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Novembre 2013
Le grand nez de la France est en colère ! En quelques mois, les annonces de fermeture d’entreprises, principalement dans l’agro-alimentaire, se sont succédées avec leur triste cortège de chômage partiel, de fermetures définitive et de plans de licenciements en cours de négociation. Et cerise sur le gâteau, le gouvernement socialiste y ajoute la mise en pratique de l’écotaxe et ses aléas, dans les tuyaux depuis 2007 ! Patrons industriels et paysans, salariés de l’agro-alimentaire, associations culturelles, indépendantistes, et drapeaux bretons sont dans la rue. Le bonnet rouge est distribué à qui mieux en référence à celui que portaient les protestataires de la révolte bretonne contre la taxe imposée par Colbert en 1675 ! Et voilà nos social-traîtres au pouvoir, avec cinq ministres bretons dont le premier ministre, associés à leurs amis écologistes, naviguant à vue et tentant de rassurer cette terre rétive qui leur est électoralement acquise depuis quelques décennies.
La chronique du désastre est la suivante : juin 2012, le groupe volailler Doux est placé en redressement judiciaire (3 400 salariés, 24 sociétés) ; juillet 2012, PSA (industrie automobile) annonce la suppression de 1 400 poste à l’usine de Rennes sans parler des conséquences pour les sous-traitants ; le 30 août 2012, le volailler Tilly-Sabco décide de diminuer sa production de 40 %; en septembre 2012, le volailler Doux supprime 1 000 emplois ; juin 2013, le norvégien Marine Harvest, numéro un mondial du saumon fumé ferme deux de ses usines près de Carhaix (Finistère) et supprime 403 emplois ; en août 2013,l’abattoir de porcs Gad sacrifie 889 postes sur 1 700 et le volailler Tilby-Sabco 160 sur 400. Et le site du groupe télécoms Alcatel à Rennes devrait fermer en 2014.
Mais la Bretagne est-elle une zone sinistrée dans le panorama économique régional ? Loin de là, comme nous le montre la carte ci-dessous. Le capitalisme français s’est orienté dans les années 60 vers le pétrole bénéficiant de coût moindre par rapport au charbon, déplaçant l’industrie du nord-est vers l’ouest et le littoral atlantique, jusqu’alors peu industrialisé. Ceci entraînait un déplacement de l’industrie manufacturière vers l’Ouest, un effondrement de tout l’arc industriel nord-est (Nord Pas de Calais, Champagne Ardennes, Lorraine, Picardie, Franche Comté, région parisienne, Auvergne) dont certaines régions ne se sont jamais remises malgré les grandes luttes ouvrières des bassins miniers des années 75, en Lorraine et Nord Pas de Calais en particulier. Les deux grandes zones industrielles sont actuellement la Franche Comté et la région parisienne. De 1968 à 2008, la Bretagne s’est énormément développée devenant la première région de France pour l’industrie agro-alimentaire disséminée sur toute la région, et un point d’ancrage des technologie de l’information et de la communication ou high tec à Rennes, Lannion, Brest, de biotechnologies à Rennes et dans le nord ouest breton, et de l’automobile à Rennes. Depuis quelques années, la région est désormais rattrapée par la crise économique qui a sévi ailleurs. Malgré cela, la Bretagne affiche avec les pays de la Loire et l’Ile de France les taux de chômage les plus bas (9,4% contre une moyenne nationale à 10,9%) car il y a par ailleurs des créations d’emplois. D’autres régions sont bien plus pénalisées et depuis bien plus longtemps, comme le Nord Pas de Calais (14%), la Picardie, la Franche Comté, le Limousin et la Lorraine.
L’avalanche de plans sociaux en quelques mois en Bretagne a donc créé une onde de choc, et dans ce contexte l’écotaxe et la suppression (la diminution de ces aides a démarré en 2010) des aides européennes à l’exportation des produits agro-alimentaires sont venues mettre le feu aux poudres.
Carte des grandes régions industrielles françaises : (technopôles : villes avec beaucoup d’entreprise et des centres de recherche, des universités.)
