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Parti Communiste d’Italie III congrès, Lyon, 1926 Plateforme de la Gauche Projet de thèses présenté par un groupe de militants à l’occasion du V Congrès du Parti Communiste Français, 1926 Imprimerie spéciale de la Librairie du Travail, 96 rue Jemmapes, Paris, 1926 |
Ces thèses furent présentées lors du 5ème congrès du PCF à Lille en juin 1926 par les militants italiens liés à notre courant et qui demeuraient encore dans la section italienne du PCF. Elles correspondent aux Thèses de Lyon présentées par notre courant en janvier 1926 lors du congrès du PC italien. Après les deux premiers chapitres : “Questions générales” et “Questions internationales”, la troisième partie “Questions italiennes” a été remplacée pour le congrès du PCF par le chapitre “Les questions françaises”.
En guise d’introduction, nous reproduisons une partie de celle que nous avons faite en 1967 et 1970 :
« Les Thèses de Lyon, que nous publions ci-dessous,
se situent un moment tellement crucial de l’histoire du mouvement communiste,
qu’elles constituent tout à la fois un point d’aboutissement et un point de
départ dans le laborieux processus de formation du parti de classe mondial du
prolétariat.
« Rédigées par le courant de gauche du Parti Communiste d’Italie pour être
opposées aux thèses de la direction, alors à demi-stalinisée, elles furent
présentées au III Congrès de ce parti, à Lyon, en janvier 1926. Elles
suivent donc de quelques mois ce XIV Congrès du parti russe qui avait vu la
quasi-totalité de la vieille garde bolchevik, Kamenev et Zinoviev en tête, se
dresser dans un sursaut aussi violent qu’imprévu contre “l’embellissement de la
N.E.P”. et le “Paysans, enrichissez-vous !” des “professeurs rouges” et de
Boukharine, et contre l’étouffant régime intérieur du parti instauré par Staline.
Elles précédent aussi d’un mois à peine ce VI Exécutif élargi de
l’Internationale Communiste (février 1926) où un bataillon d’avocats d’office
tirera à boulets rouges sur la seule force internationale – la Gauche “italienne”,
précisément – qui se soit dressée pour dénoncer la crise profonde du Komintern :
en l’éliminant finalement, on préparait le terrain à la condamnation imminente
de l’Opposition russe, qui adviendra en novembre-décembre ».
* * *
Ne pouvant nous exprimer librement dans la presse officielle du Parti nous prenons la décision de faire connaître, par nos propres moyens, notre pensée aux communistes français
UN GROUPE DE MEMBRES DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS
1 - | La situation économique |
2 - | La situation politique |
3 - | Le rôle du prolétariat et du Parti |
4 - | L’action du Parti dans le passé et ses faiblesses |
5 - | Le Parti et les syndicats |
6 - | La tactique du Parti |
7 - | La situation intérieure du Parti |
1° LA SITUATION ÉCONOMIQUE
Le développement économique de la France après la grande guerre est
caractérisé par l’industrialisation accélérée et le type du grand
capitalisme. La situation actuelle est une situation de crise, qui se
manifeste par l’inflation et par les difficultés du budget de l’État. Cette
crise n’est pas encore une crise de la production et de l’industrie en
général, mais elle ne manquera pas de le devenir dans quelque temps. Pour le
moment, le renchérissement de la vie atteint durement les classes moyennes
qui auparavant jouissaient en général d’une situation favorable, et le
prolétariat qui voit baisser progressivement le niveau réel des salaires.
Mais à présente et pour une période ultérieure, dont il n’est pas possible
d’apprécier la longueur, la classe ouvrière ne souffrira pas du chômage ; on
peut constater partout là présence en France de larges masses d’ouvriers
étrangers. Sans prévoir un développement gigantesque de l’inflation et la
chute désastreuse du franc, on doit s’attendre à l’ouverture de la période
de chômage qui aggravera davantage la situation de la classe ouvrière.
2° LA SITUATION POLITIQUE
L’évolution économique de l’après-guerre qui vient d’être indiquée ne doit pas être considérée comme le passage de la domination politique des couches petites bourgeoises à celle de la grande bourgeoisie.
Le régime politique parlementaire est un régime parfaitement capitaliste et correspondant aux intérêts de la grande bourgeoisie mieux qu’à ceux de toute autre classe et couche sociale. La politique née du passage du second Empire à la troisième République, pour ne pas remonter plus loin, ne peut pas être interprétée comme la victoire de la petite bourgeoisie, mais constitue une base solide pour le développement capitaliste impérialiste moderne. Le schéma représentant la lutte parlementaire entre le Bloc National et le Cartel des Gauches comme le conflit pour le pouvoir entre la grande bourgeoisie et les classes moyennes est faux, ces dernières étant incapables de posséder un régime politique indépendant, et le Parlement n’étant pas, pour la critique marxiste, le lieu où des classes différentes perdent ou gagnent le pouvoir, mais au contraire l’organe propre pour l’exercice et la défense du pouvoir de la bourgeoisie capitaliste. Le phénomène politique du libre jeu parlementaire des partis démocratiques et radicaux ne correspond pas à une espèce d’abdication politique de la classe capitaliste, mais plutôt à une phase et à une allure particulière de son action contre la classe prolétarienne et le danger révolutionnaire. En cette phase, l’arme principale de cette lutte est la subordination de l’idéologie ouvrière à des formules et des organisations qui sont le produit original des milieux petit-bourgeois, mais en réalité correspondent aux buts et à la manœuvre de la classe capitaliste dirigeante, solidement installée non seulement dans une majorité parlementaire, mais à la tête de toute la machine de l’État.
