|
En 1995 le jeune Khaled Kelkal, d’origine algérienne, impliqué dans l’attentat d’un TGV à Lyon, et abattu par les troupes d’élite de l’armée française, faisait la une des journaux. Nous y avions fait référence dans l’article "Le terrorisme islamiste et la révolte des banlieues" paru dans notre organe "La Gauche" de juillet 1997. Nous y dénoncions alors l’exploitation orchestrée par la classe bourgeoise et ses sbires médiatiques comme moyen de fourvoyer la lutte de classe des prolétaires d’origine maghrébine en particulier, et comme outil de terreur et de répression utilisé contre les prolétaires en général. Le cortège de lois "sécuritaires" ne pouvait en effet que diviser les salariés en fractions communautaristes, et alourdir l’outil répressif destiné à contenir tous les mouvements politiques contestataires de l’ordre social dans leur ensemble. «L’histoire du jeune Khaled est exemplaire. La radicalisation religieuse des jeunes Français issus de l’immigration et des prolétaires maghrébins en général, représente en fait pour la bourgeoisie, dans une situation sociale de récession économique, de paralysie prolétarienne, d’absence quasi complète de souffle révolutionnaire communiste, un moyen d’utiliser la révolte pour ses propres fins de classe, d’éviter que la hargne ne se retourne contre elle», écrivions-nous.
Si les révoltes des banlieues des années 1990, manifestations d’une jeunesse désespérée, exclue du marché du travail, et vivant des subsides de l’État et de délits, se sont relativement taries, les causes de l’effervescence sont toujours présentes; ces "ghettos" demeurent en effet un vivier de frustrations, de délinquance, et de terreurs pour les travailleurs qui y vivent. Quant au recrutement de jeunes occidentaux par l’extrémisme islamiste, il semble aussi s’être tari; le salafisme se veut désormais non violent, en réponse surtout à la répression du mouvement terroriste islamiste symbolisé par l’exécution de Ben Laden, et encore plus par l’explosion de mouvements plutôt "démocratiques" du Maghreb.
Et pourtant Mohamed Merah, perpétue le parcours de Khaled. Ce jeune homme d’origine algérienne, abandonné par son père dès l’âge de 5 ans et élevé de façon chaotique par sa mère avec ses quatre autres frères et sœurs dans la banlieue de Toulouse, a connu un trajet presque identique à celui de Khaled: il quitte le système scolaire à 16 ans, et glisse vers la petite délinquance. Lors d’un séjour en prison en 2007 et en 2009, suite à un vol à l’arraché d’un sac à main, il est noté comme dépressif, soigné après une tentative de suicide, et fait connaissance avec l’islam dans sa version radicale, le salafisme. Le Coran lui donne des repères, des justifications, des explications qu’il n’a jamais pu acquérir à l’école républicaine, école de la confusion sociale, école des contradictions, où les mots fraternité et égalité deviennent de plus en plus incompréhensibles !
A l’été 2010, il part en Afghanistan par ses propres moyens, est arrêté lors d’un contrôle routier par la police afghane, livré aux troupes américaines et renvoyé en France. A l’été 2011, il repart s’entraîner dans des camps de formation islamistes à la frontière pakistano-afghane, et son séjour est à nouveau écourté par une hépatite A.
Il est surveillé par la police, mais il apparaît comme un jeune qui aime s’amuser dans les boites, avec les voitures et les motos. Six mois plus tard, en 2012 à 23 ans, encouragé semble-t-il par son frère âgé de 29 ans mais connu comme salafiste, il entame son macabre périple en abattant le 11 mars à bout portant un soldat qui pensait lui vendre sa moto, en clamant: «Tu tues mes frères, je te tue». Quatre jours après, il assassine deux autres soldats d’origine maghrébine (sans doute, pour lui, des traîtres à la cause musulmane) à Montauban, près de Toulouse, où se trouve une caserne de parachutistes. Le 19 mars, il commet un carnage dans une école de confession juive, proche de son domicile, abattant un adulte et trois enfants, dont une fillette de 7ans qui s’enfuyait, en la poursuivant et en lui tirant une balle dans la tête. Il est traqué pendant deux jours et localisé dans son appartement où il tiendra tête aux troupes d’élite durant 32 heures avant d’être abattu lors de l’assaut des troupes du RAID (organe de la police) après un échange de tirs acharnés.
La morale de cette tragique histoire est que nous en revenons encore une fois à la trajectoire de Khaled. Mohamed Merah est présenté comme le coupable, le tueur d’enfants – juifs de surcroît – et de soldats, le terroriste islamiste qui veut se venger des occidentaux et d’Israël, l’ennemi public numéro un qui s’attaque à la nation française, et tout ceci en pleine campagne électorale pour la présidence d’une République qui ne se porte pas vraiment bien !
