Parti Communiste International
 
 
ALGERIE, HIER ET AUJOURD’HUI

(«à suivre - Sommaire - à suivre»)





II.
L’INSURRECTION ALGERIENNE, REVOLUTION TRAHIE DU PROLETARIAT AGRICOLE ET DES FELLAHS
 
(1954-1962)

 
 
 

La révolution national-démocratique dans les colonies, l’événement le plus important de ce siècle après la révolution russe, écrivions-nous dans Programme Communiste n°7, a parcouru en peu d’années l’immense continent asiatique (Chine, Inde, Vietnam), et son élan a balayé des empires séculaires. Le mouvement anticolonialiste africain (blanc et noir) lui succéda, mais seule l’Afrique blanche (Afrique du nord et du sud) réussit à conduire la révolte contre l’impérialisme. Les luttes anti-coloniales et nationales du Maghreb s’inscrivaient ainsi dans les suites du mouvement égyptien avec l’affirmation du panarabisme.

Comme nous l’écrivions dans Programme Communiste n°9 de 1959 ("La question coloniale"): «Les pays du secteur précapitaliste comme les pays coloniaux peuvent espérer passer au socialisme à la seule condition que le prolétariat des pays de l’aire impérialiste conquiert le pouvoir politique et brise les formes de production capitalistes. Dans l’hypothèse d’un retard de la révolution prolétarienne communiste qui doit intervenir dans le secteur capitaliste, les nouveaux régimes politiques surgis des ruines du colonialisme, malgré tous les efforts généreux qu’ils peuvent tenter, ne pourront éviter de conduire leurs plans d’industrialisation sur la base du salaire et du despotisme de fabrique, qui constituent les caractères fondamentaux du capitalisme».

Notre organe italien, Il Programma Communista, écrivait en octobre 1959 (Réunion de Milan, n°20-21): «Pour la première fois depuis 20 siècles d’histoire, toute l’Algérie participait à la lutte contre l’oppresseur étranger et, en elle, le prolétariat agissait non seulement comme force motrice, mais, sans la dégénérescence internationale du mouvement révolutionnaire ouvrier, aurait pu mettre à l’ordre du jour le problème historique d’une double révolution (...) Chaque révolution abat l’ancien pouvoir: en ce sens, elle est politique. L’absence de la scène politique du prolétariat des pays plus évolués a confiné la lutte algérienne dans l’ambiance circonscrite de l’élimination des formes précapitalistes et de l’instauration d’un Etat national bourgeois. Le fait que les masses des prolétaires sans réserves se trouvèrent face non pas à un Etat national indigène que les Français avaient irrévocablement détruit, mais face à l’administration coloniale et aux rapports de production et d’échange que le capitalisme métropolitain y avait importé sur la partie côtière (leur tâche fut de corroder et finalement de détruire les formes résiduelles de communisme primitif des régions intérieures) créait localement les prémisses d’une soudure entre le mouvement "national populaire" et la perspective socialiste.

En réalité, si au siècle passé, les Français purent s’installer sur les côtes nord-africaines de l’Algérie et y opérer progressivement la soumission de l’arrière-pays et la destruction de toute forme d’Etat, en transformant les anciens sièges indigènes en colonie de peuplement et en bastion principal de l’empire, ceci advint parce que des développements historiques séculaires avaient brisé l’unité économico-politico-géographique de l’Algérie. Ceci devait rendre difficile et à la longue complètement impossible la persistance d’un Etat unitaire, comme en connut, sous une forme plus ou moins efficace et durable, la Tunisie à l’est et le Maroc à l’Ouest.

Il ne faut pas oublier que lorsqu’au 3ème siècle avant J.C. commença l’intervention romaine en Afrique du nord, cette dernière n’avait pas derrière elle un millénaire d’histoire, mais constituait – ou tendait alors à constituer sous les rois numides, en particulier Massinissa – une unité économique et politique come il existait de fait une unité géographique. Les différentes parties de cette unité géographique vivaient en rapport d’interdépendance vitale dans le cadre d’un paysage qui connaissait alors une faune et une flore tropicale; les rois numides avaient œuvré avec succès en faveur de la sédentarisation des populations nomades de l’arrière-pays et de la diffusion des cultures de céréales.

La politique de "diviser pour mieux régner" des Romains eut pour effet d’abord d’annuler la menace
d’unification politique de toute la région par les rois numides en jouant Carthage contre Massinissa, puis, l’ex-alliée Carthage détruite, d’annexer la face côtière en la transformant en une vaste zone de monoculture détenue par une poignée de grands propriétaires terriens romains (les "cinq familles" dont parle Pline) et tailler ainsi l’Afrique du nord et en particulier l’Algérie en deux régions profondément différentes: celle au sud où régnaient le désert et la steppe qui s’étendaient à l’Ouest jusqu’à la côte, et celle au nord du limes, qui sur le littoral montagneux plus large à l’est devint un pays de sédentaires arboriculteurs et d’agriculteurs et pasteurs transhumants. En même temps que la flore tropicale se faisait plus rare et que les anciennes routes nord-sud restaient bloquées, les liaisons est-ouest disparaissaient ou diminuaient.

Naquirent ainsi deux mondes hétérogènes que la décadence de l’empire rendit encore plus étrangers l’un à l’autre, et dans leur misère commune, ne communiquant pas. Ce fractionnement aux origines historiques se perpétua durant des siècles – malgré les tentatives répétées (dont l’épicentre sera à chaque fois l’arrière pays et non la face côtière) de réunification du Maghreb et de constitution d’Etats berbères – sous les vagues successives des Arabes, des Turcs, des Barbares, et finalement, des puissances coloniales, arrivant toutes du littoral, et aggravant donc le déséquilibre existant entre la partie septentrionale et celle méridionale.

En un certain sens, on peut dire que les colonisateurs français furent non seulement militairement mais politiquement les héritiers de la tradition romaine. Eux qui font dater la véritable histoire de l’Algérie de leur occupation (commencée, comme on le sait, en 1830) détruisirent en réalité les dernières possibilités de constitution d’un Etat national unitaire en Algérie. Ils aggravèrent d’un côté le déséquilibre entre littoral au nord et zone désertique au sud, entre sédentaires agricoles et nomades (ces derniers furent très tenaces à défendre leur indépendance); ils superposèrent de l’autre les contrastes entre les colons blancs expropriateurs et les paysans sédentaires indigènes en partie expropriés, en partie réduits à des conditions de dépendance économique et financière par le capital français, entre l’économie terrienne et minière capitaliste et ces traditions de communisme primitif des Kabyles qui étaient cependant destinées à disparaître au contact des formes mercantiles dominantes, entre propriété privée et possession communautaire du sol: tout ceci en un processus sanglant dont Rosa Luxembourg traça le cours inexorable.

Il est évident que cette situation rend à la fois difficile et riche de perspectives bouleversantes le problème de la création révolutionnaire d’un Etat algérien. Le parallèlisme manqué entre mouvement populaire anticolonialiste et mouvement ouvrier métropolitain prive ces perspectives d’un horizon immédiat plus vaste, mais, quoiqu’il en soit, quand l’unification politico-étatique adviendra par la force des armes et non par la voie des compromis humiliants, elle altérera les rapports de force sur lesquels s’appuie la survivance de l’impérialisme colonialiste européen, et, par contrecoup, celle mondiale, et elle reproposera à une échéance proche la question d’une rescousse purement prolétarienne». Nous sommes en 1959 !
 
 
 
 
 

II. 1 - Histoire moderne du prolétariat algérien
 

Dans Programme Communiste n°12 p.49 de 1960, nous écrivions que peu avant le premier conflit mondial, l’affaire du Maroc (16), parachevant l’étranglement de l’Algérie, aboutissait au renforcement de la position de l’Etat français. C’est une des raisons pour lesquelles Rosa Luxembourg avait vivement attaqué la défaillance de la social-démocratie européenne dans l’affaire où le Maroc perdit son indépendance, lors du congrès de Iéna en 1911. Elle montrait que toute cette série de défaillances se termina par le triomphe complet de l’impérialisme dans la tuerie de la guerre de 1914. Après la guerre, les vainqueurs anglais et français dominèrent tout le bassin méditerranéen. Et la Turquie, dont le marxisme considérait l’existence comme vitale pour la cause révolutionnaire faillit même perdre son indépendance. L’Angleterre se sentit assez sûre d’elle-même pour prôner l’unité arabe avec la prétention de dominer à elle seule tout le Moyen Orient. L’Afrique du nord étant une zone d’influence purement française, ce n’est qu’au Liban et en Syrie que pouvaient se produire des frictions entre les deux impérialismes. La situation du colonialisme était donc puissante au lendemain de la première guerre. Pourtant en Algérie la crise s’était approfondie: le recrutement de la chair à canon avait provoqué dans l’intérieur une vive résistance, et le prestige français avait subi dans les tranchées un choc violent. Lors de la première guerre mondiale, 173 000 indigènes furent incorporés à l’armée française (soit 3,6% de la population) et 25 000 furent tués, contre 155 000 Français d’Algérie (22 000 tués).

Aux dizaines de milliers de travailleurs manuels transférés dans les mines ou dans les industries françaises, autoritairement ou par libre (!) choix, de 1914 à 1918, s’ajoutèrent de plus amples courants d’émigration facilitées par l’abolition de l’autorisation de s’expatrier de 1919, et due à l’appauvrissement des campagnes où le chômage ne cessait d’augmenter. Ceux qui n’allaient pas en France, se déplaçaient vers les grandes villes d’Algérie. Les représentants de la bourgeoisie urbaine cherchaient à conquérir une place dans la société coloniale, mais les colons s’opposaient farouchement à toute amélioration du statut social des indigènes.

La reprise de la lutte révolutionnaire à l’échelle internationale, après l’Octobre russe, avait enflammé la masse algérienne et l’avait gagnée à la cause révolutionnaire. Les quelques députés communistes qui tinrent des meetings en Algérie rencontrèrent un enthousiasme indescriptible. Ce mouvement révolutionnaire s’affaiblit évidemment avec les défaites subies en Europe centrale par le prolétariat révolutionnaire et la dégénérescence des partis communistes.

La dégénérescence du PCF et de l’I.C. empêcha en effet le mouvement révolutionnaire algérien de rallier le mouvement révolutionnaire en Europe emporté dans les affres du stalinisme. Programme Communiste n° 11-13 et Il Programma Comunista 20-21 analysent amplement à la lumières des positions marxistes citées plus haut la conduite traître du Parti Communiste Français et des ses sbires de la CGT.

Au congrès de Tours en 1921, se produisait la scission du parti social-démocrate français, qui donna naissance au Parti Communiste Français. En Algérie, la plupart des fédérations socialistes adhérèrent à l’Internationale Communiste, malgré la clause n°8 qui obligeait les partis adhérents à «soutenir, non en paroles mais en faits, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des impérialistes de la métropole hors des colonies» (IIème Congrès de l’IC, 8ème condition d’admission). En fait, le PCF et l’unanimité des sections algériennes du PCF avait pris position contre toutes les formes du nationalisme indigène et cela en dépit du programme de révolution double clairement défini pour les pays coloniaux par le deuxième Congrès de l’I.C. et les thèses générales sur la Question d’Orient du troisième Congrès. Ces pseudo-communistes prétendaient que la libération ne pouvait résulter que de la révolution métropolitaine et condamnaient l’appel du Comintern ! (17) Pendant la guerre marocaine du Rif (1921-26) (18), qui opposa les troupes françaises et un chef de tribu du Rif, Abd El Krim, le PCF lutta en faveur des révoltés, mais ne mena pas une grande agitation dans les troupes françaises. Une grande partie des militants "colonialistes" le quittèrent face à ces prises de position durant la guerre du Rif.

En mars 1926, Hadj Abd el Kader, membre du comité directeur du PCF, fonde à Paris une organisation de travailleurs maghrébins, l’Etoile nord Africaine (ENA). Son influence s’exerce avant tout sur les ouvriers arabes algériens, déjà adhérents au PCF. Elle est rigoureusement laïque et a un programme essentiellement syndical: défendre les intérêts matériels, moraux et sociaux des musulmans nord-africains. C’est avec l’arrivée à sa tête en 1927 de Massali Hadj qu’elle acquiert un caractère plus nationaliste en revendiquant l’indépendance nationale de l’Algérie. Massali Hadj est né dans une famille de Tlemcen, à l’est de l’Algérie. Il émigre à Paris en 1923 et travaille désormais comme ouvrier dans la région parisienne. Il participe au Congrès anti-colonial de Bruxelles (1927). Son organisation recrute parmi les travailleurs algériens séjournant en France (3000 à 3500 en 1927, 40 000 en 1931). Massali Hadj dénonce rapidement le chauvinisme, le caporalisme de Marcel Cachin et arrache l’Etoile nord Africaine au PCF.

