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La greve des cheminots français
Après d’autres grandes entreprises publiques comme les PTT (postes et télécommunications) et GDF (gaz) EDF (électricité), la bourgeoisie française s’attaque désormais au secteur ferroviaire pour lequel ce n’est pas son premier coup d’essai. Le procédé est toujours le même : casse de l’entreprise publique en plusieurs tronçons puis privatisations de ses activités rentables.
L’entreprise du rail ou SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer) a été créée en août 1937 entre l’Etat et les compagnies privées de l’époque ; l’Etat possédait 51% du capital jusqu’en 1982 où l’ensemble de la SNCF revient à l’Etat et devient un Entreprise Publique Industriel et Commercial (EPIC).
En 1990, la directive européenne relative au développement des chemins de fer communautaires demande aux pays membres de modifier la situation des entreprises ferroviaires pour les ouvrir aux entreprises des autres membres : assainir leur situation financière, les rendre indépendantes de l’Etat, séparer la gestion de l’infrastructure ferroviaire de celle de l’exploitation. Cette directive sera modifiée en 2001-2004 avec de nouvelles directives qui prévoient l’ouverture de l’accès au réseau transeuropéen du fret ferroviaire (RTEFF), la définition des conditions d’attribution des licences permettant l’exploitation de services de fret ferroviaires sur le RTEFF, puis des directives relatives à la sécurité au vue de la désastreuse expérience britannique (certification des conducteurs, droits des passagers, ouverture du marché pour les services de voyageurs, etc...). En 2005 le Parlement européen se prononce pour une libéralisation du service voyageur international pour 2008 puis en totalité pour 2012, mais en raison des réactions très hostiles, Bruxelles en resta à l’international pour 2010. En 2014, le parlement européen se penche désormais sur la « libéralisation » du transport voyageur, et la bourgeoisie française, après celle de nombreux autres pays européens (Grande Bretagne, Allemagne, Italie) se met à la tâche.
Le fameux « statut des cheminots » qui représente l’épouvantail agité par les classes dominantes et donc la cible de la haine des médias, n’a pas été acquis, comme toute la législation du travail, sur le papier mais arraché à la bourgeoisie dans des mouvements durs. Dès 1909, les sociétés privées ferroviaires adoptent un régime unifié de retraite ; en 1919, la loi institue les conventions collectives dont la première application se fera chez les cheminots, et en mai 1920, est mis en place le premier statut des cheminots. En 1950, un décret précise le statut des cheminots au sein de la SNCF. En 1968 la CGT signe un accord-cadre sur des améliorations sociales.
Mais depuis 1975 la crise économique du capitalisme s’est aggravée et le monde des travailleurs doit faire face à une attaque en règle. La SNCF ne fut donc pas épargnée.
En décembre 1995 le projet de réforme des retraites des cheminots et des travailleurs en général, lancée par le gouvernement Juppé, se traduit par une longue grève qui fait reculer le gouvernement de l’époque et perpétue l’aide publique destinée aux réduction pour familles nombreuses et militaires, et à divers services ferroviaires (fret, transports régionaux, etc.). En 1997 est créé un autre EPIC, le Réseau Ferré de France (RFF), propriétaire de l’infrastructure et décideur en matière d’aménagement ; il reçoit également la charge de la dette liée à l’infrastructure tandis que la SNCF doit acquitter à RFF une redevance pour l’utilisation des voies et de la partie ferroviaire des gares. Et bien que la gestion de la circulation et l’entretien du réseau soient de la compétence de RFF, en pratique c’est la SNCF qui exécute de ces tâches pour le compte de RFF dans le cadre d’une convention entre les deux EPICS. Il est aussi décidé de la régionalisation qui donne aux régions la responsabilité de définir leurs besoins en leur transférant les financements de l’Etat. Cette régionalisation (création des transports régionaux TER) sera généralisée à toutes les régions en 2002. En 1999 un décret définit la réglementation du travail SNCF (RH0077) et instaure les 35h et l’organisation du travail dans de bonnes conditions contribuant à améliorer les condition de vie et de travail des cheminots (repos, travail de nuit, durée du travail effectif).
La société ferroviaire française a déjà connu depuis une décennie des coupes sombres en nombre de salariés. Elle est divisée en deux EPICS avec l’introduction d’entreprises privées ou filiales (elle en compte aujourd’hui plus de 650) : le premier est le RFF qui regroupe toutes les activités non rentables et qui coûtent cher (aiguillage, entretien des voies) avec un tiers des cheminots (50 000 sur les 150 000 actuels) ; la deuxième EPIC est la SNCF qui regroupe toutes les activités rentables (commerciales) comprend 90 000 à 100 000 cheminots. Certaines des filiales SNCF sont très rentables et même en concurrence direct avec le transport ferroviaire, comme Geodis – qui appartient à la SNCF – le plus grand transporteur routier d’Europe, présent dans 120 pays. D’autres filiales comme Itiremia s’occupent de l’accueil voyageur dans les gares, et VFLI partage avec SNCF-fret le transport de fret dans de nombreuses gares.
