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Qui sommes nous et que nous voulons |
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Les positions de la Gauche Communiste, organisée en Parti Communiste International. Ses organes de presse sont répertoriés ici.
La doctrine et le programme que le parti incarne sont le produit de la sélection historique et non de génies inutiles. L’histoire les a fusionnés en un bloc d’acier dans la tempête des luttes de classe sanguinaires, qui au milieu du 19ème siècle ont porté sur la scène une nouvelle classe, le prolétariat.
Le parti est une école de pensée et une méthode d’action. Doctrine, programme, tactique et organisation constituent le parti. La classe existe en tant que telle seulement par son parti ; sans lui, le prolétariat est une classe uniquement du point de vue statistique.
L’existence du parti ne dépend pas de la volonté de grands chefs, mais de la scrupuleuse et jalouse conservation et observance de ses éléments constitutifs et de leurs implications pratiques, et, en second lieu, du développement favorable des contradictions sociales. A certains moments historiques, il est réduit à un petit nombre de militants tenaces ; à d’autres, il croît, se développe, devient une force sociale déterminante pour le heurt final avec le régime du Capital.
C’est pourquoi il est exclu que le parti puisse retourner à la tête des masses combattantes, comme dans la glorieuse période 1917‑1926, en vertu d’expédients tactiques, de procédés diplomatiques, de rapprochements avec d’autres groupes politiques de gauche, d’innovations à la signification sibylline sur le terrain complexe du rapport parti et classe.
Il est tout aussi exclu que le parti ne renforce ses troupes en retournant aux exercices bureaucratiques d’une fausse discipline formelle, contrepoids au rétablissement de pratiques démocratiques, désormais expulsées à jamais non seulement de notre sein, mais aussi de l’“Etat et de la société”. Ces procédés sournois tuent le parti comme organe de la classe, quand bien même ils conduiraient à en augmenter les effectifs. Ces expédients trahissent l’angoisse de chefs et demi‑chefs à vouloir “réussir”, dans l’illusion que l’on puisse sortir du ghetto où se trouve contraint le parti, non par sa volonté mais par la pression presque séculaire exercée par la contre révolution victorieuse à l’échelle mondiale, dénaturant ainsi les tâches et la nature même du parti.
La meilleure démonstration de l’inanité de telles manœuvres se vérifie par l’expérience historique, plus que par la critique des idées. Le rapport de force entre les classes sociales n’a pas été modifié par les différents courants trotskistes, les gauches aux mille couleurs, qui ont pourtant pratiqué à tout vent l’adaptation du parti aux situations par une politique “réaliste”, consistant en un changement continuel de route.
Si le périmètre du parti est aujourd’hui restreint, et son influence sur les masses prolétariennes quasi inexistante, la raison doit en être recherchée dans la lutte de classe, dans les vicissitudes historiques, et l’on doit avoir le courage de conclure que ou bien le marxisme est à mettre à la poubelle et avec lui le parti politique, ou le communisme marxiste doit rester invariant. De cette vérification matérialiste et historique, après l’avoir anticipée au niveau doctrinal, la Gauche en a tiré une leçon féconde : il n’y a rien à innover, rien à changer. Restons fermement à notre poste !
Il s’agit donc ici d’un texte du Parti Communiste International, comme sont siens ceux qui confirment les positions traditionnelles de la Gauche, au delà des vicissitudes de la sélection organique.
Nous affirmons une nouvelle fois que nous attendons la reprise du mouvement révolutionnaire de classe du démarrage et de la radicalisation des heurts sociaux, conséquences de l’accélération des contradictions du système capitaliste. Le parti croît à travers celles‑ci dans la mesure où, sur la base de sa doctrine non modifiable et de son programme invariant, il saura s’insérer dans toute lutte prolétarienne, pour la conduire simultanément contre l’opportunisme traître des faux partis ouvriers, contre le vil syndicalisme tricolore, contre l’Etat capitaliste et le front politique bourgeois.
La Gauche sait que dans cette lutte elle est et restera seule, non de son propre choix, mais parce qu’elle est un produit des défaites fertiles du prolétariat. Dans celles‑ci, le rôle proéminent contre-révolutionnaire est porté par les positions et les regroupement qui, tout en se réclamant du prolétariat et même du marxisme et de la révolution, mais derrière lesquels se cachent les intérêts de couches petites bourgeoises et de l’aristocratie ouvrière, ont d’abord freiné puis divisé et finalement abandonné à l’ennemi le front prolétarien.
Non seulement nous avons réglé nos comptes depuis longtemps avec les actuels succédanés de syndicalistes, les anarchistes et “extrémistes”, mais surtout l’histoire aussi l’a fait, broyant impitoyablement leurs doctrines et leurs actions.
Nous dédions surtout ce bref texte à la jeunesse prolétarienne, afin qu’elle tourne le dos à jamais, avec le courage, l’abnégation et la vigueur qui lui sont siennes, aux illusoires tentations de la société actuelles, aux faux mythes de démocratie et solidarité nationale, de réformisme et de gradualisme, pour embrasser un programme de lutte, de bataille, sur le front communiste révolutionnaire, anonyme et impersonnel.
Car aux jeunes reviendra la tâche de mener le communisme à la victoire.
Le Parti Communiste International est constitué sur la base des principes suivants établis à Livourne en 1921 lors de la fondation du Parti Communiste d’Italie (Section de l’Internationale Communiste) :
1. Dans l’actuel régime social capitaliste, se développe de façon de plus en plus croissante un contraste entre les forces productives et les rapports de production, donnant lieu à l’antithèse d’intérêts et à la lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie dominante.
2. Les rapports actuels de production sont protégés par le pouvoir de l’Etat bourgeois qui, quelque soit la forme du système représentatif et l’emploi de la démocratie élective, constitue l’organe de défense des intérêts de la classe capitaliste.
3. Le prolétariat ne peut briser ni modifier le système des rapports capitalistes de production dont provient son exploitation sans abattre par la violence le pouvoir bourgeois.
4. L’organe indispensable de la lutte révolutionnaire du prolétariat est le parti de classe. Le parti communiste, réunissant la partie la plus avancée et décisive du prolétariat, unifie les efforts des masses travailleuses en les détournant des luttes pour des intérêts de groupes et pour des résultats contingents à la lutte générale pour l’émancipation révolutionnaire du prolétariat. Le parti a la tâche de diffuser parmi les masses la théorie révolutionnaire, d’organiser les moyens matériels d’action, de diriger dans la lutte la classe travailleuse, assurant la continuité historique et l’unité internationale du mouvement.
5. Le pouvoir capitaliste abattu, le prolétariat ne pourra s’organiser en classe dominante qu’avec la destruction du vieil appareil étatique et l’instauration de sa propre dictature, c’est‑à‑dire en excluant de tout droit et fonction politique la classe bourgeoise et ses individus tant qu’ils survivent socialement, et en basant les organes du nouveau régime sur la seule classe productive. Le parti communiste, dont la caractéristique programmatique consiste en cette réalisation fondamentale, représente, organise et dirige de façon unitaire la dictature prolétarienne.
6. Seule la force de l’Etat prolétarien pourra réaliser de façon systématique toutes les mesures successives d’intervention dans les rapports de l’économie sociale, avec lesquels s’effectuera le remplacement du système capitaliste par la gestion collective de la production et de la distribution.
7. Sous l’effet de cette transformation économiques et des transformations qui en dérivent de toutes les activités de la vie sociale, la nécessité de l’Etat politique devra disparaître ; cette machine se réduira progressivement à celui de l’administration rationnelle des activités humaines.
La position du parti face à la situation du monde capitaliste et du mouvement ouvrier après la seconde guerre mondiale se fonde sur les points suivants :
8. Au cours de la première moitié du 20ème siècle, le système social capitaliste s’est développé au niveau économique avec l’introduction de cartels d’entreprises dans le but de constituer des monopoles, et les tentatives de contrôler et de diriger la production et les échanges selon des plans centraux, jusqu’à la gestion étatique de secteurs entiers de la production ; au niveau politique, avec l’augmentation du potentiel policier et militaire de l’Etat et le totalitarisme de gouvernement. Tous ceux‑ci ne sont pas des types nouveaux d’organisation sociale à caractère de transition entre capitalisme et socialisme, encore moins un retour à des régimes politiques pré‑bourgeois : ce sont au contraire des formes précises de gestion du pouvoir et de l’Etat encore plus directes et exclusives de la part des forces les plus développées du capital.
Ce processus exclut les interprétations pacifiques évolutionnistes et progressives du devenir du régime bourgeois, et confirme la prévision de la concentration et du déploiement antagoniste des forces de classe. Afin que puissent se renforcer et se concentrer avec un potentiel correspondant les énergies révolutionnaires du prolétariat, celui‑ci doit repousser comme revendication et moyen d’agitation le retour illusoire au libéralisme démocratique et la requête de garanties légalitaires, et il doit liquider historiquement la méthode des alliances transitoires du parti révolutionnaire de classe, que ce soit avec des partis bourgeois et de classe moyenne qu’avec des partis pseudo-ouvriers au programme réformiste.