L’organisation, l’Etoile nord-Africaine, qui s’était formée au cours des années 1920 au sein et au contact du prolétariat français dans l’émigration algérienne de la région parisienne, se détache dans le sombre tableau des années 30. Comme il en ressort de son programme de mars 1933, l’Etoile nord Africaine luttait non seulement pour l’indépendance totale de l Algérie et partant pour le retrait total des troupes d’occupation, mais encore pour une série de mesures économiques à prendre, le pouvoir à peine conquis, qui rappelaient les "interventions despotiques dans l’économie" recommandées par le Manifeste de 1848 à la classe ouvrière victorieuse et contrainte d’assumer des tâches non encore complètement socialistes: nationalisations des banques, des mines, des chemins de fer, des ports et des servies publics; confiscation des grandes propriétés accaparées non seulement par les occupants français, mais encore par leurs alliés féodaux et transfert de celles-ci aux paysans; retour à l’Etat des domaines forestiers dont s’étaient emparés les Français: réforme agraire de caractère radical, etc.

C’était donc par définition un de ces mouvements révolutionnaires d’émancipation coloniale pour lesquels l’I.C. avait prévu dès 1920 l’appui du P.C. organisé, sur la base de l’indépendance complète d’action et de programme-appui révolutionnaire et prolétarien, et non par conséquent d’inspiration démocratique et à base sociale petite-bourgeoise. Elle réalisait les prémisses de la soudure espérée entre le mouvement de classe et le mouvement national anticolonialiste et, avec l’aide d’un P.C. décidé à suivre jusqu’au bout la voie qui lui était tracée par son programme fondamental, aurait ouvert à l’Algérie la perspective d’un saut de la lutte armée pour le socialisme en empêchant en même temps au mouvement révolutionnaire indigène de glisser vers des solutions de compromis ou ouvertement bourgeoises. Il n’en fut rien. C’était bien au contraire le Parti Communiste qui glissait vers la plus complète dégénération démocratique et parlementaire et lui livra une lutte acharnée, principalement sur les points les plus révolutionnaires de son programme.

Les effectifs algériens du PC descendirent à 280 en 1929, 200 en 1931, 131 en 1932. Les effectifs en France et en Algérie fondaient, tandis que l’IC tombait dans les mains des staliniens et de la contre-révolution. La montée des luttes ouvrières en France profita au PCF en Algérie dont les effectifs montèrent à 600 en 1934, 3500 en 1936. La tactique préconisée était celle du "Front unique" pour soi-disant combattre le fascisme. En 1931, l’I.C. rappelle encore qu’il faut assurer aux partis communistes des colonies une forme autonome. Ce n’est qu’en 1935 au Congrès de Villeurbanne que le PCF obtempéra et que le Parti Communiste d’Algérie ou PCA obtint son "autonomie", en se séparant organisationnellement du grand parti frère, mais en gardant un secrétaire français jusqu’en 1939 ! Cette naissance coïncida avec l’appui du PCF au "Front populaire" et à la préparation du VIIme Congrès de l’I.C. désormais stalinisée. Le programme du PCA ne pouvait que s’en ressentir. Ainsi le PCF et avec le PCA et la CGT ne s’adressaient-ils finalement qu’à l’enclave européenne en Algérie avec des mots d’ordre démocratiques, et ignoraient les masses indigènes paysannes prolétariennes. En 1935, on pouvait compter 180 000 prolétaires industriels dont 80 000 arabes et Kabyles, 500 000 ouvriers agricoles et une masse de paysans en voie de prolétarisation complète. Or ces masses paysannes prolétariennes ignorées par le PCA et le PCF représentaient le potentiel révolutionnaire algérien. Les staliniens préféraient s’adresser à la figure ignoble du "peuple" avec des revendications démocratiques des fronts de classe, plutôt qu’au prolétariat révolutionnaire. En 1934, l’organe de la Ligue de l’Islam relate que dans certaines entreprises l’embauche se faisait à 90% pour les européens et 10% pour les musulmans et que des entreprises fondaient des syndicats chrétiens, qu’il suffisait à un musulman de le dénigrer pour être renvoyé. Les musulmans algériens étaient privés du droit syndical et furent contraints de forger leurs propres syndicats en 1955 sous les persécutions de la CGT et de l’administration.

Avec le PCA, la lutte populaire indigène était confinée dans les limites des aspirations paysannes et donc nationales, évitant de la rattacher aux perspectives de batailles révolutionnaires du prolétariat métropolitain. Ceci allait dans le sens de l’involution stalinienne et correspondait à la préparation du "Front populaire". Le PCA s’orienta de plus en plus vers des objectifs tactiques d’ordre démocratique, ne refusant pas d’appuyer des initiatives électorales du gouvernement parisien, tandis que les organisations révolutionnaires indigènes du PPA appelaient à la désertion des urnes et à la lutte armée. Le PCA défendait de manière à peine voilée la colonisation française en Algérie, ne dénonçant pas la politique coloniale de plus en plus répressive du Front populaire (dissolution de l’ENA). Il devait perdre de nombreux militants en 1937 et 1938 ramenant les effectifs à 100 !

Des organisations bourgeoises algériennes naquirent également. La plupart collaborèrent avec le cadre constitutionnel. La bourgeoisie indigène des villes et celle correspondant aux grands propriétaires terriens cherchaient à conquérir des améliorations de son statut. En 1927, fut créée la "Fédérations des Elus" par Bendjelloul et Bentami, et dans laquelle milita le pharmacien de Sétif, Ferhat Abbas.

L’organisation bourgeoise issue du courant coranique avait des revendications plus nationalistes basée sur l’unité coranique. Dès 1931, une Association religieuse des Oulamas (docteurs de la loi coranique) réformateurs, expression de la bourgeoisie cultivée de Constantine, réclamait le rétablissement de la foi, l’arabisation de l’Algérie selon la formule: "L’Islam est notre religion, l’Algérie est notre patrie, l’arabe (littéraire) notre langue". Elle s’opposait à toute assimilation. Les Oulémas avaient étudié à Tunis, à Damas, et au Caire, et s’attaquaient aux traditions maraboutistes algériennes qui en 1920 comptaient 180 000 disciples, liés le plus souvent aux autorités françaises. Le leader principal des Oulémas est Ben Badis (il devait mourir en 1941).

Les élections législatives de 1936 devaient donner naissance au gouvernement du Front populaire de Blum et de Thorez ! Le PCA obtint 15 267 voix (contre 2 139 en 1932) (19). On comptait alors en Algérie environ 100 000 prolétaires industriels européens, 80 000 prolétaires industriels arabes et kabyles et 500 000 ouvriers agricoles sans parler de la masse des paysans expropriés !

La Fédération des Elus de Abbas, les Oulémas (notables religieux) et le PPA réunirent le premier Congrès musulman le 7 juin 1936, à Alger, marquant l’apparition sur la scène politique de toutes les forces réformistes et francophiles, qui prétendaient représenter, par leur union, le peuple algérien. Ce congrès, soutenu par les staliniens, réclamait le rattachement de l’Algérie à la France et l’octroi de tous les droits de cité aux algériens musulmans. Abbas adopta les motions du Congrès mais ne lia pas son sort à celui du Front Populaire. Les staliniens exploitèrent toutes les équivoques pour lier l’Etoile nord Africaine au Congrès et bénéficier de son radicalisme. La Lutte Sociale du 8 août 1936 utilisa donc les déclaration de Messsali: «Mais je dois dire que si nous sommes d’accord avec l’ensemble des revendications immédiates du Congrès, il est deux points de désaccord, deux revendications que nous ne pouvons approuver. C’est d’une part le rattachement à la France, et, d’autre part, la représentation des indigènes au Parlement». Son nationalisme intransigeant lui vallut d’être porté en triomphe et applaudi par 10 000 algériens au stade d’Alger, lors d’une tournée de propagande. Lâchée par le prolétariat international tombé sous la coupe de Moscou, l’Etoile nord-Africaine ne put échapper à de dangereuses oscillations. C’est ainsi que, malgré l’interdiction de l’administration, Massali Hadj se présente aux élections cantonales ouvertes aux indigènes à seule fin de se faire plébisciter: il est condamné et emprisonné.

Le PCF essaya d’amener le mouvement algérien à se passionner pour les problèmes de la France et de détourner les masses des problèmes proprement algériens. Le journal de Abbas refusa l’offre de collaboration du PCA. La question agraire avait déjà fourni à Abbas et Bendjelloul un terrain d’action commune avec le Front paysan d’extrême-droite qui réclamait un moratoire des dettes, la suspension des saisies et des expropriations et la revalorisation des prix agricoles (ce dernier point intéressait les gros colons qui se mirent à la tête du mouvement). Ainsi le PCF devint de plus en plus ouvertement un instrument de l’impérialisme français, et c’est à l’époque du front populaire que ce rôle apparut avec le plus d’évidence. Il soutint fanatiquement le projet Viollette qui accordait le droit de vote aux élections parlementaires françaises à quelques 20 000 indigènes, projet dénoncé par l’Etoile nord Africaine comme étant une tentative de corruption politique visant à diviser les indigènes.

Le projet de loi Blum-Viollette (ex-gouverneur de l’Algérie de 1925 à 1927 devenu ministre de Léon Blum) est tout ce que le gouvernement du front populaire réussit à produire. Léon Blum entérine le projet du gouverneur Viollette d’extension du droit de vote à 21 000 musulmans appartenant à l’élite (gradés, diplômés, fonctionnaires). Seul le PPA s’oppose à ce projet visant à "désagréger la société musulmane" en créant une minorité de privilégiés. Ce projet qui en fait est un obstacle efficace au nationalisme suscite un tollé général parmi la population européenne en Algérie. Le projet Blum-Viollette n’est même pas examiné par le Parlement. Son abandon provoque une déception farouche des partisans musulmans de l’assimilation. Les condamnations pleuvent d’ailleurs sur l’Etoile nord Africaine et les communistes lui reprochent une «campagne d’une violence inouïe contre le Front Populaire, la CGT, le P.C., le projet Blum-Viollette, le Congrès musulman, les Oulémas, etc». Au moment de la guerre d’Espagne, une délégation de la commission coloniale du P.C. tente un programme de collaboration avec le comité central de l’Etoile qui le dénonçe immédiatement. Le P.C. tente de chercher un soutien dans l’organisation d’une légion algérienne pour aller combattre en Espagne auprès du gouvernement régulier. L’Etoile refuse nettement tout en manifestant sa solidarité dans le concert antifasciste par des souscriptions, des meetings de protestation; il lui est difficile de se séparer des partis ouvriers dégénérés de la métropole. Elle essaie d’unifier le mouvement dans toute l’Afrique du nord. En France on voit les 7000 algériens, Tunisiens et Marocains groupés par l’Etoile nord Africaine manifester à la queue des défilés des organisations ouvrières. L’Etoile s’accroche désespérément au prolétariat de la métropole sans lequel elle ne peut parvenir au socialisme.

C’est donc le Front populaire qui porte le coup fatal à l’Etoile. Lorsque le gouvernement de droite de Laval, utilisant la loi contre les factieux, introduit l’action en dissolution de l’Etoile, Massali en appelle à toutes les organisations du Front Populaire. Mais c’est le gouvernement du Front Populaire qui l’interdit par le décret du 26 janvier 1937. L’Etoile change de nom pour devenir en mars 1937 le Parti du Peuple algérien ou PPA (2500 adhérents en 1938) qui demande l’indépendance de l’Algérie. Elle revendique toujours le même programme jusqu’à sa crise, au moment du débarquement américain en Afrique du nord en 1942. Saluons l’acharnement et la combativité des militants de l’ENA et du PPA qui maintinrent courageusement jusqu’à cette date un programme révolutionnaire malgré les assauts rageurs et meurtriers de la contre-révolution.

