Parti Communiste International

La France des Gilets Jaunes, une nouvelle impasse pour le prolétariat français

 

Décembre 2018

Le mouvement des Gilets Jaunes – du nom des gilets au jaune fluorescent porté par les manifestants – a commencé en France à la fin du mois d’octobre 2018. La contestation est partie de la hausse des prix du carburant automobile, liée pour partie à l’augmentation de la taxe que prélève l’État sur les produits pétroliers (en baisse actuellement en raison de la surproduction du pétrole dans un contexte de ralentissement économique), mais elle contient aussi tout le mécontentement d’une partie de la population provoqué par les mesures sociales et économiques du gouvernement Macron et des précédents. Une bonne partie des manifestants vit dans des régions où l’utilisation de la voiture est une nécessité, et donc l’augmentation continuelle du prix de l’essence entame une partie de leurs revenus, parfois de façon dramatique pour les plus démunis. En effet, le prix à la pompe des carburant a augmenté de 23 % pour le gazole et de 15 % pour l’essence en une année.

Or la crise économique avec un ralentissement de la croissance talonne le monde capitaliste dans son ensemble. Les bourgeoisies nationales s’opposent de plus en plus et Trump, bussiness man par excellence, joue au fou du roi, annonçant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas parmi les dirigeants des pays les plus riches : guerre économique, concurrence exacerbée, isolationnisme outrancier pour certains, la seule éthique est celle de faire des affaires et de s’approprier les marchés mondiaux qui prennent l’aspect d’une peau de chagrin.

En France, le gouvernement explique que sa politique économique et les “cadeaux” faits aux détenteurs de richesses n’a pour seul but que de relancer les entreprises dans un contexte de crise économique où la bourgeoisie est peu encline à investir. Et quant à l’augmentation du prix de l’essence, il la justifie par la nécessité de financer une politique de transition énergétique commencée dès 2015. En effet pas un jour ne passe sans que l’on ne ressasse dans les médias la triste dégradation de la planète, jusqu’à prévoir un effet irréversible, voire catastrophique pour la survie de l’humanité, dans la décennie à venir.

Mais s’agit-il vraiment pour la classe dominante de s’occuper de l’avenir terrestre et d’essayer de prévenir les dégradations désastreuses, voire irréversibles pour certaines, qu’entraîne le mode de production capitaliste dans lequel vivent et consomment, le plus souvent par la force de persuasion du marketing pour les plus favorisés, nos citoyens, toutes classes confondues évidemment ? Ne s’agit-il pas plutôt de prélever de l’argent sur la partie de la population qui peut, voire difficilement, payer afin de remplir les caisses de l’Etat et celles surtout des entreprises et de cette partie de plus en plus restreinte de “citoyens” qui concentrent les richesses.

L’État bourgeois est au service des classes dominantes, a toujours affirmé le marxisme. Et les décisions gouvernementales ne dépendent pas seulement du bon vouloir ou des prérogatives de la classe dominante qui tient en main les moyens de production, mais plutôt du mécanisme économique impitoyable du mode de production capitaliste : pour survivre, il doit faire toujours et toujours plus de profit, d’autant plus que la baisse historique du taux de profit est incontrôlable et non maîtrisable par les individus, même les plus puissants, comme le marxisme l’a énoncé depuis plus d’un siècle.

Ce mouvement se caractérise par sa “spontanéité”, ce qui signifie qu’il a démarré en dehors des partis politiques et des syndicats officiels, jugés “incapables” par l’ensemble de la jacquerie. On pense évidemment à le comparer à celui des Bonnets Rouges (apparu en Bretagne en octobre 2013 en réaction aux mesures fiscales de l’écotaxe relatives à la pollution des véhicules), mais celui-ci fut lancé par des responsables d’entreprise agro-alimentaires en difficulté soutenus par leurs salariés.