9. Les guerres impérialistes mondiales démontrent que la crise de désagrégation du capitalisme est inévitable en ouvrant une période dans laquelle son expansion n’augmente plus les forces productives mais produit une alternance d’accumulation et de destruction. Ces guerres ont causé des crises profondes et répétées dans l’organisation mondiale des travailleurs ; les classes dominantes ayant pu imposer aux travailleurs la solidarité nationale et militaire avec l’un des camps en guerre. La seule alternative historique à opposer à cette situation est la lutte sociale contre sa propre bourgeoisie et la fraternisation sur le champ de bataille avec le prolétariat du camp adverse, jusqu’à la guerre civile des masses travailleuses afin de renverser le pouvoir de tous les États bourgeois et des coalitions mondiales ; et ceci avec la reconstitution du parti communiste international comme force autonome de tous les pouvoirs politiques et militaires organisés.
10. L’État prolétarien, étant donné que son appareil est un moyen et une arme de lutte dans une période historique de transition, ne tire pas sa force organisative de règles constitutionnelles et de schémas représentatifs. La plus grande explication historique de son organisation a été jusqu’ici celle des Conseils des travailleurs apparue dans la Révolution russe de l’Octobre 1917, dans la période de l’organisation armée de la classe ouvrière sous le guide du seul parti bolchévik, de la conquête totalitaire du pouvoir, de la dissolution de l’assemblée constituante, de la lutte pour repousser les attaques extérieures des gouvernements bourgeois et pour écraser à l’intérieur la rébellion des classes vaincues, des couches moyenne et petite bourgeoises et des partis de l’opportunisme, alliés immanquables de la contre-révolution dans les phases décisives.
11. La défense du régime prolétarien des dangers de dégénérescence, inhérents aux échecs et retraites possibles, de l’œuvre de transformation économique et sociale, dont la réalisation intégrale n’est pas concevable à l’intérieur des frontières d’un seul pays, ne peut être assuré que par une coordination continue de la politique de l’État ouvrier avec la lutte unitaire internationale du prolétariat de chaque pays contre sa propre bourgeoisie et son appareil étatique et militaire ; lutte incessante quelque soit la situation de paix ou de guerre, et au moyen du contrôle politique et programmatique du parti communiste mondial sur les appareils de l’Etat dans lequel la classe ouvrière a conquis le pouvoir.
Ayant pour base ce programme, le Parti Communiste International revendique dans leur intégrité les fondements doctrinaires du marxisme : le matérialisme dialectique, système de conception du monde et de l’histoire humaine ; les doctrines économiques fondamentales contenues dans le Capital de Marx, méthode d’interprétation de l’économie capitaliste ; les formulations programmatiques du Manifeste des Communistes, résumé historique et politique de l’émancipation de la classe ouvrière mondiale. Il revendique par ailleurs le système dans son intégralité de principes et de méthodes dont la victorieuse expérience de la révolution russe, l’œuvre théorique et pratique de Lénine et du parti bolchévik dans les années cruciales de la prise de pouvoir et de la guerre civile, et les thèses classiques du IIème Congrès de l’Internationale Communiste, représentèrent la confirmation, la restauration et le développement conséquent, et qui mettent aujourd’hui en relief les leçons de la tragique vague révisionniste débutée en 1926‑27 sous le nom de “socialisme en un seul pays”.
Cette vague, que l’on relie de façon conventionnelle au nom de l’individu Staline, tire son origine de forces sociales objectives gigantesques en Russie à la suite de l’échec de l’extension au monde entier de l’incendie révolutionnaire de l’Octobre 1917 – forces auxquelles on ne crut pas devoir opposer à temps un barrage programmatique et tactique qui, s’il n’avait pas pu empêcher la défaite, aurait rendu moins difficile et tourmentée la renaissance du mouvement communiste international.
Cette vague a eu des effets de longue portée plus mortels que la peste opportuniste qui traversa la brève existence de la Première Internationale (déviations anarchistes), que celle qui précipita la Seconde dans l’abîme de l’adhésion à l’union sacrée, et donc à la guerre impérialiste de 1914 (gradualisme, parlementarisme, démocratisme).
Aujourd’hui, la situation du mouvement ouvrier apparaît ainsi mille fois plus grave que lors de l’écroulement vertigineux de la IIème Internationale lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale.
La Troisième Internationale était née en 1919 avec un programme qui, en rétablissant les points cardinaux de la doctrine marxiste, rompait de façon irrévocable avec les illusions démocratiques, gradualistes, parlementaires et pacifistes de la Seconde Internationale (elle avait du reste fait naufrage dans le plus ignoble chauvinisme et bellicisme durant la guerre). Nous n’enlevons rien à l’immense apport historique de Lénine, de Trotski et de la vieille garde bolchévique en reconnaissant que, dans une certaine mesure, le danger d’une involution de l’Internationale Communiste se profila dès le début, que ce soit en raison de l’urgence de constituer des partis communistes, surtout en Europe occidentale, que dans la tactique trop élastique adoptée pour “conquérir les masses”.
Cette méthode et cette tactique “élastique”, pour les artificiers de l’Octobre russe, ne signifiaient pas et ne devaient signifier en aucun cas l’abandon des principes de base de la conquête violente du pouvoir, de la destruction de l’appareil étatique bourgeois, parlementaire et démocratique, de l’instauration de la dictature prolétarienne dirigée uniquement par le Parti. Leur application pouvait ne pas avoir d’effets désastreux si la révolution, comme on l’espérait, se fût étendue rapidement au monde entier. Mais, comme le prédit la Gauche dès le IIème Congrès de l’Internationale Communiste en 1920, elle risquait d’avoir les conséquentes les plus négatives sur les formations fragiles de partis souvent disparates, non suffisamment immunisés contre les illusions du système démocratique et les compromissions opportunistes des réformistes. Cette tactique pouvait précipiter une récidive social-démocrate lors du reflux de la vague révolutionnaire, comme malheureusement cela survint, ramenant à la surface non seulement les hommes mais surtout les maladies qui les avaient gangrenés dans un passé encore trop récent.
La Gauche, entre 1920 et 1926, réclama la définition d’une plate forme programmatique et tactique unique pour toutes les sections de l’Internationale ; elle mit en garde contre les dangers inhérents à l’application du “parlementarisme révolutionnaire” dans un Occident infesté de démocratie depuis plus d’un siècle, mais surtout elle s’opposa d’abord à la tactique du “front unique politique”, puis à celle du “gouvernement ouvrier” (et ouvrier-paysan) comme étant une formule équivoque au lieu de celle sans ambiguïté de “dictature prolétarienne”. Elle déplora la méthode d’adhésion directe à l’Internationale d’organisations indépendantes du parti communiste local et de l’acceptation de partis “sympathisants” et repoussa la pratique de l’infiltration de partis pseudo-ouvriers ou carrément bourgeois (comme le Kuomintang) et, pire encore, des “blocs”, même temporaires, avec des partis soi disant proches ou rangés sur des positions “similaires” seulement en apparence.
Le critère auquel la Gauche se rattacha alors fut et resta ensuite le suivant : le renforcement des partis communistes dépend non de manœuvres tactiques ou de volontarisme subjectif, mais du cours révolutionnaire objectif, qui n’a aucune raison d’obéir aux règles d’un progrès linéaire et continu. La prise du pouvoir peut être lointaine ou proche, et dans les deux cas, mais surtout dans le premier, s’y préparer (ou y préparer une couche plus moins vaste de prolétaires) signifie repousser toute action susceptible de faire retomber l’organisation communiste dans un opportunisme analogue à celui de la IIème Internationale, c’est‑à‑dire dans une rupture du lien inséparable entre moyens et buts, tactiques et principes, objectifs immédiats et objectifs ultimes, dont le résultat ne peut être que le retour à l’électoralisme et au démocratisme en politique, au réformisme au niveau social.
A partir de 1926, le différend se transféra directement au niveau politique et se termina par la rupture entre l’Internationale et la Gauche Communiste d’Italie. Les deux questions sur le tapis étaient le “socialisme en un seul pays” et, peu de temps après, l’“antifascisme”. Le “socialisme en un seul pays” est une double négation du léninisme, parce qu’il sous‑entend comme étant du socialisme ce que Lénine nommait “développement capitaliste à l’européenne dans la Russie petite-bourgeoise et semi médiévale”, et parce qu’elle déliait les destins de la révolution russe de ceux de la révolution prolétarienne mondiale. C’est la doctrine de la contre-révolution : à l’intérieur, elle justifia la répression contre la vieille garde marxiste et internationaliste, à commencer par Trotski ; à l’extérieur des frontières de l’URSS, elle favorisa l’écrasement des courants de gauche par des fractions centristes, souvent des survivances social-démocrates, “capitulant sur toute la ligne face à la bourgeoisie” (Trotski).
