logique dans cette restructuration car, en dernière instance, les créanciers favorisent un système fondé sur la libre circulation. Pour autant que le service soit remboursé, les créanciers ne font guère de distinction entre "argent propre" et "argent sale". "

La logique capitaliste est féroce: pillage systématique des richesses algériennes par les pays impérialistes, exploitation des masses laborieuses grâce à un plan de réformes qui se fait sous la houlette du terrorisme. Le terrorisme en Algérie, celui islamiste ou celui du clan au pouvoir, n’a qu’une seule cible: le prolétariat. Si dans les pays occidentaux, l’arme bourgeoise est encore celle des somnifères de la prospérité ou des discours démagogiques, en Algérie, pour parvenir à une exploitation impitoyable des forces productives, la classe dominante avec l’aide bourgeoise internationale, utilise la terreur.
 
 

B. Le gouvernement militaire algérien
 

Les différents acteurs du pouvoir en Algérie s’articulent autour de trois pôles: les chefs de l’armée, la Sécurité Militaire, un pouvoir civil. La politique se fait en fait dans les coulisses, entre militaires. (43) La primauté de l’armée date de la guerre d’indépendance. Avant 1962, avait déjà été liquidé par les hommes du chef des services de renseignements (Abdelatif Boussouf) en décembre 1957 au Maroc, Abbane Ramdane, chef de file du FLN, qui remettait en question l’influence des militaires. C’est aux frontières du pays, au Maroc et en Tunisie, loin des maquis de l’intérieur, que s’est constituée l’Armée de Libération Nationale ou ALN. Cette " armée des frontières" par opposition à l’ALN des maquis, jouira vite d’une autonomie croissante à l’égard de la direction civile. L’instance dirigeante opérationnelle, c’est-à-dire l’état major général commandé par le colonel Houari Boumédiène, s’est imposée comme l’arbitre des luttes de factions, et cette armée-Etat exerce et exercera jusqu’à ce jour la réalité du pouvoir.

Deux groupes principaux constituent son commandement, même si cette différentiation tend à s’estomper aujourd’hui. Le premier, par la position que ses membres occupent dans la hiérarchie, est celui des "anciens officiers de l’armée française", comme on appelle ceux qui ont rejoint le FLN et l’armée des frontières peu avant l’indépendance. Récupérés par Boumédiène, ces officiers dociles, car sans légitimité de résistants, lui ont permis d’écarter les éléments issus des maquis. Plus de trois décennies après, ce groupe contrôle encore les positions stratégiques dans le haut commandement et les "services".

Le second clan est composé d’hommes ayant connu le maquis et formés au Moyen-Orient. Marqués par le nationalisme arabe triomphant des années cinquante, ces officiers, souvent arabophones, s’opposent aux premiers les suspectant de patriotisme non sincère. D’autres oppositions existent au sein de l’armée entre les "janvieristes" – les officiers qui en janvier 92 ont arrêté le processus électoral – et les autres qui en étaient partisans. Cette armée fonctionne donc selon un équilibre "fragile" qui s’établit à coup d’éloignements des gêneurs, voire d’assassinats restés inexpliqués (l’ancien ministre de la Sécurité militaire de Boumédiène, K. Mersah; l’ancien ministre de l’Intérieur, A. Belkaïd; le leader de l’UGTA, puissante centrale syndicale, A. Benhamouda; le président M. Boudiaf), et de luttes de clans féroces qui sont en fait des luttes de groupes d’intérêts. Les conflits se gèrent souvent par presse ou par civils interposés et se résument généralement à des luttes d’influence liées au partage de flux financiers. Mais en dernier ressort, les chefs de clan sont mus et liés par un seul impératif – conserver le pouvoir à tout prix et empêcher tout mouvement des masses en utilisant tous les moyens: mitraille contre les émeutiers désarmés d’octobre 88 ou terrorisme. Cette "famille" militaire compte aujourd’hui 140 généraux et constitue une élite vivant de privilèges dans des résidences surveillées. Elle contrôle le marché des hydrocarbures, investit dans tous les secteurs stratégiques, se partage les différentes activités commerciales, ne connaît que ses propres règles et respecte l’omerta: rien ne la distingue donc de la mafia dénoncée par les démocrates incapables de réaliser que la bourgeoisie fonctionne selon les mêmes lois. Elle peut connaître des conflits internes meurtriers, mais elle sait faire front et mobiliser tous ses appareils quand il s’agit d’imposer sa terreur sur les masses. Un fonctionnement que résume bien le quotidien algérois El Watan du 21-12-98 dans un article intitulé "L’inutilité des élections": "le système ne puise que dans son vivier. Les hommes qui y émergent doivent donc respecter la loi des équilibres entre groupes et factions, préserver les intérêts des uns et des autres et, parfois, observer un silence proche de la loi de l’omerta. (...) Le système trouve sa force dans le fait qu’il est un assemblage de courants et de sensibilité qui s’affrontent, se neutralisent et coopèrent. Le pouvoir est alors l’émanation d’un clan marqué tantôt par une afinité régionale, tantôt par une solidarité tactique. S’il y a un marquage à l’est, il doit encore se plier aux gens de l’Ouest. Ce système vit et fonctionne grâce au dosage représentant des fiefs et des territoires".

Et SURTOUT ! Il faut que cette famille reste solidaire contre son ennemi unique: les masses algériennes bluffées en 1962. Ainsi un très haut responsable déclarait après les émeutes de 1988: "Pendant trente ans, nous avons pu nous déchirer, nous mettre des couteaux dans le dos. Mais nous prenions soin de ne jamais abandonner un dirigeant exclu, ne serait-ce qu’en continuant à lui rendre visite. Car nous étions unis par une certitude: nos enfants devaient nous succéder (...). Nous savions que le jour où cette loi serait rompue, cela en serait fini pour nous tous, car la rue, elle, ne se contenterait pas d’une tête, mais les exigerait toutes". FORMIDABLE DECLARATION DE GUERRE AUX MASSES !!

La Sécurité Militaire (SM), qui dépend de l’armée, est la police politique du régime, héritière des services spéciaux créés en 1958. Dissoute en 1989, la SM a une nouvelle appellation, la DRS (Département Renseignement et Sécurité) et quadrille la société, infiltre les médias, la police, les entreprises, les partis politiques et les groupes islamistes armés. Armée et SM ont tiré les ficelles à l’ombre du FLN et de ses "organisations de masse" qui encadraient les prolétaires jusqu’en octobre 1988. L’élite intellectuelle et nombre de formations politiques partagent avec le pouvoir la même peur de la rue, et donc lui sont attachées, tout en développant un discours d’opposition indispensable pour garder une crédibilité. Armée et SM sont donc maîtresses dans l’art d’organiser la confusion, en utilisant la rumeur pour déstabiliser tel opposant, en favorisant les "dissidences" au sein d’une organisation (parti politique, association des droits de l’homme) gênante, en mêlant toujours le vrai et le faux pour masquer les buts inavouables. Cette organisation de la confusion et de la manipulation permet de gouverner en se cachant derrière un voile de démocratie, par révolutions de palais, et surtout d’éviter les mouvements des masses qu’elle méprise et qu’elle craint.

A partir de 1992, le pouvoir se drapait dans un rôle de rempart contre l’intégrisme islamique, et à travers la guerre contre l’ "insurrection islamiste" utilisée comme épouvantail, il se légitimait et se présentait aux yeux de l’extérieur du pays et des classes moyennes algériennes comme le "moindre mal". En septembre 98, la démission du général Zéroual, aboutissement d’un conflit de clans au sein du pouvoir, fera voler en éclat le fragile édifice constitutionnel crée par 4 scrutins électoraux de 95 à 97 sous la pression des puissances occidentales, complices. Pour autant, les partenaires étrangers de l’Algérie poursuivaient leurs discours hypocrites sur la soi-disant démocratie algérienne, eldorado gazier et pétrolier oblige. L’Algérie demeure, comme la Russie de Poutine, une démocratie "naissante" que la bourgeoisie internationale se doit d’aider, en fermant pudiquement les yeux sur les "bavures". La réalité est bien plus ignoble: pour mettre la main sur le pays et ses richesses, il s’agit en fait de soutenir des régimes dont l’unique tâche est de barrer la route aux masses !!
 
 

C. Le terrorisme de tous bords, islamiste et étatique
 

L’armée est donc au pouvoir, avec la gendarmerie nationale, et la Sécurité Militaire, agissant de façon plus ou moins coordonnée dans la lutte soi-disant anti-islamiste.

Le recours à la violence pour le FIS, groupement politique de plusieurs courants, est légitimé par deux textes. Le premier de janvier 91 provient des courants extrémistes et a été rejeté par Madani et Benlhadj: "De la désobéissance civile" qui appelle au renversement du régime par la lutte armée pour établir l’Etat islamique. Le deuxième texte, datant de la grève générale de 1991 et signé de Madani et de Belhadj, recommande de "défendre et de résister dans chaque quartier",de "dresser des barricades", alors que l’armée lance ses troupes contre le FIS. Les partisans de la lutte armée demeurent donc minoritaires au sein du FIS jusqu’en 1992. La violence de la répression dès janvier 92, après l’arrêt du processus électoral par le pouvoir, pousse une partie des islamistes dans la lutte armée. Ces derniers tentent de réunir leurs forces. Une première réunion a lieu le 16 janvier 92 dans la montagne entre Blida et Lakhdaria, puis en février. On peut alors distinguer trois tendances: les radicaux du FIS exclus du Majlis ech Choura après le congrès de Batna, qui seraient financés par la Lybie et l’Iran; les Bouyalistes, nostalgiques de Bouyali (maquis de la Mitidja) avec Mansouri Meliani qui sera arrêté en juillet 92; les anciens combattants d’Afghanistan (un bon millier d’algériens s’étaient engagés aux côtés des rudes montagnards d’Afghanistan). Mais les divergences et les rivalités sont telles entre les chefs des différents groupes que, sous la force de la répression étatique, va naître une nébuleuse de groupuscules partisans du recours à une résistance plus ou moins violente. Fin 92, les dirigeants "modérés" du FIS tentent d’assumer le recours à la violence afin de contraindre le régime à la négociation. En janvier 1993, Belhadj fait sortir de sa prison une fatwa destinée à convaincre les différents groupes armés de se ranger sous la bannière du FIS. Le MIA (Mouvement Islamiste Armé) créé en juin 91 regroupe des cadres du FIS acquis à la lutte armée. La libération début 93 de cadres permettra d’organiser une partie des groupes armés sous l’égide du FIS et de créer en juillet 94 l’AIS (Armée Islamique du Salut). Ce bras armé du FIS, hostile aux assassinats d’étrangers et aux attentats aveugles, sera présent dans les régions frontalières, tandis que l’Algérois, la plaine de la Mitidja, lui échappera au profit de groupes islamistes plus extrémistes, les GIA ou Groupes Islamistes Armés.

Le FIS subit des coups très durs en 92-93. Ses principaux dirigeants (Madani, Belhadj) sont en prison; un de ses chefs militaires, Omar El Eulnir, a été tué; il avait fondé le Syndicat islamique du travail lié au FIS. Un autre dirigeant du MIA, branche militaire du FIS, Layada alias Abou Adlane, a été arrêté au Maroc. L’influence du FIS reste grande au sein de la société. Depuis janvier 92 des attentats, sabotages, embuscades, répression et torture des militants arrêtés de la part des forces de l’ordre aurait déjà provoqué 2000 morts. Les réseaux de soutien aux groupes armés sont nombreux et bien structurés. Leur financement viendrait en partie d’Iran après leur rupture avec l’Arabie Saoudite, en partie des attaques contre les banques et les bureaux de poste. Le FIS pratique le même type de guérilla urbaine que le FLN contre l’armée française: la technique du "triangle", chaque militant ne connaît que 2 autres membres du réseau dont il ignore le grade dans la hiérarchie; s’il est arrêté sa mission est de tenir sous la torture au moins 24h pour permettre aux deux autres de se mettre à l’abri. Les forces de l’ordre pourront toujours arrêter le numéro 1 puis le numéro 2 puis le numéro 3 du MIA, cela a peu de chances de diminuer le nombre d’attentats. Dans ces conditions le FIS peut survivre durablement dans la clandestinité et n’a nul besoin d’une direction unifiée. Le désencadrement des troupes du FIS consécutif aux arrestations, à l’ouverture des camps d’internement, à la répression dès 92, livre les troupes du FIS aux activistes de toute tendance. La nébuleuse des GIA assumera le rôle d’un terrorisme aveugle et irrationnel qui soulèvera l’indignation de nos bons démocrates algériens et leurs amis occidentaux, prêts à soutenir le régime algérois plus "civilisé" !