Le mouvement des Gilets Jaunes, au contraire, est parti de l’initiative d’une “automobiliste” en mai 2018 qui a lancé un appel à la mobilisation par le biais du web au travers des médias sociaux, réclamant une baisse des prix du carburant. Son texte paraît le 12 octobre 2018 dans un article du journal populaire “Le Parisien” et connaît alors un franc succès recueillant de plus en plus de signatures (plus d’un million de signatures fin novembre). Des groupes locaux se créent sur facebook dans toutes les régions de France.

En réponse, le gouvernement Macron lance une campagne pour lutter contre la pollution atmosphérique quelques jours avant la journée annoncée du samedi 17 novembre par le mouvement d’un blocage par des “Gilets Jaunes” sur le réseau routier national. A Paris, des blocages ont lieu autour de Paris mais la répression des forces de police limite l’entrée des manifestants. Le ministère de l’Intérieur communiquera le chiffre de 288 000 manifestants pour toute la France.

Les blocages se poursuivront le reste de la semaine avec quelques violences et le mouvement gagnera l’île de la Réunion. Les jours suivants la mobilisation persiste en de nombreux points parsemés sur tout le territoire.

Et le samedi 24 novembre, une nouvelle mobilisation nationale est décrétée, la manifestation interdite par la préfecture sur les Champs Elysées aura tout de même lieu avec des heurts avec les forces de l’ordre. Le ministère de l’Intérieur donnera, après avoir tergiversé une bonne semaine, le chiffre de 166 000 manifestants pour toute la France dont 8 000 à Paris (5 000 sur les Champs Elysées).

Les manifestations et affrontements ont lieu les jours suivants en de nombreux points du territoire. Le samedi 1er décembre, plusieurs barrages bloquants sont mis en place, donnant lieu certaines fois à des échauffourées, des heurts violents avec les forces de l’ordre. A Paris, la manifestation tourne à l’émeute aux Champs Elysées avec des dégradations à l’arc de triomphe (sur la tombe du soldat inconnu!!), des voitures incendiées, des saccages de magasins. Le ministère de l’intérieur compte 136 000 manifestants pour toute la France. D’autres émeutes éclatent dans d’autres villes.

Le 3 décembre, une centaine de lycées en France sont bloqués par des lycéens protestant contre l’annonce des réformes du baccalauréat, de l’augmentation des frais scolaires pour les étrangers qui rejoignent les manifestations des Gilets Jaunes.

Qui sont ces Gilets Jaunes ? Ils sont issus pour la plupart des villes périphériques par rapport à Paris, et des zones rurales, abandonnées par les pouvoirs publics (disparition des transports publics, des administrations publiques) comprenant des ouvriers, des salariés modestes, des indépendants et des retraités, des petits patrons, tous cristallisant un mécontentement massif sur la baisse de leur pouvoir d’achat, et pour les travailleurs salariés, la souffrance provoquée par la précarité et la dégradation de leur conditions de travail et de vie.

La crise économique du capitalisme qui sévit depuis plusieurs décennies et la politique libérale menée par les différents gouvernements, de droite comme de gauche, qui tous défendent les intérêts et les privilèges de classe de la grande bourgeoisie, ont conduit à la paupérisation et la précarisation de toute une partie de la population française : d’après des chiffres, déjà anciens, fournis par l’INSEE, 14,5% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 850€ par mois. En 2018, l’INSEE indique que le revenu moyen par ménage en France a diminué de 1,2% par rapport à 2008, surtout pour 67% des couches moyennes, mais les plus modestes ont subi eux aussi une baisse des revenus. Au moins 20% des travailleurs salariés sont précarisés et paupérisés, de nombreux retraités vivent avec une retraite misérable. Ce qui fait qu’aujourd’hui, au moins 1 tiers de la population se trouve en état de souffrance. Ce qui explique cette rage et cette colère.

Jusqu’ici cette colère et la défiance envers les partis officiels se sont surtout traduites par une abstention massive lors des des élections. L’abstention est devenue aujourd’hui le premier parti politique de la classe ouvrière en France : « pourquoi allez voter puisque de toute façon les mesures économiques et sociales qui seront prises seront contre nous ! ». Les syndicat eux-mêmes, après leurs multiples trahisons se sont déconsidérés.