La principale manifestation de cet abandon des points cardinaux programmatiques de la lutte communiste mondiale fut précisément le remplacement du mot d’ordre de la prise révolutionnaire du pouvoir par celui de la défense de la démocratie contre le fascisme, comme si les deux formes de gouvernement, démocratie et fascisme, ne répondaient pas à l’objectif commun de la conservation du régime capitaliste face au danger d’une nouvelle vague révolutionnaire du prolétariat, alternant au sommet de l’Etat selon les exigences impérieuses de la dynamique de la lutte entre les classes. Le phénomène se manifesta non seulement dans la IIIème Internationale après la chute du bastion allemand à la suite de la victoire d’Hitler en 1933, mais au sein même de l’opposition “trotskiste” qui reprit le mot d’ordre de “défense de la démocratie contre le fascisme” toute en le présentant comme une “phase” ou une “étape” à parcourir avant d’être en mesure de poser les revendications maximales du prolétariat révolutionnaire. Dans les deux cas, ce mot d’ordre mène à la destruction de la classe ouvrière comme force politique distincte ayant des objectifs antithétiques à ceux de n’importe laquelle couche sociale, à la mobilisation des prolétaires des différents pays pour la défense d’abord des institutions démocratiques, ensuite de la “patrie”, à la renaissance et à l’exaspération des odes chauvinistes ; enfin, à la dissolution même formelle de l’Internationale Communiste et dans le même temps à l’anéantissement de toute velléité de reconstruction.
La classe ouvrière enchaînée au char sanguinaire de la guerre impérialiste de 1939‑1945, les maigres forces du communisme international et internationaliste, là où ils avaient survécu, ne furent plus en mesure d’influer de quelque façon sur la situation : le cri de “transformation de la guerre impérialiste en guerre civile”, première annonce en 1914 de la révolution russe de 1917, ne rencontra que vide et mépris. L’après guerre non seulement ne maintint pas les “ingénues” espérances d’une expansion du communisme révolutionnaire au bout des baïonnettes russes, mais vit le triomphe d’un néo‑ministérialisme encore pire que celui des droites de la IIème Internationale ; en effet il s’exerçait dans une période plus difficile de la reconstruction capitaliste en faveur de la restauration de l’autorité de l’Etat (désarmement des prolétaires encadrés par les formations de partisans), du sauvetage de l’économie nationale (prêts de la reconstruction, acceptation de l’austérité au nom des “intérêts supérieurs” de la nation, etc.), et plus tard, dans les “démocraties populaires”, en faveur du rétablissement d’un ordre étiqueté de “soviétique” (Berlin, Poznan, Budapest).
La période de collaboration ouverte au sommet de l’Etat étant close, les partis “communistes” affiliés au Kremlin, se virent repoussés dans une “opposition” purement parlementaire par les alliés d’hier durant la guerre et ceux durant la “paix” dans un monde de plus en plus bardé d’acier, de policiers et fascistes ; mais, loin de retrouver la voie magistrale de Lénine (chose que d’ailleurs ils n’auraient pas pu faire non plus, même s’ils l’avaient voulu), ils se précipitèrent de plus en plus dans le gouffre de la révision complète de la doctrine marxiste, jusqu’à en toucher le fond en ne prévoyant plus et en ne proposant plus la fin ni du capitalisme, exalté au contraire sous la forme du commerce internationale, ni du parlementarisme bourgeois qu’il s’agissait plutôt de défendre contre les attaques de la bourgeoisie, oublieuse de son “glorieux” passé. Ils cessèrent enfin – bien avant l’“ouverture au marché” des pays de l’Est – de préconiser le développement de cette prétendue lutte entre “camp socialiste” et “camp capitaliste” à laquelle le stalinisme avait fini par réduire la lutte de classe, puisque à l’échelle internationale le mot d’ordre était devenu : “Coexistence et compétition pacifiques !”.
Ces partis ont aujourd’hui changé de nom pour la plupart, ne pouvant même plus tolérer la définition de “communiste”, qui leur pesait tant. Tant mieux!
La “coexistence” et la confrontation économique ne pouvaient avec le temps qu’amener à la liquidation également du stalinisme. Pour notre parti, l’abjuration du stalinisme dans les pays du bloc de l’Est n’a pas été une surprise ; il la prévoyait au contraire comme un inévitable et définitif dépassement sur le plan économique de la séparation du marché mondial et de cette autarcie nécessaire aux pays arriérés au tout début du développement de leur industrie capitaliste nationale, dépassement qui permettait à cette industrie de rejoindre la compétition avec celles des vieilles puissances capitalistes.
Si le mensonge d’une Russie “national-communiste” se maintient encore, comme ce fut le cas dans la période stalinienne et jusqu’en 1989, avec le développement historique concret, ce pays est désormais un pays ouvertement capitaliste, avec des producteurs prolétarisés et ayant bien accepté la vermine économique, politique, sociale et morale d’une “démocratie” accomplie. La trahison stalinienne du communisme et sa collaboration avec le fétide capitalisme atlantique et occidental, s’il a réduit en cendres froides l’incendie de la révolution communiste de 1917 qui fit trembler le monde, a cependant permis à la Russie de sortir de son inertie semi‑féodale en réalisant son accumulation primitive de capital par le fer et le feu et avec les horreurs communes à tous les développements capitalistes précédents. Nous n’avons donc pas assisté dans les pays de l’Est à un retour du socialisme au capitalisme, encore moins à une faillite du premier, mais au passage d’une phase arriérée à celle décadente du capitalisme mercantile et salarial. Ce qui a désormais failli en Russie, c’est seulement la tentative de travestir en socialisme un capitalisme grandissant. La prévalence du capitalisme dans tous les coins de la planète n’est pas une preuve de la défaite du communisme mais, au contraire, la meilleure prémisse pour sa victoire future. La grande Révolution d’Octobre, prolétarienne, internationaliste et communiste, continue depuis ce temps à illuminer le chemin vers une nouvelle Révolution, encore plus puissante et victorieuse.
C’est du fond de ce précipice que, en anticipant la reprise prolétarienne, un cri se lève : “Prolétaires de tous les pays, unissez‑vous !” et “Dictature du prolétariat !”. C’est notre cri.
Concernant la doctrine générale de l’évolution historique et sociale, la dégénérescence politique désormais complète du vieux mouvement communiste a conduit au reniement de la vision “catastrophique” de Marx : ni les oppositions de classe ni les heurts entre États ne déboucheront plus sur une lutte violente, sur des conflits armés.
La perspective était fondamentalement celle d’une paix internationale baptisée « coexistence pacifique” et celle d’une paix sociale garantie par le mot d’ordre conservateur et réactionnaire de “démocratie nouvelle” s’appuyant sur la “planification démocratique”, sur les “réformes de structure”, et sur la “lutte contre les monopoles”. En réalité, le “communisme” stalinien, et encore plus celui post‑stalinien, n’était qu’une apologie du Progrès, dans la mesure où on exaltait l’augmentation de la production et de la productivité ; il n’était qu’une apologie du Capitalisme, dans la mesure où on exaltait l’augmentation des échanges commerciaux.
Aujourd’hui que le mur de la “coexistence pacifique” a cédé le pas à une situation internationale plus fluide, qui cherche de nouveaux ajustements pourvoyeurs du prochain conflit mondial, les partis opportunistes pseudo-ouvriers ne se distinguent plus, au moins formellement, de ceux ouvertement de “droite”.
Face à cette surenchère de trahisons des principes de classe, les positions marxistes restent invariantes : sous le capitalisme, augmentation de la production et de la productivité signifie exploitation croissante du travail de la part du capital, augmentation démesurée de la part non payée du travail ou plus‑value. La consommation ouvrière, la “réserve” que la classe travailleuse se constitue sous forme soit individuelle, soit sociale (assurance contre les maladies et la vieillesse ; législation familiale, etc.) peuvent croître ; mais croissent d’autant l’assujettissement du producteur au capital et l’insécurité de sa condition, liés aux hauts et bas de l’économie de marché. L’antagonisme de classe n’est en rien atténué ; au contraire, il est poussé au maximum.
L’extension du commerce signifie l’extension de la domination des pays développés sur les pays sous développés et une ouverture progressive de la concurrence naturelle entre pays développés. Reliant les différents peuples, les différents continents dans les mailles d’une économie de plus en plus mondiale – ce qui pour nous marxistes est une réelle, même si involontaire, conquête – elle présente dialectiquement un aspect “négatif” que tous ses apologistes feignent d’ignorer : la préparation de crises commerciales, donc financières et industrielles, dont l’issue, aujourd’hui comme hier, ne peut être que la guerre impérialiste. Du reste, une part croissante des forces productives est aujourd’hui gaspillée, non pas dans la production de biens et services que le “commerce honnête” et “à intérêt réciproque”, cher aux opportunistes d’Occident et d’Orient, élargirait à toute l’humanité, mais dans la production d’armes destructives dont la fonction est encore plus économique (secteur d’accumulation pour absorber la surproduction) que militaire.
