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Et pour parvenir à leurs fins, il leur faut briser toutes les entraves à l’accumulation du Capital. Ah le libre échange dont se gargarisent les capitalistes ! C’est le rêve des entreprises et des multinationales, à qui le mot de nation ou de patrie ne posent plus aucun état d’âme ! Évidemment il a fallu que le Capital, parvenu au stade impérialiste depuis plus d’un siècle, contourne les égos nationaux, annule les protectionnismes obstruant la libre circulation des marchandises et des capitaux, manœuvre l’arsenal démocratique des élus et des électeurs à son avantage, et nous fasse croire, par la voix de nos politiciens vendus, que c’est pour créer des emplois et partager le profit !
Dès la fin du second conflit mondial, le monde capitaliste rajeuni par la guerre s’organisait encore mieux afin de favoriser la création de marchés de plus en vastes, et donc de favoriser la formation de monopoles de plus en plus nombreux et monstrueux. En Europe, il s’agissait de créer un marché européen qui conduirait à la Communauté économique européenne ou CEE, entité internationale, en 1965. Mais on commença avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951, puis la Communauté européenne de défense en 1952. Le discours avancé n’était pas celui de la réalité économique capitaliste et de la recherche de l’augmentation des profits, mais celui idyllique d’assurer la paix entre les Etats afin de mieux faire passer la pilule auprès des populations. La réalité était évidemment plus prosaïque et mercantile.
Depuis 1947 existait un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ou GATT, signé par 23 pays (120 pays en 1994) emmenés par les USA pour harmoniser les politiques douanières. Les accords de Bretton Woods de juillet 1944 avaient alors basé le système monétaire mondial sur le dollar américain. Avec ces accords, il ne s’agissait pas d’éviter une nouvelle guerre mondiale, qui dans cette phase ascendante de l’accumulation du capital ne se posait pas, mais une autre crise économique mondiale comme celle de 1929.
Avec la fin des « trente glorieuses » et la phase de crises qui s’est ouverte dont celle de surproduction internationale de 1975, les marchés devenus trop étroits, le GATT qui présentait trop de dérogations, trop de délibérés démocratiques, etc.., ne convenait désormais plus. L’Organisation Mondiale du Commerce ou OMC fut créée en 1994 pour offrir aux États un cadre de négociation un peu plus souple ; mais les conférences de 1999 à Seattle aux USA, au Qatar en 2001, avec 135 pays membres, et celle à Cancun au Mexique en 2003 étaient marquées par l’antagonisme entre les grands blocs impérialistes, surtout sur le dossier agricole. L’OMC discutait aussi pour un Accord général sur le commerce des services ou AGSC qui visait à ouvrir les services publics au privé, à mettre en concurrence les entreprises publiques et privées et donc à diminuer les subventions aux premières, et en 2005, la 6ème conférence de l’OMC à Hong Kong débouchait sur la suppression d’ici à 2013 des subventions aux exportations agricoles ( cf aux manifestations des agriculteurs et entrepreneurs agro-alimentaires bretons en 2013).
Déjà entre 1995 et 1997, un projet d’accord multilatéral sur l’investissement, AMI, avait été négocié secrètement par les 29 États de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui tentait d’introduire un système de compensation aux entreprises pour cause de droit au travail trop contraignant ou de normes environnementales jugées abusives. Ce projet d’accord découvert, une vague de protestations bruyantes avait contraint ses promoteurs à le mettre de côté.
Il fallait donc se passer de l’OCDE, trop voyante, et faire au plus vite sous prétexte d’un sauvetage économique pour les travailleurs, d’emplois pour les chômeurs, de profits pour les entreprises en difficultés, sans trop évoquer les surprofits pour les multinationales et les malheurs qu’engendreraient ces accords pour les travailleurs, les petits entrepreneurs, et la population en général. Au conseil européen d’octobre 2012, les dirigeants européens s’engageaient à lancer des négociations de libre-échange entre l’Europe et les USA. Ces négociations s’ouvraient officiellement le 13 février 2013 et une commission conduite par le commissaire au commerce de l’UE, le belge Karel de Gucht, était nommée pour négocier avec les USA un Traité pour un Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement ou PTCI (Transatlantic free trade area, TAFTA, pour les Américains, plus pragmatiques), donc à l’insu des députés nationaux démocratiquement élus. Des réunions eurent lieu régulièrement entre les membres de cette commission et les multinationales et lobbies financiers : il s’agit bien de se débarrasser des politiques nationales « superflues », de toute forme de régulation du marché ou de protection des citoyens dans le domaine du travail et de la santé. En juin 2013 les négociations se poursuivaient et la France obtenait qu’en soient exclus les services audiovisuels ( exception culturelle française oblige !).