Il s’agit désormais, sous l’injonction de Bruxelles et donc du capital international, de passer à la vitesse supérieure. Rentabiliser l’entreprise pour participer à la concurrence internationale et régler le problème de sa dette d’un montant de 41milliards d’euros. Le texte de la réforme annoncée devait être discutée à l’Assemblée nationale le 16 juin.
Le mécontentement des cheminots était déjà bien palpable depuis des années, en raison des suppressions de poste massives, du management agressif, de la disparition progressive de postes de vente de billets, etc. ; et ces derniers mois, des grèves de 24 h et la manifestation du 22 mai 2014 dernier à Paris avec 22 000 personnes (selon les syndicats) n’ayant pas permis d’ouvrir des négociations avec le gouvernement, les syndicats CGT-cheminots et SUD-rail lance un préavis de grève reconductible pour le 10 juin 19h. Les assemblées générales locales votent chaque jour la reconduction de la grève.
Les quatre syndicats représentatifs – et donc participant aux négociations avec les patrons – à la SNCF sont aux dernières élections professionnelles de mars 2014 la CGT avec 35,6%, l’UNSA (cadres) 22,9%, SUD-rail (issu de la grève de décembre 95 après la trahison de la CFDT)16,9 %, CFDT 14,7%.
Pour la CGT‑cheminots et SUD-rail, la réforme a deux objectifs. Le premier est une réforme de structure qui fait éclater la SNCF en trois entreprises ou EPICS : un EPIC dit SNCF‑réseau (RFF) qui comprend toutes les activités non rentables ; la 2ème ou SNCF‑mobilité conserverait toutes les activités rentables et qui serait donc privatisable par morceau ; la troisième ou EPIC de tête serait constituer de quelques milliers de cadres pour diriger tout le groupe et ses filiales. En séparant les activités rentables de celle non rentables, tout ce qui correspond par exemple à l’entretien des voies ne serait pas compensé par les ventes de billets ; ce fait entraînerait des restructurations aboutissant à un entretien plus limité des voies. On en a vu les conséquences avec la catastrophe du 12 juillet 2013 en gare de Brétigny sur Orge, et lors du déraillement d’un wagon de déchets nucléaires à la gare de triage de Drancy le 23 décembre 2013. En effet, les brigades de l’entretien des voies, en raison de suppressions de poste, espacent leur passages de maintenance.
Le deuxième objectif touche la réglementation
du travail et vise donc à la remise en cause du fameux « statut
des cheminots » et du RH0077. Aujourd’hui, il y a deux statuts
dans le ferroviaire ; celui des cheminots SNCF (environ 150 000
salariés) et celui des cheminots du secteur privé (environ 5 000
salariés) de la SNCF qui ont plus de jours de travail dans l’année,
des amplitudes horaires plus larges, des repos moins nombreux et plus
courts. Le texte prévoit une convention collective pour tous avec
des conditions moins « avantageuses » pour les salariés
SNCF. Face à cette attaque, les grévistes réclament que les
travailleurs privés obtiennent le même statut que le leur,
ce qui est évidemment la seule réponse de classe à faire. La
plate-forme unitaire CGT‑SUD-rail est la suivante :
– réintégration du système ferroviaire dans
un seul EPIC ;
– arrêt du processus de privatisation mené
par la direction SNCF ;
– non remise en cause et amélioration de la
réglementation du travail des cheminots ;
– la reprise de la dette publique du système
ferroviaire par l’Etat.
En effet le problème de la dette SNCF que la bourgeoisie voudrait faire payer aux travailleurs du rail avec 1,7 milliards d’euros d’intérêt par an revient à l’Etat puisqu’elle concerne l’aménagement du territoire, les travaux pour les TGV et les emprunts réalisés à la demande de l’Etat.
La grève a été reconduite ce mercredi 18 juin ; et après 8 jours de grève, la direction de la SNCF reléguée par les médias aux ordres du pouvoir, annonce que la grève ne concerne plus que 11,8% des cheminots, sans insister sur le fait que de nombreux cadres ont dû mettre la main à la pâte et remplacer au mieux les postes clé comme ceux de la conduite des trains. Les syndicats UNSA et CFDT ont comme d’habitude pactiser avec le patronat. Nous adressons aux travailleurs du rail en grève toute notre solidarité de classe, dans cette lutte inégale, condamnée par le pouvoir en place et leurs sbires médiatiques, et dans un contexte sociale amorphe et abruti par les attaques incessantes des conditions de vie de tous les travailleurs.