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Pour la mort de Fidel Castro BILAN D’UNE RÉVOLUTION NATIONALE FAUSSEMENT SAUPOUDRÉE DE SOCIALISME
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Notre courant, dans son histoire désormais ultra-séculaire, s’est constamment caractérisé par une profonde aversion vis-à-vis de toute forme d’exaltation des individus, par le rejet de toute idolâtrie des chefs brillants, d’ « hommes providentiels », et de l’idée qu’un homme particulier, même s’il se trouve à la tête de la nation la plus puissante du monde, peut changer par ses choix le cours de l’histoire. De la même façon, nous sommes opposés à toute forme de démonisation des représentants politiques au service de la classe bourgeoise, non parce qu’ils ne méritent pas notre mépris le plus cordial, ou parce qu’ils sont animés d’un humanitarisme hypocrite, mais parce que nous ne les considérons pas en mesure, quelque soit l’iniquité dont ils sont capables, de provoquer des effets plus néfastes que ceux provoqués par les rapports de force objectifs entre les classes.
C’est pourquoi, à l’occasion de la mort du cubain Fidel Castro Ruz, peu nous importe de juger l’homme et ses affaires personnelles mais plutôt de profiter de l’occasion pour faire une évaluation marxiste de la nature de la « Révolution » cubaine, et dresser le bilan de presque soixante ans de ce régime. Notre but est celui de déboulonner les mythes et les mensonges qui brouillent et désorientent de nombreux prolétaires, aveuglés par le mirage d’un prétendu ordre social socialiste qu’abriterait l’île caribéenne.
Le renversement politique qui amena au pouvoir les castristes en 1959 fut le résultat d’un mouvement de caractère anti-colonial, né de l’opposition à la domination économique des USA, qui s’était progressivement imposée sur l’île à partir de 1898, année de son indépendance de l’Espagne. Ce mouvement anti-colonial ne s’était jamais proposé d’aller au-delà de l’horizon politique, économique et social bourgeois, et le régime qui en jaillit ne tenta jamais de renverser les bases capitalistes de la société cubaine.
Le capitalisme s’était implanté à Cuba depuis plusieurs décennies, lorsque le « Mouvement du 26 Juillet » (créé en 1955 à la suite de l’échec sanglant du mouvement du 26 juillet 1953), guidé par Fidel Castro, prit le chemin qui devait le porter au pouvoir. Le mouvement anti-colonial cubain se caractérisait par l’absence de lutte contre les structures sociales traditionnelles, à la différence des révolutions bourgeoises qui secouèrent entre le milieu des années 1950 et le début des années 1960 de vastes zones de l’ Asie et de l’ Afrique.
Cependant la jeune bourgeoisie cubaine, élevée dans la soumission au capital américain, trouva, dans son histoire et dans les forces suscitées par l’accumulation capitaliste, la détermination de séparer son sort de celui du puissant voisin.
Si la direction du mouvement national anti-colonial resta solidement dans les mains bourgeoises, ce fut le prolétariat cubain qui s’engagea majoritairement dans des luttes courageuses et généreuses contre le régime délabré du dictateur Fulgencio Batista, protecteur des intérêts économiques américains depuis 1933.
Le prolétariat ne réussit pas à arracher à la bourgeoisie la direction du mouvement anti-colonial en raison de deux facteurs : 1) l’absence de parti communiste, qui seul peut indiquer à la classe ses tâches et intérêts historiques ; 2) un contexte international dans lequel la classe ouvrière des métropoles capitalistes, paralysée par l’hégémonie politique et idéologique du stalinisme et du réformisme, ne fut pas en mesure de secouer le joug de la domination de sa propre bourgeoise pour s’unir aux luttes des peuples coloniaux et des pays économiquement dépendants, comme celles de l’Île caribéenne.
Les couches prolétariennes et sous-prolétariennes des campagnes et des villes jouèrent un rôle très important dans le processus qui amena au renversement du régime de Batista, en raison de leur considérable importance numérique et leur poids dans la composition de la société cubaine de l’époque.
Nous écrivions ainsi en 1961, à la réunion de Rome du 3 et 4 mars : « Victime d’un capitalisme anormal, fondé sur un régime semi-esclavagiste de gros propriétaires fonciers, se trouvait à Cuba un vaste prolétariat et semi prolétariat très exploité et vivant dans des conditions d’indigence extrême. Sur une population active d’environ deux millions d’individus, un million et demi était et est constitué par de purs salariés dont 800 000 agricoles, les classes moyennes, constituées d’entrepreneurs artisanaux et de professionnels, n’en comptant qu’un demi million (...) Environ 500 000 ouvriers agricoles qui ne travaillent que quatre mois par an, au moment de la récolte, dépendent de l’industrie sucrière ; le chômage atteint lors du « temps mort » saisonnier les 15-20 %. Grâce à l’importation de traditions anarcho-syndicalistes espagnoles, la main mise capitaliste rapide sur l’économie indigène entraîna le regroupement des salariés en organisations syndicales ».