Le capitalisme est une reproduction sans fin du capital ; le but de la production capitaliste est le capital même. L’accroissement au‑delà des limites naturelles de la production de marchandises, poussée à une vitesse folle, engendre non pas un bien être de plus pour l’espèce humaine, mais au contraire une série de crises catastrophiques de surproduction qui bouleversent la vie sociale de toute la planète. De ces crises – niées pendant des décennies par tous les théoriciens bourgeois et au contraire affirmées comme inéluctables par le marxisme authentique – la classe ouvrière en est la première victime, en en portant le poids par le chômage, la réduction des salaires et l’intensification des charges de travail.
Pour le capitalisme, la guerre est la conséquence nécessaire de sa crise périodique de surproduction. La guerre sous le capitalisme est donc inévitable. Seules des destructions démesurées provoquées par les guerres mondiales modernes permettent au capitalisme de pouvoir ensuite recommencer son cycle infernal de reconstruction-accumulation. Les guerres mondiales impérialistes contemporaines – bien que toujours masquées derrière les paravents “humanitaires”, “démocratiques”, “pacifistes”, défensives” – sont en réalité nécessaires pour les divers capitalismes afin de se répartir les marchés, de se repartager les continents, en fonction du rapport de force économique et militaire de chacun. Ce sont par conséquent des guerres pour la conservation du capitalisme, que ce soit pour des raisons économiques ou parce qu’elles servent dans la crise à éliminer la part de force de travail excédant alors les capacités d’emploi productif. Il s’agit de gigantesques massacres d’esclaves que le capital n’est pas momentanément en mesure d’entretenir. Ou guerre ou révolution, il n’y a pas d’autre choix.
L’attitude communiste révolutionnaire confrontée à la guerre est de dénoncer la tragique illusion de vouloir conjuguer ensemble capitalisme et paix, et d’affirmer que ce n’est qu’en abattant le pouvoir bourgeois et en détruisant les rapports de production fondés sur le capital que l’on pourra libérer l’humanité de ces désastres répétés. Sur la ligne de Marx et de Lénine, les communistes proclament la tactique de l’antimilitarisme de classe, de la fraternisation sur les fronts et du défaitisme révolutionnaire au front et à l’arrière, qui transforment la guerre entre les États en guerre entre les classes.
En ce qui concerne la contradiction matérielle qui affecte tous les mouvements du pacifisme légalitaire et interclassiste condamnant la guerre mais dans les limites du régime actuel, le communisme prévoit que, étant issus de la classe bourgeoise, ils opteront nécessairement pour la guerre quand il seront contraints de choisir entre Guerre et Révolution. Avec Lénine, nous les considérons comme des facteurs de tromperie et de confusion par rapport à une saine orientation de bataille du prolétariat, et un instrument auxiliaire du militarisme pour pousser le prolétariat à la guerre. Ce sont en effet des pacifistes qui, accusant l’ “agresseur” en service des horreurs que les guerres impérialistes provoquent toujours et inévitablement sur les populations, ils en arrivent à réclamer aux États bourgeois qu’ils l’ “arrêtent par tous les moyens”, et aux prolétaires de se faire massacrer pour cet idéal mensonger de “paix”, “démocratie”, “civilisation”, etc.
Face ensuite aux arguments plus classiquement réformistes du post‑stalinisme, les positions du marxisme révolutionnaire restent celles de l’époque de la social‑démocratie : le capitalisme moderne n’est pas du tout caractérisé (Engels le constatait déjà) par l’ “absence de plan” ; et la “planification” toute seule, quelle qu’elle soit, ne suffit pas du tout à caractériser le socialisme. Et la disparition (plus ou moins réelle) de la figure sociale du capitaliste, qui devait caractériser la société russe d’hier, ne suffit pas non plus à prouver l’abolition du capitalisme (Marx le constate déjà !) puisque le capitalisme n’est pas autre chose que la réduction du travailleur moderne à la condition de salarié, et, là où elle subsiste, ce dernier continue à subsister.
L’apologie du capitalisme et le réformisme de nuance social démocrate, dont la fusion caractérisait le “communisme” à la russe ou à la chinoise, pire encore que le réformisme classique, s’allient à un défaitisme qui, comme réflexe psychologique et idéologique de la désagrégation de la force révolutionnaire du prolétariat, stérilise même la révolte que cette apologie et ce réformisme suscitent dans certains milieux ouvriers. Il consiste avant tout à nier à la classe ouvrière toute possibilité de dépasser la concurrence exaspérée qui la divise aujourd’hui, de se rebeller contre le despotisme des besoins créés par la prospérité capitaliste, d’échapper à la crétinisation engendrée par l’organisation bourgeoise du “bien‑être”, des “divertissements”, de la “culture”, afin de se constituer un parti révolutionnaire ; et en second lieu à admettre, implicitement ou explicitement, que le progrès dans les armements a transformé en un monopole désormais indestructible la possession normale du potentiel militaire de la société de la part de la classe dominante. Toutes ces positions équivalent à l’abdication de toute espérance révolutionnaire face à l’omnipotence de fait, mais pour nous historiquement transitoire, du capital.
Nous les retrouvons telles quelles à toutes les époques de réaction politique et sociale (respect superstitieux de la puissance militaire de l’ennemi, déjà combattu par Engels à l’époque des canons et des fusils “conventionnels” ; mépris et dédain philistins pour la “balourdise”, l’ “ignorance”, le “manque d’idéalisme” des ouvriers, déjà combattu par Lénine et tous les militants révolutionnaires), mais chacune de ces époques fabrique des raisons d’y croire (la bombe atomique et à l’hydrogène ou, comme dans les élucubrations à la Marcuse et consorts, le pouvoir corrupteur et inéluctable de la “société de consommation” !).
Les puissants moyens de communication qui répètent jusqu’à l’obsession que la société actuelle est le “le moindre mal” possible, sont un instrument central de cette intimidation morale.
Les positions marxistes restent tout aussi identiques : le capitalisme divise, mais dans le même temps il concentre et organise le prolétariat ; et à la fin, la concentration a le dessus sur la division. Le capitalisme corrompt et fragilise le prolétariat, mais sans le vouloir il l’éduque néanmoins de façon révolutionnaire ; et cette éducation a le dessus sur la corruption. En effet, tous les produits sophistiqués des “industries du plaisir” sont tout aussi impuissants à calmer le mal être croissant de la vie sociale (urbaine ou rurale), tout comme les tranquillisants de la médecine moderne sont impuissants à restituer à l’homme de la société capitaliste l’harmonie dans les rapports avec lui‑même et les autres, que la “vie moderne” – c’est‑à‑dire capitaliste – détruit. D’autant plus que dans ce genre de corruptions, la force du capital réside, aujourd’hui comme hier, dans l’écrasement du producteur avec la longueur de la journée, de la semaine, de l’année et de la vie de travail aliéné. Mais le capitalisme doit, par la force des choses, limiter historiquement cette longueur ; il le fait de façon lente, mesquine, avec des pas en arrière continuels, mais il ne peut éviter de le faire ; et les effets en seront, comme le prévirent Marx et Engels, nécessairement révolutionnaires, si l’on pense qu’il est tout aussi contraint à instruire (en même temps qu’il les abêtit) ceux qui deviendront ses “fossoyeurs”.
Par conséquent, il y a deux principales perspectives d’avenir : soit la perspective de l’explosion prochaine d’une crise type 1929 qui réduit à la condition de prolétaire l’ “ouvrier embourgeoisé” d’aujourd’hui (pour nous la plus probable), soit celle d’une longue phase historique d’expansion et de “prospérité” ; et il faut pratiquer ouvertement le défaitisme (comme le font, chacun à leur façon, les maoïstes, les castristes, les che‑guevaristes, etc) pour déduire de la désorganisation actuelle du prolétariat une condamnation historique définitive, c’est‑à‑dire son incapacité, sociologiquement déterminée, à reconstruire le Parti et la classe internationale, et donc la nécessité de remplacer le prolétariat par d’autre forces sociales ou catégories sociologiques (paysans, étudiants, etc) dans le rôle d’avant garde de la révolution sociale.
A plus forte raison il est absurde de croire que, avec la puissance supérieure sociale que le développement du capitalisme confère à la classe salariée, celle‑ci soit devenue incapable de réaliser la tâche première de toute révolution sociale dans l’histoire : le désarmement de l’ennemi de classe, l’appropriation totalitaire de son potentiel militaire.
Retour au "totalitarisme" révolutionnaire
Au niveau politique et social, la victoire finale de l’idéologie démocratique sur la doctrine révolutionnaire du prolétariat dans le vieux mouvement communiste est parvenue à présenter la “résistance au totalitarisme” comme le but du prolétariat et de toutes les couches sociales opprimées par le capital.