Les candidats ne veulent surtout pas évoquer les mesures économiques qu’il va bien falloir faire avaler à leurs électeurs, de peur de les décourager d’aller voter, le nombre des abstentionnistes ne semblant pas vouloir fléchir ! En effet après la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, etc... il va bien falloir y passer … Alors tous les moyens sont bons pour polémiquer, pour trouver des diversions, pour en appeler à la patrie, à la nation, pour alpaguer l’ennemi intérieur, et faire disparaître toute évocation de la lutte de classe ! Tant pis si la communauté musulmane, – et avec elle les Français arabes, et ensuite les Français d’origine immigrée, et enfin les prolétaires les plus défavorisés en général, qui par ailleurs ne votent plus –, seront stigmatisés et vont faire les frais des spectacles de la campagne électorale.
Marine Lepen, candidate du Front National, populiste de la première heure, et dont beaucoup de nos candidats, quel qu’en soit le bord, en en appelant aux classes populaires, aux classes moyennes, s’en inspirent sans vergogne, avait déjà démarré en dénonçant l’abattage rituel de la viande halal dont les morceaux rejetés par le culte finissait dans les assiettes des non-musulmans: ah ! Quel scandale ! Les électeurs connaissent désormais toutes les modalités de l’abattage rituel des animaux des musulmans, et d’ailleurs aussi des juifs !
Par contre le programme des festivités du plan d’austérité qui va leur tomber dessus est à peine esquissé.
Et ne parlons pas du couplet sur l’antisémitisme que l’on nous ressort à satiété. Lors des funérailles orchestrées en grande pompe à Jérusalem des quatre victimes de confession juive dont trois enfants affreusement assassinés par le tueur fanatique, le ministre français des affaires étrangères Alain Juppé, coiffé d’une belle kippa, a accompagné les cercueils. L’État israélien, représentant de l’ordre des bourgeoisies occidentales contre le prolétariat du moyen orient, arabe et juif, ne pouvait manquer une si belle occasion de masquer sa nature de classe derrière le martyr de "son" peuple, et nié celui des Palestiniens qu’il enferme dans des camps et que son armée mitraille régulièrement, enfants compris !! Et le ministre des Affaires Étrangères français ne pouvait pas non plus passer une telle occasion de lui donner ce coup de main. Car, il faudrait enfin qu’on avale cette énorme couleuvre qui veut que celui qui critique l’État israélien soit un antisémite et que l’inverse aille de soi …
Le racisme en France n’aurait qu’un seul visage, celui des anti juifs ? La bourgeoisie n’a pas de mémoire, ou elle voudrait qu’on interdise la mémoire. Et de plus quand elle en vient à parler de racisme, évidemment elle n’évoque pas les causes réelles qui opposent ainsi les communautés religieuses, et qui ne sert en fin de compte qu’à diviser les forces du prolétariat. Diviser le prolétariat par des manœuvres racistes, voici encore une vieille tactique utilisée régulièrement dans l’histoire par la classe au pouvoir !
Prenant comme prétexte, en autres, ces évènements dramatiques, l’appareil répressif des États ne fait que se renforcer. Ça été le cas aux États-Unis après le terrible événement du 11 Septembre 2001. L’actuel président encore en poste, Nicolas Sarkosy invoque la "sécurité de la Nation", entendant par là, la sécurité de la bourgeoisie. La France doit "rester unie et rassemblée", affirment "nos" élus. Aucune allusion aux problèmes sociaux du prolétariat des banlieues, aux jeunes abandonnés à un avenir sans travail, où à un travail précaire et mal payé, exclus de toute perspective avec des prestations de l’État toujours plus en baisse: écoles, soins médicaux, aides financières.
Seule la lutte de classe amènera la fraternité et la solidarité pour les exclus de toutes sortes, et pour le prolétariat de toutes les nations ! Que renaissent les grandes organisations des travailleurs, afin de démasquer les mensonges de la bourgeoisie et affronter son État !
En effet, il est temps que le désespoir ne dévoie plus le prolétariat arabe dans la voie de l’islamisme radical, ni d’ailleurs dans celle illusoire du nationalisme, de la démocratie et ses farces électorales ! Ces voies sont celles de la bourgeoisie, des clans bourgeois souvent en opposition entre eux, et le prolétariat en les rejoignant a désormais tout à y perdre, et rien à y gagner, même pas une médaille sur son cercueil !
Réseaux laïcs ou religieux, démocrates ou mystiques, immédiatistes et réformistes, indiques de la police, ou chiens enragés solitaires, tous s’opposent et entravent la renaissance du mouvement révolutionnaire du prolétariat. Seule le prolétariat révolutionnaire, en balayant cette société en putéfaction, pourra libérer l’humanité. Le chemin est encore long et difficile, mais il est le seul.