En effet, les GIA apparaissent comme un mouvement non structuré regroupant de très jeunes combattants, et qui ne reconnaît pas d’autorité aux chefs islamistes historiques du FIS. Des divergences de plus en plus aigües apparaîtront entre les groupes armés, entre ceux proches du FIS favorables à une solution négociée avec les militaires et les autres groupes armés qui exerceront des représailles sur les villageois soutenant les maquis de l’AIS. Ces GIA correspondent à une multitude de tendances politiques. Chaque groupe est dirigé par un "émir" et terrorise la population par des pratiques de brigandages au nom de la loi coranique. Ils combattent le pouvoir et toute compromission avec celui-ci: les troupes du FIS qui cherchent à négocier, les intellectuels hostiles à l’islamisme, les étrangers surtout les Français en raison du lien unissant l’Etat français à celui algérien, les masses coupables de n’avoir pas rejoint le maquis ou d’avoir voté pour le FIS. Mais du fait de leur structure, ils sont facilement repérés et infiltrés par la Sécurité Militaire qui sait les utiliser pour discréditer l’islamisme politique au sein de la population et des mass-médias occidentaux, affaiblir les troupes de l’AIS, et organiser ainsi le chaos civil. Le volume de leur force est estimé fin 94 entre 10 000 et 15 000 hommes organisés en 14 groupes armés. La carte des maquis des différents groupes du GIA et de l’AIS (autour d’Alger, 2 groupes de l’AIS et 3 des GIA) ainsi que le nombre d’hommes et le chef de chaque groupe est publiée dans le journal Jeune Afrique d’octobre 1996 ! Le recrutement se fait facilement parmi les jeunes dans les villes et les banlieues. (44)
 

1992-1993. Le terrorisme islamique s’en prend dans un premier temps exlusivement aux force de l’ordre avec des assassinats sporadiques de centaines de policiers et de militaires. Le 15 juillet, le tribunal militaire de Blida condamne Madani et Belhadj à 12 ans de prison. Des attentats ont lieu et en août 92 un attentat à l’aéroport d’Alger fait 9 morts et 123 blessés. Les maquis sont ratissés. Le 5 décembre 92, le couvre-feu est instauré à Alger et dans les 6 wilayas limitrophes. Les islamistes entrent donc en rébellion contre les représentants de l’Etat. Les actes de terrorisme aveugle, qui ne sont pas revendiqués, sont condamnés par l’ex-FIS. Le 7-2-93, le HCE proroge l’état d’urgence pour une durée indéterminée. Le 13 mars, il annonce une reprise du "dialogue national" avec les partis politiques, mais plusieurs partis dont le FFS refusent d’y participer.

Au cours des années 93-94, les affrontements gagnent les campagnes. L’armée intervient massivement contre les zones tenues par les islamistes. Des "ratissages", des bombardements au napalm sont réalisés et font de nombreuses victimes civiles.

En mars 93, les attentats et assassinats ne concernent plus seulement les forces de l’ordre ou leurs proches, mais visent les intellectuels appartenant à l’élite francophone à cause du soutien ouvert de la France au pouvoir algérien (médecins, sociologues, journalistes, écrivains). Le 14 mars, Hafid Senhadri, membre du conseil consultatif national (CCN) est assassiné à Alger. C’est la première fois que les "terroristes" s’en prennent à une personnalité politique civile. Le 16, Djilalli Lyabès, ancien ministre, connaît le même sort, ainsi qu’un autre membre du CCN. Le 22, 100 000 personnes défilent à Alger contre le terrorisme islamiste. Le 2 juin, l’écrivain Tahar Djaout meurt des suites d’un attentat. Le 21, le HCE publie "un avant-projet de plate-forme nationale". Le 21 août 93, le HCE limoge le premier ministre Abdessslam, remplacé par Redha Malek, membre du HCE. Un ancien premier ministre est tué en août 93; il s’agit de Kasdi Merbah, ex-ministre et ex-chef de la sécurité militaire, qui avec l’appui de Zéroual, prenait des contacts avec le FIS.

Le 21 septembre 93, deux géomètres français sont assassinés. C’est la première fois que des étrangers sont tués. Le 11 octobre, 13 islamistes sont exécutés (ce qui fait 26 exécutions d’islamistes depuis octobre 92). Le 2 décembre, un homme d’affaire espagnol est tué (depuis mars, 8 étrangers ont été assassinés) et le GIA (qui se distingue de l’ex-FIS par un politique d’attentats dirigés notamment contre les étrangers) revendique cet assassinat ainsi que celui de 17 autres étrangers ce même mois. L’ex-FIS rejette toute responsabilité de ces attentats et le 17 décembre pose des conditions considérées comme inacceptables par le HCE à sa participation à la Commission de dialogue national.

Le 25 et 26 janvier 94, se tient à Alger la Conférence nationale de consensus convoquée par le HCE afin de légitimer les nouvelles institutions qui doivent régir le pays pendant 3 ans. Aucun représentant de l’ex-FIS n’est convié, et aucune grande formation politique n’y participe, à part le parti de Saïd Sadi, l’UGTA, l’Union nationale des entrepreneurs publics. La conférence met fin au mandat du HCE et remplace le CCN (Conseil Consultatif National) par un Conseil national de transition. Le 31, le HCE nomme à la tête de l’Etat le général Liamine Zéroual qui conserve le portefeuille de la défense (qu’il détient depuis juillet 93).

En février 94, Zéroual joue le jeu du dialogue avec les islamistes, et fait libérer 2 responsables de l’ex-FIS. Mais le terrorisme prend de l’ampleur. En mars, un commando islamiste attaque une prison près de Batna et libère 900 détenus dont 100 condamnés à mort. En mars 94, l’aviation bombarde au napalm les maquis dans les massifs de l’Ouarsenis à l’Ouest du pays, où se trouvent les troupes du MIA. Les pertes du MIA sont importantes. Le réseau routier est coupé de barrages de militaires et de barrages d’extrémistes islamistes déguisés ou non en militaires. En 6 mois, 36 travailleurs étrangers (jamais de nationalité américaine) sont assassinés dans tout le pays. En mars 94, a lieu une marche contre le terrorisme. En août, le GIA interdit le fonctionnement des établissements d’enseignement secondaire et universitaire (200 enseignants ont été tués depuis le début des heurts dont 101 en 94). Le 24, un des membres du Conseil national de transition, qui fait office de Parlement, est assassiné. Le 24 décembre 94, un commando du GIA prend le contrôle d’un airbus d’air France qui s’apprêtait à décoller d’Alger pour Paris. Deux passagers, un algérien et un vietnamien sont tués. Le 25, un Français est tué à son tour. Le gouvernement français obtient difficilement des autorités algériennes qu’elles laissent décoller l’appareil comme le demandent les terroristes. Le 26, l’avion se pose à Marseille. Une équipe du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale donne l’assaut tuant les 4 membres du commando.

Au début du mois de mars 94, le ministre de l’intérieur algérien annonce qu’il prépare une loi autorisant les habitants des régions isolées à créer des groupes d’autodéfense contre les islamistes, comme il en existe déjà dans une grande partie de la Kabylie. Celle de Cheikh Mokfi est financée par la Sonatrach, la puissante société algérienne des hydrocarbures. Ce dernier, un ancien chef de l’ALN, est à la tête d’un régiment de miliciens de 1800 hommes en Kabylie, dans une région qui fut la première touchée en 1991 par les attaques islamistes. Seuls les membres de l’encadrement, constitués de vétérans da la guerre de libération, touche une solde de 10 000 dinars (le SMIC atteint 5000 dinars); les voitures sont fournis par la Sonatrach. En échange, la milice de Mokfi protège, sur une distance de 80 km, le pipe-line qui approvisionne la raffinerie d’Alger à partir des puits d’Hassi Messaoud. En effet chaque jour d’interruption de la production coûte 10 fois plus cher que le financement annuel de la milice. Des gardes communales seront organisées dans les régions les plus agitées et leurs effectifs atteindra 18 000 hommes en 96; chacune d’elles sous l’autorité du maire regroupe une quarantaine d’hommes ayant suivi une formation militaire. Tandis que l’armée protège l’Algérie utile, celle des champs pétroliers du grand sud, les miliciens, les "patriotes", dotés de pouvoirs de police exorbitants, terrorisent la population. En octobre 97, ils entrent en force dans les municipalités à l’occasion des élections communales largement truquées. Ils viennent garnir les rangs des "escadrons de la mort" qui sévissent dans le pays. Ainsi dans la plaine de la Mitidja en 96-97, des villages entiers ayant voté pour le FIS en 91 sont livrés aux mains des GIA et des patriotes qui se livrent aussi entre eux une guerre sans merci. De même après la libération d’A. Madani en juillet 97, un millier de personnes sera massacré en moins de 15 jours par les GIA, les miliciens, les escadrons de la mort, les mafias locales de tout ordre, alors que les casernes resteront "immobiles". Ceci amènera l’AIS en septembre 97 à annoncer un cessez-le-feu afin de se démarquer de cette violence.

L’armée répond par une répression toujours plus féroce. L’homme fort est le général Khaled Nezzar, ministre de la défense, qui en janvier 92 a fait démissionner Chadli, partisan d’un compromis avec le FIS. C’est un ancien lieutenant de l’armée française qui déserta en 1958. Il est membre du HCE. Les autres hommes forts de l’armée sont le général Lamari qui dirige depuis septembre 92 les unités anti-terroristes (les ninjas),le général Lamine Zeroual, nouveau ministre de la défense en juillet 93, le général Abdelmalek Guenaïzia, le général Benabbès Ghezaïel, commandant de la gendarmerie. En mai 93, 15 000 hommes en armes sont stationnés dans Alger et ses environs. La majorité des effectifs des 3 armées (terre, marine, air) et de la gendarmerie soit 120 000 hommes tenteraient d’anéantir les groupes armés islamistes. Les désertions nombreuses en 92 sont devenues rares. Les maquis sont bombardés. La plupart des chefs militaires sont absolument hostiles à l’arrivée du FIS au pouvoir car ils gardent en mémoire le précédent de l’Iran: après la victoire de l’imam Khomeiny, la haute hiérarchie de l’armée impériale fut décimée. Ils cherchent tout de même à négocier avec les islamistes plus modérés des partis Hamas et Ennahdha. Aux attentats, l’armée riposte par une escalade de la répression: promulgation d’un décret anti-terroriste, création de 3 cours spéciales pour juger les auteurs d’ "actes subversifs", abaissement à 16 ans de l’âge de la responsabilité pénale, création d’ "unité spéciales" de lutte anti-terroriste, instauration du couvre-feu à Alger et dans 6 départements limitrophes, arrestations massives de "suspects", disparitions, généralisation de la torture, exécutions extra-judiciaires, multiplication des condamnations à mort dans des procès à huit clos et le 10 janvier 93, premières exécutions capitales pour raison politique depuis 30 ans. Les "bavures" foisonnent, les abus s’amplifient. Malgré la situation économique et politique désastreuse, le 4 janvier 93, Michel Camdessus, directeur général du FMI, déclare: "L’Algérie est proche d’un départ vers une croissance continue" (le Monde diplomatique février 93) !! 6 000 hommes sont déployés dans Alger et sa banlieue, et 12 000 investissent le "triangle de la terreur" (Blida, Lakhdaria, Berrouaghia). A la fin de l’été 93, les camps où sont retenus des sympathisants de l’ex-FIS comptent de 5000 à 15 000 personnes. Ces camps improvisés sont faits de tentes et on offre aux internés à leur arrivée des habits afghans et des pantalons bouffants de spahis (Le monde diplomatique de mars 96). 400 cadres du FIS et des imams sont enfermés dans la prison de Reggane. Les détenus seront ensuite transférés à Oued Namour, loin de tout. A partir de novembre 93, les visites de la famille, déjà difficiles à obtenir et à réaliser, sont interrompues. En 94, les détenus seront transférés à Ain M’guel. En novembre 94, un nombre inconnu de détenus sont massacrés dans une prison à l’est d’Alger. Les dépenses militaires ont été augmentées. Le rééchelonnement de la dette obtenu en avril 94 permet à Alger de disposer d’une marge financière et d’acheter des stocks de munitions, des matériels plus adaptés à la guérilla (hélicoptères notamment les Ecureuils français, système de vision nocturne) et d’augmenter les soldes de leurs troupes.. En avril 94, le dinar est dévalué de 40% et un accord prochain est prévu entre Alger et le FMI pour un rééchelonnement de la dette. Le terrorisme d’Etat nourrit celui des islamistes insurgés. Les manpuissances étrangères pèsent évidemment sur les deux camps. Qu’en est il de la rivalité entre la France et les USA pour s’assurer du contrôle politique et énergétique de l’espace maghrébin, alors que le Proche Orient, après la guerre du Golfe, est sous l’emprise des USA ? Alger aux prises avec les affres de la crise économique, de la poudrière sociale dont l’explosion est retenue par les luttes terroristes entre le clan au pouvoir et les groupes islamistes, a le couteau sur la gorge. Il se jette à nouveau dans les bras du FMI qui exige une solution négociée avec le FIS. Après des mois de répression massive et de terrorisme implacable, une deuxième tentative de conciliation s’amorce en septembre 94; les principaux dirigeants du FIS (Madani, Belhadj), après plusieurs mois de tractations entre les chefs du FIS et Zéroual, sont libérés et mis en résidence surveillée. A la fin du mois d’octobre, les négociations sont rompues et les deux libérés sont ramenés en prison. La tentative de domestiquer le FIS, derrière lequel se trouve une partie des masses désespérées séduites par son discours démagogique, pour les associer au pouvoir a encore échouée. La stratégie de l’armée est claire: affaiblir militairement le FIS et les groupes armés pour négocier en position de force. "Pour les uns comme pour les autres, le pouvoir est un butin de guerre et non une institution publique", écrit le Monde Diplom. d’oct 95.