Cette orientation, dont la première manifestation fut l’antifascisme de l’avant guerre et de la guerre, n’a épargné aucun des partis liés à Moscou (et même libérés de son contrôle, comme celui chinois), qui se tournèrent vers la négation du parti unique, forme indubitablement communiste et léniniste à l’origine, désigné comme le guide indispensable à la révolution et à la dictature prolétarienne. Tandis que dans les “démocraties populaires” du soi‑disant “camp socialiste”, le pouvoir était dans les mains de “fronts” populaires ou nationaux, ou bien de partis ou “ligues” qui incarnaient explicitement un bloc de plusieurs classes, les partis “communistes” œuvrant dans le “camp bourgeois” avaient abjuré solennellement la doctrine de la violence révolutionnaire de classe comme unique voie menant au pouvoir et à la dictature exercée par la classe au travers du seul parti communiste, unique voie pourtant pour maintenir cette dictature de classe ; et ils promettaient aux interlocuteurs qu’ils courtisaient, socialistes, catholiques et autres, un “socialisme” géré en copropriété par plusieurs partis représentant le “peuple”. Cette orientation, non seulement défaitiste mais illusoire, fut accueillie favorablement par tous les ennemis de la révolution prolétarienne, qui dans le “communisme” d’inspiration stalinienne repoussaient tout ce qui rappelait le fulgurant Octobre rouge.
Comme le prolétariat ne revendique aucune liberté pour lui‑même dans le cadre du régime despotique du capital et donc ne fait pas sien le drapeau de la démocratie ni “formelle”, ni “réelle”, il revendique ainsi comme partie intégrante de son programme la suppression de toutes les libertés pour les groupes sociaux liés au capital dans le cadre du régime despotique que, le pouvoir pris, il imposera à la classe vaincue. Si la bourgeoisie masque sa dictature derrière la fiction démocratique – selon laquelle dans l’arène politique se heurteraient non pas les classes antagonistes mais des individus libres et égaux entre eux et “pratiquant le dialogue”, heurts qui seraient ceux d’opinions et non de forces physiques et sociales séparées par des oppositions irrémédiables – les communistes qui, depuis l’époque du Manifeste, “n’ont rien à cacher”, proclament ouvertement que la conquête révolutionnaire du pouvoir, prélude nécessaire à la renaissance sociale, signifie dans le même temps la domination totalitaire de l’ex‑classe opprimée, incarnée par son parti, sur l’ex‑classe dominante.
L’anti-totalitarisme est une revendication de ces classes qui se meuvent sur la même base sociale que la classe capitaliste (appropriation privée des moyens de production et des produits), mais qui ne sont pas invariablement écrasées ; c’est l’idéologie – commune aux divers mouvements d’ “intellectuels”, d’ “étudiants”, etc., dont la scène politique est périodiquement infestée – de la petite et moyenne bourgeoisie urbaine et paysanne, agrippée à ces mythes de la petite production, de la souveraineté de l’individu et de la “démocratie directe”, qui se sait condamnée par l’histoire, mais qui tente pourtant désespérément d’en réchapper. Il s’agit donc d’un ensemble bourgeois et anti-historique, et pour ces deux motifs, anti-prolétarien. La ruine de la petite bourgeoisie, sous les coups de marteau du grand capital, est historiquement inévitable, et constitue socialement – à la manière capitaliste, tout aussi brutale que lente – un pas en avant vers la révolution sociale en rendant opérant le véritable et unique apport historique du capitalisme : la centralisation de la production, la socialisation de l’activité productive.
Le prolétariat, qui dans le retour (quand bien même il serait possible) à des formes de production moins concentrées, ne peut qu’y voir un éloignement de son objectif historique d’une production et d’une disposition des produits totalement sociales, ne reconnaît comme sa tâche ni la défense des petits bourgeois contre les grands (les uns et les autres sont également des ennemis du socialisme), ni l’adoption en politique de ce pluralisme et “multicentrisme” qu’il n’a aucune raison d’accepter au niveau économique et social.
De la même façon qu’était et est réactionnaire le mot d’ordre de “lutte contre les monopoles” pour la défense de la petite production, de même sont réactionnaires tous ces mouvements qui – soit parce qu’ils reflètent les idéologies petites bourgeoises, soit parce qu’ils réagissent de façon erronée au cours dégénératif de la révolution russe en l’interprétant comme l’effet non pas de l’échec de l’extension internationale de la révolution prolétarienne et de l’abandon de l’internationalisme communiste, mais de l’instauration dès le début d’une dictature totalitaire, donc anti-démocratique) – voient le processus révolutionnaire comme une conquête graduelle d’îlots de “pouvoir” périphérique par des organismes prolétariens indifférenciés sur la base de l’entreprise, exprimant une fantomatique “démocratie directe” (théorie gramscienne et ordinoviste des conseils d’usine, délires actuels de divers “pouvoirs” ouvriers et autres). Ils ignorent le problème central de la conquête du pouvoir politique, de la destruction de l’Etat capitaliste, et donc aussi du parti comme organe centralisateur de la classe. D’autres mouvements présentaient comme “socialisme” déjà réalisé un système basé sur un réseau d’entreprises “autogérées”, chacune élaborant son plan au travers d’organes de “décision par le bas” (théorie yougoslave de l’autogestion), détruisant ainsi à la racine la possibilité de cette “production sociale régulée par la prévision sociale » par laquelle Marx désignait “l’économie politique de la classe travailleuse”, et qui est uniquement réalisable en dépassant l’autonomie des cellules productives de base de l’économie capitaliste et la “domination aveugle” du marché dans lesquelles elles trouvent l’unique connexion, chaotique et imprévisible.
Avant ou après la prise du pouvoir, en politique ou en économie, le prolétariat révolutionnaire ne fait, ni ne peut faire, aucune concession à l’anti-totalitarisme, autre version de cet anti-autoritarisme idéaliste et utopiste que Marx et Engels dénoncèrent dans une longue polémique avec les anarchistes, et que Lénine dans L’État et la Révolution démontra qu’il convergeait avec le réformisme gradualiste et démocratique. Confronté aux petits producteurs, le prolétariat socialiste n’utilisera pas la férocité dont le capitalisme a fait preuve au cours de toute son histoire ; mais, face à la petite production et ses reflets politiques, idéologiques et religieux, son action sera infiniment plus décisive, rapide et en somme totalitaire. La dictature prolétarienne épargnera à toute l’espèce humaine la masse infinie de violences et de misère qui constitue son pain quotidien sous le capitalisme, mais il pourra précisément le faire s’il n’hésite pas à employer la force, l’intimidation, et si nécessaire, la plus ferme répression contre tout groupe social, petit ou grand, qui fait obstacle à l’accomplissement de sa mission historique.
En conclusion, quiconque associe la notion de socialisme à n’importe quelle forme de libéralisme, démocratisme, culte de l’entreprise, localisme, pluripartisme ou, pire encore, anti‑partisme, comme le faisaient les courants “anti‑russes” développés au sein du mouvement ouvrier à la suite de la sinistre contre-révolution bourgeoise stalinienne, se met en dehors de l’histoire, en dehors du chemin qui mène à la reconstruction du Parti et de l’Internationale totalitairement communistes.
Depuis 1848, c’est‑à‑dire depuis la parution de ce qui s’intitule, non par hasard, et sans spécifications nationales, le Manifeste du Parti Communiste, le communisme et la lutte pour la transformation révolutionnaire de la société sont par définition internationale et internationaliste : “Les ouvriers n’ont pas de patrie” ; “L’action commune des différents prolétariats, tout au moins dans les pays civilisés, est une des premières conditions de leur émancipation” (1).
Lors de sa constitution en 1864, l’Association Internationale des Travailleurs inscrivit dans ses statuts généraux la reconnaissance que “tous les efforts pour atteindre le grand but qu’est l’émancipation économique de la classe ouvrière ont jusqu’alors échoués par manque de solidarité entre les multiples catégories d’ouvriers dans tous les pays et par l’absence d’une union fraternelle entre les classes ouvrières des différents pays”, et elle proclama avec force “que l’émancipation des ouvriers n’est pas un problème local ni national, mais un problème social qui embrasse tous les pays où existe la société moderne et où la solution dépend de la collaboration pratique et théorique des pays les plus évolués”. En 1920, l’Internationale Communiste, née de la longue lutte de la gauche internationaliste mondiale pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, que ce soit dans la plus démocratique des républiques que dans le plus autocratique des empires, ou dans la monarchie la plus constitutionnelle et parlementaire, reprit et fit siens les statuts de la Première Internationale. Elle proclama que “la nouvelle Internationale des Travailleurs est constituée par l’organisation d’actions communes des prolétaires des divers pays qui visent au seul but d’abattre le capitalisme, d’instaurer la dictature du prolétariat et une république internationale des Soviets afin d’éliminer complètement les classes et réaliser le socialisme, ce premier stade de la société communiste”. Et elle ajoutait que “l’appareil organisatif de l’Internationale Communiste doit assurer aux ouvriers de tous les pays la possibilité de recevoir à tout moment l’aide la plus grande possible de la part des prolétaires organisés des autres pays”.