Une première étape importante est la conclusion le 18 octobre 2013 des discussions sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, engagées en 2008 ; ce qui était de bon augure pour l’accord de partenariat en cours de négociations avec les USA. Il s’agit d’un premier accord économique et commercial « global » de libre-échange entre l’Union européenne et un pays du G8, le Canada : les droits de douane sont supprimés sur 99 % des biens échangés et les services (financiers : banque et assurances, télécommunications, énergie transport ; exception faite pour la santé, l’audiovisuel et l’éducation) et les investissements sont « libéralisés » ; évidemment selon les portes voix, cet accord va créer des emplois pour les entreprises des deux pays, augmenter les échanges en prenant pied chez les voisins. Par exemple, le marché européen ouvre ses frontières à la viande de bœuf canadienne (aux hormones et aux OGM) et le Canada aux fromages européens. Les producteurs de lait canadiens et ceux européens de viande de bœuf doivent faire grise mine.
Les représentants de l’UE et ceux des USA se sont rencontrés à Bruxelles en novembre et à Washington en décembre 2013. Les tractations vont bon train et devraient aboutir en 2015. Les délégations américaines comptent plus de 600 consultants mandatés par les multinationales, et il doit bien en être de même du côté européen. Les négociations, visant à supprimer des normes et à brader des secteurs importants, marchands et non marchands (sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance maladie, protection de la vie privée et donc d’internet, droits d’auteur, formation professionnelle, immigration, régulation des produits financiers et des banques) se déroulent derrière des portes closes pour ne pas « affoler » la population. Les décisions prises concernent pourtant les États nationaux et leur législation « devenue inadéquate », les conseils municipaux, les élus qui devront redéfinir leurs politiques publiques, et les électeurs... Nos politiques devront à leur tour, après ces accords, négocier officiellement cette fois-ci avec les entreprises, enfin celles qui resteront dans la compétition, pour qu’elles se mettent aux normes...
L’accord balaierait les règles sanitaires européennes en acceptant les normes minimalistes américaines sur les aliments, les énergies, sur les pollutions de l’air, internet, etc... En autorisant le bœuf aux hormones, le porc à la ractopamine (utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre, ce médicament est banni dans 160 pays, dont l’Europe, la Russie et la Chine), le poulet chloré, des taux d’insecticides élevés dans l’alimentation, l’absence complète de transparence sur les aliments issus des cultures OGM, voire même leur origine. Il faut que le consommateur choisisse le produit en fonction de son coût et non plus de sa qualité. La multinationale Monsanto se frotte les mains car elle va pouvoir écouler en Europe ses multiples produits OGM, après l’avoir arrosé de son insecticide assassin, le Round up.
Il est envisagé de créer un tribunal « privé », – de véritables tribunaux spéciaux composés d’avocats qui n’ont de comptes à rendre à aucun électorat –, pour le règlement des différends entre États et multinationales. En effet ces dernières auront le droit de porter plainte contre les États pour exiger des dommages et intérêts quand une politique publique s’opposera à leurs profits ou diminuera la valeur de leurs investissements (le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique » vers le charbon ; l’État canadien a préféré abroger l’interdiction d’un additif toxique utilisé par l’industrie pétrolière plutôt que de risquer un procès). On évite ainsi l’OMC qui a pourtant infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM). Désormais les multinationales se passeront de l’OMC et pourront attaquer en leur propre nom. Ainsi, un État pourrait être poursuivi par des compagnies pétrolières s’il refuse d’exploiter des hydrocarbures (huile et gaz de schiste) par la technique extrêmement polluante de la fracturation hydraulique, ou de privatiser ses services publics (transports routiers et ferroviaires, énergie nucléaire…) ; une municipalité pourrait être poursuivie pour entrave à la liberté du commerce si elle s’oppose à la privatisation de l’eau ou propose des produits biologiques à la cantine scolaire ! Quant à la « liberté » sur internet, il s’agit ni plus ni moins que d’autoriser l’utilisation par les firmes privées des données personnelles, alors que le scandale de la NSA bat son plein : la vie privée ne compte plus (enfin !) face à la possibilité d’augmenter les profits grâce à une publicité qui viserait mieux sa proie ! Plus d’entraves au libre-échange, aux profits, à l’accumulation du capital ! Un véritable « Mai 68 » du Capital !