Le 21-22 novembre 94 puis le 13 janvier 1995, une rencontre à lieu à Rome sous l’égide de la communauté catholique Sant’ Egidio (45). Elle réunit 8 organisations politiques algériennes d’accord pour un compromis dont des représentants du FIS (Rabah Kebir, Anouar Haddam), du FLN (Abdelhamid Mehri), le parti des Travailleurs (Louisa Hanoun), Le mouvement de la renaissance islamique, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Ali Yahia), Ben Bella, Hocine Aït Ahmed du FFS. Une plate forme (le Monde diplomatique mars 95) est signée. La "plate-forme pour un contrat national" préconise de gérer collectivement avec le pouvoir une période de transition devant aboutir à des élections libres et pluralistes, demande la libération effective des responsables du FIS et de tous les détenus politiques, l’annulation de la décision de dissolution du FIS, la cessation de la pratique de la torture, la condamnation et l’appel à la cessation des exactions et des attentats contre les civils et étrangers, le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir, la non implication de l’armée dans les affaires politiques. Ce document confirme la récente évolution du FIS qui se démarque de plus en plus nettement des islamistes radicaux. Il reconnaît en effet l’existence d’autres partis. Le pacte de Rome est défendu par Benlhadj et Hanouchi, tandis que l’AIS y est hostile. Le GIA condamne nettement la plate-forme de Rome réaffirmant son "attachement à l’établissement d’un califat par le moyen de la lutte armée". De même la junte au pouvoir fait preuve d’une grande hostilité à l’égard du pacte de Rome, car elle ne veut pas d’un pacte qui ne se déroule pas à leurs conditions. Les militaires parient désormais sur la répression et la victoire des armes. (Le Monde Diplomatique fev et mars 95). Mi mars, l’AIS annonce la nomination du chef de maquis Madani Merzag comme "émir national intérimaire" pour remplacer les chefs du mouvement incarcérés. Ce dernier s’adresse au président Zéroual et s’engage à s’opposer par la force aux exactions commises par les groupes armés.

Le 30 janvier 95, l’avant veille du début du ramadan, un attentat à la voiture piégée devant le commissariat central d’Alger fait 42 morts et 286 blessés. La période du ramadan en février est marquée par de nombreux attentats dirigés notamment contre des intellectuels. De nombreux assassinats à Alger et dans sa région, et un carnage dans la prison de Serkadji le 27 février 1995 s’y ajoutent. (46)

Le 31-10, Zéroual annonce des élections présidentielles avant la fin de 1995. En novembre, la répression s’intensifie. Toute tentative de négociations entre le FIS et le pouvoir avorte, ainsi que celle de la plate-forme de Rome de janvier 95, et malgré le renoncement de l’AIS à la lutte armée en 97.

Les organisations politiques, syndicales ou culturelles sont pour la plupart opposées à tout compromis avec les islamistes et donc à l’accord de Sant’Egidio. La majorité du FLN fait alors le choix d’une stratégie de compromis, car, comme elle voit dans le courant islamiste un mouvement populaire fort, elle affirme que le mieux est de le chevaucher, quitte à le freiner ou à l’orienter (Le monde diplom avril 95). Tactique bien connue de nos dirigeants occidentaux. Quant aux anti-islamistes, ils sontprêts, au nom de la démocratie en danger, à accepter la protection de la dictature militaire. Les démocrates justifient encore une fois les pires massacres prolétariens au nom de la lutte de la démocratie contre la barbarie ! Ceci ressemble à s’y méprendre au combat fascisme-anti-fascisme, une des armes bourgeoises pour dévoyer les velléités des masses, et que nous avons tant de fois dénoncée.
 
 
 

7. FARCE DEMOCRATIQUE SUR FOND DE MASSACRES ET DE CRISES ECONOMIQUES
 

Dès 1995, le gouvernement algérien organise à l’ombre ds baïonnettes une démocratie de façade avec des scrutins présidentiel, législatifs, municipaux, et des référendum. Le 18 août, les autorités annoncent que le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu en novembre 95. Les signataires de la plate-forme de Rome déclarent qu’ils ne participeront pas au scrutin. Le 2 septembre, un attentat à la voiture piégée contre une résidence de policiers près d’Alger fait une dizaine de morts. Le 28 septembre, Aboubakr Belkaid, ancien ministre et membre influent de l’organisation des moudjahidin est assassiné à Alger. L’ex-FIS se déclare favorable à des négociations globales entre le pouvoir et l’opposition. La violence, mystérieusement stoppée dans les quinze jours qui ont précédé le scrutin, reprendra ensuite de plus belle avec des attentats meurtriers, l’assassinat du général Boutighane, d’autres militaires et civils, la répression des forces de l’ordre. Il est étonnant de constater comment un pouvoir à ce point impopulaire a réussi à mobiliser les foules pour se faire plébisciter, à s’imposer comme la seule solution de rechange au chaos. Un imposant dispositif militaire avait été déployé avec 300 000 hommes armés (militaires, gendarmes, policiers, gardes communaux, et groupes d’autodéfense). L’accalmie est si soudaine que nombre d’algériens croiront réellement à la fin de la guerre. Les candidats font jouer la fibre nationaliste, la presse transforment notamment le refus du président Zéroual de rencontrer le chef de l’Etat français à New York en décembre 95 en une victoire de l’Algérie sur la France. Quatre candidats étaient en lice: un "indépendant", le général Zéroual, qui remporte 61,34% des voix (il se succède ainsi à lui-même, ce qui illustre la main-mise totale de l’armée), un islamiste "modéré", Mahfoud Nahnah (le Hamas, mouvement de la société islamiste), qui obtient 25,38% des suffrages, suivi par un "démocrate républicain", Saïd Sadi (RCD, Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, influent en Kabylie, et hostile au dialogue avec les islamistes) avec 9,29% essentiellement en Kabylie, et le candidat du "renouveau algérien", Noureddine Boukrouh (Parti du renouveau algérien, nationaliste, islamiste), avec 3,78%. Le taux de participations est de 74,29% des votants: sur 15 969 904 algériens en âge de voter, 11 965 280 se seraient rendus aux urnes, malgré les menaces du GIA et l’appel aux boycottage des partis de la plate-forme de Rome (FIS, FFS, FLN). Evidemment on ne peut guère se fier aux chiffres quand ces élections se sont passées dans un climat de répression; des militants opposants ont été arrêtés, des journaux comme La Nation (qui dénonce les exactions des forces de l’ordre) ont été saisis à l’imprimerie, et les urnes ont été peu surveillées. (Le Monde diplomatique de février 96).

Deux mois après l’élection, une mesure de "clémence" provoque la fermeture du camp de In M’guel et la libération de 641 personnes qui y étaient détenues depuis février 1992. En revanche rien ne filtre sur le sort des 17 000 algériens emprisonnés pour activités terroristes, la plupart sans jugement, pas plus que sur celui des dirigeants du FIS, Madani et Belhadj. Un autre dirigeant du FIS, Abdelkader Hachani, reste détenu sans jugement à la prison de Serkadji depuis 4 ans. Des conciliabules plus ou moins secrets ont toujours lieu entre les dirigeants du FIS et le pouvoir, ce qui aiguise de profondes divergences internes au sein des islamistes. Le FLN a été aussi repris en main afin de donner un parti à Zéroual. Son secrétaire général, Abdekhamid Mehri qui fut le principal défenseur du pacte de Rome, est évincé en janvier 96 lors d’un C.C. du FLN, et remplacé par le conservateur Benhamouda, dirigeant l’UGTA. Le terrorisme continue à servir d’alibi à l’élimination des opposants trop récalcitrants. Et la directrice de la Nation, proche des réformateurs du FLN, dans le Monde diplomatique de février 96 de conclure ainsi son article: "Cautionnée par nombre de ses partenaires occidentaux, cette stratégie politique favorisera certainement la mise en prôné par le FMI. Avec pour conséquences la paupérisation accélérée de la population, couches défavorisées et classes moyennes en premier lieu, ainsi que la consécration d’une bourgeoisie ayant émergé grâce à la rente et à la corruption. Muselée au nom de la lutte antiterroriste et privée de médiateurs crédibles librement choisis, la société algérienne risque de n’avoir pour seul recours que la violence, désespérée, des émeutes". Et c’est bien pour cela qu’on terrorise les masses !

Le 5 janvier 1996, le nouveau chef de gouvernement choisi par Zéroual annonce la composition de son équipe qui comprend, pour la première fois depuis 1962, 4 membres de l’opposition légale à des postes subalternes: 2 membres du Mouvement de la Société islamiste, 1 dissident de l’ex-FIS et un représentant du Parti du renouveau algérien. En dépit de la poursuite des violences qui ont marqué la période du ramadan, le gouvernement lève le couvre-feu en vigueur depuis décembre 92 dans 10 départements du centre du pays.

Le 18 juillet, le GIA annonce le remplacement au sein de sa direction de Djamal Zitouni (évincé du mouvement le 14 et tué le 16 dans des circonstances indéterminées; responsable du détournement de l’Airbus d’Air France en décembre 94 et de l’assassinat des 7 religieux trappistes français en mai 96 près de Médéa) par Antarr Zaoubri.