Le fil de cette grande tradition fut rompu dans le premier entre guerre par l’action conjointe de la théorie et de la praxis du “socialisme en un seul pays” et le remplacement de la dictature prolétarienne par la lutte pour la démocratie contre le fascisme. La première directive a détourné le destin de la révolution victorieuse en Russie de ceux du mouvement révolutionnaire prolétarien dans le monde entier, en conditionnant les développements de ce dernier aux intérêts changeants de la diplomatie et de la puissance de l’Etat soviétique. Le deuxième, en divisant le monde en pays fascistes et démocratiques, en ordonnant aux prolétaires encadrés dans les régimes totalitaires de se battre contre leur gouvernement non pour la conquête révolutionnaire du pouvoir mais pour la restauration des institutions démocratiques et parlementaires, et aux prolétaires encadrés dans les régimes démocratiques de défendre leurs gouvernements et si nécessaire de faire la guerre pour eux contre leurs propres frères de l’autre côté de la frontière, a lié le sort de la classe ouvrière à celui des “patries” respectives et leurs institutions bourgeoises.
La dissolution de l’Internationale Communiste au cours de la seconde guerre mondiale fut la conséquence logique de ce renversement de doctrine, de stratégie et de tactique. Du nouveau massacre impérialiste sortirent en Europe orientale des États qui se disaient socialistes, mais qui proclamaient et défendaient avec rage leur “souveraineté” nationale ; qui se disaient frères, mais étaient enfermés par des frontières jalousement protégées ; qui se disaient membres d’un “camp socialiste”, mais étaient séparés par des contrastes économiques contre lesquels, afin de les résoudre alors qu’ils connaissaient une tension extrême, il ne resta que l’emploi de la force brute (Hongrie, Tchécoslovaquie), ou, quand l’intervention militaire n’était pas possible, donnèrent lieu à des entailles profondes comme dans le cas de la Chine et de la Yougoslavie. Les partis non encore parvenus au “pouvoir” exhortaient à leur tour leur “voie nationale au socialisme” (qui devint par la suite pour tous l’unique voie de l’abjuration de la révolution et de la dictature prolétarienne et l’adhésion complète à l’idéologie démocratique, parlementaire et réformiste), et se présentaient, en défendant avec orgueil leur autonomie par rapport aux autres partis “frères”, comme les héritiers des plus pures traditions politiques et patriotiques des bourgeoisies respectives, prêts à ramasser – de la bouche même de Staline – le drapeau que ces dernières avaient laissé tomber à terre.
L’internationalisme était déjà alors réduit à une phrase et à une rhétorique encore plus vides que celle de la “fraternisation internationale des peuples” que Marx dans la Critique du programme de Gotha (2) reprochait violemment au Parti Ouvrier allemand en l’accusant de “l’emprunter à la ligue bourgeoise pour la liberté et pour la paix”.
Aucune solidarité internationale n’était possible – et aucune solidarité internationale effective ne s’est en effet plus jamais vérifiée ni dans les moments de grande tension sociale, comme lors des grèves de mineurs en Belgique, des portuaires en Angleterre, les révoltes de prolétaires noirs dans l’industrie automobile américaine, ou la grève générale française de 1968, etc. – depuis qu’avait été proclamé que tout prolétaire et parti “communiste” avaient à résoudre, et ils étaient les seuls “compétents pour les résoudre”, leurs problèmes particuliers. Et chacun d’eux devait s’ériger, dans son coin “privé”, en défenseur des institutions et des traditions de la patrie, de l’économie nationale, voire jusqu’aux “frontières sacrées”. A quoi sert, du reste, un internationalisme, non de parole mais “d’acte” (Lénine), si le message des “partis nouveaux” au monde était celui de la coexistence pacifique et, en guise d’émulation, de la concurrence entre capitalisme et “socialisme” ?
Le mouvement prolétarien renaîtra avec toutes ses caractéristiques historiques à la seule condition qu’il reconnaisse que dans tous les pays la voie de son émancipation est la même, et que son parti unique est invariant dans sa doctrine, dans ses principes, dans son programme, dans ses normes pratiques d’action. Cette unité ne peut être le fruit de programmes discordants et désordonnés, “mais ne peut résulter que du dépassement ferme et organique de toutes les poussées particulières dictées par les intérêts d’ordre professionnel ou national pour arriver à la synthèse d’une force agissant pour la révolution mondiale”. (Plateforme politique du Parti, 1945, point n°5 (3)
* * *
L’abdication du mouvement communiste face à ses tâches révolutionnaires internationales se reflète tout aussi cruellement dans l’abandon complet et honteux de la position classique du marxisme dans les luttes insurrectionnelles des peuples coloniaux contre l’oppression impérialiste, luttes qui dans le second après guerre avaient atteint des aspects d’extrême violence au moment où le prolétariat des métropoles impérialistes était lâchement enchaîné au char de la “reconstruction” bourgeoise. Confronté aux luttes armées des peuples coloniaux, qui déjà dans le premier après guerre secouaient l’impérialisme, en 1920 le second congrès de l’Internationale Communiste et le premier congrès des Peuples d’Orient à Bakou précisaient la perspective grandiose d’une stratégie mondiale unique qui aurait dialectiquement relié la lutte et le défaitisme révolutionnaires dans les métropoles capitalistes à la révolte nationale dans les colonies et les semi colonies. Cette révolte, politiquement dirigée par les jeunes bourgeoisies coloniales, poursuivait pourtant l’objectif bourgeois de l’unité et de l’indépendance nationale, mais dans une conjoncture politique qui “met à l’ordre du jour dans le monde entier la dictature du prolétariat” (Lénine) ; d’un côté, l’intervention active dans la lutte des jeunes partis communistes, indépendants politiquement et sur le plan organisatif, à la tête de gigantesques masses ouvrières et paysannes, de l’autre l’offensive du prolétariat métropolitain contre les citadelles du colonialisme, auraient rendu possible le renversement des partis national-révolutionnaires et la transformation de révolutions à l’origine bourgeoises en révolutions prolétariennes, selon le schéma de la révolution permanente, tracé par Marx et réalisé par les bolcheviks dans la semi féodale Russie de 1917.
L’axe de cette stratégie était et ne pouvait pas ne pas être le prolétariat révolutionnaire des pays “plus civilisés”, c’est‑à‑dire économiquement plus avancés, parce que leur victoire et elle seule aurait permis aux pays économiquement rétrogrades dans le monde colonial de dépasser l’handicape historique de leur arriération : maître en Occident du pouvoir et des moyens de production, le prolétariat métropolitain aurait pu participer à l’économie des ex colonies moyennant “un plan économique mondial” qui, unitaire comme celui auquel tend le capitalisme, n’aurait pas utilisé, à la différence de celui‑ci, l’oppression ou la conquête, ni l’extermination et l’exploitation ; et les peuples coloniaux, grâce à la “subordination des intérêts immédiats des pays où la révolution était victorieuse aux intérêts généraux de la révolution dans le monde entier”, seraient parvenus au socialisme sans devoir passer à travers les horreurs d’une phase capitaliste d’autant plus féroce qu’elle était contrainte de brûler les étapes pour se mettre au niveau des économies les plus évoluées.
Rien de ce magnifique édifice n’a été conservé par l’opportunisme, depuis les années 1926‑27 durant lesquelles se joua le sort de la révolution chinoise. Dans les colonies, les partis soi disant communistes, surtout après la seconde guerre mondiale, loin de “se mettre à la tête des masses exploitées” pour en accélérer le détachement du bloc informe de plusieurs classes, constitués sous la bannière de l’indépendance nationale, se sont mis à la remorque de la bourgeoisie indigène et même de classes et potentats féodaux “anti impérialistes”, ou, quand ils ont pris le pouvoir, ont revendiqué le programme politique de la démocratie constitutionnelle, parlementaire et du multipartisme, “oubliant” de “mettre au premier plan la question de la propriété” et de procéder au moins à la confiscation sans indemnité des immenses terres des propriétaires fonciers (liés pour des raisons vitales à la bourgeoisie commerciale et industrielle, et par son intermédiaire à l’impérialisme même), en ne mettant jamais le jeune mais aguerri et très concentré prolétariat local à l’avant garde des masses paysannes et semi-prolétaires, vivant depuis des siècles dans une misère abjecte, afin de secouer ensemble le joug du capital. Dans les métropoles impérialistes, d’autre part, ils avaient abjuré les principes de la révolution violente et de la dictature prolétarienne, et, tombés encore plus bas que les réformistes de la Seconde Internationale, se sont limités, en France durant la dernière partie de la guerre d’indépendance algérienne comme en Amérique durant la guerre au Vietnam, à invoquer “paix” et “négociations”, et à réclamer aux gouvernements respectifs cette “reconnaissance formelle et purement officielle de l’égalité et de l’indépendance” des jeunes nations que la Troisième Internationale avait dénoncée comme un mot d’ordre hypocrite des “bourgeois démocrates déguisés en socialistes”.