Ces ouvriers agricoles très pauvres, éléments d’instabilité permanente et rebelle à la paix sociale, furent déterminants dans le heurt qui opposa le mouvement castriste au régime de Batista, et qui se manifesta dans la « guerre de guérilla » des campagnes. La révolution cubaine fit aussi levier sur la lutte urbaine – cet aspect ayant été sous évalué par l’hagiographie castriste et guévariste – qui vit la classe ouvrière s’activer par des actes de sabotage, des actions violentes et surtout par l’arme prolétarienne par excellence de la grève. Mais la bourgeoisie cubaine sut utiliser pour ses propres buts d’affirmation nationale l’engagement de la classe ouvrière cubaine dans la lutte contre le régime de Batista.
La culture de la canne à sucre avait un rôle central dans l’économie cubaine, si bien qu’en 1957 le sucre dépassait les trois quarts du total des exportations. L’anarchie de la production capitaliste mondial et le rôle imposé à Cuba par la division internationale du travail avaient imposé cette monoculture qui s’était enracinée avec l’affirmation des intérêts du capital des USA.
Ce processus ne s’était pas passé sans douleur également en raison des crises périodiques provoquées par les oscillations des cotations internationales du sucre qui connurent parfois des chutes brutales comme dans les années 1920 quand le prix s’écroula de plus de 75 %.
A la moitié des années 1950, la plus grande partie des terres cultivées appartenait à des propriétaires américains, et les deux tiers du produit raffiné sortait d’usines sucrières américaines.
En outre, dans l’article « La signification de la révolution cubaine à la lumière du marxisme » publié dans Il Programma Comunista n°20 de 1961, on peut lire que « Cuba devait importer tout ou presque tout de la voisine américaine : des produits manufacturés aux denrées alimentaires. Les matières premières exportées vers les USA revenaient à Cuba sous forme de biens de consommation après y avoir subi les processus industriel de transformation. Cet « état de vassalité au colosse étranger » peut être illustré par un rapide examen de la balance des paiements. Pour toute la période de la seconde dictature de Batista (1950-58), elle est passive avec un déficit d’environ un demi milliard de dollars, que les réserves en or ne suffisent pas à couvrir, et pour lequel il est nécessaire de demander des prêts aux mêmes Américains qui en tirent des intérêts considérables ».
Cette soumission au capital étranger se manifestait par de profonds déséquilibres pour une économie relativement prospère et en premier lieu avec un revenu par tête d’habitant et un taux d’alphabétisation parmi les plus élevés d’Amérique latine. La richesse relative de certaines villes contrastait avec les conditions de misère extrême des travailleurs de la canne à sucre et avec les pires conditions sanitaires dans lesquelles vivaient les couches pauvres de la population, tandis que la décadence sociale se manifestait aussi dans la prolifération d’activités comme les jeux de hasard et la prostitution, liées au flux de « touristes » entre les deux rives des Détroits de la Floride.
Ce fut donc pour s’opposer à cette domination, chevauchant ainsi le mécontentement social diffus, que des éléments de la moyenne et petite bourgeoisie, déçus par les tentatives de changement par voie démocratique et pacifique, décidèrent d’imprimer un tournant violent au mouvement qui s’opposait à la dictature de Batista, et donc nécessairement aussi à la domination économique américaine.
Avec l’assaut armé de la caserne de Moncada dans la ville de Santiago de Cuba le 26 juillet 1953 – l’échec fut sanglant – Fidel et ses partisans rompirent définitivement avec la vie politique de l’île caribéenne, ne s’opposant pas toutefois encore ouvertement aux États-Unis. En effet dans un premier temps des secteurs de l’administration nord américaine virent avec sympathie le mouvement d’opposition au régime de plus en plus instable de Batista, et soutinrent même le tournant vers la lutte armée.