Le 28 novembre, les électeurs approuvent par référendum à 85,8% la révision constitutionnelle qui vise à renforcer les pouvoirs du chef de l’Etat et à interdire les partis fondés sur une base religieuse, linguistique ou régionale, et qui prévoit la création d’une Assemblée dont un tiers des membres sera désignée par le président. Le taux de participation est de 79,8%. L’opposition dénonce la manipulation des résultats. En décembre 1996, le Monde diplomatique commentant le référendum du 28 novembre 96 parle d’un second coup d’Etat, le premier ayant eu lieu en janvier 1992 avec la suspension des élections législatives et le départ forcé du président Chadli Bendjedid sous la houlette des forces armées. Il estime à 50 000 le nombre de morts par attentats aveugles des groupes islamistes ou par exécutions sommaires perpétrés par les forces de l’ordre et les "groupes d’autodéfense". Le nombre de ces derniers a décuplé les derniers mois, armés et encouragés par les autorités. Citons-le pleinement:

"Massacres et "disparitions" se multiplient. La torture est systématiquement appliquée dans les commissariats, les casernes et les prisons. A cet égard, la lecture du récent rapport d’Amnesty International sur les violations des droits de l’homme en Algérie (novembre 96) est proprement hallucinante. Cette guerre est occultée à l’opinion publique par la censure de fer qu’impose le pouvoir. Celui-ci, qui tente de mettre sur pied un programme ultralibéral inspiré par la Banque mondiale et le FMI, cherche à rassurer les investisseurs étrangers et à accréditer l’idée que la normalisation va bon train et que le terrorisme est résiduel. Effrayés, pris dans l’étau des deux violences, les citoyens implorent les forces politiques d’en venir à un accord garantissant la paix et permettant de sortir du désastre économique. En guise de réponse, M. Liamine Zeroual a proposé de modifier la Constitution de 1989 par voie de référendum. Les pouvoirs et les prérogatives du président seront augmentés, faisant de lui, selon certains juristes, un véritable "empereur républicain". Une Chambre haute sera créée, dont les membres seront désignés, directement ou indirectement, par M. Liamine Zeroual, et dont l’objectif est de contrôler la future Assemblée nationale; les députés de celle-ci seront élus, en principe, lors d’un scrutin qui devrait avoir lieu entre avril et juin 1997 (le mandat de l’actuel Conseil national de transition, instance non élue faisant fonction d’Assemblée, vient à échéance en mars 1997). L’islam est déclaré " religion d’Etat", mais les partis politiques ne pourront plus se réclamer explicitement de la religion; cela permet d’écarter le FIS, mais gêne les deux formations islamiques modérées, alliées du pouvoir, Hamas (se transformera en Mouvement de la société pour le paix) et Ennahda, qui devront modifier leurs statuts avant les prochaines législatives. Enfin, désormais, l’arabe est la seule "langue nationale"; le tamazight (berbère) n’a pas le même statut.

La majorité des grandes forces politiques – Front des forces socialistes (FFS) de M. Hocine Aït Ahmed, Rassemblement pour le culture et la démocratie (RCD), Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA) de M. Ahhmed Ben Bella; Ettahadi (ex-communiste), Parti des travailleurs (PT trotskiste) de Mme Louisa Hanoune, etc. – ainsi que de nombreuses personnalités, dont M. Aldelhamid Mehri (ancien chef du FLN), M. Mouloud Hamrouche (ancien premier ministre, père de la Constitution de 1989 et chef du courant rénovateur au sein du FLN) et M. Abdennour Ali Yahia (président de la Ligue algérienne des droits de l’homme), se sont prononcés contre ce référendum. Estimant qu’il eût été plus démocratique de procéder d’abord à des élections législatives, puis de confier au Parlement élu le soin de rédiger une nouvelle Constitution, soumise ensuite à l’approbation populaire.

Mais le pouvoir tenait à se doter du maximum d’atouts pour affronter dans les meilleures conditions l’échéance des législatives du printemps prochain et se prémunir contre les péripéties d’une éventuelle cohabitation. Ce risque est réel car, à part quelques petites formations, M. Liamine Zeroual ne peut compter, pour constituer une "majorité présidentielle", que sur peu d’alliés: le FLN repris en main par M. Boualem Benhamouda (47), l’Alliance nationale républicaine (ANR) de M.Rédha Malek, le Parti de la rénovation algérienne (PRA) de M. Noureddine Boukrouh, auxquels se joindraient sans doute Hamas de M. Mahfoud Nahnah, et peut-être Ennhada de M. Abdallah Jaballah.

En face, une coalition de l’opposition rassemblerait tous les signataires du récent "Appel pour la paix" (paru dans La Nation du 12 novembre 96) y compris le FIS qui reste la principale force politique et dont les électeurs, en votant en faveur de cette coalition, permettraient à celle-ci de l’emporter et d’imposer à M. Liamine Zeroual une cohabitation.

Mais même cela changerait peu de choses. Le pouvoir demeure jalousement contrôlé par l’armée. Celle-ci accepte désormais, pour son plus grand profit économique et pour celui des mafias qui l’entourent, l’idée de laisser le pays s’installer dans une situation "à la colombienne" (En Colombie, depuis 1960, les affrontements entre l’armée, les guérillas et les groupes paramilitaires causent environ 15 000 morts violentes par an). Et que les affrontements entre les forces de l’ordre, les guérillas islamistes et les milices "patriotes" causent des milliers de morts par an. Pendant des décennies. "

Gouverner par la terreur quand la situation sociale ne peut plus être contrôlée par les fourberies démocratiques, voici une des règles d’or de la classe dominante.

Le refus, confirmé par le président Zeroual le 24 janvier 97, d’une solution politique sur la base du document (dit "plate-forme de Sant’Egidio") élaboré à Rome par l’ensemble de l’opposition en janvier 95, et le choix du "tout répressif", des milices d’autodéfense, de l’arabisation à outrance fait par le pouvoir s’accompagnent d’une recrudescence de la violence durant le mois de ramadan (février 97). Aux tragédies ordinaires est venue s’ajouter une délirante aggravation de la guerre, marquée par les égorgements et les attentats à la voiture piégée dans des quartiers populaires favorables aux islamistes, c’est-à-dire qui en 91 ont voté pour le FIS. Ce qui amène déjà certains (Le Monde diplomatique de février 97) à attribuer ces attentats à la sécurité militaire... En effet, les élections sont proches. La junte d’Alger continue pourtant de bénéficier du soutien des puissances occidentales. Les crédits et les investissements permettent la poursuite de cette "sale guerre" et de préparer les élections législatives du printemps prochain. Les élections pour le Parlement sont prévues pour le 5 juin 97.

En mars 97, la loi électorale, adoptée par le Conseil National de Transition, prévoit un vote à la proportionnelle qui remplace le scrutin majoritaire à deux tours. Le futur Parlement comportera deux chambres et 524 sièges. L’émigration sera représentée par 8 députés et Alger, la capitale, en aura 24. La Chambre basse (380 sièges) sera composée de députés élus, mais elle pourra être censurée par la Chambre haute (144 sièges), dont le tiers des membres sera directement désigné par Zéroual ! Un nouveau parti, le Rassemblement national pour la démocratie (RND) dont l’armature est constituée de personnalités issues de l’influente Organisation nationale des moudjahidines est créé pour le président Zeroual. Réunies à Madrid les 12 et 13 avril 97, l’opposition algérienne, dont le FIS, a demandé, à quelques semaines de la tenue des élections législatives, l’ouverture d’un véritable dialogue pour la paix. Bien que divisés sur la participation au scrutin (Le FFS et le Parti du Travail participeront au scrutin du 5 juin, mais le MDA de Ben Bella et le FIS appellent au boycottage), les signataires de la plate-forme de Rome ont rappelé leur analyse: seule une solution politique peut permettre de sortir de la violence qui, ces dernières semaines, a fait des centaines de victimes. Le FIS condamnait de la manière la plus explicite, par la voix de son porte-parole à l’étranger, M. Abdelkrim Ould Adda, non seulement la "répression aveugle" du pouvoir, mais également les violences des "criminels du GIA" touchant des civils et des innocents. Mais le pouvoir, qui a préparé un scrutin sur mesure, refuse toute concession. Il compte notamment sur l’éclaircie économique que connaît le pays et la terreur pour jeter dans ses bras une population épuisée par les privations et les tueries quotidiennes. La campagne électorale pour les législatives montre 42 partis. Les élections municipales sont prévues pour septembre 97. Le futur gouvernement devra continuer la politique économique de privatisation. Le gouvernement a préparé un projet de loi sur la propriété des terres agricoles qui sera soumis à la nouvelle Assemblée nationale: il s’agit de permettre aux paysans d’acheter la terre qu’ils exploitent par bail, mais les anciens propriétaires voudraient récupérer leurs biens et aussi de nombreux investisseurs sont prêts pour investir dans l’agriculture ou dans la spéculation immobilière. Le problème de la réforme agraire est donc toujours politiquement et socialement très sensible.

Le 27 décembre 1997, le Monde titrait: "La ’normalisation’ politique s’achève en Algérie sur fond de massacres" !

En effet, en décembre, l’Algérie terminait sa "normalisation" politique par les élections d’un Conseil de la Nation par le suffrage de 15 000 grands électeurs, un tiers de ses membres devant être désigné par le chef de l’Etat ! Les différentes étapes avaient été l’élection présidentielle au suffrage universel en novembre 95, l’adoption d’une nouvelle Constitution accordant des pouvoirs étendus au chef de l’Etat, les élections législatives de juin 97 avec la victoire du parti de Zéroual, le RND; les élections communales d’octobre 97 avec la victoire du RND qui bénéficie du soutien de l’administration, des organisations de masse, de l’UGTA, de la presse muselée et de la fraude sous toutes ses formes !

Pour ce Conseil, le RND s’adjuge 80 sièges, le FLN 10, le MSP de Nahnah 2, le FFS 4 (grâce à la Kabylie); au total 10 formations politiques sur 14 n’ont eu aucun élu ! Et Zéroual doit désigner 48 autres membres !

Ce Conseil est un instrument de contrôle des députés (comme l’est le Sénat français pour le parlement !), puisque la nouvelle constitution prévoit qu’un texte sur lequel se sont prononcés les députés, pour être définitivement adopté, doit être voté à la majorité des trois quarts par le Conseil de la Nation. Autrement dit: qui contrôle ce super-Sénat, contrôle le pouvoir législatif. Le Conseil doit siéger pour une durée de 6 ans. Cette Chambre haute parachève donc "l’édifice institutionnel de la République algérienne" et apporte la touche finale à 3 ans de reconstruction institutionnelle destinée à effacer le coup d’Etat militaire de janvier 92. On n’a pas lésiné sur les moyens: les fraudes sur les bulletins de vote; les pressions de tout ordre sur les "électeurs", dont celle du terrorisme de tout bord, islamiste et étatique, particulièrement sur les ex-électeurs du FIS; l’élimination des gêneurs. Le Monde du 27-12-97 déclare: "D’où peut venir la contestation dans un tel système ? Du pouvoir judiciaire ? Il ne manifeste pas beaucoup de velléités d’indépendance si l’on excepte le travail d’une poignée d’avocats. Du mouvement syndical ? Peu de salariés se reconnaissent dans l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Totalement inféodé au pouvoir, le syndicat unique a perdu tout crédit aux yeux de la population, mais aucune organisation concurrente n’est tolérée. Les partis politiques ? Le FIS n’existe plus (...); assassinés, exilés, mis en prison, placés en résidence surveillée, ou contraints au silence (pour ceux qui ont recouvré la liberté), ses dirigeants n’ont plus guère de prise sur la vie politique. Quant aux autres formations, c’est-à-dire le FFS et le RCD, leur alliance au lendemain des élections locales, pour en dénoncer "le truquage", n’a duré que le temps de quelques manifestations. Trop d’inimitiés séparent les dirigeants de ces deux formations dont l’audience, au demeurant, reste cantonnée à la seule Kabylie et à l’agglomération algéroise. Le pouvoir n’a rien à craindre d’une contestation officielle. Il dispose de tous les leviers de commande".

Une vraie parodie exigée par les partenaires commerciaux de l’Algérie pour rassurer leurs électeurs: les belles démocraties occidentales ne peuvent pas en effet pactiser avec des dictateurs ! Et comment expliquer les massacres répétés des masses algériennes ?