Ainsi le PCF condamnait le nationalisme algérien et devenait le défenseur de l’impérialisme français au nom de la lutte antifasciste. Thorez déclarait en décembre 1937 s’adressant aux camarades d’Algérie, de Syrie et du Liban: «Si la question décisive du moment, c’est la lutte victorieuse contre le fascisme, l’intérêt des peuples coloniaux est dans leur union avec le peuple de France et non dans une attitude qui pourrait favoriser les entreprises du fascisme et placer par exemple l’Algérie, la Tunisie, le Maroc sous le joug de Mussolini et de Hitler». Dans toute l’Afrique du nord, les staliniens se font les gardiens vigilants de la cause française. La lutte contre le fascisme servait au PCF sous la férule de Moscou à masquer la défense de l’impérialisme français et préparait les base de la participation à la deuxième guerre mondiale ! Et les luttes de libération du colonialisme étaient désormais synonymes de soutien au fascisme !

A la veille de la guerre, on estimait les membres du PPA à environ 3000, et il apparaissait qu’il était de beaucoup le parti le plus populaire. L’administration accrut ses rigueurs après la libération de Massali le 27 août 1939 dont l’action risquait de compromettre la défense nationale: le PPA fut dissous le 29 septembre, son journal l’El Ouma interdit, Massali et des dizaines de ses partisans furent emprisonnés ou internés en même temps que les staliniens. Tandis que le PPA et le PCA étaient interdits, Ferhat Abbas fondait en 1939 l’Union populaire algérienne.

La deuxième guerre mondiale aggrava les conditions de vie des indigènes et encouragea l’éclosion des mouvements nationalistes dans le monde entier (20). Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 en Algérie, préparé par une poignée de "résistants" français, les musulmans algériens dont Abbas découvrirent la force américaine et ses diplomates, point avares de promesses ni de déclarations anticolonialistes. Lorsque les Américains débarquèrent, ils ne trouvèrent plus aucun gouvernement en Algérie, et il semble bien qu’un gouvernement nationaliste aurait pu s’imposer à ce moment-là. La Syrie où les Anglais avaient débarqué et évincé les Français, constituait un dangereux précédent. Les colons s’étaient compromis avec le pétainisme. Les gaullistes et les staliniens emprisonnés en Algérie furent libérés; mais Massali était déporté en décembre 1943 dans le sud algérien puis transporté à Reibell. Les dirigeants massalistes s’efforcèrent cette fois de rallier toutes les tendances politiques et tandis que leurs adhérents augmentaient démesurément (jusqu’à 600 000 !), l’organisation politique s’effondrait. C’est donc à Ferhat Abbas qu’eurent affaire les Alliés. Les Nations Unies codifiait les principes de l’autodétermination des peuples, minant ainsi les empires coloniaux des impérialismes européens. Abbas en décembre 1942 subordonna l’effort de guerre réclamé aux musulmans à des améliorations du statut politique. Et en 1943, il rédigeait le Manifeste du peuple algérien où il réclamait l’émancipation des algériens. Il fut signé par 28 dirigeants "modérés" élus et réclamait l’application des principes de l’autodétermination, reprenant les termes de la Charte atlantique, mais sans revendiquer une indépendance totale. Pour faciliter la mobilisation générale, le gouverneur l’accepta en mars 43 comme base de réformes, mais il fut rejeté par le nouveau gouverneur.

Le chef de la "France libre", De Gaulle, frappait un grand coup le 22-12-43 et décidait à Constantine d’accorder la citoyenneté française (et par conséquent le droit de vote pour les élections du Parlement parisien) à quelques dizaines de milliers d’algériens musulmans, passant outre à l’opposition des Français d’Algérie. Le 7 mars 44, De Gaulle signait une ordonnance abolissant toutes les mesures d’exception applicables aux musulmans, et donnant le droit de vote pour les assemblées municipales indigènes à tous les musulmans d’au moins 21 ans portant à 2/5 ème la proportion des élus indigènes. Seuls les Oulémas et Massali Hadj condamnaient le projet comme une forme d’assimilation et non d’émancipation !

Le prix à payer pour cette aumône fut considérable. Le corps expéditionnaire en vue de participer aux côtés des troupes anglo-américaines à la libération de la France (sic) était composé dans la proportion de 90% de soldats musulmans ! Ainsi, aidée des caïds, des marabouts et autres administrateurs, l’armée put recruter de la chair à canon indigène. Programme Communiste n°13 p.19 concluait ainsi cette période: «Le Parti Communiste Français, trahissant le programme marxiste, restauré par l’Internationale Communiste lors de ses premiers Congrès, a failli à ses tâches révolutionnaires et n’a pas soutenu la lutte des peuples opprimés. Il a ainsi enchaîné les ouvriers à la politique bourgeoise et sa politique dégénérée a, par un mouvement irrésistible, fini par devenir si ouvertement collaborationniste, bourgeoise et colonialiste, que ses multiples tournants toujours plus tortueux ne peuvent plus même faire illusion.

Mais si l’impérialisme, aidé par les traîtres de l’ex-Internationale Communiste, a triomphé et a réussi en gros à tenir sous son talon de fer les pays d’Europe, il n’a pu empêcher les autres continents de connaître depuis la fin de la guerre des bouleversements tels qu’ils entraînent la ruine de structures sociales millénaires. Nous avons vu en étudiant le mouvement nationaliste algérien que si la lutte anti-impérialiste n’a cessé de gagner en ampleur, tandis que s’affaiblissaient les positions de la métropole colonialiste, ce mouvement, dissocié des forces révolutionnaires du prolétariat, a renoncé au but de la révolution double et subi un amoindrissement terrible jusque dans les conditions pratiques de sa lutte.

L’abandon, durant la guerre, du programme et de la forme de lutte de l’Etoile nord-Africaine et l’entrée en scène de tous les éléments nationalistes modérés, plus ou moins conciliateurs et collaborationnistes, s’étaient soldés pour le mouvement nationaliste algérien par une lourde défaite: la France maintenait sa domination et recrutait des masses de chair à canon musulmane pour s’assurer, en redorant son blason militaire dans les sanglantes campagnes d’Italie et du Rhin, un strapontin parmi les "Cinq Grands". Rappelons qu’avant de faire leur sale besogne à Paris, les communistes avaient contribué, au gouvernement provisoire d’Alger, au succès de cette opération».

Dès la fin de la guerre, les masses algériennes, sous la poussée de la misère, de la faim et des morts sur le front de guerre, prennent leurs chefs "nationalistes" au mot et revendiquent, le jour de la "victoire", cette indépendance qu’ils ont fait miroiter à leurs yeux en récompense de leur "effort de guerre". Ce seront les tragiques évènements de Sétif de mai 1945.

A Paris siège un gouvernement d’unité nationale présidé par De Gaulle et composé de ministre démo-chrétiens, socialistes et communistes (Thorez est vice-président !). En 1945, l’Algérie compte 9 millions d’algériens et 950 000 européens. Abbas tente de réaliser avec le PPA clandestin et les Oulémas un front unique "Les Amis du Manifeste et de la Liberté" ou AML, né en mars 1944. Dans le difficile climat économique des années 44-45, marqué par la flambée des prix et le scandale du marché noir, les masses algériennes se radicalisent, et la propagande nationaliste du PPA l’emporte sur les thèses fédéralistes d’Abbas. Au premier Congrès des Amis du Manifeste (350 000 membres), en mars 1945, Massali est salué comme le leader incontestable du peuple algérien. Le 25 avril 45, Massali est déporté. Le mot d’ordre des Amis du manifeste est de célébrer la victoire en Europe en appelant à la démocratie et à la justice en Algérie. Le PPA entretient l’agitation dans un pays sous-alimenté et que la mobilisation a vidé d’une partie des européens. En outre, les unités de tirailleurs algériens ont subi de lourdes pertes en Italie et en France sans que l’égalité des droits ait été accordée aux musulmans.

Des incidents ont lieu le 1er mai 1945, et d’autres plus graves le 8 mai, jour de la victoire contre l’Allemagne, lorsque le drapeau blanc-vert avec une lune verte et une étoile rouge est agité. Le cortège de 10 000 personnes réclame la libération de Massali Hadj, l’égalité des droits, l’indépendance. Un policier français abat un manifestant à Sétif, dans l’est algérien. Les manifestations tournent à l’émeute armée à Sétif et Guelma. 50 000 émeutiers massacrent 109 européens dans la région de la petite Kabylie et d’une partie du Constantinois. L’organe du PCA écrit le 17 mai 1945 au sujet des événements de Sétif: «Les instruments des criminels, ce sont les chefs PPA tels Massali et les mouchards camouflés dans les organisations qui se prétendent nationalistes, qui, lorsque la France était sous la domination fasciste, n’ont rien dit, ni rien fait et qui maintenant réclament l’indépendance au moment où la France se libère des forces fascistes et marche vers une démocratie plus large. Il faut tout de suite châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs de trouble, passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute». Et le Parti Communiste mobilise toutes les organisations dont il dispose, dont la CGT, qui diffuse un tract où nous lisons: «La CGT appelle les travailleurs musulmans et européens à déjouer les manœuvres criminelles du P.P.A. au service des ennemis du peuple. Travailleurs, restez unis au sein de la grande Confédération Générale du Travail... Tous ensemble, nous irons vers le bien-être, dans la liberté; nous ferons une Algérie amie de la France nouvelle, plus belle, plus démocratique, plus heureuse». Avec de si belles paroles, le colonialisme peut étouffer la révolte dans le sang, le feu et la mitraille: il fait environ quarante mille victimes indigènes lors de la répression "démocratique" à Constantine à laquelle participe l’aviation (ministre stalinien Tillon). Les chefs nationalistes dont Abbas sont arrêtés.

Le PCA s’oriente alors vers la défense du nationalisme bourgeois. Depuis 1934-36, l’algérianisation du parti a crû; en 1946-50, les organes dirigeants sont aux mains d’algériens. Son programme s’identifie presque à celui de l’UDMA, puis ensuite celui du FLN ! Les algériens formeront en 1950 la moitié des effectifs du PCA (12 000 en 1948), devenant ainsi la seconde force politique après le PPA-MTLD de Massali.

Les conséquences de ces évènements sur le front des nationalistes algériens sont immédiates. Si au 2 ème congrès de l’AML, la majorité est massaliste et appelle à la constitution d’un gouvernement algérien libre, six mois après les évènements de Constantine, Abbas se sépare définitivement de l’AML pour fonder l’UDMA.

L’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA), formée d’une équipe d’hommes politiques et d’intellectuels (Abbas, Boumendjel, Saadane,...), et qui est aussi le moyen d’expression politique des Oulémas religieuses, préconise une république algérienne reconnaissant la citoyenneté algérienne aux Français d’Algérie. L’UDMA est le porte voix des classes moyennes urbaines. Son objectif est "un parlement algérien dans un Etat algérien librement associé à la France dans le cadre de l’Union Française". Ce projet n’eut aucun succès à l’Assemblée malgré les propos de Abbas: «C’est votre dernière chance, nous sommes le dernier barrage» ! Aux élections pour la 2 ème Assemblée constituante de juin 1946, l’UDMA recueille 458 000 voix sur 633 000 votants et 700 000 abstentions (le PPA a appelé à l’abstention). La démocratie politique qui se substitue en Algérie à la violence révolutionnaire représente un atout majeur pour l’impérialisme français. Le PPA que les staliniens traitent de fasciste en raison de son activité nationaliste ne sera pas "réhabilité" par le gouvernement de la Résistance. En octobre 1946, Massali Hadj, libéré, crée le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (sic !), MTLD, populaire dans la banlieue parisienne (défilé en 1952 sur les Champs Elysées de milliers d’algériens). Le MTLD a encore 5 représentant à l’Assemblée Nationale française. Mais il cherche appui auprès des démocrates français, et vote constamment comme le groupe stalinien. Le MTLD remporte des victoires aux élections municipales d’octobre 1947.