En effet, l’écotaxe pour les poids lourds censée entrer en vigueur en janvier 2014 ne pouvait pas tomber plus mal. Elle cristallise l’opposition des patrons de l’agro-alimentaire, et donc ceux bretons, et du puissant syndicat patronal agricole, la FNSEA(Fédération Nationale des syndicats d’exploitants agricoles). L’écotaxe est issue du Grenelle de l’environnement de 2009 à l’initiative du président UMP, Nicolas Sarkosy. Cette taxe nationale touche les véhicules de transport de marchandises et a été agréée par les partis de droite à gauche, dans le but « avoué » est celui d’inciter les entreprises à privilégier des modes de transport moins polluants (dont le train et le fleuve). Le texte a été définitivement adopté en avril 2013 par l’Assemblée, avec le soutien des socialistes, des écologistes, des radicaux de gauche, tandis que la droite devenue soudainement moins enthousiaste, le Front de Gauche (Parti communiste et la « gauche » Mélenchon) se sont prononcés contre. Il faut que chaque poids lourds possède un GPS, s’enregistre auprès d’une société privée habilitée par l’Etat de télépéage, chargée de la mise en œuvre (portiques de détection sur le réseau routier « choisi » selon des critères « compliqués » et des exonérations selon les régions : 10 000 Km d’autoroute et routes nationales, 5 000 Km départementales et communales) et de la collecte de la taxe. Actuellement le coût du transport routier est compris entre 1,20 et 1,30 euros le km, et l’écotaxe devrait engendrer un surcoût de 13 centimes. Cette écotaxe devrait rapporter 1,2 milliards par an, mais, et c’est là que le bât blesse, 250 millions demeureront dans les poches des sociétés privées de télépéage, soit un coût de gestion énorme (plus de 20%) alors que les administrations publiques de collecte d’impôt ont des coûts de gestion aux environs de quelques pour cent ! Quant à la société choisie – le contrat a été signé sous le gouvernement précédent en 2011 pour une durée de 13 ans – elle représente un consortium européen, Ecomouv, mené pour 70 % par le groupe italien Autostrade (dont les principaux actionnaires sont Benetton et la banque US Goldman Sachs), et pour le reste, les français SNCF, Thalès, SFR. L’écotaxe n’est pas propre à la France, l’Allemagne et d’autres pays comme la Slovaquie (où la société choisie est française) ont également opté pour ce partenariat public-privé. Bref ! L’imposition devient internationale elle-aussi !
Salariés et patrons bretons sont donc dans la rue ! Mais certainement pas pour les mêmes raisons : les salariés perdent leurs emplois ou voient leurs conditions de travail se détériorer, les patrons de petites et moyennes entreprises se battent pour leur survie de classe. Les manifestations se succèdent depuis 2009 mais le rythme s’accélère avec les annonces successives de fermeture dès juin 2013: blocage de l’aéroport de Brest et de routes ; affrontements parfois violents avec la gendarmerie et les CRS ; incendies de portiques enregistreurs pour l’écotaxe ; déversements de choux-fleurs ou d’oeufs ; slogans anti-gouvernementaux. Le 29 octobre, le gouvernement fait un geste : l’écotaxe est suspendue mais non pas supprimée : les indemnités à verser à la société Ecomouv seraient encore plus importantes que pour une suspension... déclarent les représentants de l’ Etat !! A 5 mois des élections municipales et à 7 mois des européennes, les sociaux-démocrates se font du mourron et veulent donner des gages de bonne foi !!
Le samedi 2 novembre une manifestation est organisée à Quimper à l’appel de la FNSEA, FO, Medef, Front National de Marine Le Pen, le parti de droite UMP et réunit 30 000 personnes, salariés, patrons, élus de droite et d’extrême gauche (NPA trotskiste), associations culturelles bretonnes, indépendantistes d’extrême droite, des alternatifs. Et le même jour, la CGT, cherchant à reprendre les choses en main et à se démarquer du front de classe mené par les patrons, organise dans une ville voisine, Carhaix, une autre manifestation « sans patrons » soutenue aussi par d’autres syndicats comme FSU, Solidaires, PC du Finistère, Europe écologie, Le Front de Gauche, CNT (anarchiste), Lutte ouvrière (trotskiste), mais le rassemblement connaîtra moins de succès. Quant à la CFDT, l’UNSA, la Confédération paysanne, les militants PS, les écologistes bretons, tous ralliés à la majorité gouvernementale, ils appellent à ne pas manifester du tout.
Mais que se passe-t-il en Bretagne ?
Le secteur agro-alimentaire, qui représente 11% des actifs de la région, avec la production de 58% des porcs, 39% des œufs et 21% du lait de l’hexagone, est donc très touché. La Bretagne est la première région en ce qui concerne l’agro-alimentaire français. Mais la crise n’est pas nouvelle. Dans les années 60, ce secteur breton de l’agro-alimentaire représentait le tiers des actifs en Bretagne. L’agro-alimentaire constitue le premier secteur industriel français en chiffre d’affaire et en emplois soit en 2012, 13 500 entreprises dont 90% ont moins de 20 salariés, 495 000 personnes, 20% du chiffre d’affaire à l’export, et la crise entraîne chaque année des centaines de fermetures d’entreprises (220 en 2011, 320 en 2013). Si au début des années 2000, la France avait avec les USA la première place à l’exportation dans ce secteur, elle se trouve aujourd’hui au 5ème rang derrière les USA, les Pays Bas, l’ Allemagne et le Brésil.