En effet dès décembre 1997, la presse sous toutes ses formes (radios, télévisions, journaux) ne cesse d’évoquer des massacres sauvages de villageois. Une espèce de tornade assassine semble brutalement s’emparer de l’Algérie déjà meurtrie depuis des années. Le même empressement médiatique s’acharne sur le pays pour énumérer le nombre de morts, décrire les corps torturés des enfants, femmes, vieillards, hommes; les souffrances des survivants avec les gémissements des pietàs musulmanes apparaissent sur les écrans occidentaux accompagnés des discours édifiants de nos politiques et de nos "intellectuels de gauche" ! Le même scénario que pour les génocides survenus au Rwanda, en ex-Yougoslavie; la même apathie des spectateurs qui regardent l’histoire comme un épisode d’une série policière dont on n’a pas encore compris qui est l’assassin !

En fait le cycle des "tueries"collectives a commencé durant l’été 97 selon Le Monde du 22-1-98. Le déchaînement de violence aurait fait immédiatement suite à la libération du chef historique du FIS, Abassani Madani, le 18-7-97 après 6 ans d’incarcération. Dès le lendemain, 56 personnes étaient égorgées à 50 km au sud ouest d’Alger. Le 30 juillet, 100 morts dans les départements d’Aïn Defla (une centaine de km à l’ouest d’Alger) et dans celui de Blida (ville au sud ouest de la plaine de la Mitidja). Le 3 août, dans la même zone, 111 morts; le 25 août, 117 morts dans la banlieue et centre d’Alger, et dans le douar de El Bordj, près de Tlemcen à l’ouest du pays, à 500 km d’Alger, vers la frontière marocaine);le 29 août, 200 à 300 morts dans la localité de Raïs, dans la plaine de la Mitidja, à quelques km d’Alger;le 23 septembre, plus de 250 morts dans la localité de Benthala (48), proche de Raïs;le 24 décembre, 80 à 120 morts dans la région de Tiaret à l’ouest du pays à 200 km d’Alger. Les massacres touchent donc essentiellement l’Ouest du pays, (l’est semblant indemne), et la région très peuplée d’Alger et de la plaine de la Mitidja, où existe une forte implantation de milices d’autodéfenses.

Depuis le 30 décembre qui marque le début du Ramadan,, on dénombre 254 morts selon les autorités (1500 selon la presse privée): le 30-12, le massacre de Relizane, à 300 km d’Alger à l’ouest du pays, a touché 3 hameaux (de 70 à 400 morts selon les estimations); le 4, des massacres ont lieu vers Médéa à 100 km au sud d’Alger, à Saïda et Tlemcen dans l’ouest du pays. Dans la nuit du 4 au 5, des massacres accompagnés de pillage ont lieu autour de Had Chekala, dans les monts de l’Ouarsenis, à une centaine de km au sud ouest d’Alger: 24 hameaux ont été touchés et la population fuit, malgré les voleurs qui écument la région (on parle de 500 morts; 200 familles s’entassent dans la mosquée, dans des locaux commerciaux, en plein air). Les monts de l’Ouarsenis sont difficiles d’accès et connus pour soutenir le FIS. Et la série noire continue: attentats, faux barrages de militaires, massacres dans l’Ouest du pays et autour d’Alger.
Le 30-12, le journal El Watan se demande avec perplexité: "Comment un groupe de terroristes composé de plusieurs dizaines d’éléments arrive-t-il à se mouvoir, parfois à l’intérieur d’une zone considérée comme étant hautement sécurisée, comme c’est le cas de Staouéli, secouée ces derniers jours par des attentats ?". Staouéli se trouve, en effet, dans la proximité immédiate du Club des pins, la résidence d’Etat sous haute protection, où vivent les cadres du régime ! Et dans un communiqué du 25-12, le FFS de Hocine Aït Ahmed met directement en cause la responsabilité du régime (Le Monde du 1-1-98); il souligne que la seule période d’accalmie connue dernièrement dans l’Algérois "a été celle durant laquelle ont été organisée les élections locales" (octobre 97). Ce qui constitue, selon lui, une preuve que "quand le pouvoir veut se donner les moyens, le niveau de violence peut se trouver considérablement réduit". Pour le FFS, les autorités sont donc coupables de "non assistance à population en danger".

Après les derniers massacres de décembre 1997, la presse et les pouvoirs occidentaux soudain se déchaînent et dénoncent à qui mieux mieux le chaos algérien. L’Etat algérien, par sa passivité, est directement mis en cause. Il est vrai que la presse occidentale et algérienne s’était peu fait l’écho de ses nombreuses exactions, et, en sbires fidèles de la bourgeoisie au pouvoir, associait systématiquement le terrorisme à l’islamisme, ennemi "ouvert" de la démocratie et du modernisme !

Libération du 12-1-98 écrit: "Au fil des années, à cause de la guerre, les douars de la région [les monts de l’Ouarsenis] ont été désertés par ceux qui avaient quelques moyens. Seuls les plus pauvres sont restés, s’accommodant tant bien que mal du voisinage des "maquisards" de l’Armée islamique du Salut (AIS), dont ils pensaient qu’ils les protégeaient. Mais le "cessez-le-feu" décrété par le bras armé du FIS en septembre pourrait avoir provoqué la fureur meurtrière et les représailles des Groupes Islamistes Armés (GIA). D’autant que les survivants sont abandonnés de tous.

Aucune activité militaire n’est visible dans la région. Le seul barrage de l’armée est installé à Ami Moussa, à quelques km de là. A Souk el-Had, une trentaine de barques de tôle et de bois ont surgi sur un terrain vague. A Djediouia mercredi, des miliciens repoussaient ceux qui venaient demander de l’aide à la gendarmerie. Les survivants se disent choqués par l’attitude des autorités locales et affirment n’avoir vu le wali (préfet) qu’une fois, le lendemain du massacre, rapporte El Watan. Mais il a refusé de descendre de voiture, nous n’avons rien pu lui dire.

Le silence officiel, dénoncé par toute la presse privée algérienne, est sidéral. Il a fallu que l’Europe propose une assistance pour que le Croissant-Rouge algérien annonce l’envoi de 50 tonnes d’aide dans les douars (49) sinistrés. La télévision nationale, après un reportage sur le premier massacre, s’est tue. Non sans avoir diffusé des témoignages de rescapés des carnages de la fin de l’été, à Raïs et Benthala".

La logorrhée subite de la presse occidentale sur la situation algérienne s’accompagne évidemment de prises de position toute aussi subite des diplomaties. Le 3 janvier 1998, l’Iran appelle le monde musulman à sortir de son indifférence et juge injustifiable le silence des organisations internationales (L’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran en 93). Le 4, l’Allemagne demande une réunion de l’Union Européenne sur l’Algérie, soutenue par le président du conseil italien. Les USA appelle à une enquête internationale sur ce qui se passe en Algérie, les raisons de la non intervention de l’armée dans les tueries autour d’Alger. Après l’injonction des Américains, la position de la France apparaît des plus timorées. Le 5, la France s’associe finalement à la demande allemande: "Le devoir de tout gouvernement est de permettre à ses citoyens de vivre en paix et en sécurité", déclare le porte-parole du Quai d’Orsay. Alger qualifie cette phrase d’ "inacceptable", mais ne dit rien des positions allemande et américaine. Le 8, Alger accepte la venue de la troïka européenne afin de parler d’une coopération contre le terrorisme, car l’Etat algérien reproche aux européens d’héberger les réseaux terroristes du GIA. La troïka, composée de secrétaires d’Etat d’Autriche, de Grande Bretagne et du Luxembourg, arrivera à Alger pour une visite de 24h ! Pourquoi cet intérêt soudain pour les souffrances des masses algériennes de la part de nos politiciens rapaces ? Pourquoi ces larmes de crocodile quand chacun a su graisser la patte autant du clan au pouvoir que des différents clans d’opposition, islamistes parmi les plus violents compris ? Les gouvernements anglais, allemand, suédois, français, américain ont su accueillir les "réfugiés" de tout bord, selon les principes de la diplomatie impérialiste classique: diviser pour mieux régner sur le pays à piller. Et les profits marchent bien pour les hommes d’affaires occidentaux en Algérie. Le première bourse algérienne devrait s’ouvrir, tandis que le pouvoir en place se trouve une apparence ’légale’, qu’il a suspendu toute négociation avec le FIS et que les prochaines élections sont prévues dans 5 ans.

Qui tue en Algérie et pourquoi ? Les islamistes ? Le pouvoir ? Les deux à la fois ? Voici le débat proposé aux spectateurs de tout bois, qui regardent s’agiter devant leurs écrans les politiques, les intellectuels spécialisés dans les enquêtes sur les massacres (Rwanda, Yougoslavie). N’est-on pas face à une nouvelle manipulation médiatique comme celle du "charnier de Timisoara" de décembre 89, révélé par les télévisions occidentales, et qui devait s’avérer être une "manaccuser la sécuritate roumaine, se demande-t-on ?

Selon un témoignage d’un "intellectuel de gauche", publié dans Le Monde du 9-1-98, sympathisant du pouvoir et ennemi des islamistes, un des premiers étrangers à qui les dictateurs algériens ont permis de visiter les lieux, les massacres de la Mitidja à Larbaâ, Benthala, Raïs présentent quelques singularités: à Larbaâ, qui fut un bastion du FIS en 91 et qui a déjà connu 2 massacres le 28 et 31 juillet, seul un quartier a été détruit et les attaquants appellent les hommes par leur nom avant de les massacrer. A Benthala, huit familles qui auraient bénéficiées des largesses du FIS en 88-91, ont été dépouillées et exterminées du plus petit au plus vieux. A Raïs, les chefs des massacreurs, habillés à l’afghane (habit désignant les ex-combattants algériens en Afghanistan) sont accompagnés de femmes qui leurs signalent les maisons de leurs victimes, et parmi les tueurs des jeunes du quartier ont été reconnus. Dans le douar de El Bordj à l’ouest du pays, 15 familles dispersées sur 3 collines et sans téléphone ont été massacrées. En Kabylie, à l’est du pays, les hommes ont ressorti les fusils prêts à se battre. A Arzew, de l’autre côté d’Oran, sur la côte ouest du pays, là où débouchent les 6 gazoducs du pays pour se déverser dans les méthaniers de la Sonatrach, dans cette Algérie "utile", on ne connaît pas la guerre. Il y a bien eu ces 5 dernières années des actions contre des gazoducs, des vols de véhicules, des fils électriques coupés à Gassi Touil; à la fin des années 80, une opération idéologique des islamistes pour la récupération par le peuple des richesses nationales accaparées par l’oligarchie a bien été menée et a débouché sur une grève dure sévèrement réprimée par des licenciements massifs, chantage sur les familles, avantages en nature pour les plus dociles. La sécurité des installations est assurée par un dispositif très sophistiqué avec des barrages militaires, des murs immenses surmontés de barbelés; il existe une enceinte hermétiquement close de la zone industrielle et à l’intérieur onze autres enceintes, une pour chaque complexe avec à l’intérieur et à l’extérieur de ces enceintes des unités d’élite de l’armée et des vigiles privés. Un satellite espion loué aux Américains et 2 salles de contrôle surveillent les mouvements sur l’eau et dans les airs !!

Quoiqu’en pense notre intellectuel anti-fasciste, le terrorisme islamiste a bien des liens directs ou indirects avec celui organisé par les clans au pouvoir. La spectaculaire évasion du pénitencier de Lambèze en mars 94 – dont les circonstances extraordinaires permettaient de croire qu’elle ait eu l’aval des forces de sécurité – a permis d’amener plusieurs centaines d’hommes dans les rangs des GIA de la Mitidja et de la région de Jijel, dans l’est du pays. De même les attentats contre les étrangers par certains groupes armés sont utilisés par l’Etat algérien pour obtenir une aide matérielle et financière afin de "lutter contre le terrorisme". On s’interroge encore sur les vrais auteurs de massacres tels ceux des 7 marins italiens en juillet 94 à Djendjen, et des 7 moines trappistes près de Médéa. De nombreuses preuves et des témoignages d’ex-agents de la Sécurité militaire parus dans Le Monde et The Independant montrent que le pouvoir algérien participe activement à cette violence afin de contraindre les bourgeoisies internationales à s’impliquer dans la lutte contre les islamistes par un soutien politique et financier.