Des troupes d’extrême droite et d’anarchistes “autonomes”, des jeunes des banlieues, s’y sont bien sûr infiltrés, trouvant là un terrain propice pour y déverser leur rage aux motifs divers, mais ils n’ont servi, comme d’habitude, qu’à justifier la politique répressive du gouvernement.

Mais la violence est aussi du côté du “peuple” ; le désespoir d’une partie de la population, abandonnée par le pouvoir, est bien là ! Ce “peuple” a bien compris que les discussions ne servent plus à rien pour se faire entendre et qu’à la violence bourgeoise de l’oppression, il faut répondre par la violence. Que répond le gouvernement quand le “peuple” se rebiffe : venez discuter mais de toutes façons nous ne reculerons pas ! Sans parler que la seule justification qu’il avance à l’augmentation des taxes est celle de financer la transition écologique ! Qui y croit encore !

Et que font nos centrales syndicales ? Les principaux syndicats de salariés ont d’abord refusé de s’associer au mouvement en l’accusant d’être le fait des partis d’extrême droite (pauvre Marine Le Pen ! Elle sert encore à agiter le drapeau de l’anti-fascisme!), mais ils commencent prudemment et localement à s’agiter. A FO, la partie Transport a appelé à se solidariser avec les Gilets Jaunes. Et enfin la CFDT ces derniers jours s’est empressée de se proposer comme interlocuteur au gouvernement ; en précisant que si ce dernier avait jusqu’alors montré qu’il voulait se passer des syndicats, il était temps qu’il reconnaisse qu’il en avait plutôt besoin ! Pour leur rôle de pompier de la lutte de classe, en effet, il n’y a pas mieux que les grandes centrales syndicales actuelles !

Pour conclure, nous qualifierons nous aussi ce mouvement de populaire ! Terme dérivé du mot “peuple” que nous avons bien défini dans notre texte du Dialogue avec Staline (1952), 2ème journée, Société et Patrie) : « Mais le peuple, qui diable est-ce donc ? Un hybride des différentes classes, une notion intégrant en un tout homogène exploiteurs et esclaves, professionnels du pouvoir et des affaires d’une part, les masses d’affamés et opprimés, de l’autre. Le peuple, nous n’avons même pas attendu 1848 pour l’abandonner aux ligues pour la Liberté et la Démocratie, ainsi qu’au pacifisme et au progressisme humanitaire. Avec ses “majorités” tristement fameuses, le peuple est non le “sujet” de la gestion économique, mais seulement l’“objet” de l’exploitation et de la tromperie ».

La reprise de la lutte de classe, après tant d’années de contre-révolution, de trahison et de désorganisation, passe forcément par des mouvements spontanées en dehors de toutes organisations, puisque tout est à reconstruire. C’est seulement de la généralisation de luttes spontanées, mais radicales du prolétariat, que renaîtront des organismes de classe et que se détachera une avant garde prolétarienne qui rejoindra les rangs du parti. Dans les conditions actuelles, il ne faut sûrement pas grand-chose pour qu’éclate une grève générale. Les syndicats, en bon chien de garde, veillent au grain. Que la crise de surproduction s’aggrave et ils seront alors submergés.

Dans ce “mouvement” des Gilets Jaunes, en effet, le prolétariat est présent, mais non en tant que classe ; il n’est pas encadré par une organisation économique et un parti politique, dignes représentants de la partie des salariés opprimés par cette société régie par le capitalisme et pourvoyeuse d’oppression et d’exploitation de l’homme par l’homme. La lutte des classes ne s’y exprime pas de façon directe et le prolétariat n’a rien à en attendre à part des désillusions, des trahisons et des coups de bâton. Sans organisation économique et politique, point de salut ! Que renaissent des organisations économiques, en dehors des centrales actuelles, et conquises par le Parti Communiste International et que la lutte des classes apparaisse au grand jour !