Pour confirmer l’absence d’un quelconque contenu prolétarien révolutionnaire de la lutte de la guérilla castriste, le « Programme de Moncada » affirmait des revendications politiques et économiques entièrement bourgeoises. Ce programme, qui aurait dû être lu à la radio après la prise de la caserne, consistait en cinq points fondamentaux : 1) rétablissement de la constitution de 1940 ; 2) distribution de la terre à tous les paysans (colons, fermiers locataires, métayers et journaliers) qui occupaient des parcelles inférieures à cinq caballerias (1 caballeria = 13,43 hectares) moyennant l’expropriation des propriétaires par l’État contre une indemnisation payable en dix ans : 3) droit des ouvriers et des employés à participer à 30 % des bénéfices des grandes entreprises industrielles, commerciales, minières ; 4) concessions aux colons de 55 % des revenus de la culture de la canne à sucre ; 5) confiscation des biens des escrocs et de leurs héritiers par des tribunaux ad hoc dotés d’amples pouvoirs d’investigation.
Pour soutenir ce programme, Fidel, après avoir souscrit à ce processus, souligna que ce programme était inspiré de deux articles de la constitution de 1940 qui proscrivaient le latifundium et engageaient l’État à employer tous les moyens à sa disposition pour offrir un travail à tous ceux qui en étaient privés. Par conséquent, selon Fidel, aucune de ces mesure ne pouvait être considérée comme inconstitutionnelle, et il ajoutait : « Le problème de la terre, le problème de l’industrialisation, le problème du logement, le problème du chômage, le problème de l’instruction et le problème de la santé du peuple : j’ai ici résumé les six points vers lesquels nos efforts auraient été dirigés, ensemble à la conquête des libertés publiques et de la démocratie politique ».
Après le début de la lutte armée, trois années et demi s’écoulèrent avant que, avec le débarquement de décembre 1956 sur la côte de Cuba d’un groupe de combattants cubains (dont Fidel Castro) entassés dans le yacht Granma parti du Mexique, ne se réalisât l’ancrage de la guérilla sur le territoire cubain qui en un peu plus de deux années ouvrit aux castristes la voie du pouvoir.
Durant toute cette période et les premiers temps suivant l’établissement du nouveau régime advenu le 1er janvier 1959, on n’assista à aucun changement substantiel de programme original du mouvement, sans s’éloigner sur le plan social et économique des premières mesures du gouvernement castriste. Le nouveau régime nationalisa à ses débuts 90 % du faible secteur industriel et environ 70 % des terres.
Les mesures d’expropriations concernant les propriétés foncières de plus de 405 hectares, qui frappèrent surtout des compagnies et des citoyens américains, provoquèrent entre l’été et l’automne 1960 la rupture avec l’administration US, suivie de rétorsions économiques culminant avec le « bloqueo », le blocus économique imposé par les USA et par leurs alliés qui pendant plus d’un demi-siècle a empêché un véritable décollement de l’accumulation capitaliste à Cuba.
Ce fut donc cette inimitié avec le voisin nord américain, dictée par les intérêts économiques nationaux et bourgeois, et non pour des raisons d’opposition de classe sociale, qui imposa à la direction cubaine l’alliance avec l’ Union Soviétique et les pays du bloc de Varsovie, et donc l’adoption d’une couverture « socialiste ».
Commençait alors une longue période dans laquelle la place de Cuba dans le partage international du travail est restée en substance inchangée, basée sur la monoculture de la canne à sucre. A cause de ses nécessités impériales, le bloc soviétique achetait le sucre à des prix au dessus de ceux du marché international en échange de l’approvisionnement en pétrole russe.
Cette disposition imposée de l’extérieur entraîna la faillite substantielle du projet, lié à la réforme agraire, de diversifier la production agricole. En 1978, à presque 30 années de distance de la conquête du pouvoir par les castristes, le sucre atteignait le chiffre record de 87 % du total des exportations.
Le retard du développement de la production agraire pouvait être aussi attribué à la persistance du phénomène des parcelles. La multiplication des parcelles constitue en effet non seulement un frein au développement capitaliste des campagnes, mais s’éloigne encore plus du socialisme, dont le régime cubain continuait à agiter abusivement la bannière à seule fin de répression sociale.
Au début des années 1990, l’effondrement de l’ Union Soviétique et du Comecon eut pour effet de diminuer un des principaux soutien à l’économie cubaine qui, le blocus économique nord-américain demeurant, subit une très grave crise. L’approvisionnement en denrées alimentaires et en énergie, avec l’écroulement des importations de pétrole russe, fut principalement touché. Commença alors ce qui fut appelée la « période spéciale » durant laquelle la pénurie en hydrocarbures eut un effet paralysant même sur la production interne, si bien que le PIB chuta de 36 % entre 1990 et 93.