D’autre part, le pouvoir algérien sait bien que son protecteur historique, l’Etat français, le soutiendra, malgré quelques scènes de ménage spectaculaires. Le 12 aôut 1994, les GIA avait exigé l’arrêt de tout appui de Paris, faute de quoi ils menaçaient de "frapper violemment les intérêts français". Des assassinats de Français en Algérie dès septembre 93, l’attaque à Alger d’un airbus d’Air France en décembre 94 illustraient tristement cette menace. L’élection en mai 95 de Jacques Chirac, candidat favori d’Alger, qui réaffirmait son appui à Zéroual en octobre 95, devait détendre les relations suspicieuses entre les 2 capitales. L’assassinat à Paris le 11-7-95 de l’imam Sahraoui, cofondateur de l’ex-FIS, donnait le signal d’une vague d’attentats terroristes attribués au GIA en France: 7 bombes tuent 10 personnes et font 130 blessés du 11 juillet au 17 octobre 95. Les GIA agissaient à travers des groupes de militants enrôlés dans les cités HLM et dans les mosquées des banlieues (le groupe Kelkal à Vaulx en Belin est devenu tristement célèbre), en liaison avec des chefs basés en Angleterre (la coopération des autorités anglaises sera des plus médiocres, mettant en évidence les éternelles concurrences entre bourgeoisies nationales). Un des organisateurs parmi les plus importants de cette série d’attentats "échappait" à la police française, et devait "mourir" en Algérie le 23 mai 97. En mai 96, 7 moines français étaient égorgés dans la Médéa; en août 96, Monseigneur Claverie, archevêque d’Oran était assassiné.

Depuis le début de la guerre civile en Algérie en 92, la France mène apparemment une politique peu cohérente. Trois millions d’algériens et de Français d’origine algérienne vivent en France. Sa politique repose sur 3 principes: restriction des visas et cartes de séjour, assistance économique à l’Etat algérien, resserrement au strict minimum de contacts officiels. Le soutien au pouvoir algérien est tout de même évident avec une aide financière de 4 à 5 milliards de francs qui a été reconduite discrètement en 96-97. La France conserve en effet sa place de première partenaire commerciale de l’Algérie. De plus pour son approvisionnement en hydrocarbures, en gaz et en pétrole, la France, sans dépendre de l’Algérie, souhaite maintenir son implantation dans une région où les découvertes très prometteuses de ces deux dernières années ont attiré les principales firmes anglo-saxonnes. En effet, les récentes découvertes d’hydrocarbures et l’exploitation de gisement, déjà connus mais peu mis en valeur, effectuée par la société nationale Sonatrach et par plusieurs compagnies internationales dans le sud ont suscité un nouvel engouement pour l’Algérie. L’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) règle les quotas des pays producteurs qui les respectent plus ou moins. La cohésion de l’OPEP s’est trouvée déjà ébranlée par des producteurs qui dépassent leurs quotas (Vénézuéla) ou par le départ d’Etat membres (l’Equateur, Gabon). La fin de l’embargo sur l’Irak risquent d’entraîner une diminution du prix du baril. Et comme l’écrit le Monde Diplomatique de septembre 96, à cela s’ajoute la concurrence virulente exercée par les producteurs hors OPEP, notamment à partir des immenses réserves de la mer Caspienne, objet d’une compétition féroce entre les compagnies occidentales (principalement américaines) et russes, sur fond de crise généralisée dans les pays de la région (la guerre en Tchétchénie en est l’aspect le plus dramatique).

Le Monde du 5 mars 98, par la voix d’un de nos illustres historiens, partisan en son temps de la guerre de libération algérienne, et pourfendeur de la dictature des militaires depuis 1962, Pierre Vidal Naquet, affirme que peu de dictatures militaires (Chili, Argentine, Guatemala) ont "osé" utilisé sur leur propre territoire le napalm comme l’ont fait les militaires algériens, notamment dans la région de Texama (près de Jijell sur la côte de la petite Kabylie), dans les monts de Chréa, près d’Alger, ou dans la forêt de Sid Ali Bouneb, en bordure de la Kabylie. A la terreur islamiste, l’Etat algérien a répondu par la terreur: torture dans les locaux de la police à la scie électrique et au chalumeau, utilisation de napalm dans les maquis, assassinats dans les prisons, disparitions (10 000 personnes selon Amnesty International), exécutions sommaires, arrestations et conditions d’internement inhumaines dans les camps du sud, pas de procès des présumés assassins arrêtés, impossibilité pour les journalistes de travailler, fraudes électorales en juin et octobre 97, etc. D’autre part, les égorgeurs islamistes pourraient être manipulés (50), comme le laisseraient supposer les "revendications" délirantes émises dans des feuilles extrémistes à Londres et ailleurs. "Tous les services de renseignement occidentaux ont acquis la conviction que les GIA sont largement infiltrés par les hommes de la sécurité militaire qui s’en servent pour diviser et décrédibiliser les islamistes et entretenir un climat de terreur afin de prévenir toute révolte populaire. Les témoins survivants ont certes vu les assassins, mais pas ceux qui ont armé leur bras. Et on sait que les revendications sont partout des instruments privilégiés de la manipulation. "Car en effet ne s’agit-il pas de terroriser par le feu et le sang les millions d’algériens qui ont voté pour le FIS en 91 ? On ne peut pas ignorer aussi les pratiques des "seigneurs de la guerre", miliciens armés par le pouvoir qui n’ont rien à envier dans l’horreur à celles des "seigneurs de la guerre" islamistes. En effet quelque 200 000 hommes enrôlés par la gendarmerie et la sécurité militaire dans les "gardes communales" et les "groupes de légitime défense" ont carte blanche pour régler la question islamiste en violant quotidiennement les lois de la République algérienne. (51) Le Monde du 4-2-98, citant encore l’historien Vidal Naquet, écrit: "Depuis 35 ans, sa seule logique [le régime militaire né en juillet 1962] a été de se maintenir au pouvoir, hier par un"socialisme" de façade et par le clientélisme nourri de la rente pétrolière, aujourd’hui par l’accaparement à son seul profit de cette rente et par la manipulation de la violence née de la révolte populaire.

Sans doute, il n’existe pas de preuves irréfutables que certains de ces massacres aient été accomplis sur ordre par des militaires déguisés ou non en "barbus" (...) Le laisser-faire ostensible, cynique et assumé des forces de sécurité suffit à lui seul à mettre en cause l’Etat. Surtout quand il n’est nul besoin d’avancer cette hypothèse pour répondre sérieusement à la question "Qui tue ?" (et non pas "Qui tue qui ?", car les victimes hélas, sont connues: ce sont, pour une écrasante majorité, les plus humbles, les plus pauvres, hostiles au pouvoir).

D’un côté, et d’abord, ce sont les forces de sécurité (armée et police) qui, au nom de la lutte antiterroriste, tuent familles et villages entiers, qu’ils soient ou non impliqués dans la lutte armée, et multiplient les exactions-tortures, exécutions extrajudiciaires, enlèvements, etc. Et, de l’autre, les maquisards des GIA mènent une guerre barbare qui frappe surtout les populations civiles; une guerre qui, contrairement à ce que l’on prétend, ne répond à aucun plan d’ensemble: aucun état-major secret ne planifie les combats dans la perspective de la prise du pouvoir; il n’existe que des groupes isolés de jeunes révoltés, animés seulement par la pure logique du désespoir.

Depuis l’automne 1994, cette spirale de folie a été encore accélérée par la création, à l’initiative de l’armée, des brigades de milices: en légalisant la distribution d’armes aux habitants anxieux de pouvoir se défendre face aux massacres des desperados islamistes, le pouvoir a prétendu vouloir éteindre l’incendie. Mais il l’a fait avec de l’essence. Du cou, toutes les violences, y compris les plus atroces, sont devenues légitimes, et l’on sait que la plupart d’entre elles n’ont plus rien à voir avec la fantasmagorie d’une " guerre civile"entre "terroristes islamistes" et "pouvoir républicain": il s’agit de plus en plus souvent de sordides affaires de droit commun, et surtout de l’accomplissement d’implacables vendettas collectives.

En armant les milices, les généraux algériens ont levé le voile sur la véritable nature de leur pouvoir: celui d’une "coupole" mafieuse et non pas celui d’un Etat, qui n’a en vérité jamais pu se construire depuis l’indépendance. "(...) Les militaires ont préféré" manipuler la violence, dans la continuité de la tradition coloniale, pour pouvoir continuer à profiter directement des commissions occultes prélevées sur les échanges commerciaux (et dont on peut estimer le montant à quelque 6 milliards de francs par an...). " Et notre historien qui ne peut s’empêcher de développer ses illusions sur une issue démocratique, conseille l’envoi d’une commission d’enquête internationale en Algérie sur les violations des droits de l’homme en Algérie, mais aussi pour des enquêtes financières sur les commissions occultes liées aux échanges commerciaux franco-algériens", qui jouent un rôle essentiel dans le maintien au pouvoir des dictateurs d’Alger et dans le martyre du peuple algérien".

D’autres journalistes (Libération du 6-1-98) affirment que les luttes entre le GIA et le FIS d’une part, l’Etat et les maquis, se concrétisaient par des massacres visant les familles ayant voté pour le FIS en 91. Les massacres de l’ouest (Raïs, Beni-Messous et Benthala aux portes d’Alger) se confond avec des zones qui ont voté FIS en décembre 91. Le GIA est mis en cause avec des actes de banditisme (massacre, pillage). Les tueurs ne frappent pas au hasard: ils ont des listes de familles ou de clans à exterminer et sont aidés dans leurs recherches par d’anciens habitants des villages. Les rivalités entre l’AIS, branche armée proche du FIS, qui a décrété le cessez-le-feu en octobre 97, et les GIA pourraient expliquer les massacres de 97. Depuis novembre les tueries se sont déplacées de la plaine de la Mitidja vers l’ouest, dans les monts de l’Ouarsenis où les deux groupes sont très implantés. Les hommes de l’AIS sont présents dans les régions de Relizane, Chlef et Mostaganem, à l’ouest et à l’est du pays. Ceux des GIA sont installés autour de Sidi Bel Abbès, Tiaret, Mascara, Saïda, surtout à l’ouest du pays. 400 hommes du "groupe El Ahwal" (les Horreurs), ex-groupe Benchiba, du nom de leur chef tué en septembre 96, dont 70 membres se sont ralliés à l’AIS l’été dernier, serait responsable, selon le bulletin El Ribat, proche de l’ex-FIS, des massacres de la région de Rélizane du 30-12, et serait en désaccord avec d’autres groupes des GIA pour des raisons de distribution de butin. Les groupes des GIA se sont ainsi déplacés de l’Algérois où ils sont combattus par l’armée, vers l’ouest, et l’appel au cessez-le-feu de l’AIS en octobre 97 serait responsable de l’accrochage d’envergure survenu en novembre dans le région de Relizane entre des groupes de l’AIS et ceux des GIA.

Le journal Libération du 2 janvier 1998 est le premier journal français à mettre en cause le problème des terres agricoles, tentant de donner le début d’une explication à tous ces massacres. Il reprend le problème agraire: en 62, nationalisation des exploitations des colons; en 86, décret sur l’usufruit éternel et transmissible de la terre; en 90, la publication d’une liste de 150 occupants indus (non paysans) par le premier ministre de l’époque provoque un tollé. En septembre 95, l’annonce d’un projet de loi sur la privatisation de terres agricoles provoque des remous dans le clan de ceux qui ont participé à la guerre d’indépendance. Des massacres auraient déjà eu lieu dans des hameaux isolés, et de plus certains paysans n’ont pas les moyens d’acheter ces terres. Le projet est gelé et doit être représenté à l’assemblée nationale au printemps 98. Ce projet concernait la vente de terres nationalisées soit 2,8 millions d’hectares, sur une surface agricole utile de 8 millions d’ha, et 42 millions ha appartenant au secteur agricole. Mais ces terres privatisables concernent la très fertile plaine de la Mitidja, proche d’Alger. Les terres fertiles sont en fait la proie de la spéculation immobilière pour les urbaniser, alors que l’Algérie importe l’essentiel de sa consommation alimentaire. Le chef du gouvernement affirmera en 95 que les ventes se feraient en priorité aux moudjahidin (combattants FLN de la guerre de "libération") et à leurs ayants droits, c’est-à-dire les privilégiés du système. Les paysans pourraient opter pour la location de leurs terres pour une période de 30 ans renouvelable et les locataires comme les acquéreurs seraient tenus d’en préserver la vocation agricole.