Les élections pour l’assemblée algérienne d’avril 1948 sont entachées de tant d’irrégularités de la part des autorités françaises (violences sur les électeurs, arrestations des candidats nationalistes, falsifications des résultats des votes) qu’il devient évident pour les forces bourgeoises algériennes que la "voie démocratique" ne mènera à rien. En 1953, l’Algérie musulmane se voit fermer toutes les issues légales à des réformes profondes: «Il n’y a plus d’autre solution que les mitraillettes», déclare en 1953 Abbas, tandis que l’épreuve de force commençe en Tunisie et au Maroc. Les nationalistes accroient donc leur audience. Les Oulémas étendent leur réseau d’écoles et d’influences et forment une jeunesse tout entière tournée vers l’Orient arabe. L’UDMA, parti de cadres et de modérés de culture occidentale, perd de sa popularité mais séduit jusqu’aux notables francophiles, tandis que le MTLD entraîne les masses prolétariennes des villes et des campagnes. Ce parti se donne une organisation complète, animée par des permanents appointés; il a ses tribunaux, ses percepteurs, ses émissaires. Lors de son premier congrès en 1947, le MTLD reprend la plate-forme de l’ENA concernant le gouvernement et le parlement algériens, le retrait des troupes d’occupation, mais des modifications notables apparaissent: décision de participer aux élections pour dénoncer de la tribune les crimes de l’impérialisme français en Algérie, et permettre au peuple algérien de s’exprimer pour l’autonomie contre les partisans de l’Union Française; la création d’une organisation secrète paramilitaire, l’O.S., à côté de l’organisation de masse en vue de la préparation d’une insurrection dans un futur proche. Elle se révèle publiquement par l’assaut d’un bureau de poste à Oran en 1949, organisé par Ben Bella et Mohammed Khider. Dans les rangs de l’OS se retrouvent Ait Ahmed (chef kabyle et dirigeant du futur Front des Forces Socialistes), Ben Boulaïd (célèbre chef de la wilaya des Aurès), Ben Bella, Mohammed Boudiaf, Rabah Bitat, Belkacem Krim (en 1952, il dirige un maquis dans les Aurès), Ben M’Hidi. Une opération de police touchera durement l’OS en 1950.
 
 
 
 

II. 2 - L’insurrection
 

(Cf P.C. n°13-1960)

En 1951, le "Front algérien pour la défense et le respect de la liberté" est fondé avec les partis de Abbas et de Massali, les Oulémas et le PCA. Mais un "complot" ayant été découvert par les autorités françaises, un spectaculaire procès suit qui condamne à mort Ait Ahmed et Mohammed Khider, aux travaux forcés Ben Bella. En 1952, Massali Hadj est de nouveau arrêté et envoyé en résidence surveillée à Niort (Deux Sèvres). Au Maroc, le sultan est destitué à cause de ses sympathies nationalistes. Les trois condamnés Ait Ahmed, Khider et Ben Bella s’enfuient au Caire où après un coup d’Etat, Nasser est au pouvoir. Le nationalisme algérien s’oriente ainsi vers l’union nord africaine avec la Tunisie et le Maroc et vers le pan-arabisme dont le cœur se trouvait au Caire. Massali Hadj se montre plus hostile à cette union accusant les nationalistes marocain (El Fassi) et tunisien (Bourguiba) de réformisme.

Et en 1953, le MTLD éclate. Le conflit oppose la majorité du comité central, les centralistes groupés autour de Ben Khedda (participant à la gestion municipale d’Alger) favorable à une politique de réformes, et l’ensemble du parti, les massalistes, resté fidèle au postulat de l’action directe révolutionnaire. En juillet 1954, les deux ailes du parti se heurtent lors du congrès de Hornu en Belgique: Massali Hadj est élu président à vie, les 8 dirigeants principaux de tendance réformiste sont exclus (ils passeront au FLN après l’insurrection). Massali Hadj prévoit dans son discours une lutte systématique pour la préparation d’une insurrection armée visant à "internationaliser le problème algérien" en le liant à celui du Maghreb arabe. La date de l’action est prévue pour février 1955. Certains membres menés par Mohammed Boudiaf de l’OS tentent de former une troisième force pour tenter de sauver l’unique parti de masse de l’Algérie en créant le Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action ou CRUA en mars 54 afin de réconcilier les massalistes et les centralistes.

Mais les événements se précipitent. La Tunisie et le Maroc sont en lutte et connaissent d’innombrables opérations de police.

L’Algérie, depuis la répression de 1945, est l’objet de vastes opérations militaires et policières. En 1950 et 51 ont lieu d’innombrables expéditions de l’armée française dans l’Aurès; en 53 et 54, c’est le tour de la Kabylie, puis encore de l’Aurès. La défaite de Dien Bien Phu le 8 mai 1954, c’est-à-dire de l’impérialisme français et de son armée forte de 450 000 hommes, balaie toutes les hésitations. En août, Khider et le leader nationaliste marocain El Fassi annoncent l’institution d’un Comité de libération du Maghreb et l’entrée en action dans les 3 territoires nord africains d’une "armée insurrectionnelle unifiée".

Une insurrection armée est décidée au Caire le 10 octobre 1954 par des membres de l’OS (Ben Bella et Khider, représentants du MTLD, se trouvent au Caire, et sont assurés d’appuis promis par Nasser. Ces deux hommes n’ont pas pris position dans le conflit au sein du MTLD et ont reçu les délégations des deux parties. Ils choisissent la date de l’insurrection à l’insue aussi bien des massalistes que des centralistes !) et la secte des Frères musulmans: la date est fixée au 1er novembre 1954. Le choix d’anticiper la date par rapport à celle proposée par les massalistes peut s’expliquer par la nécessité pour les hommes du Caire de mettre les différents courants nationalistes devant le fait accompli, dans l’impossibilité de le désavouer et d’unir ainsi les forces dans une action commune. Les massalistes se lanceront farouchement dans la bataille, puis le FLN créé, seront irrémédiablement écartés; la lutte armée acquerra l’adhésion de la paysannerie.

Depuis 1947, il y a déjà des groupes armés dans les maquis de Kabylie, dont le chef est Krim Belkacem qui ralliera le CRUA puis le FLN. Les wilayas où la rebellion sera durable et puissante seront la Kabylie, les Aurès-Nemenche et le nord Constantinois, régions montagnardes, paysannes.

L’insurrection sera surnommée "la Toussaint rouge". Le déclenchement de l’insurrection est marqué par une soixantaine d’attentats sur tout le territoire, et la rébellion des maquisards dans les Aurès. Le mot d’ordre a été donné de ne pas tirer sur les civils, mais deux civils sont tués par erreur dans les Aurès. Ces attentats causent beaucoup de dommages et 7 morts. C’est le début de la guerre.

Après l’insurrection du 1er novembre 1954 qui se localise principalement dans les Aurès sous forme d’action de guérilla, les maquis s’étendent à tout le territoire: dans l’Aurès et une partie du nord Constantinois, dans l’est et l’Ouest Constantinois et la Grande Kabylie. Dans l’Oranais, les maquis solidement armés sont soutenus par le Rif et le Maroc. Le Maroc et la Tunisie en lutte apportent à ce moment-là une aide importante à l’Algérie. Le dispositif français n’est pas encore en place, et malgré la disproportion énorme des forces en présence, la superindustrialisation de la France et son armée numériquement écrasante, le rapport des forces évolue en faveur des insurgés. L’adhésion des masses, principalement paysannes est rapidement majoritaire.

En janvier 1955 les dirigeants du mouvement proclament du Caire en remplacement du CRUA la fondation du Front de Libération National,le FLN, en lutte pour la liquidation du régime colonial et l’indépendance nationale, et les forces combattantes sont encadrées par l’Armée de Libération Nationale ou ALN. Le mot "front" a été voulu par Boudiaf «afin que tous les algériens, quel que soit leur affiliation politique, puissent s’y joindre», toutes classes confondues. Le FLN représente donc essentiellement la petite bourgeoisie paysanne. Les dirigeants de la wilaya II (nord Constantinois) reconnaissent que leurs effectifs comptent 6 paysans pour un citadin. Par contre, tous les principaux organisme dirigeants du FLN sont composés de citadins, populistes petits bourgeois, à part Krim Belkacem d’origine paysanne. C’est Alger qui fournira le personnel politique pour la direction des wilayas.

Le gros des troupes est fourni par la grande masse de prolétaires (300 000 maquisards) qui ont été chassés de leurs terres ou poussés vers les villes par l’exode rural. La principale revendication du FLN est l’indépendance nationale.

Le gouverneur d’Alger fait arrêter les massalistes et les centralistes étrangers à l’insurrection. Les centralistes rejoignirent le FLN, tandis que les massalistes fondent un nouveau parti, le Mouvement National Algérien ou MNA.

Aussitôt après le déclenchement de l’insurrection, les cellules du MTLD-CRUA organisent activement et systématiquement les collectes de fonds pour les maquis aussi bien que le passage des travailleurs qui rentrent en Algérie. En métropole, des réseaux de portes-valises (français et algériens) convoient l’argent donné par les travailleurs algériens immigrés. Ces réseaux passent l’argent à l’est par l’Allemagne de l’Ouest (l’Etat allemand ferme les yeux, trop heureux de participer à la remise en question du colonialisme dont il avait été frustré par l’impérialisme anglo-français). D’importantes manifestations algériennes ont lieu jusque dans la métropole; à Paris même, 10 000 nord Africains partent de la mosquée avec le drapeau algérien en tête. Le 1er mai 1955, au bois de Vincennes, des milliers d’algériens sont rassemblés; les dirigeants de la CGT refusent la parole au leader nationaliste et la donnent à un algérien de leur choix: bagarres suivies de 200 arrestations. En septembre-octobre 1955, ont lieu les grandes grèves de Nantes et de Saint Nazaire. Des grévistes prennent d’assaut les bureaux de la direction patronale de Rouen. Mais le prolétariat des métropoles n’a pas d’organisation ni de programme propres pour mener une action révolutionnaire. Malgré l’ampleur des mouvements spontanés, les organisations dégénérées ont tôt fait, là aussi, d’étaler et d’isoler les initiatives.

Les 9 hommes du CRUA sont devenus les chefs historiques de la "Révolution" algérienne: Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’Hidi, Boudiaf, Bitat, Belkacem Krim, restés en Algérie; Aït Ahmed, Khider et Ben bella réfugiés au Caire. Une petite armée clandestine dite de Libération nationale ALN fut organisée. 4 mois après sa création, le CRUA avait mis sur pied son organisation militaire et divisé l’Algérie en 6 wilayas (les wilayas sont des régions militaires et administratives où pouvoir politique et militaire se superposaient): les Aurès, le nord constantinois, la Kabylie, l’Algérois, le sud et la base de l’est près de la frontière tunisienne (la wilaya du sud sera ensuite abolie et partagée entre la III et la IV), l’Oranie. Chaque wilaya a un Etat major composé de 6 hommes et chacune est commandée par un colonel: Mostefa Ben Boulaïd pour la I (les Aurès), Rabah Bitat pour la II (le nord Constantinois; il changera pour la IV, car il est plus à l’aise dans le terrorisme urbain), Belkacem Krim pour la III (Kabylie), Mourad Didouche pour la IV (Algérois, puis prendra la II), Larbi Ben M’Hidi pour la V (l’Oranie). Le président du CRUA est Boudiaf, le sixième chef historique de l’intérieur.

Ces 6 chefs de l’intérieur (par opposition à ceux restés au Caire) organiseront donc l’insurrection en Algérie. Didouche mourra au combat en janvier 55, Ben M’Hidi et Ben Boulaïd seront tués, Bitat arrêté, Krim sera réservé à d’autres tâches que celles militaires. Un des chefs les plus "politisés" Chihani Bachir dont l’autorité couvre trois wilayas du Sahara à la côte orientale sera assassiné par ses lieutenants. D’autres hommes émergeront dont Houari Boumédiène, futur chef d’état major de l’ALN. Seul en Kabylie et dans les Aurès existe un maquis. L’ALN compte en 1954 500 combattants ou moudjahid, et 120 000 en 1957-59. Les chefs de l’extérieur demeurés en Egypte comme Ben Bella seront souvent présentés comme les chefs de la "Révolution". Les mass-media présenteront la rébellion comme étant dirigée par Ben Bella du Caire, masquant ainsi l’organisation intérieure et les conflits qui existent entre cette dernière et l’organisation extérieure basée au Caire. Dans la groupe de direction du Caire, organisé en un Conseil National de la Révolution Algérienne ou CNRA, Ben Bella tient le rôle de la coordination avec le territoire algérien, Ait Ahmed celui du travail diplomatique, Khider des relations avec les autres territoires du Maghreb (aides financières et militaires) et avec le gouvernement égyptien. La lutte s’appuie sur les relations politico-diplomatiques, la guérilla sert à exercer des pressions sur Paris lors des négociations, et la propagande cherche à provoquer des actions internationales ! Après les attaques, les positions de replis se trouvent dans les maquis, et sur les zones frontières d’où arrivent les approvisionnements en matériel et en nourriture, surtout après 1956 quand le Maroc et la Tunisie acquerront leur indépendance.