Il s’agit ainsi d’une extorsion légalisée, comme l’écrit le Monde Diplomatique de novembre 2013, les entreprises étrangères et les multinationales européennes et américaines (3300 entreprises européennes sont présentes aux USA, et 14 400 compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cent filiales) pouvant se lancer dans une chasse aux trésors publics ; et qui alimentent le trésor public, si ce n’est principalement les travailleurs salariés, les payeurs d’impôts en tout genre : TVA, CSG, etc ?
Mais en réalité ces accords commerciaux, ces nouveaux droits, ce sont les États qui les organisent. Et ce que ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre les petits bourgeois qui se lamentent de cette situation, c’est que ces États sont les défenseurs des intérêts de classe de la bourgeoisie et des lois économiques du mode de production capitaliste. Et tant que l’on ne renversera pas la bourgeoisie et que l’on ne démantèlera pas son appareil d’État, tant que l’on n’abolira pas les rapports de productions capitalistes – le salariat et le capital – permettant ainsi le libre développement du mode de production communiste, il ne pourra pas en être autrement !
Et le gouvernement US, qui travaille pour ses multinationales comme tous les autres gouvernements, n’en est pas à son premier coup d’essai. En 1994, l’accord de libre échange nord américain (USA, Canada, Mexique) ou ALENA a été lancé sous la présidence Clinton qui promit la création de millions d’emploi aux USA. En fait cet accord conduisit à une exacerbation de la concurrence et l’importation de produits étrangers qui ruina les petites entreprises de chacun des pays ; un million d’emplois fut détruit aux USA sans parler de la baisse des salaires, des fermetures d’usines pour aller ouvrir au Mexique. Au Mexique, des millions de petits paysans mexicains furent contraints de rejoindre les bidonvilles, ne pouvant rivaliser avec le maïs subventionné et transgénique provenant des USA ; en outre, l’augmentation du prix du maïs, aliment principal dans ce pays, conduisit aux émeutes de 2007, et le Mexique, jusqu’alors auto-suffisant en maïs, devint importateur de cette céréale. Et ça continue avec l’accord bouclé entre les USA et ses voisins du Pacifique (Australie, Chili, Canada, Malaisie, Mexique, Nouvelle Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam, Japon) imposant de nouveaux droits supranationaux aux entreprises, l’Accord du Partenariat Transpacifique, PTP. Son but est d’atteindre des droits de douane égaux à zéro pour les pays de cette zone pour tous les échanges de biens, de services, de propriété intellectuelle, etc. Les négociations ont été menées par Islam Siddiqui, américain (originaire d’Inde) qui servit l’administration Clinton de 1997 à 2001 au département de l’agriculture et demeure le principal négociateur dans ce domaine pour les USA. Il a été vice président de Croplife America (organe de lobbying des entreprises de biotechnologies dont Monsanto, spécialisé dans les biotechnologies agricoles, est l’un des leaders), et est opposé à toute politique d’étiquetage des produits, comme celui précisant la présence d’OGM. Mais tout cela n’intéresse guère les négociateurs de l’Union Européenne, créée dès son origine pour favoriser les grandes entreprises et le marché supranational de marchandises d’abord, puis tout ce qui peut favoriser le profit et libérer le capital des quelques entraves nationales.
Que peuvent faire les « citoyens » maigrement informés de ce qui se trame ? En France, des organisations comme ATTAC (mouvement altermondialiste), des mouvements écologistes dont le parti des verts – qui en voulant concilier capital et écologie va de reculade en trahison –, des organisations paysannes, quelques partis comme le NPA (ex-Ligue, trotskiste), le Front de Gauche avec le parti communiste, quelques syndicats comme FSU (fonction publique), en appellent aux citoyens – surtout pas aux travailleurs – et tentent d’organiser une « rébellion » comme celle qui a conduit à l’annulation des négociations de 1997. Une manifestation a eu lieu en novembre 2013 dans quelques villes de France réunissant des centaines de manifestants. Mais cette fois-ci, nos politiciens, encore plus empêtrés et incapables de solutionner les effets de la crise économique mondiale, se sont engouffrés dans ces derniers accords comme s’ils étaient la dernière bouée de sauvetage. Ils ne reculeront pas aussi facilement.