Mais les construction se sont multipliés. En juin 96,la spéculation est si effrénée que le gouvernement nomme une commission interministérielle. Début 97, une procédure est menée contre des fonctionnaires des services agricoles et de l’urbanisme et des membres des délégations exécutives (DEC, désignées par le pouvoir pour remplacer les maires FIS démis) qui délivraient frauduleusement des permis de construire aux dépens des terres agricoles. Malgré cette procédure, les transactions continuèrent en 97 réduisant presque à néant la ceinture agricole du grand Alger avec la multiplication des constructions. Ainsi en 22 ans (1974-1996), 150 000 ha de terres arables ont été construits; de 88 à 92, 60 000 ha sont livrés à la spéculation immobilière, 14 000 ha de 1992 à 95 avec les DEC. Dans cette "mafia" du foncier, on trouve l’Etat qui réalise de vastes projets immobiliers, des propriétaires fonciers, des investisseurs proches de la nomenklatura civile et militaire, des chefs de milices devenus seigneurs de guerre. Les massacres dans la Mitidja pourraient ainsi s’expliquer comme un moyen de la vider de ses habitants. On tue pour avoir un espace: la mafia locale, les groupes islamiques armés (GIA), des notables officiels ou du privé qui utilisent ces derniers. Et ces habitants s’entassent dans des bidonvilles; déjà en 87, les bidonvilles d’Alger ont été déménagés; ceux qui ne voulaient pas partir ont été expédiés de force en 89 à 300 ou 400 km au sud d’Alger. Les enfants des bidons villes témoins d’une corruption généralisée se jetteront dans les bras acceuillants des islamistes modérés puis extrémistes.

Libération du 12-1-98 rapporte en outre le contenu d’un article de l’hebdomadaire britannique The Observer sur les témoignage de deux policiers algériens réfugiés en Grande Bretagne qui affirmeraient que plusieurs massacres de civils attribués aux islamistes ont été perpétrés par des forces de sécurités affublées de fausses barbes et de tenues islamiques, ainsi pour un massacre à Laarba, une banlieue d’Alger, fin 95, ou à Ain Defla en 94.

La presse algérienne elle aussi s’est mise à dénoncer tous les méfaits, voire même ceux du pouvoir. Or, selon Valeurs actuelles du 23-1-98 si entre l’instauration du multipartisme en 88 et le coup d’Etat militaire de 92, il y a eu une brève période de liberté (création de nombreux journaux tant en arabe qu’en français: El Watan, le Soir, Al Manchar, Le Quotidien d’Algérie, la Nation: on dénombre 169 périodiques publics ou privés dont la majorité sont écrits en français), la répression est vite revenue. 57 journalistes assassinés depuis 92 le plus souvent par des inconnus, d’autres ont quitté le pays. De 1992 à 97, une soixantaine de journaux ont été suspendus. Les rédactions ont préféré peu à peu assurer leur survie en se liant à des intérêts politiques ou financiers proches de l’armée. Le quotidien l’Authentique, l’un des premiers à envoyer des journalistes sur les lieux des récents massacres, a pour directeur le gendre du général M Betchine, ancien chef de la sécurité militaire, "conseiller spécial" de la présidence de la République. La Liberté, le grand quotidien de la bourgeoisie berbère, est dirigé par un promoteur proche des milieux militaires. Les mêmes influences existent à la Tribune, au Matin, ou à El Watan. El Watan par exemple dénonce les pouvoirs de Zéroual "les plus importants qu’aient jamais eus un président algérien". Le journal la Nation qui avait tenté de dénoncer toutes les atteintes aux droits de l’homme, y compris celles que l’on pouvait attribuer à l’armée ou aux services de sécurité, et qui soutenait la plate-forme de Rome, a été contraint de fermer en 96. Le contrôle des quatre imprimeries du pays, toutes publiques, permet au pouvoir de suspendre des titres pour des motifs économiques de non paiement. L’Etat détient également le monopole sur l’importation du papier, et décide des prix d’impression des journaux et de leur tirage sous couvert de restrictions. Le 11 février, une voiture piégée explose devant la Maison de la presse qui abrite la plupart des journaux indépendants faisant 21 morts. Pour bâillonner la presse, le pouvoir utilise son monopole sur l’imprimerie, sur l’importation de papier, sur 85% de la publicité et sur un dispositif législatif particulièrement répressif (décrets de 1992), dont la mise en place dans les imprimeries des "comités de lecture". Après l’élection de M. Zéroual, la pression s’accentua. Le terrorisme devait apparaître résiduel, alors qu’il était tout aussi important. Les informations évoquant des attentats contre des secteurs sensibles de l’économie – raffineries, oléoducs, centrales électriques, etc. – étaient censurées (Ainsi à l’automne 96, une trentaine de travailleurs de la Sonatrach, fut massacrée dans le sud du pays, mais le pouvoir interdit aux médias de révéler qu’il s’agissait de travailleurs de la Sonatrach), de même que celles concernant les violences commises par les forces de sécurité (tortures, exécutions extrajudiciaires, disparitions de détenus). Les journalistes étrangers doivent obtenir une accréditation permanente pour travailler en Algérie, officiellement accordée par le ministère des affaires étrangères, officieusement par la sécurité militaire. Il en résulte une presse atone qui se borne à reproduire soit les positions officielles comme El Moudjahid ou l’Authentique, soit les positions des partis (Ettahadi du PAGS, la presse du RCD) qui attaquent l’islamisme politique, et soutiennent la répression "éradicatrice" du pouvoir. La Nation, et tous les journalistes ayant critiqué l’attitude du gouvernement, ont été écartés.

De plus par un décret de juin 94 s’ajoute à cette inféodation, un nouveau dispositif de censure. Pour diffuser des informations relatives au terrorisme ou à la guérilla, un journal doit demander l’aval de nombreuses autorités supérieures. Dans ce contexte, le fait que la presse algérienne puisse soudain rapporter les tueries de façon exhaustive exprime les querelles occultes qui opposent au sein de l’establishment les différents clans manipulés par les diplomaties occidentales de Paris, Bonn, Washington, et exprime aussi le fait que le "terrorisme" islamiste devient gênant. L’homme d’affaire-diplomate Adnan Kashoggi d’Arabie Saoudite, intermédiaire entre la famille royale saoudienne et les milieux dirigeants américains, cité dans le même journal de Valeurs actuelles, salue le rapprochement entre les USA et l’Iran et affirme que le Proche Orient ne veut plus de la guerre ou du terrorisme et que l’évolution de l’Iran est un signe qui ne trompe pas: "L’évolution de l’Iran va stabiliser l’ensemble de la région. Je crois que nous sommes à la veille d’une période de prospérité exceptionnelle [sic ! Les masses algériennes affamées ne diraient pas la même chose !]: de grands projets de coopération économique vont enfin prendre corps, du Golfe à la Méditerranée et de la mer Caspienne à l’Océan Indien. "C’est l’euphorie bourgeoise ! Interrogé sur les mouvements extrémistes qui sévissent au Proche Orient et qui pourraient être encouragés par les Occidentaux, il commente: "Il est vrai qu’à une autre époque, dans les années 80, les Américains ont soutenu les fondamentalistes religieux en Afghanistan dans un but géopolitique précis, pour enrayer la progression soviétique vers le Golfe et l’Océan Indien. Il est vrai, également, que de nombreux islamistes originaires d’autres pays, notamment l’Egypte et l’Algérie, sont allés combattre aux côtés des islamistes afghans, et qu’ils se sont lancés ensuite, en revenant chez eux, dans le terrorisme et la guérilla (...) Parler d’un complot ou de stratégie délibérée est absurde (...) En réalité, les organisations terroristes du Proche Orient existent par elles-mêmes, savent se doter de leurs propres réseaux, de leurs propres structures, trouver des protections dans tel ou tel service secret, mettre au point les multiples paravents qui leur permettent de mener leurs opérations, qu’il s’agisse de confréries religieuses, d’organisations charitables ou de sociétés commerciales" ! Dans les méandres orientaux du discours, on peut lire aisément, ô combien, ces groupes terroristes ont pu être manipulés par les services secrets de telle ou telle puissance impérialiste ! Pensons par exemple aux attentats perpétrés en Italie dans les années 70 par des groupuscules d’extrême droite, manoeuvrés par les services secrets italiens et par la CIA, de façon à "créer" une situation de "tension sociale" et à pousser les masses dans le réflexe sécuritaire, fermant ainsi le chemin démocratique au pouvoir pour le PCI ! Evidemment c’était le temps de la guerre froide entre le héros américain et l’ouvrier stalinien ! Aujourd’hui, c’est l’affrontement entre d’autres blocs impérialistes pour contrôler les sources énergétiques de l’Afrique du nord, du Proche Orient et de la mer Caspienne.

Comme l’écrit le Monde du 13-1-98, le nombre des tués depuis 1991 en Algérie est estimé entre 60 000 et 80 000, la moitié du conflit bosniaque. Et pendant ce temps-là les bourgeois se frottent les mains. Depuis que le FMI a accepté en mai 95 d’octroyer à l’Algérie une facilité de financement élargie de 1,8 millions de dollars (9 milliards de francs) en échange d’une "restructuration" sur le dos des masses, nombre d’entreprises étrangères se pressent aux portes de l’économie algérienne pour y conclure de fructueux contrats. L’un des plus importants à ce jour est l’accord passé en août 97 avec Daewoo, et par lequel cette multinationale coréenne s’est engagée à investir (c’était avant le crac financier !) l’équivalent de 2 milliards de dollars dans les secteurs de l’industrie et des services. Ce contrat est aussi le premier à avoir été signé dans le secteur non pétrolier. Plus de 20 sociétés internationales opèrent en Algérie. Mais ce sont encore les hydrocarbures qui suscitent le plus d’appétit. Attirés par des réserves "prouvées" évaluées à 1,7 milliards de tonnes (12 milliards de barils), les compagnies pétrolières américaines, britanniques, argentine, malaise, espagnole, allemande ont toutes signé avec leur homologue algérien, la Sonatrach. L’ouverture aux compagnies étrangères de l’or noir algérien assure au pays une source de devises qui renflouent les caisses de l’Etat (la réserve en milliards de dollars est passé de 1,90 en 1975 à 6,38 en 96) sans pour cela que la population en ait des retombées positives. En juin 97, le FMI était plutôt élogieux sur la gestion du président Zéroual, mais demandait en plus "la sécurité et la stabilité économique". Pour que les algériens réapprennent à vivre en paix ? Non, pour favoriser "les investissements étrangers et les transferts de technologie nécessaires au développement du secteur privé" ! De la même manière, le Monde du 19-1-98 écrivait que la poursuite de la guerre civile en Algérie est "une catastrophe sociale, économique et politique"pour... la Coface, organisme d’assurance des exportateurs français. A court terme, elle représente un risque faible pour les exportateurs, mais à moyen terme le risque demeure élevé. La Coface rappelle les points forts de l’économie algérienne et les réformes intervenues sous l’égide du FMI. En outre, le pays "bénéficie de l’appui des pays de l’Union européenne" dit son rapport. Mais l’endettement est très élevé, la dépendance alimentaire très forte et la réforme du secteur public ne peut qu’aggraver, dans un premier temps, les conditions de vie, déjà très dures, de la population. Sur le plan politique, "le camp terroriste, de plus en plus divisé, n’est pas en mesure de prendre le pouvoir, mais il ne semble pas pour autant devoir être vaincu rapidement (...). La consolidation des institutions va de pair avec des signes de division au sein de la classe dirigeante: face au terrorisme, aucune alternative crédible à l’éradication de ce phénomène ne se dégage", estime la Coface. Tant de cynisme nous laisserait coîts, si le marxisme n’avait pas dénoncé dès sa naissance au siècle dernier les atrocités dont est capable une société basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme !

Quoiqu’il en soit, les richesses qui proviennent essentiellement du pétrole et du gaz ne profitent qu’à une petite minorité qui ne les réinvestit pas dans le développement du pays et jouit de tous les biens de consommation européens. D’un autre côté, on voit s’appauvrir de jour en jour la grande partie de la population algérienne. Le capitalisme à outrance produit un appauvrissement catastrophique de l’agriculture, un accroissement dramatique du chômage et une aggravation des conditions de vie. Les forces militaires protègent mieux le pétrole et les frontières que les pauvres des villes et des campagnes, cibles des massacres, d’autant plus qu’ils représentent la base électorale du FIS de 91. En appelant à la formation de groupes d’autodéfense, le gouvernement algérien encourage le chaos, la guerre de tous contre tous, celle qui terrorise, dépolitise et désorganise.

Rappelons rapidement les évènements de ces dernières années qui ne font que confirmer nos conclusions. En septembre 1998, Liamine Zéroual annonce sa démission et la tenue d’une élection législative anticipée pour février puis avril 1999 (l’élection présidentielle devait avoir lieu en 2000). Après des élections "douteuses", Abdelaziz Bouteflika, un ancien de l’équipe Boumédiène, lui succède en avril 1999, et bénéficie du soutien bourgeois international. Il propose la loi de concorde civile qui impose aux groupes armées de se rendre d’ici au 13 janvier 2000; Le Monde du 16-6-2000 évalue à 2000-2500 le nombre d’islamistes armés restants. Mais les massacres ne se sont pas arrêtés puisqu’on compte déjà mille morts depuis le début de l’année. Pas un jour ne passe sans l’annonce d’un nouvel attentat ou d’un nouveau massacre. Et comme l’écrit Le Monde du 1-6-2000, le climat social est explosif par endroits: "Selon le Conseil national et social algérien (CNES), le chômage frappe aujourd’hui plus de 3 millions de personnes, soit 32% de la population active. Un chiffre ramené aux alentours de 28%, selon certains experts, si l’on tient compte de l’activité informelle. Avec une dette de 28 milliards de dollars, le pays attend toujours la relance économique espérée après le plan de restructuration du FMI en 1994. D’après le CNES, l’économie s’est installée "dans un climat d’attentisme et d’indécision préjudiciable". 400 000 personnes ont été licenciées ces dernières années dans quelque 1000 entreprises publiques, et la centrale syndicale UGTA dit s’attendre à 400 000 autres pertes d’emploi. Le climat social est explosif dans certains endroits: à Annaba, par exemple, on a relevé 30 blessés à l’issue de violents affrontements, le 16 mai dernier, entre forces de sécurité et ouvriers sidérurgistes. Ces derniers manifestaient contre le non-paiement de leur salaire depuis deux mois". Creuse vieille taupe !!
 

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NOTES
 

39 La France a prêté à l’Algérie environ 33 milliards de francs (5 milliards pour l’achat de produits de consommation), garantis par la COFACE.

40 Les événements de septembre à octobre 88 sont relatés par le journal le Monde qui avait alors un correspondant à Alger.

41 Un des poisons qui freine la réponse prolétarienne en Algérie est l’opposition entretenue par la bourgeoisie entre les prolétaires arabes (dont la majorité sont historiquement des berbères islamisés lors de la conquête arabe !) et ceux berbères. Il
est à souligner que les populations kabyles furent les premières à émigrer en raison de la pauvreté de leur région d’origine et constituèrent l’avant-garde des luttes prolétariennes des années 20 et des années 60. Malheureusement aujourd’hui leur
régionalisme rebelle et agressif envers les populations arabes, les plus touchées par le terrorisme de tous bords, est un obstacle désastreux à la solidarité de classe.

42 Mohammed Boudiaf est un des chefs historiques du FLN qui à l’indépendance en 1962 a dû s’exiler: favorable au multipartisme, il s’opposait à Ben Bella. Il refusa de participer aux élections qu’il qualifia de "préfabriquées", affirmant "aucun parti populaire ne pourra naître à l’ombre des mitraillettes". Il démissionna du FLN et fondit le Parti de la Révolution socialiste PRS, devenu un club de réflexion politique. Boudiaf vit au Maroc depuis 1965.

43 Pour ce chapitre, nous utilisons le livre "La nouvelle guerre d’Algérie" de D. Malti, publié aux éditions La Découverte en 1999, et préfacé par une journaliste du journal Libération, spécialiste depuis des décennies de l’Algérie, José Garçon.

44 Selon Jeune Afrique de mai 97, les GIA sont sociologiquement d’extraction plus urbaine que rurale. L’écrasante majorité d’entre eux viennent des banlieues des grandes agglomérations: Alger et Blida. De Meliani Mansouri, fondateur des GIA qui sera exécuté en août 93, à Djamel Zitouni, tous les chefs des GIA sont issus de la ceinture miséreuse du grand Alger. Ainsi se retrouvent dans les GIA les anciens "Afghans", des délinquants, des marginaux. Les GIA ont recruté aussi parmi les ruraux qui connaissent le terrain où ont eu lieu, par exemple, les massacres dans des villages enclavés ou des petites exploitations agricoles isolées de la Mitidja (200 morts en une semaine en mai 97). Les GIA s’attaquent aux ruraux car ils servent de vivier pour le recrutement des groupes d’autodéfense qu’encadrent les anciens moudjahidines, combattants de la guerre de libération et des militants de gauche. Antar Zouabri arrive à la tête de l’organisation des GIA en juillet 96 (son frère, détenu à Serkadji, sur les hauteurs d’Alger, est curieusement libéré. Il sera retrouvé mort au lendemain d’un massacre, sans doute l’"patriote"). Les groupes ne dépassaient pas 6 membres pour faire des patrouilles de reconnaissance ou des faux barrages. Depuis juillet les opérations se font avec la participation de centaines d’hommes. Pour protéger leur retraite, les GIA ont miné la plupart des orangeraies et les pâturages rendant quasi impossibles les activités agricoles et pastorales. La plupart des massacres ont lieu dans des exploitations agricoles avec pour conséquence un exode massif dans les agglomérations de Boufarik et de Blida. Chômeurs, sans perspective d’avenir, sensibles à une idéologie hostile à un Etat jugé responsable de tous les maux du pays, ils rejoignent les maquis et s’insèrent alors dans un groupe d’une quinzaine d’homes, dirigé par un combattant expérimenté. Plusieurs groupes constituent des bandes, rassemblant 150 à 200 hommes, sous l’autorité d’un chef ou émir reconnu pour ses exploits de guerre. Ces chefs ne restent en moyenne que quelques mois à la tête d’un maquis car ils sont tués au combat. Les bandes quittent les maquis pour se réfugier dans la jungle des villes lorsque les forces de l’ordre lancent des actions de grande envergure ou lorsque les conditions climatiques (notamment en hiver) sont difficilement supportables. Les combattants des maquis islamistes disposent de matériels permettant de mener une guérilla urbaine. Ils sont équipés d’armes d’autodéfense, de fusils de chasse, et d’un armement ou d’explosifs de fabrication artisanale. Ils ont peu d’armes automatiques légères, de lance-roquettes, de moyens radio et de véhicules. Ces matériels sont pris aux forces de l’ordre pendant les combats. Une faible quantité d’armes provenant des pays de l’ancien pacte de Varsovie traverse l’Union européenne et la Méditerranée pour parvenir aux combattants. Il existe aussi un circuit sud situé aux confins du Tchad, du Niger et de la Libye. Ces armes sont achetées grâce à une contribution forcée – un impôt de guerre – versée par des commerçants des communautés maghrébines installées dans différents pays d’Europe occidentale.

45 La Communauté de Sant’Egidio est une association catholique et laïque sans but lucratif, fondée en 1968 à Rome par des fils de la bonne bourgeoisie romaine pour aider les "pauvres" de la cité dans l’esprit du concile Vatican II qui venait de se tenir, concurrençant en cela les mouvance d’extrême gauche comme Lotta Continua. Elle compte 30 000 membres, principalement en Europe et en Afrique. Elle travaille en réseau avec d’autres organisations caritatives, et est active en Afrique et en Amérique latine. Son activité est aussi diplomatique et médiatrice, comme dans le conflit mozambique en 1990 entre le pouvoir et les rebelles. Les rendez-vous de conciliation se succèdent donc à Sant’Egidio où la communauté a son siège: des représentants des différentes parties des conflits libanais, zaïrois, kosovar, etc... et les représentants des différents Etat impérialistes s’y succèdent aussi. Son fondateur, professeur d’histoire à l’université de Rome, dîne régulièrement avec le pape "en toute simplicité" !

46 Le 21 février 1995 éclatait à la prison de Serkadji à Alger une mutinerie qui était matée dans le sang. Une centaine de détenus (81 islamistes et 4 gardiens égorgés) furent tués à la suite de l’intervention à l’aube des forces de sécurité. Officiellement, c’est un projet d’évasion fomenté par le GIA avec la complicité d’un gardien qui est à l’origine de la mutinerie. Dans un rapport, le syndicat national des avocats algériens parlera d’un carnage délibéré en soulignant que beaucoup de détenus furent achevés après la fin de l’assaut des forces de l’ordre. De nombreux détenus avaient été transférés d’autres prison vers Serkadji les semaines précédentes. Abdelkader Hachani, le numéro 3 du FIS, qui était détenu dans la prison au moment des faits, s’était interposé en prenant la tête d’une cellule de crise pour négocier avec les autorités. En dépit de son implication, le tribunal qui juge les faits depuis le 4-1-98 n’a pas jugé utile de l’entendre. Le verdict condamnera à mort un gardien pour complicité, reprenant la thèse officielle d’un projet d’évasion fomenté par les GIA avec la complicité d’un gardien. Hachani a dénoncé cette parodie de procès dans un interview au Monde le 13-1-98: " A travers ce que j’ai personnellement vécu au cours du massacre (...) l’hypothèse d’un scénario qui visait l’élimination du plus grand nombre de détenus est largement confirmée. Pour les faits, lorsque le nombre de victimes était seulement de 5, j’ai proposé aux autorités une solution pacifique. Les détenus avaient, pour la plupart, réintégré leurs cellules. (...) Il y a eu d’abord un massacre collectif et aveugle avec des armes lourdes, puis une liste a été établie et les victimes ont été nominativement recherchées et exécutées. Une quarantaine de détenus qui s’étaient rendus ont été regroupés puis mitraillés. De 20 à 30 blessés ont été achevés. Une quinzaine de détenus ont été déchiquetés au point que leur identification était impossible". La défense, elle, avait estimé que "ce procès n’avait pas lieu d’être puisque les véritables auteurs de la mutinerie ont été tués lors de l’assaut".

47 Le dirigeant du puissant syndicat UGTA sera assassiné le 28-1-97.

48 Benthala se trouve à 30 km d’Alger. L’armée surveillait de près Benthala avant le massacre, car Benthala était considérée comme un fief des islamistes. La nuit du massacre, elle n’intervint pas. Le Monde du 10-10-2000 publie un témoignage d’un survivant qui parle de soldats déguisés en islamistes.

49 Douar: groupes de tentes; par extension, circonscription administrative.

50 Certains se demandent ce que sont devenu les faux moudjahidins de la sécurité militaire chargés d’infiltrer avec l’accord de l’ex-URSS les rangs des islamistes afghans durant la guerre entre l’URSS et l’Afghanistan. N’infiltrent-ils pas maintenant les GIA ?

51 Un article du Monde du 16 avril 98 nous apprend que le journal Liberté du RCD, favorable à l’armement de la population algérienne, semblait frappé de stupeur le 13 et 14 avril devant des informations sur les agissements de "patriotes" et des maires de Rélizane, Jdiouia dans l’ouest du pays. Ces milices armées faisaient régner la terreur et multipliaient les exactions depuis 5 ans: exécutions sommaires, enlèvements, disparitions, extorsions de fonds, pillages, démolitions de maisons..., tous les actes imputés ordinairement au terrorisme islamiste. Les maires arrêtés devaient être libérés quelques jours plus tard, comme le Monde l’annonçait dans un entrefilet.