La filière porcine française a commencé sa crise dans les années 1990 et depuis 2007 les coûts de production ont tellement augmenté qu’ils sont de plus en plus souvent au dessus du prix de vente ; il faudrait vendre le cochon à 1,8 euros le kilo à l’abattoir, or il est vendu 1,65. La France compte 12 000 éleveurs de porcs dont le tiers se trouve en Bretagne. Les subventions européennes qui permettaient aux producteurs de viande de souffler un peu à l’exportation viennent d’être supprimées et l’hécatombe s’accélère. De plus 70% des charges est destiné à l’alimentation des animaux, or le prix des céréales ne fait qu’augmenter, sans parler des multinationales des engrais et autres produits chimiques utilisés dans l’élevage et qui imposent leurs prix, et celles de la distribution qui achètent là où la viande est le moins cher, celle des multinationales de la viande : le porc allemand et les poulets brésiliens sont en effet moins chers.
En Allemagne, les multinationales de la viande comme le danois Danish Crown, le néerlandais Vion, l’allemand Westfleisch, se sont installés en Basse-Saxe et font travailler à haute productivité 142 000 personnes et 60 000 autres « louées » à d’autres nations ! En effet, parmi les mesures d’ « assainissement » social promulguées pour le « bien » de l’économie allemande il y a dix ans par le gouvernement social démocrate, bel ami des travailleurs, de Mr Schröder, le fleuron fut la législation sur les travailleurs « empruntés » aux pays voisins: l’employeur peut louer de la main d’oeuvre étrangère au tarif du pays d’origine. Et il ne s’en prive pas : roumains, bulgares, espagnols ont été ainsi extirpés de leurs pays en souffrance économique (ne parlons pas d’émigration volontaire !) et travaillent dans des conditions désastreuses, logés de façon sordide, pour des salaires horaires de misère de 2 à 5 euros dans les grandes usines de viande. Ah la prospérité allemande dont se glorifie la chancelière drapée de ses oripaux rigoristes et de sa réputation de bonne mère de la patrie !! Il faudra aussi qu’elle parvienne à faire oublier les 20% de la population active de bonne souche allemande qui se trouve précarisé, paupérisé, payé au lance-pierre, avant d’entonner l’hymne national de l’Allemagne réunifiée ! La France se distingue de l’Allemagne par des cotisations sociales plus élevées (15% du PIB contre 12,6% en Allemagne) qui sont supportées pour un tiers par les salariés contre la moitié en Allemagne. Cette dernière a diminué de moitié le taux de l’impôt sur les sociétés depuis dix ans et le poids de cet impôt n’est que de 0,64% du PIB en Allemagne contre 2,53% en France. De plus l’hexagone grèvent les coûts de production en amont par une série de taxes sur les salaires et prélèvement sur les transports. 52% des recettes fiscales françaises (surtout celles de la CSG prélevée sur le salarié) est affecté à la protection sociale contre 40% en Allemagne ; de ce fait les prestations sociales contribuent à réduire de 63% les inégalités en France. On comprend que le patronat français lorgne avec avidité du côté du « modèle » allemand !
Revenons à nos carcasses ! Car les multinationales européennes de la viande ont du souci à se faire ! L’agro-alimentaire est désormais le secteur clé de l’économie brésilienne. En effet, le Brésil est derrière la Chine en ce qui concerne les investissements directs à l’étranger ; la formation de multinationales, favorisée par la classe au pouvoir, a concerné les ressources minières, l’acier et l’agro-alimentaire. JBS Fribol avec ses abattoirs est devenu le premier industriel de produits carnés au niveau mondial à la suite de fusions et d’acquisitions d’entreprises aux USA, en Amérique latine, en Europe ; sa consoeur Marfrig Alimento a accédé au quatrième rang pour la production de viande bovine avec une forte présence en Europe (premier producteur de volaille en Grande Bretagne). Désormais les cinq géants mondiaux de la viande sont US et brésiliens !
Les salariés n’ont rien à attendre de cette guerre entre multinationales, si ce n’est des licenciements, des baisses de salaire et une aggravation manifeste de leurs conditions de vie et de travail. Quant aux petits patrons, nous marxistes, savons très bien que leur lutte est sans espoir et que la marche de la concentration du capital vers les monopoles est inexorable. Les travailleurs bretons doivent retrouver le chemin de la lutte de classe, bien distincte de ceux de leurs employeurs, s’armer d’une véritable organisation syndicale de classe et rejoindre leur parti, le Parti Communiste International.