En août 1955, la wilaya du nord Constantinois du FLN déclenche avec l’aide de la population musulmane locale, une attaque contre 36 centres de colonisation. Les assaillants perdent 1273 personnes et tuent 123 personnes dont 71 européens, provoquant la scission recherchée par le FLN entre musulmans et européens. Le président de la République française Guy Mollet obtient de l’Assemblée nationale, y compris des députés communistes, l’octroi de pouvoirs spéciaux pour rétablir l’ordre en Algérie. L’armée est invitée à édifier une Algérie nouvelle, ce qui va bientôt en faire la principale force politique du pays. Les succès du FLN et la brutalité de la répression française entraîneront rapidement l’unanimité des forces politiques autour du FLN, à l’exception du MNA.

En 1956, le FLN intensifie son activité militaire et politique. Outre des opérations de guérilla, étendues à l’Oranie et aux villes, le FLN remporte d’incontestables succès politiques. Le FLN finit par regrouper les Oulémas, l’UDMA qui rejoint le FLN en 56, le Comité Central et les Indépendants. L’opération du 1er novembre ne fut pas reconnue par ces dernières organisations. L’UDMA continuera de siéger dans les Assemblées françaises et participera aux élections municipales d’avril 1955 boycottées par le FLN et le MNA. L’UDMA réclame en décembre 1955 les démissions de tous les élus et en avril 1956 Abbas dans une conférence de presse au Caire notifiera son adhésion au FLN. Les Oulémas suivront et le PCA (déclaré illégal en septembre 1955) invitera ses militants à rejoindre le FLN en juillet 56. Tous les partis politiques algériens rejoignent donc le FLN sauf les massalistes.

Le FLN fonde aussi un syndicat en 1956, l’UGTA, l’Union Générale des Travailleurs algériens, pour prendre le contre-pied du syndicat massaliste du PPA, l’USTA ou Union Syndicale des Travailleurs algériens, et de l’Union Générale des Syndicats algériens contrôlée par le PCA. L’UGTA n’a ainsi dès son origine aucune mission de défendre les ouvriers face à leurs exploiteurs ! Les chefs d’entreprises algériens (8000 petites entreprises) ne sont attaqués qu’en cas de refus de paiement des cotisations exigées par le FLN ! (21). Des grèves illimitées des étudiants et écoliers musulmans, des désertions d’officiers et de soldats algériens de l’armée française se produisent.

L’audience de Massali Hadj s’effondre. Seul parti politique à refuser de rejoindre le FLN (qui par ailleurs n’est guère preneur !), les massalistes (Massali Hadj se trouve en résidence surveillée à Belle Ile en France) sont repoussés dans le jeu de briseur de l’union nationale représentée par le FLN, et sont à cet effet utilisé par le gouvernement français. Des heurts sanglants opposent les 2 groupes nationalistes qui se vouent une haine viscérale. Le FLN sortira incontestablement victorieux de cette bataille. En 1955 le PC algérien est dissous par l’administration française. Il passe à la clandestinité et des militants isolés rejoignent les maquis. Au moment du Front Populaire, le PCA se vantait d’être avec ses 5000 adhérents le parti le plus puissant d’Algérie. Avant l’insurrection, il comptait 15 000 adhérents dont de nombreux européens. Mais le FLN considèrera avec mépris l’activité des staliniens qui essayent de redorer leur blason en s’accrochant aux basques du mouvement insurrectionnel (il dénoncera en 1956 certaines initiatives du PCA qui s’efforce d’infiltrer les rangs du FLN et de l’ALN).

Le 12 mars 1956, les députés staliniens jettent le masque et votent la loi sur les pouvoirs spéciaux présentés par le gouvernement de gauche de Guy Mollet. Cette loi permet à l’impérialisme français de mettre sur pied le dispositif politique et juridique nécessaire pour mobiliser 500 000 hommes.

Les responsables FLN de l’intérieur prennent l’initiative de réunir le 20 août 1956 un important congrès clandestin dit congrès de la Soummam (région près d’Oran) auquel les dirigeants extérieurs (à leur grand regret) ne peuvent se rendre pour des raisons de sécurité. Les protagonistes du Congrès sont les commandants (Krim, Ouamrane, Zighout, Ben M’Hidi), des militaires comme Ben Tobbal, Boussouf, et un politique, le kabyle Abane Ramdane. Ils cherchent à rendre cohérentes les forces politiques divergentes qui composent le front. L’Armée de Libération se donne un Etat-major unique confié à Belkacem Krim. La direction politique du FLN était confiée à un Conseil National de la Révolution ou CNRA, composé de 34 membres (la moitié sont membres du front interne, un quart membres des délégations externes, un quart des syndicalistes) élus par le Congrès; cette assemblée est présidée par M’Hidi. L’exécutif (qui deviendra en 1958 le gouvernement provisoire) est appelé Comité de Coordination et d’Exécution ou CCE composé de 5 membres: Abane Ramdane, chef du gouvernement, le syndicaliste Aissat Idir (arrêté, il sera remplacé par Ben Khedda), Ben M’Hidi, Zighout (après sa mort, il est remplacé par Saad Dahlab). Ce congrès représente l’investiture officielle du FLN comme unique organisation nationale. Le MTLD est définitivement écarté. Le PCA y est condamné pour son opportunisme et la faiblesse de ses convictions nationalistes, trop subordonné au PCF et au prolétariat industriel. Dans son texte publié lors du Congrès, le FLN explique que son but est l’indépendance nationale par la destruction du régime colonial et que «La participation massive des fellahs et des ouvriers agricoles à la révolution, leur prévalence dans les rangs des combattants de l’ALN, ont profondément marqué le caractère de la résistance algérienne. La population algérienne est vraiment convaincue que sa soif de terre ne pourra être satisfaite que par la victoire de l’indépendance nationale».

Une vraie réforme agraire est indissociable de la destruction du système colonial. Mais la contribution de la classe ouvrière est décisive, et la constitution d’une centrale syndicale algérienne, dissociée des organisations françaises et de celle liée au MTLD, l’UGTA, est saluée. Ce n’est pas un hasard si l’analyse ignore la notion de lutte de classe, car ce front regroupe malheureusement toutes les forces bourgeoises qui se doivent d’utiliser l’énergie motrice prolétarienne. La "révolution" algérienne s’insère dans la politique de l’unité du Maghreb et du panarabisme de Nasser. Quoiqu’il en soit, ce congrès, qui est un plein succès pour les hommes de l’intérieur menés par A.Ramdane, ouvre grande la porte aux négociations avec l’Etat français. Ben Bella critiquera par la suite ce congrès comme une prise de pouvoir des politiques et des négociations sur les militaires et les combats.

En octobre 1956, l’avion qui transporte de Rabat (Maroc) à Tunis les leaders du FLN (Ben Bella, Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Khider) est dérouté sur Alger par l’armée française et ses passagers arrêtés. Le FLN après l’exécution de deux combattants de l’ALN décide de recourir au terrorisme urbain aveugle et meurtrier. En automne 56, la France subit un cuisant revers avec l’échec de l’expédition militaire de Suez qui cherche à couper les ravitaillements entre les insurgés algériens et le cœur des mouvements nationaux arabes situés au Caire.

«En janvier 1957, le FLN organise en Algérie une grève de 8 jours, qualifiée par certains d’insurrectionnelle. Une vague d’attentats est déclenchée pour appuyer cette action. L’impérialisme français concentre sur les principales villes, et en premier lieu sur Alger, des forces de répression extraordinaires. De son côté, le MNA massaliste déclenche tant en Algérie que dans l’émigration une grève générale limitée à 24 heures. Le premier jour, la grève est à peu près totale parmi les algériens. Le second jour, le puissant dispositif français brise la grève par les moyens les plus violents. Le MNA accuse le FLN de cet échec: le but de l’action ne tenait pas compte du rapport des forces, sacrifiait les éléments les plus combatifs et décourageait les masses. Le FLN accusa, lui, non sans raison, le MNA d’avoir brisé l’élan et l’unité du mouvement en arrêtant la grève le second jour, ce qui affaiblissait la résistance de ceux qui la poursuivirent et furent en butte à la répression. Quoiqu’il en soit, la première période des grandes grèves est close» (P.C. n°13).

La période la plus dure pour le FLN sera celle de la "Bataille d’Alger" dirigée par le général Massu en janvier-septembre 1957 qui réussit à démanteler le réseau terroriste urbain du FLN (les centres urbains étaient avant le début de l’insurrection sous l’influence du MNA). Mais c’est aussi celle du plan de répression du général Challe en 1957 qui prend des mesures de contre-terrorisme très efficaces: lignes électrifiées le long des frontières marocaines et tunisiennes (La Tunisie et le Maroc sont maintenant indépendants), camps de regroupement pour la population rurale (un quart à un cinquième de la population algérienne arabe sera touchée) afin d’enlever aux maquisards le soutien matériel des paysans, quadrillage du territoire (les effectifs militaires en Algérie passent ainsi de 54 000 hommes en 1954 à un demi million dont une partie importante d’appelés).

Les défaites militaires du FLN sur le terrain sont largement compensées par l’augmentation de son influence politique parmi les masses algériennes et ses victoires diplomatiques au niveau international. Sur le terrain, le MNA et le FLN règlent leur compte jusqu’à une lutte entre maquis. En mai 1957, un commando FLN massacre tous les hommes du petit village de Melouza (petite Kabylie) qui appartiennent au MNA. Le MNA est en effet pourchassé par le FLN et se fait noyauter par la police française.

MNA et FLN n’ont aucun programme économique et social bien défini, le MNA ayant abandonné le programme de l’ENA. Quoiqu’il en soit, c’est au PCF et à Moscou qu’incombe la responsabilité du sabotage de toute liaison entre le mouvement d’indépendance des peuples coloniaux et du mouvement communiste du prolétariat des métropoles.

Face à la répression (Ben M’Hidi est capturé et tué en mars 57), le CCE du FLN, après s’être installé à Alger, se partage en deux: Ben Khedda et Dahlab au Maroc, Krim et Ramdane en Tunisie. La guérilla se divisait désormais en deux zones militaires: l’est avec les wilayas I,II,III appuyées à la Tunisie, l’Ouest avec les wilayas IV,V et VI appuyées au Maroc. En août 57, se tint au Caire la deuxième session du CNRA qui à cause des difficultés accrues décide d’élargir le CCE à 9 membres et de le transformer en un gouvernement provisoire. A. Ramdane y était opposé (il fut accusé de fomenter un complot kabyle !). Le nombre des membres du CNRA fut porté à 54, et le CCE comprenait: A. Ramdane et Krim qui furent les seuls à être confirmés (il s’agissait là d’une victoire des extérieurs), Lamine Debaghine, Ouamrane et Abbas, trois colonels de wilayas (Boussouf, Ben Tobbal, Chérif Mahmoud) et un homme de la Ligue arabe, Abdel Hamid Mehri.

En mai 1958, A.Ramdane meurt dans des conditions mystérieuses à Tunis (Le journal Le Monde parlera d’un assassinat politique...) et le Gouvernement provisoire de la République algérienne ou GPRA entre en fonction à Tunis en septembre. Tous les membres du CCE sauf Ouamrane y entrent, de même que les prisonniers de l’avion (Ben Bella est nommé vice président); Abbas est nommé président ! Le FLN assume là un nouveau virage après quelques règlements de compte: élimination de Ramdane et de Ben Boulaid, procès militaire présidé par Boumédiène qui aboutit en 1958 à l’exécution d’officiers "rebelles".

En avril 1958, le chef FLN Amirouche intoxiqué par les services du Colonel français Godard fait exécuter plus de 200 fellaghas pour trahison (fellagha: nom donné par les Français aux combattants du FLN, signifie bandits, coupeurs de routes).

Le gouvernement de la IV ème république française s’essouffle, et se dit prêt à engager des pourparlers avec le FLN. Depuis le début des hostilités, le gouvernement français présidé par le socialiste Guy Mollet a changé six fois. La gauche radicale (avec Mendès France, l’intelligentsia de l’Express, la gauche catholique de la revue Esprit, le PCF) s’oppose à celle modérée. Le 12 mars 1956, les députés staliniens abattaient leurs cartes et votaient la loi sur les pouvoirs spéciaux présentée par Guy Mollet. Celle loi permettait à l’impérialisme de mettre sur pied le dispositif politique et juridique nécessaire pour mobiliser 500 000 hommes et reprendre la situation en main en Algérie. Les staliniens fournissaient ainsi au colonialisme le moyen de "pacifier" l’Algérie.