Ce fut une période de durs sacrifices pour le prolétariat dont le niveau alimentaire fut rationné à la limite de la dénutrition. La consommation de viande annuelle pendant cette période tomba de 39 à 21 kilos par tête, celle du poisson de 18 à 8.
La pénurie de carburant pour les machines agricoles détermina aussi une diminution drastique de la production de canne à sucre, qui dès lors, sans perdre son rôle central dans l’économie cubaine, perdit du terrain par rapport aux autres productions.
La nécessité de nourrir la population en épargnant le carburant destiné aux transports, poussa le gouvernement à dédier des surfaces significatives de terrain à la culture de légumes pour la consommation locale. Naquirent ainsi en 1994 les « mercados agropecuarios » dans lesquels il était possible de vendre librement les fruits et légumes provenant de terrains cultivés par des particuliers ou par des coopératives de paysans, qui furent invités à augmenter leur production et à mettre en culture également des terres incultes.
Dans le même temps, fut autorisée la libre circulation du dollar, qui s’accompagna de la double circulation monétaire de pesos convertibles et non convertibles. En outre, les investissements étrangers furent autorisés, ainsi qu’une plus grande ouverture au tourisme et la permission d’un travail autonome pour presque 150 professions.
Avec l’ouverture progressive au secteur privé, qui n’avait jamais entièrement disparu, pas même dans les années du plus grand rapprochement de Cuba au « modèle » de capitalisme à tendance étatique russe, la part de travailleurs de ce secteur passait de 8 % en 1981 à 23 % en 2000. Ces chiffres ne rendent pas compte du secteur illégal de l’économie, un élément persistant de la vie cubaine et peut être l’unique secteur qui n’ait jamais connu de crises et qui à partir des premières années de 1990 a connu un véritable boom.
Cependant les libéralisations et les privatisations, mesures qui eurent un effet tout autre que bénéfiques, n’ont pas amené d’améliorations importantes de l’économie cubaine, laquelle a réussi à éviter de nouvelles faillites, grâce également à l’approvisionnement de pétrole à bas coût par le Venezuela.
L’interdiction de grèves, demeurée un point ferme durant les presque soixante ans de régime castriste, empêcha toute amélioration notable des conditions de vie des salariés cubains. Ernesto Che Guevara excluait déjà en 1961 la légalité de la grève, soutenant que les travailleurs cubains, qui devaient s’habituer à travailler de manière collective, ne pouvaient s’abstenir du travail pour défendre des revendications économiques.
Tandis que les salaires du secteur public restent très bas et sont payés avec des pesos non convertibles, le gouvernement cubain en 2008 a adopté de nouvelles mesures à caractère ouvertement anti prolétarien et sur la ligne de la plus grande partie des exécutifs bourgeois de la planète, en augmentant l’âge de la retraite de 55 à 60 ans pour les femmes, et de 60 à 65 ans pour les hommes. A ceci s’est ajouté le fait que les retraites garantissent à peine la survie, étant très basses et payées en pesos non convertibles.
Ces dernière années, malgré l’accélération du processus de libéralisation de l’économie et de la privatisation d’une partie considérable du patrimoine public, la continuité idéologique et politique du régime persistait.
Le changement entre frères Castro au sommet du pouvoir et les affaires restées dans la famille s’expliquent par l’impossibilité de modifier le vaste réseau d’intérêts lié à la machine étatique qui a permis au régime de survivre aussi longtemps.
Aujourd’hui, le capitalisme cubain, qui s’oriente de plus en plus vers un modèle « vietnamien » de libéralisme conjugué au système du parti unique, se trouve confronté à de nouveaux défis qui mettront à dure épreuve ce régime de faux communisme : la persistance de la crise économique mondiale et les difficultés croissantes du Venezuela à lui fournir du pétrole à des prix « politiques ».
Le grand capital nord américain pourra aussi favoriser un changement de régime sur l’île de façon à fournir un débouché aux capitaux en surplus, en y déversant des fleuves de dollars à investir dans le secteur immobilier et dans les infrastructures touristiques. Peut-être même pour reprendre le contrôle du secteur agricole et récupérer la possession des usines sucrières nationalisées dans les années 60 ! La boucle est bouclée !
Pour en finir avec le discours d’allégeance de nos partis de « gauche » sur la teneur « socialiste », voire « révolutionnaire » du régime castriste, nous affirmons que ce gouvernement, né anti-colonial et national, est toujours resté sur le terrain de l’administration « normale » de l’économie bourgeoise, au prix de durs sacrifices pour les prolétaires cubains.