Il faut que les patrons d’entreprises et les représentants des multinationales, ainsi que leurs valets aux commandes des États, soient bien aux abois pour laisser tomber le masque de la démocratie, pour court-circuiter ce système juridique et politique qui noie les rapport de classe dans le marais insipide des couches moyenne, pour ignorer dédaigneusement cet engrenage électoraliste attribuant à n’importe quel citoyen le droit à la parole au travers de l’élu de « son cœur » ! Les législations nationales luttant timidement contre la concurrence étrangère, les législations sur les conditions de travail des salariés acquises au travers de dures luttes, les politiques préventives pour tenter de limiter les dommages sanitaires dans l’alimentation et l’environnement, tout ce modeste arsenal c’est encore de trop pour la faim en plus-value 1 des entreprises, des multinationales. Ces dernières prisent dans le vortex de la crise de surproduction mondiale n’ont pas d’autres alternatives que la fuite en avant. Il s’agit de faire sauter les dernières barricades, d’écrémer au maximum toutes les possibilités de profit et de surprofit, sur tout ce qui bouge, respire et se vend : marchandises, produits agricoles, services, internet, l’air, l’eau et le feu, et par conséquent de faire trimer encore plus le prolétariat pour augmenter le taux de profit, et de faire payer plus cher le consommateur, qu’il soit un prolétaire ou un petit bourgeois, afin d’encaisser un surprofit : aggraver les conditions de travail, diminuer les salaires, augmenter le prix des denrées alimentaires et de l’énergie. Empoisonner le pain, l’air et l’eau par toutes les chimies possibles et imaginables, ruiner les agricultures locales et avec elles les agriculteurs, petits et moyens, transformer les prolétaires en des machines à produire surtout du profit et du surprofit... Voici le non avenir que nous proposent les diktats du Capital.
Ce traité transatlantique dont sont à l’origine les multinationales mondiales et, derrière elles, le Capital et ses lois économiques, permettrait donc de dépasser définitivement et drastiquement les obstacles que sont désormais les systèmes démocratiques – ce qui pour nous marxistes débarrasserait enfin le prolétariat de ses illusions électoralistes vénéneuses –, les lois et les tribunaux nationaux, voire de s’y substituer totalement en attaquant avec des tribunaux privés les États s’ils ne se pliaient pas aux lois du profit de l’entreprise et donc du capital en général.
Mais tous les accords secrets ou publiques, illégaux et légalisés, n’aboutiront pas à un monde « harmonieux » où les classes bourgeoises de toutes les nations s’entendraient à merveille pour exploiter leur prolétariat. En effet, la course à la formation de monopoles monstrueux n’évitera pas pour autant d’aviver la concurrence entre les grands pays impérialistes qui, sous l’effet des crises de surproduction incontrôlables, seront amenés, voire contraints, à un affrontement international, entraînant avec eux les petites nations forcées de choisir un camp. Aujourd’hui, ces accords excluent la Chine, le grand rival désormais sur le plan économique et militaire des USA. Et la Chine aussi a des ambitions fondées sur une force économique énorme ; les tensions en Asie entre le grand dragon et ses voisins, notamment le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, qui ne font que croître sont là pour nous le rappeler. Pour rajeunir le Capital qui a épuisé son cycle d’après guerre et dont l’accumulation tend vers zéro, un bain de sang semble inéluctable.
Rien, ni assemblées de citoyens, ni même un État, ne peut freiner la course folle du capital, qui dans cette période de crise, voit sombrer ses taux de profit et donc l’aliment essentiel de tout son système. Rien, ni personne, sauf le prolétariat qui est le seul en mesure de lutter contre l’ennemi de classe et d’empêcher la survenue d’un troisième conflit mondial ! C’est lui qui va payer la plus grosse facture en voyant ses conditions de vie et de travail se détériorer toujours plus. A cet ultime assaut des forces bourgeoises, à l’organisation internationale du Capital, les prolétaires doivent répondre par des organisations économiques internationales des travailleurs et retrouver dans le Parti Communiste International leurs traditions séculaires de lutte, de théorie et de tactique révolutionnaires !
1. Dans l’économie marxiste la source de la valeur c’est le travail de l’ouvrier. La valeur d’une marchandise correspond au temps de travail social moyen nécessaire à sa production. Cette valeur se divise en 3 parties : une première section correspond à la valeur des matière premières – le capital constant – qui entre dans la composition de la marchandise et qui ont été produites dans des procès de production antérieurs, une deuxième section correspond au salaire, encore appelé capital variable, puis enfin la dernière partie correspond à la plus-value, la source du profit de l’entreprise. Comme on peut se rendre compte arithmétiquement, plus le salaire est petit et plus la plus-value – et donc le profit – est grande. Évidemment les économistes bourgeois, qui sont en fait des apologues, nient la loi de la valeur. Ce qui fait qu’ils sont incapables de comprendre l’origine des crise des capitalisme.