Les défenseurs d’une Algérie française, hostiles à toute intégration ou indépendance, se déchaînent à Alger et guettent le moment de jeter à bas le régime de Paris.

En effet, pour de nombreux militaires français, après le cuisant échec de l’Indochine, l’Algérie ne peut être perdue; ils refusent d’accepter le nouvel ordre de rapports internationaux imposés par les accords de paix de la deuxième guerre mondiale et qui relégue la France au rang de puissance de second ordre. Les activistes pieds noirs sont alliés aux gaullistes et aux ultras de l’armée. Lors d’une manifestation le 13 mai 1958 en hommage à trois militaires français exécutés par le FLN en Tunisie, les factieux envahissent les bâtisses du gouvernement général à Alger, symbole de l’autorité de la IV ème république. Un Comité de Salut Public (sic !) se forme avec à sa tête le général gaulliste Massu, immensément populaire à Alger. Ce Comité de Salut Public défend les intérêts des grands colons sous la protection des commandements militaires. Le général Massu, auquel le ministre résident avait délégué tous les pouvoirs, en appelle à De Gaulle, reclus volontaire depuis 1946 à Colombey les deux Eglises (nom prémonitoire !), et qui se garde bien de donner ouvertement un appui à quiconque. Le comité menace de préparer un coup de force contre le gouvernement en métropole. L’autorité du gouvernement de Paris se désagrège et l’armée n’obéit plus au ministre de la défense nationale.

De Gaulle, affirmant qu’il faut éviter le "pire", c’est-à-dire l’arrivée des "ultras" au pouvoir, se propose comme l’homme du salut de la bourgeoisie française. Le 29 mai, il se présente devant l’Assemblée qui l’investit avec l’appui de Guy Mollet (SFIO) par 329 voix contre 224 (les communistes, 49 socialistes sur 95, plusieurs personnalités dont Gaston Defferre, Roland Dumas, Charles Hernu, Pierre Mendès France, François Miterrand). Le coup du 13 mai permettra ainsi le retour au pouvoir du général De Gaulle, nommé président de la République le 1er juin 58. [Le 9 janvier 1959, l’avènement de la V ème république avec une constitution à pouvoir présidentiel marquera l’épilogue].

En Juin 1958, De Gaulle déclare à Alger: "Je vous ai compris". Il tente de rallier l’élite algérienne en promettant à l’Algérie un avenir économique et politique. Le démarrage du Plan de Constantine, qui se propose de développer industriellement l’Algérie, se fait à vive allure avec la construction de villages, l’édification de nouveaux quartiers, tandis que l’ONU et les Américains font pression pour l’indépendance algérienne. En fait le plan de Constantine s’avérera être une bonne affaire pour le grand Capital français en se proposant de mettre en valeur les ressources pétrolifères découvertes en 1956 et d’augmenter la production d’acier à meilleur prix que celui français. Dans P.C. n°7, nous écrivions: «Sidérurgie, pétrole et sous-développement: le plan de Constantine de 1958. La déprédation coloniale en Algérie se manifeste du fait qu’en moins d’un siècle la consommation de grain par habitant a diminué de plus de la moitié. Le plan de Constantine propose de mettre en valeur des ressources pétrolifères découvertes en 1956 du Sahara et le développement industriel de la région de Bône (Annaba) ce qui relèverait le niveau de vie des indigènes et barrerait la route à l’impérialisme américain avec la Standard Oil. Mais ce plan est une bonne affaire pour le grand Capital français et nullement un facteur d’harmonisation économique et social. Le complexe sidérurgique de Bône palliera aux défauts de la structure productive des concentrations industrielles de l’est et du nord de la France. La production annuelle de l’acier est passée de 4 400 000 tonnes en 1946 à 14 600 000 tonnes en 1958 en France métropolitaine. Le complexe de Bône produirait au minimum 400 000 tonnes annuelles qui passeraient sous le contrôle des 4 grands de l’acier français: Usinor, Sidélor, De Wendel, Lorraine-Escaut avec des conditions favorables de Bône qui n’a pas les handicaps de la sidérurgie française, c’est-à-dire une mauvaise desserte en moyens de transports et une nécessité d’importer des minerais lointains car les qualités locales sont trop pauvres en fer. Le nouveau complexe de Bône bénéficiera d’un minerai riche en fer (55% au lieu de 30 de la minette lorraine) des mines de l’Ouenza, et d’un bas prix de revient de l’énergie grâce à la création d’une puissante centrale utilisant les gaz de pétrole des gisements récemment mis en exploitation» (22).

De Gaulle organise, sous le couvert de faire approuver la nouvelle constitution pour passer de la IV ème à la V ème République, un référendum pour le 28-9-58. Il s’agit de sauver la République devenue ingouvernable, et de provoquer l’unanimité de toutes les classes, de toutes les opinions, des colons et des indigènes, sur son personnage. Et avec la nouvelle constitution, il organise un pouvoir présidentiel avec un parlement accessoire. Le succès est total: 17,6 millions d’électeurs de la métropole disent oui, contre 4,6 millions de non et 4 millions d’abstentions. Il en est de même dans tout l’Outre mer (sauf la Guinée) et en Algérie (96% de oui !). De Gaulle rafle ainsi 3 millions de voix à la gauche en pleine débandade, et devient l’homme providentiel pour sauver la République gangrenée par le problème algérien, pour concilier toutes les parties, et surtout pour protéger les intérêts du grand capital !

L’indépendance nationale algérienne est dans le contexte international inévitable. Le colonialisme a bloqué toute possibilité de développement économique de l’Algérie, tant et si bien que non seulement les indigènes réclament leur "liberté", mais les colons eux aussi auraient intérêt (comme ceux de l’Amérique du nord au siècle dernier) à se débarrasser du gouvernement parasite de Paris. La bourgeoisie française effrayée par le coup du 13 mai à Alger et par la détermination des insurgés algériens s’en remet à De Gaulle pour calmer le jeu. Et en effet, le tacticien manœuvre si habilement, qu’en perdant la guerre, la France gagne la paix: les "accords" (publics ou secrets) de la paix d’Evian de 1962 sanctionneront des rapports "cordiaux" permettant à la bourgeoisie française de continuer à exploiter l’Algérie. L’intermédiaire utilisé ne sera plus le colon mais la bourgeoisie autochtone continuatrice de l’exploitation féroce des masses paysannes, qui sont le moteur du mouvement insurrectionnel algérien.

Le capital français peut ainsi passer de l’ère du capital financier à celui de l’industrialisation utilisant les sources énergétiques algériennes. La petite paysannerie française, qui a pu survivre jusque là grâce à l’exploitation des paysans algériens, sera sacrifiée.

Comme nous l’écrivions dans Programma Comunista n°13 de février 1960: «De Gaulle est le grand capital; son régime et lui seul est le fascisme. Les colons "rebelles" d’Alger étaient et sont le passé myope et conservateur de la bourgeoisie moyenne: De Gaulle et Debré sont l’ "avenir" fasciste, c’est-à-dire réformiste, parce que conscient de la gravité de la crise capitaliste, de la classe dominante; centralisateur, adorateur de l’Etat, dictatorial. Les résistances des premiers devaient être brisées: il suffisait, comme cela advint, de les isoler. Les seconds pouvaient ainsi en profiter pour se faire reconnaître légalement les pouvoirs exceptionnels qu’ils n’exerçaient pas encore complètement, et on les leur consentaient au nom de la... défense de la démocratie des assauts du fascisme (...) Avec la même logique inflexible, il était facile de prévoir que les derniers à comprendre la situation auraient été les antifascistes. Dans la panique folle causée par la révolte algérienne, interprétée comme un "sursaut fasciste", tout l’arc-en-ciel des partis constitutionnels, démocratiques, parlementaires – avec à leurs têtes, comme il se doit, les soi-disant communistes de Thorez et Duclos, et leurs doublures italiques – s’est précipitamment rangé derrière De Gaulle (...) Cet arche de Noé de l’idéologie bourgeoise qui s’appelle Parti Communiste Français a invité les ouvriers à faire la grève pour protester contre le fascisme algérien». Mais pour sauver la face, le PCF votera contre les pouvoirs spéciaux !

Il faut aussi souligner (Réunion de Casale de juillet 1960) que grâce au rôle doublement défaitiste de l’opportunisme international, dont l’influence s’exerce directement sur le prolétariat des grandes puissances impérialistes et indirectement sur les mouvements politiques coloniaux dirigés contre leur joug, la bourgeoisie mondiale dispose, malgré les renonciations auxquelles elle a été contrainte en Afrique et en Asie (bourgeoisies anglaises et hollandaises), de toute une série de "solutions" de repli qui sauvegardent l’essence de sa domination même là où son apparence externe a changé. L’impérialisme dans son ensemble a pu et peut se concilier avec des formes d’indépendance des pays ex-colonisés qui ne mettent pas en cause la domination mondiale du capital. C’est une solution qui non seulement sauvegarde l’essentiel de la domination des Etats blancs contre le danger que la crise colonialiste ne débouche sur une crise sociale, mais aussi les assure de la solidarité des nouveaux appareils étatiques dont les classes dirigeantes sont tout aussi anxieuses de freiner les masses populaires qui les ont portées au pouvoir.

A la réunion de Bologne de novembre 1960, nous soulignions que la France est le seul pays capitaliste resté en guerre depuis 1939, ce qui a amené sur le plan économique une modernisation des infrastructures industriels; et la guerre d’Algérie a ainsi rajeuni un pays sclérosé. Depuis 1945, le rythme de développement de la production industrielle a été comme l’incrément démographique sans précédent. Ce fait, s’il était suffisant à empêcher le déclin, ne suffisait pas à maintenir sur les colonies une domination non plus uniquement militaire et politique, mais économique.

La bourgeoisie française visait les "biens utiles" à la "grandeur" de la France: le pétrole et les bases militaires. Le grand capital industriel se préparait à trouver le compromis le plus favorable à ses intérêts avec les bourgeois nationalistes algériens. Le FLN s’était déjà déclaré prêt à négocier avec la France au congrès de la Soumman. Dès avril 56, le gouvernement de Guy Mollet eut des contacts avec le FLN (rencontres de Mohammed Khider au Caire, à Belgrade, à Rome). L’arrestation des 5 chefs du FLN en octobre 56 discrédite aux yeux des nationalistes le gouvernement français. Avec l’arrivée du Général De Gaulle au pouvoir en 1958, le trait d’union se fait avec un notable algérien, la France refusant de discuter avec les prisonniers capturés en 1956 et que le FLN désigne comme ses représentants.

La transition se fit progressivement en raison des résistances des Français d’Algérie et toutes les manœuvres furent utilisées dans les négociations avec les nationalistes (intensification de la répression militaire sur le terrain avec le "plan Challe", discussions avec le MNA le frère ennemi du FLN pour diminuer la force du FLN dans les négociations, mesures de développement économique et social avec le "plan de Constantine" de 1958 pour soulager les tensions sociales du côté des indigènes). L’homme de guerre, De Gaulle, réussit à isoler en Algérie l’armée française des ultras du Comité de Salut Public, qui réapparaitront dans les gestes de l’Organisation de l’Armée secrète (OAS), représentant les intérêts des colons spoliés par le choix politique français.

En septembre 1958, les leaders du FLN constituent au Caire un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) présidé par Abbas  (23). Le GPRA qui siège alors à Tunis s’occupe de la représentation diplomatique du FLN à l’étranger, de la mobilisation des ressources financières nécessaires à l’organisation des maquis et de l’encadrement des populations réfugiées au Maroc et en Tunisie. Il est responsable devant le CNRA qui le remanie à deux reprises. L’état major de l’Armée nationale de libération (ALN) a pour chef Houari Boumédiène (24). A la troisième session du CNRA à Tripoli en décembre 1959, le courant dit de "gauche" mené par Ben Khedda attaque le président du GPRA, Abbas sur la conduite des négociations avec l’Etat français. Le GPRA subit un large remaniement avec la sortie de L. Debaghine qui laissa le ministère des Affaires étrangères à B. Krim (l’unique chef historique restant de 1954) et Ben Khedda devient ambassadeur itinérant. Le CNRA établit que la cessation des hostilités se ferait avec l’accord d’une majorité des 4/5 èmes. Il passe à 70 membres, les 2/3 vivant en Algérie; mais par son nombre important de membres, le CNRA est privé de toute initiative politique.