La conséquence de cette perte de la perspective marxiste des doubles révolutions a été et est que les gigantesques potentialités révolutionnaires contenues dans des mouvements grandioses et souvent meurtriers, dont l’honneur a toujours été supporté par des millions de prolétaires et paysans pauvres, ont été gaspillées : dans les pays formellement indépendants, sont aujourd’hui au pouvoir des bourgeoisies avides, corrompues et vampires, d’autant plus disposées à se rallier à l’ “ennemi” d’hier, l’impérialisme, qu’elles sont plus conscientes de la menace qui provient des masses exploitées des villes et des campagnes ; et désormais le capital qui n’a pas disparu des ex‑métropoles revient dans les terres où il avait été contraint à tourner les talons, au travers des “aides”, des prêts et du commerce des matières premières et des produits finis. Dans le même temps, la paralysie du mouvement révolutionnaire prolétarien et communiste dans les citadelles de l’impérialisme fournissait une apparente justification historique aux théories dégénérées maoïste, castriste et che guévarienne, qui se justifiaient dans des révolutions fantomatiques paysannes, populaires ou libertaires, comme l’unique voie de sortie du marais mondial du réformisme légalitaire et pacifiste. La plupart de ces mouvements, et il ne pouvait en être autrement, conduisirent à l’abandon de la voie maîtresse de l’internationalisme.
Mais comme l’internationalisme, renié par des partis qui se réclamaient de Moscou ou de Pékin, est destiné à renaître parce qu’il est enraciné dans les mailles d’une économie et d’un régime d’échanges de plus en plus mondiaux, viendra la fin de la revendication nationale. Dans les colonies, elle cimentait le front uni de toutes les classes, mais leur industrialisation forcée, la rapide transformation de leurs structures politiques et sociales, ne peuvent que remettre partout à l’ordre du jour la question de la guerre de classes et de la dictature prolétarienne, et donner au Parti Communiste International la tâche d’aider la jeune classe ouvrière autochtone du soi disant Tiers Monde à séparer définitivement son sort des couches sociales au pouvoir et à prendre la place qu’il a durement conquis dans l’armée mondiale de la révolution communiste.
Retour au programme communiste
Sur le plan programmatique, notre conception du socialisme se distingue de toutes les autres car elle postule la nécessité préliminaire d’une révolution violente, la destruction de toutes les institutions de l’Etat bourgeois, et la création d’un nouvel appareil étatique dirigé par un parti unique : celui qui aura préparé, unifié et conduit à la victoire les assauts prolétariens au vieux régime.
Mais, comme nous rejetons la conception d’un passage graduel et pacifique du capitalisme au socialisme sans révolution politique, c’est‑à‑dire sans destruction de la démocratie, nous repoussons aussi la conception anarchiste qui limite les tâches de la révolution au renversement du pouvoir de l’Etat existant. La révolution politique ouvre pour le marxisme orthodoxe une nouvelle époque sociale dont il importe de redéfinir les grandes phases :
Politiquement, elle est caractérisée par la dictature du prolétariat ; économiquement, par une survivance des formes spécifiquement liées au capitalisme : une distribution mercantile des produits, même de la grande industrie, et dans certains secteurs, surtout agricoles, une production de type parcellaire. Ces formes ne peuvent être dépassées qu’en vertu de mesures despotiques du pouvoir prolétarien : passage sous son contrôle de tous les secteurs à caractère collectif (grande industrie, grande agriculture, grand commerce, transports, etc..) ; mise en œuvre d’un vaste appareil de distribution indépendant du commerce privé, mais toujours fonctionnant, du moins dans un premier temps, selon des critères mercantiles. Durant cette phase, cependant, la tâche de la lutte militaire prévaut sur celui de la réorganisation économique et sociale, à moins que, contre toute prévision raisonnable, la classe vaincue à l’intérieur et menacée à l’extérieur renonce à toute résistance armée.
La durée de cette phase dépend d’une part de l’importance des difficultés que la classe capitaliste réussira à créer au prolétariat révolutionnaire, d’autre part de l’ampleur de l’œuvre de réorganisation qui dépend du stade atteint par l’économie et par la société dans chaque secteur, et dans chaque pays, et qui se présente donc plus facilement dans les pays plus évolués.
2) Phase du socialisme inférieur (ou phase socialiste)
Elle dérive dialectiquement de la première. Ses caractères sont les suivants : l’État prolétarien dispose désormais de tout le produit échangeable, même s’il subsiste encore un secteur de petite production ; c’est la condition pour passer à une distribution qui n’est plus monétaire, mais conserve encore un caractère d’échange, puisque l’assignation des produits aux producteurs dépend de leur prestation de travail, et s’effectue avec les bons de travail qui l’attestent. Ce système diffère substantiellement de celui du salariat qui lie le paiement du travailleur à la valeur de sa force de travail, creusant un abysse croissant entre la vie des individus et les possibilités et les richesses sociales : puisque parmi les besoins et leur satisfaction ne s’interpose plus rien, sauf l’obligation du travail pour tous les individus valides, tout progrès de la société, qui sous le régime capitaliste s’érige en puissance hostile à la classe productrice, au prolétariat, devient immédiatement un moyen d’émancipation pour toute l’espèce. On a toutefois encore à faire à des formes directement héritées de la société bourgeoise : “Mais pour ce qui est du partage de ces objets entre producteurs pris individuellement, le principe directeur est le même que pour l’échange de marchandises équivalentes : une même quantité de travail sous une forme s’échange contre une même quantité de travail sous une autre forme. Le droit égal est toujours ici, dans son principe...le droit bourgeois, bien que principe et pratique ne s’y prennent plus aux cheveux, tandis qu’aujourd’hui l’échange d’équivalents n’existe pour les marchandises qu’en moyenne et non dans le cas individuel. En dépit de ce progrès, le droit égal reste toujours grevé d’une limite bourgeoise. Le droit du producteur est proportionnel au travail qu’il a fourni ; l’égalité consiste ici dans la prestation comme unité de mesure commune” (Critique du programmes de Gotha, Marx (4).
Surtout, le travail continue à apparaître comme une contrainte sociale, mais cependant de moins en moins opprimante dans la mesure où les conditions générales du travail s’améliorent.
D’autre part, le fait que l’État prolétarien dispose des principaux moyens de production permet (après la suppression draconienne de tous les secteurs économiques inutiles ou anti sociales, qui a déjà débuté dans la phase transitoire) un développement accéléré des secteurs sacrifiés par le capitalisme, qui sont surtout la construction de maison et l’agriculture ; il permet plus encore une réorganisation géographique de l’appareil productif, qui mène à la suppression de l’antagonisme entre ville et campagne et à la constitution d’une seule unité de production à l’échelle au moins continentale. Il permet également l’intégration des petits producteurs dans la production sociale, grâce aux avantages que l’État prolétarien leur concédera, afin qu’ils acceptent le passage à des formes plus évoluées et concentrées de production, quand il disposera du monopole effectif de la production industrielle.
Enfin, tous les progrès ainsi réalisés constituent l’abolition des conditions générales qui, d’un côté, asservirent le sexe féminin à un travail domestique improductif et mesquin, et de l’autre confinent toute une fraction des producteurs dans une activité purement manuelle, faisant du travail intellectuel un privilège social, et consignant tout le patrimoine des connaissances scientifiques à une seule classe de la société. Se profile ainsi, outre l’abolition des classes dans les rapports respectifs des moyens de production, la disparition de l’attribution fixe de tâches sociales déterminées à des groupes humains déterminés.
3) Phase du socialisme supérieur (ou phase communiste)
Dans la mesure où il assume ces tâches, pour lesquelles il est né et qui transcendent sa fonction historique de prévention et répression des tentatives de restauration capitaliste, l’État prolétarien tend à disparaître en tant qu’État,c’est‑à‑dire en tant que trique aux mains d’une classe contre les autres classes, pour devenir un simple appareil d’administration des choses. Cette extinction est liée à la disparition des classes distinctes et opposées au sein de la société. Ce qui implique la transformation du paysan (ou de l’artisan) plus ou moins parcellaire en un véritable producteur industriel travaillant collectivement. On arrive ainsi au stade du communisme supérieur, caractérisé par Marx de cette façon : “Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui‑même le premier besoin vital ; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !"” (5). C’est‑à‑dire que chacun donnera selon ses capacités et recevra selon ses besoins. Tout le monde n’a pas les même capacité, ni non plus les même besoins.
Ce grand résultat historique dépasse la destruction des antagonismes entre les hommes dont les effets étaient l’inquiétude, l’insécurité “générale, particulière, pérenne” (Babeuf), destin de l’homme dans la société capitaliste ; c’est la condition d’une réelle domination de la société sur la nature, celle qu’Engels appelait “le passage du règne de la nécessité à celui de la liberté”, où le développement des forces humaines devient pour la première fois une fin en soi de l’activité humaine. “Le communisme, abolition positive de la propriété privée (elle‑même aliénation humaine de soi) et par conséquent appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme ; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social, c’est‑à‑dire humain, retour conscient et qui s’est opéré en conservant toute la richesse du développement antérieur. Ce communisme (…) est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Il est l’énigme résolue de l’histoire et il se connaît comme cette solution” (6) (Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844).