De leur côté, les européens d’Algérie s’estiment trahis et le 24 janvier 1960, les ultras tentent une épreuve de force contre le gouvernement de De Gaulle: des manifestants armés tirent au fusil mitrailleur sur les gendarmes mobiles tuant 14 et blessant 61 d’entre eux. De Gaulle répond à l’insurrection "des barricades" par la force en destituant les officiers rebelles et en contraignant les insurgés à la clandestinité. En avril 1961, les chefs de l’OAS, les généraux Salan, Jouhaud, Challe et Zeller, tentent un coup de force et annoncent leur arrivée en France. Le PCF appelle les ouvriers à défendre la démocratie contre le fascisme, à occuper les usines; mais le putsch échoue et a pour effet au contraire d’accélérer les tractations franco-algériennes.

Les négociations butent sur de nombreux problèmes dont celle de la souveraineté sur le Sahara dont on connaît depuis 1956 les richesses en pétrole. Il faut le déchaînement de l’OAS au cours de l’automne et l’hiver 61-62, les "chasses à l’Arabe" (256 tués en 15 jours) pour décider le GPRA à reprendre sérieusement les négociations.

L’ "opinion française", révoltée par les attentats de l’OAS sur le territoire français, exige la paix immédiate. Les masses se préparent à l’indépendance algérienne: en juin 1960, 53 mouvements de jeunesse expriment leur volonté de voir cesser la guerre d’Algérie; en septembre 1960, le procès à Paris des membres du réseau de soutien au FLN (réseau Jeanson) a lieu et le "Manifeste des 121" intellectuels français sur le droit à l’insoumission est publié dans les journaux. Le 17 Octobre 1961, une manifestation pacifique de 20 000 à 30 000 0000 algériens a lieu à Paris et dans la région parisienne à l’appel du FLN pour protester contre l’institution du couvre-feu pour les algériens (47 membres de la police sont tombés sous les balles des terroristes en France) et les assassinats de plus en plus nombreux d’algériens. Il s’agit de la première manifestation de masse au cœur de Paris lancée par le FLN. La répression conduite par le préfet Papon fut atroce (des centaines d’algériens furent tués) !

Le 19 Décembre 1961, une manifestation est organisée par la CGT, CFTC, UNEF, PSU, PCF, contre l’OAS et pour la paix en Algérie, malgré l’interdiction du gouvernement. En Février 1962, une manifestation à l’appel du PCF contre l’OAS au métro Charonne à Paris donne lieu à des violences policières (8 morts).

Les négociations officielles commencent donc lors de la conférence d’Evian (20 mai au 13 Juin 1961 et celle de Lugrin (20-28 Juillet 1961). Pour la France l’interlocuteur est le GPRA; le MNA est définitivement écarté. En juillet 1961 à Tripoli, les divisions éclatent au sein du GPRA entre le "comité de guerre" du GPRA (composé de B.Krim, Boussouf, Ben Tobbal) et le commandement suprême de l’ALN qui prend pour chef Boumédiène. Les commandements militaires s’installent à l’extérieur du pays, dans les deux quartiers généraux de Ghardimaou (Tunisie) et Oudja (Maroc). Les propositions du gouvernement français sont examinées en août par le CNRA à Tripoli.

Ferhat Abbat, considéré comme trop conciliant, est remplacé à la tête du GPRA par Youssef Benkhedda (Abbas deviendra le premier président du Parlement de l’Algérie indépendante. En 1964, protestant contre le caractère trop autoritaire de la Constitution, du régime de Ben Bella, il est arrêté et sera libéré en 1965 par Boumédiene). L’état major de l’ALN, dénonçant des "déviations", démissionne, mais sa démission est repoussée.

L’accord sur la cessation des hostilités et les accords politiques est préparé lors d’une réunion secrète près la frontière suisse en février 1962. Le CNRA réuni à Tripoli le même mois donne son accord, mais les discussions sont vives entre le courant "dur" représenté par Boussouf et Ouamrane qui accusent les négociateurs d’avoir conclu avec la bourgeoisie française des accords secrets, et le courant modéré de Abbas. Le colonel Tayeb, proche de Boussouf, et le colonel Houari Boumédiène se prononcent aussi contre les accords. Une rupture apparaît clairement entre le GPRA et les forces de l’armée "extérieure" de Oudja et Ghardimaou. Les prisonniers dont Ben Bella donnent leur approbation, de même que Belkacem Krim, chef de la délégation du FLN à Evian (après avoir été le chef du maquis kabyle) (25).
 
 
 
 
 

II. 3 - La trahison: les accords d’Evian
 

Le 19 Mars 1962, la cessation des hostilités est proclamée et les accords d’Evian sont signés. Le texte des accords d’Evian est soumis au jugement du CNRA qui se réunit à Tripoli fin février.

La session est agitée par les heurts entre le courant "dur"(représenté par Boussouf) et modéré (représenté par F. Abbas). Boumédiène, chef de l’Etat major de l’ALN depuis 1960, est contre les accords, dénonçant les "clauses secrètes". Ben Bella, encore emprisonné, approuve les accords.

La France reconnait la souveraineté de l’Etat algérien sur les 15 départements de l’Algérie et sur le Sahara. Les Français d’Algérie conservent pendant trois ans la double nationalité et devront opter ensuite entre la nationalité française ou algérienne. La France "vaincue" se voit garantie des intérêts économiques et stratégiques. Elle maintiendra une armée de 80 000 hommes pendant 3 ans, conservera des aérodromes dans le Sahara pendant 5 ans, une base navale à Mers El Kébir pendant 15 ans. Elle s’engage à accorder une aide financière privilégiée ainsi qu’une coopération technique. Un organisme technique franco-algérien est créé pour la mise en valeur des richesses du sous-sol saharien et l’Algérie s’engage à faire partie de la zone franc. Les détenus de l’avion sont libérés.

Le 8 avril 1962, les accords sont approuvés en France par référendum. Le 1er juillet, les Algériens plébiscite leur indépendance. De Gaulle et la bourgeoisie française ont désormais les mains libres pour accélérer la réalisation du grand dessein de modernisation de la France.

Le FLN se trouvant le seul maître à bord, les discordes existant en son sein depuis 1954, et que la nécessité de l’unité dans la guerre a masqué, éclatent au grand jour. La course au pouvoir a commencé avant la conclusion des accords d’Evian.

L’Etat major général ou EMG, après avoir réorganisé l’ALN des frontières, entend assurer son contrôle sur les wilaya de l’intérieur, ce à quoi s’oppose le comité interministériel de la guerre ou CIG dépendant du GPRA. Celui-ci va tenter de jouer les wilaya contre l’EMG en leur faisant parvenir de l’argent et des armes légères par l’intermédiaire de la Fédération de France du FLN. Afin de couper l’EMG de l’armée des frontières, le GPRA décide l’entrée de l’EM en Algérie avant le 31-3-1961. La crise est ouverte. L’EMG refuse et remet sa démission le 15 juillet 1961. La réunion du CNRA à Tripoli en août 1961 voit le remplacement de F. Abbas par Ben Khedda, et le départ de l’EMG qui se rend en RFA où se tient le siège de la Fédération de France du FLN. L’armée des frontières se range derrière l’EMG et son chef, le colonel Boumédiène; et la tentative de Ben Khedda de réorganiser l’armée en fractionnant le commandement en deux (Maroc et Tunisie) échoue, de même que sa directive aux wilaya en septembre de cesser tout rapport avec l’EMG. Les membres de l’EMG rentrent en Tunisie. Le colonel Boumédiène est remplacé par le colonel Moussa Benahmed. L’EMG reçoit le soutien des trois prisonniers d’Aulnoy, en France, (Ben Bella, Khider, Bitat). Le bras de fer se poursuit donc entre le GPRA et l’EMG.

Mars-juillet 1962 est marqué par le cessez-le-feu, l’installation de l’exécutif provisoire présidé par Abderrahmane Farès, la création de la Force locale, et le terrorisme de l’OAS.

En effet, la signature des accords d’Evian coïncidera en Algérie avec une tragique flambée de terrorisme européen, l’OAS tentant de déclencher une riposte massive du FLN. Les commandos de l’OAS multiplient les attentats, les assassinats, massacres contre la population algérienne. C’est le commandant Azzedine qui commande en avril la contre-attaque du FLN. Le GPRA appelle la population algérienne au calme. Le 16 juin, un accord conclu entre l’OAS et le FLN (entre Susini et Mostefaï) met fin au déferlement de violence. Mais la majorité des Européens quittent dans un mouvement de panique l’Algérie, ainsi que des dizaines de milliers de harkis en butte à des représailles(plusieurs milliers d’entre eux seront tués dans les mois qui précèdent l’indépendance) (26).

Le pouvoir politique du FLN repose sur le GPRA de Ben Khedda, responsable uniquement devant le CNRA. Le CNRA en juin 62 lors d’une réunion à Tripoli en Libye se sépare en 2 blocs: les commandants des wilayas d’un côté, l’Etat major de l’ALN résidant à Oudja de l’autre, mais la majorité de l’assemblée vote pour Ben Bella, ce qui entraîne la sortie du groupe de Ben Khedda. Ben Bella attaque l’équipe du GPRA et la fait mettre en minorité. Ben Khedda, abandonnant le congrès, décide de gagner Alger pour y affirmer la présence du GPRA, dépositaire de la souveraineté nationale jusqu’aux prochaines élections. En Juillet 1962, les pouvoirs sont remis à Abderhamane Farès.

Le programme de Tripoli de Juin 1962, sous une forme plus ou moins "marxisante" influencée par la coloration anti-impérialiste de Franz Fanon, trace une critique de l’action "révolutionnaire du FLN" accusant sa direction de "mentalité féodale" et "d’esprit petit-bourgeois", et s’assurant les meilleures positions pour la conquête du pouvoir. Ce programme insiste sur la dimension musulmane (développement de la culture arabo-islamique). Il condamne les accords d’Evian en les qualifiant de «plate-forme néocolonialiste que la France s’apprête à utiliser pour imposer sa nouvelle forme de domination» ! Le programme promet une réforme agraire avec expropriation des terres, une organisation en coopératives de production, le développement d’infrastructures, la nationalisation du crédit du commerce extérieur, des solutions pour le logement et pour l’émancipation des femmes. Selon le nouveau programme élaboré à Tripoli, la «Révolution démocratique populaire» doit être menée par «la paysannerie, les travailleurs et les intellectuels révolutionnaires» aux dépens de la féodalité et de la bourgeoisie algérienne dont «l’idéologie ferait le lit du néocolonialisme». Des promesses et de la démagogie pour tous..!

Le GPRA destitue le 30-6-62 le colonel Boumédiène de sa charge de chef d’Etat major de l’ALN et ses deux adjoints. Ben Bella, vice président du GPRA, rejoint par F.Abbas, soutient l’EMG. Ben Bella démissionne du GPRA. Le GPRA avec Ben Khedda entre triomphalement à Alger le 4 juillet, après que la population ait voté par plébiscite l’indépendance, et tandis que la coalition EMG-Ben Bella-Khider s’installe à Tlemcen. A Tizi-Ouzou en Kabylie (wilaya III), Belkacem Krim et M. Boudiaf créent un comité de liaison et de défense de la Révolution, au moment où Ait Ahmed démissionne de tous les organismes directeurs.

Le 22 juillet, Ben Bella annonce la constitution d’un Bureau politique. Le groupe de Tlemcen peut compter sur le soutien des wilaya I(Aurès), V(Oranie), VI(Sahara). Il passe à l’offensive en occupant Constantine le 25-7-62. Le 2 août, un compromis est passé entre Khider et Krim-Boudiaf. Le bureau politique de Ben Bella s’installe à Alger. Le président du GPRA, Ben khedda, accepte de s’effacer. Le 6 août, la Fédération de France qui soutenait le GPRA, fait allégeance au Bureau politique. La résistance continue dans la wilaya III(Kabylie) et IV(Alger). L’EMG se déclare prêt à intervenir et Boudiaf, opposé à l’emploi de la force, démissionne du Bureau politique. Le 29 août, l’armée attaque les unités dans la wilaya IV. L’UGTA tente de s’interposer. Le 30 août, le Bureau politique donne l’ordre aux wilya I, II, V, VI et aux troupes de l’EMG de marcher sur Alger. Les violents acccrochages de Boghari et d’El-Asnam font plus de mille morts. L’EMG parade à Alger le 10 septembre. Seule la wilaya III échappe encore au contrôle de l’EMG. Ce sera chose faite deux ans plus tard. La lutte armée est menée par le Front des Forces Socialistes dirigé par Aït Ahmed et soutenue au début par le responsable de la wilaya III, le colonel Mohand Ou El Hadj. Elle sera endiguée à la veille du coup d’Etat de juin 1965. Le départ en exil de Belkacem Krim, de M. Boudiaf puis de Khider soulagera le nouveau pouvoir.

L’Algérie naît à l’indépendance dans la division et frôlera la guerre civile. Le clan de Boumédiène et de Ben Bella l’emportera, les plus gênants ayant été écartés par la guerre ou par des manœuvres. Comme l’écrivit Boudiaf en 1964 dans son ouvrage "Où va l’Algérie ?": «Les meilleurs des militants du FLN sont rapidement tombés dans la lutte, et sa direction externe a vite cherché les succès diplomatiques avant la formation d’une avant-garde politiquement consciente». Mais si Ben Bella et Boumédiène représentent la tendance favorable au capitalisme étatique sur le modèle soviétique, le GPRA représente la tendance favorable au libéralisme économique et au rapprochement avec le camp occidental. Bonnet blanc et blanc bonnet pour les prolétaires !

Cette période est marquée par une grande anarchie à la faveur de laquelle se déroulent des règlements de compte (exécutions de plusieurs milliers de harkis ou de musulmans pro-français), et enlèvements d’Européens (1800 disparus) qui accèleront l’exode.

L’Assemblée constituante, dont les membres ont été désignés par le Bureau politique du FLN est élue le 20-9-62 avec 196 députés. Elle désigne évidemment Ben Bella comme chef de gouvernement. Le 25 septembre, elle proclame la naissance de la République algérienne démocratique et populaire. Les différentes composantes de la coalition de Tlemcen se répartissent le pouvoir. Ben Bella devient chef du gouvernement, Khider secrétaire général du Bureau politique, F. Abbas président de l’Assemblée. Deux autres membres de l’UDMA sont au gouvernement. L’EMG se taille la part du lion, soit les ministères de la défense, de la jeunesse et des sports(Bouteflika, qui après une éclipse réapparaîtra en 1999), de l’intérieur (Medeghri). Aucun membre du dernier GPRA ne figure dans le gouvernement. Ce système armée-Etat-parti unique (FLN) s’installe donc pour deux décennies de pouvoir total. Le gouvernement proclame aussitôt sa volonté de réaliser une Révolution socialiste, une réforme agraire, une algérianisation des cadres. La notion de parti unique qui ne s’est pas dégagée au Congrès de Tripoli est imposée peu à peu. Le parti communiste algérien, le parti de la Révolution socialiste puis toute organisation à but politique sont interdits.

Le secrétariat du FLN est enlevé à Mohammed Khider et confié à Ben Bella en avril 63. La mise au pas des syndicats qui espéraient rester indépendants du parti fut plus difficile à obtenir, mais l’UGTA devint une des organisations nationales du FLN et doit se retirer de la Confédération internationale des syndicats libres. L’Assemblée nationale constituante verra son rôle s’amenuiser. Ce modèle politique – contrôle économique étatique, contrôle direct des syndicats, rôle secondaire du parlement – correspond à la structure fasciste "classique" type mussolinien, hitlérien, stalinien. Ce modèle s’est appliqué à tous les états ayant acquis leur indépendance après la seconde guerre mondiale, issue des luttes anti-coloniales. Il s’agit ainsi clairement d’instaurer un régime de dictature antiprolétarienne !

 En effet, la situation sociale est explosive: en 1963, l’Algérie compte 2 millions de chômeurs et 2 600 000 personnes sans ressources. Des troubles se produisent: révoltes paysannes notamment dans le Constantinois, extension du banditisme, manifestations dans les villes. L’exploitation du pétrole et du gaz naturel est en 1963 le principal atout économique de l’Algérie.
 
 

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NOTES

16.  Dès la fin du 19ème siècle, la rivalité des puissances européennes (l’Angleterre pour détenir le détroit de Gibraltar, la France pour dominer le Maghreb, l’Espagne pour ses liens historiques et politiques, l’Allemagne) est aigüe. La conférence d’Algésiras (avril 1906) place le Maroc, grâce à l’entente franco-anglaise, sous une sorte de protectorat de puissances avec une influence prépondérante à la France (elle débarque en août 1907 à Casablanca). L’Allemagne tente de s’opposer à cette entente franco-anglaise. Le sultan, poussé en cela par des révoltes de tribus dès 1904, accepte un traité de protectorat en 1912 qui divise le pays en trois parties; la zone du nord (le Rif) et le sud sont administrés par l’Espagne. Tanger sera sous contrôle international.

17.  Comme l’écrit la revue Travailleurs immigrés en lutte de 1979, Serrati était le principal théoricien de cette orientation "européo-centriste". L’épisode de la section du PCF de Sidi Bel Abbes est significative du racisme que véhiculait cette position qui se voulait "marxiste". Répondant à une enquête menée par le Parti Communiste, cette section dira: «Les indigènes de l’Afrique du nord sont composés en majeure partie d’Arabes réfractaires à l’évolution économique et sociale, morale et intellectuelle indispensable aux individus pour former un Etat autonome» (La Lutte Sociale du 7-5-1921). Elle affirmait que tout soulèvement arabe serait le signal d’un massacre aveugle qui ne ferait que reculer l’histoire. A la CGTU, on entendait souvent: «Le syndicalisme est bon, mais pas pour les arabes» ! (ABC du Syndicalisme, Alger 1924).

18.  Le Rif correspond à une région du Maroc, montagneuse, accidentée et très peuplée, voisine de Tanger, de 30 000 Km², occupée par des populations sédentaires d’origine berbère pour la plupart, polyculteurs et arboriculteurs, qui travaillent des champs exigus. Le Rif fut traversé par des conflits entre tribus. Confronté à la colonisation, il opposa une sérieuse résistance aux troupes françaises et espagnoles avec la guerre du Rif menée par Abd el Krim (1882-1963) de 1921 à 1924. C’était un lettré arabe, bien que berbère. La défaite espagnole de 1921 enflamma le Rif. Abd el Krim créa un Etat. Il chercha l’appui de l’I.C. et du PCF. En mai 1926, il dut se rendre et fut exilé à la Réunion. En 1947, il s’échappa et fonda au Caïre le Comité de Libération du Maghreb arabe avec le tunisien Bourguiba et les leaders nationalistes marocains. En fait dès 1930, la révolte des masses paysannes dans le Rif fut relayée par les élites urbaines nationalistes. L’insurrection algérienne de novembre 1954 devait contraindre la France et l’Espagne à s’orienter vers une solution politique, et le 2-3-1956, l’indépendance du Maroc fut proclamée. Abd el Krim se souleva à nouveau au début de l’indépendance marocaine en 1956, dénonça les accords d’Evian comme une trahison, et mourut au Caïre en 1963. La guerre du Rif servit de modèle aux mouvements d’indépendance d’autres pays colonisés. Hô Chi Minh reconnut en Abd el Krim un précurseur.

19.  Pour les élections du Front populaire, Barthel, secrétaire du P.C.A. écrit: «180 000 citoyens français constituent le corps électoral et les 6 millions d’indigènes n’ont que le droit de souffrir et de se taire».

20.  En juin 1940, Pétain renonce au combat. L’armée d’Algérie, puissante, se rallie à Pétain. Les Anglais décident alors de bombarder la flotte française en rade à Mers El Kébir le 3-7-40 pour qu’elle ne tombe pas du côté allemand. Le Cameroun, et l’Afrique de l’est française s’étant ralliés à De Gaulle, ce dernier se lance avec la Royal Navy sur Dakar, mais il est repoussé par l’armée vichyste. L’Algérie vichyste n’est pas occupée par les Allemands, mais sous contrôle des fascistes italiens et allemands. Il s’y installe un fascisme français avec des mesures antisémites prises avant celle de Vichy en métropole. 80 000 Juifs algériens sont déchus de leur citoyenneté, chassés des administrations, des professions libérales, leurs enfants enlevés des écoles, leurs biens saisis (la consigne fut passée dans les mosquées de ne pas acheter les biens des Juifs par solidarité avec eux, et elle fut suivie !). En 1940, les musulmans représentaient 90% de la population algérienne. Un Etat policier s’installe avec des camps d’internement dans le sud algérien pour les francs-maçons, les Juifs, les opposants au régime. L’amiral Darlan, dauphin de Pétain, recontre Hitler en 41 et accepte une assistance logistique française à l’Afrika Korp: 17 000 véhicules, des canons, seront livrés au maréchal Rommel par les militaires vichystes d’Alger. Début 41, les USA conclut des accords avec l’Algérie vichyste avec des aides alimentaires et l’envoi de 12 vices-consuls pour surveiller la bonne destination de ces aides. Il s’agit en fait d’espions qui permettront de couler les bateaux vichystes transportant des tonnes de matières premières pour l’industrie militaire allemande et italienne. Le 25-7-42, Roosevelt et Churchill décident un débarquement en Afrique du nord, en excluant de la décision tous les représentants français (surtout De Gaulle). Le 19-8-42, c’est l’échec sanglant du débarquement à Dieppe. En Octobre, 35 000 GI rejoints par 38 000 soldats britanniques approchent des côtes algériennes, et prennent contact avec les "résistants" algériens qu’ils n’armeront pas !! L’impérialisme américain vise bien à briser l’influence de la bourgeoise française dans la région.

(21) Ce passage est tiré de la publication "Travailleurs immigrés en lutte" de mai et juillet 1979 qui raconte la lutte de libération nationale en Algérie.

(22) P.C. n°21 p.12: Ce plan devait fournir 400 000 emplois réguliers et distribuer 250 000 ha de terres nouvelles. Les réalisations furent bien modestes: 82 000 ha furent acquis contre de grosses indemnités aux Compagnies propriétaires. Dans l’industrie, seuls 34 000 emplois furent créés.

(23) Le discours de Abbas se radicalise: «l’Algérie n’est pas la France. Le peuple algérien n’est pas français. Prétendre "franciser" notre pays constitue une absurdité et un projet anachronique et criminel condamné par la Charte des Nations Unies (...) L’Algérie n’est plus seule dans la lutte grâce à ses nombreux amis et alliés: Tunisie, Maroc, les participants aux conférences de Bandung [afro-asiatique en 1955] et d’Accra [regroupant 8 Etats africains devenus indépendants: Ghana, Libéria, Ethiopie, Maroc, Tunisie, Lybie, Soudan, République arabe unie; en 1958], les Etats arabes, les peuples africains et malgache, les français démocratiques et tous ceux qui en Europe et dans les deux Amériques ont appuyé le nationalisme arabe».

(24) Houari Boumédiène, instituteur, après avoir milité au PPA, rejoint Ben Bella au Caire en 1954. Il participe à l’entraînement que dispense l’armée égyptienne aux algériens. Il est chargé aussi par le FLN de convoyer le matériel militaire d’Egypte vers les frontières algéro-marocaines. Chef de la Wilaya V (Oranie) en 1957, puis chef de l’état major de l’ALN à Tunis en 1960, il met en place l’armée des frontières depuis son P.C. de Ghardimaou où Fidel Castro et Mao Zedong sont les maîtres à penser. Il entrera en conflit avec Ben Bella lors du congrès du FLN en 1964. Son quartier général se trouve à la frontière tunisienne, et on y lit F.Fanon, Guevarra, Sartre, Jeanson. Les portraits de Castro y foisonnent.

(25) Bilan de la guerre (dossier le Monde oct 92): du côté des musulmans algériens: de 140 000 à 500 000 morts. Les supplétifs (harkis) tués de 30 000 à 100 000. 27 500 militaires français, musulmans et métropole, tués et un millier de disparus. 2 788 civils français d’Algérie tués et 875 disparus, et 2 273 disparus en 1962 (il s’agirait d’enlèvements d’européens par le FLN après la signature des accords d’Evian). La répression et le terrorisme (OAS,FLN) en France. Un million de rapatriés. 60 000 harkis rapatriés.

(26) Le départ massif de la minorité européenne va induire une très grande mobilité des personnes et des biens. Les villes s’emplissent des ruraux qui s’installent dans les appartements laissés vacants. Les couches moyennes vont se jeter sur les terres et les immeubles. L’effectif des artisans et des petits commerçants passe de 130 000 à 180 000. Les phénomènes de régionalisme et de clientélisme qui existaient déjà pendant la guerre vont s’accélérer.