La reconstruction à l’échelle mondiale et internationale d’un parti politique prolétarien capable d’assurer la continuité de la politique révolutionnaire pourra devenir un fait historique effectif seulement lorsque les forces d’avant garde du prolétariat des pays avancés et sous développés s’orienteront sur les positions cardinales définies ci‑dessus. Le communisme orthodoxe se distingue de toutes les variétés d’extrémisme plus ou moins socialisantes, parce qu’il nie que l’évolution de la société moderne conduise à ce que les mêmes lois, qui dans la phase actuelle, substantiellement fasciste, de domination capitaliste, déterminent l’épuisement des luttes politique entre partis bourgeois, rendent également le prolétariat incapable de constituer un parti révolutionnaire. Le communisme orthodoxe affirme au contraire que la disparition des oppositions, même formelles, entre droite et gauche classiques, entre libéralisme et autoritarisme, entre fascisme et démocratie, fournit précisément la meilleure base historique au développement du parti résolument communiste et révolutionnaire.
La réalisation de cette possibilité est liée non seulement à l’explosion inévitable d’une crise ouverte à plus ou moins long terme, et sous n’importe quelle forme, mais aussi à l’aggravation objective des contrastes sociaux dans les phases d’expansion et de prospérité. Quiconque exprime le moindre doute sur ce point, doute en réalité des perspectives historiques de la révolution mondiale. Ceci s’explique par l’ampleur du recul déterminé par la dégénérescence de la IIIème Internationale, la seconde guerre impérialiste, l’extension mondiale et le renforcement qui en suivit du capitalisme, mais ceci ne fait que traduire le triomphe momentané du capital. Aujourd’hui, loin d’assurer l’éternité du régime, ce triomphe prépare en réalité, tout en la retardant, la plus violente explosion révolutionnaire de l’histoire.
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Le développement du parti ne peut obéir à des règles formelles du type de celles que de nombreuses oppositions anti‑staliniennes ont revendiqué sous le nom de “centralisme démocratique” et qui consistent à prétendre que la justesse de l’orientation dépend de la libre expression de pensée et de la volonté de la “base” prolétarienne et du respect des règles démocratiques et des canons électoraux pour la désignation des responsables aux différents niveaux. Tout en ne niant pas que la destruction des oppositions et les irrégularités de procédure aient effectivement servi à liquider en Russie et dans le monde la tradition révolutionnaire communiste, notre parti définit et a toujours défini essentiellement cette liquidation comme la liquidation d’un programme et d’une tactique que l’éventuel retour à de saines normes organisatives, réclamé par les trotskistes, n’aurait pas suffi à empêcher. De la même façon, pour le futur, plus qu’un statut comportant l’usage large et régulier du mécanisme majoritaire, nous nous fions à une définition sans équivoques et sans concessions des buts et des moyens de la lutte révolutionnaire.
Ou le parti réussit à sélectionner dans son sein des organismes aptes à appliquer sans hésitations son “catéchisme”, ou s’il n’en est pas ainsi, ce n’est pas le parti. Dans tous les cas, c’est cette sélection que l’on doit réaliser et non un quelconque modèle de fonctionnement interne. Ceci est contenu dans la formule centralisme organique, que notre courant d’abord et aujourd’hui le parti a toujours opposé et oppose à celle de centralisme démocratique. Elle met l’accent sur l’unique élément essentiel, c’est‑à‑dire le respect non de la majorité, mais du programme ; non de l’opinion individuelle, mais de la tradition historique et théorique du mouvement.
A cette conception correspond une structure interne – que les partisans impénitents des libertés individuelles et collectives pourraient qualifier de dictature des comités et même d’individus – qui en substance réalise la condition sine qua non de la persistance du parti comme organisme révolutionnaire : la dictature des principes. Cette condition réalisée, la discipline de la base aux décisions du centre est obtenue avec le minimum de frictions. Si la tactique du parti s’émancipe de l’autorité du programme, suscitant des tensions et des heurts, la dictature d’individus devient alors nécessaire avec des mesures disciplinaires pour en venir à bout, comme cela survint dans l’Internationale juste avant la victoire de Staline.
Le développement historique du parti de classe, montre, quelque soit l’époque de sa survenue, “le déplacement d’une avant garde du prolétariat du terrain des mouvements spontanés suscités par des intérêts partiels et de groupe à celui d’une action prolétarienne générale”. Ce résultat est favorisé non par une négation de ces mouvements élémentaires, mais au contraire par une participation de l’organisme, même embryonnaire, du parti aux luttes physiques du prolétariat. Le travail de propagande idéologique et de prosélytisme, qui suit naturellement la phase intra‑utérine de clarification idéologique, ne peut donc pas être séparé de la participation aux mouvements économiques revendicatifs. Sans jamais attribuer la valeur d’une fin en soi aux “conquêtes” syndicales, cette participation obéit à une double préoccupation : 1) faire de ces mouvements un moyen pour acquérir l’expérience et l’entraînement indispensables à une réelle préparation révolutionnaire du prolétariat, au moyen d’une critique impitoyable des prévisions, des postulats et des méthodes des syndicats et des partis de collaboration de classe qui les contrôlent ; et 2) à un stade plus avancé, participer et pousser à leur unification et leur dépassement révolutionnaire au travers de l’expérience vivante.
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Ces dernières décennies, les syndicats officiels se sont montrés de plus en plus imperméables à toute tentative d’unifier et de généraliser les luttes, et de plus en plus résistants aux poussées revendicatives provenant de la base. En conséquence les luttes les plus fermes et efficaces ont étés celles déclenchées et conduites en dehors du contrôle des grandes centrales syndicales. Les organismes syndicaux nés de ces luttes, que le Parti a soutenu et soutient par tous les moyens, et là où il est présent, sont riches d’expérience pour les prolétaires. Même si on ne peut exclure dans l’absolu que, dans un moment de forte mobilisation, la classe ouvrière puisse réussir à utiliser certaines structures périphériques et de catégorie des syndicats traditionnels pour une action de classe, ces derniers se présentent actuellement plus comme des agences de l’Etat bourgeois au sein de la classe travailleuse que comme des organes prolétariens de lutte économique, et sont donc de ce fait inutilisables.
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S’il est vrai que, aujourd’hui, tous les problèmes relatifs au développement du parti se posent dans une période historique de crise idéologique et pratique sans précédents au sein du mouvement international socialiste, c’est‑à‑dire malgré l’expérience passée, il suffit d’établir une loi : la reconstruction de la puissance offensive de la classe ouvrière ne peut être le résultat d’une révision, d’une mise à jour du marxisme, ou, moins que jamais, de la “création” d’une prétendue nouvelle doctrine ; elle ne peut être en effet que le fruit de la restauration du programme originel qui, face aux déviations de la Seconde Internationale, a été assurée par le parti bolchévik, et qui, face à celles de la Troisième, fut assurée par la Gauche marxiste italienne dans des conditions générales encore plus mauvaises. Quel que soient les secteurs dans lesquels la lutte pour le communisme est destinée à renaître, quel que soit la durée qui nous en sépare, le mouvement international futur ne peut qu’être le point d’arrivée historique de la lutte soutenue par ce courant, et il est probable qu’elle y ait à soutenir un rôle décisif même physiquement. C’est pour cela que dans la phase actuelle la reconstitution d’un embryon d’Internationale ne peut prendre qu’une forme : l’adhésion au programme et à l’action du Parti Communiste International qui fonctionne selon le principe du centralisme organique, exempt de toute forme de démocratisme.
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Le communisme est une exigence mondiale, absolue, de la société d’aujourd’hui. Tôt ou tard, les masses prolétariennes retourneront à l’assaut des forteresses du capitalisme en une immense vague révolutionnaire. La destruction de ces forteresses et la victoire du prolétariat ne peuvent surgir que si la tendance à la reconstitution du parti de classe s’approfondit et s’étend au monde entier. La constitution du parti mondial du prolétariat : voici le but de tous ceux qui veulent la victoire de la révolution communiste, contre laquelle luttent déjà les forces coalisées de l’Internationale bourgeoise.
1. Le Manifeste , chapitre 2 : Prolétaires et communistes
2. Marx en 1875 écrivit une critique acerbe du programme de Gotha intitulée : "Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand". Ce programme devait être présenté lors du congrès dans la ville de Gotha en février 1875 destiné à la réunification des deux organisations de la classe ouvrière allemande, l’Association Générale des Travailleurs fondée par Lassalle en 1863 et le Parti Ouvrier Social-démocrate dirigé par Bebel et W.Liebknecht fondé en 1869. Il ne fut tenu aucun compte des remarques de Marx et d’Engels ! Le passage est extrait de la glose 3 sur le partage du produit. La traduction provient du fascicule des Éditions Sociales 1966, Critique des programmes de Gotha (1875 : Marx) et d’Erfurt (1891 : Engels), p31.
3. La Plateforme politique du Parti Communiste Internationaliste d’Italie est parue en italien en opuscule en 1945 et en français dans "En défense de la continuité du programme communiste", 1985, Éditions "Le Parti Communiste" ; le texte se trouve également sur le site internet du parti.
4. "Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier Allemand (Gotha)", 1875 : paragraphe I, p 31, Éditions Sociales 1966.
5. Éditions Sociales, 1966, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt : Gloses marginales au parti ouvrier allemand,1875, p32.
6. Il s’agit du troisième manuscrit des Manuscrits de 1844 de Marx (Propriété et communisme : n°3, p87 Éditions Sociales,1962).