Cette méthode n’est pas la seule méthode de lutte de la bourgeoisie, et il est très possible que la crise économique s’élargissant, et une offensive patronale se dessinant, on constate un changement complet de programme dans le domaine politique. Cette phase de politique de droite pourra présenter des analogies avec le fascisme italien, et certainement l’appréciation de l’expérience italienne est très utile pour l’analyse de la politique française actuelle. Il est maintenant clair pour l’Italie que les explications du fascisme comme la lutte de l’intérieur de la bourgeoisie étaient fausses. Le fascisme d’un côté n’était pas une réaction des grands propriétaires fonciers contre les patrons industriels, étant donné que ceux-ci sont aujourd’hui les véritables maîtres du gouvernement fasciste, et de l’autre côté le fascisme n’est pas un mouvement politique original se basant sur les classes moyennes, car elles se sont laissées mobiliser par les hautes couches bourgeoises, dans l’intérêt de ces derniers, et sous leur direction absolue. Mais le fascisme italien ne s’explique pas non plus comme la cessation d’une domination petite-bourgeoise personnifiée par Nitti, Giolitti, etc. Ceux-ci, aussi bien que des fascistes, étaient liés au capitalisme, et leur politique, défensive mais habile, contre la vague révolutionnaire, était la préparation du triomphe fasciste.
Les diverses conditions qui ont donné naissance au fascisme en Italie se vérifient en France à des degrés bien différents. Nous avons en France une idéologie patriotique et une tradition de victoire militaire très nettes, bien que sur une base politique plus large due aux souvenirs d’une droite monarchiste et catholique. Nous avons aussi des précédents du passage de leaders révolutionnaires, le plus souvent à tendance anarchisante, au drapeau de la réaction. Nous avons encore une crise économique qui s’avance, et qui suggère à la bourgeoisie une concentration de forces défensives, de même qu’elle ébranle les couches sociales moyennes et tire de leur sein une foule de déclassés offrant la possibilité de grands groupements des éléments humains dans des organisations nouvelles. S’il y a tout cela, d’autre côté il manque une condition fondamentale, c’est-à-dire le fait d’une grande menace révolutionnaire, d’une offensive prolétarienne qui aurait donné à la classe bourgeoise l’impression de se trouver au bord de l’abîme, non seulement par la force des contradictions internes de son régime, mais aussi de celui de l’attaque débordante des exploités.
Tout cela ne s’étant pas encore vérifié comme en Italie en 1919, nous ne pouvons pas affirmer que « le fascisme est là », et les manifestations et organisations à type fasciste qui viennent de se présenter, si elles méritent toute notre attention, doivent jusqu’à présent être considérées comme purement embryonnaires. Au cours de la crise, nous avons tout le droit de nous attendre qu’avant ce réveil belliqueux du capitalisme qu’est le fascisme, le prolétariat se réveille de son côté, imposant son hégémonie à ces facteurs de second ordre que sont les classes moyennes, et conduisant son attaque avec plus de succès que la classe ouvrière italienne.
En tout cas il doit être bien clair que si le fascisme surgit, il ne sera pas la même chose que le retour au pouvoir de la droite traditionnelle et poincariste, mais une forme nouvelle, qui unira aux procédés bien connus de la violence réactionnaire et de suppression des pseudo libertés publiques des procédés nouveaux, empruntés aux leçons de l’histoire et de la lutte des classes, en doublant la machine d’État d’organisations extra-légales de combat, en utilisant quelques-unes des ruses démagogiques de la politique de « gauche » démocrate et social-démocrate.
Ce qui est essentiel, c’est de comprendre que le plan fasciste est en première ligne un plan contre le prolétariat et la révolution socialiste, que c’est donc aux ouvriers de devancer ou de repousser son attaque. C’est une conception erronée que de considérer le fascisme comme une croisade contre la démocratie bourgeoise, l’état parlementaire, les couches petites-bourgeoises et leurs hommes et partis politiques tenant la barre du pouvoir. Le schéma faux de la situation française et de sa perspective consiste dans la « guerre sainte » qui serait déclenchée contre le « danger » fasciste par la « démocratie » et son dernier mannequin, le Bloc des Gauches, en mobilisant les forces de l’État contre les premières forces fascistes « illégales ». Selon cette idée, le prolétariat ne devrait que donner l’alarme, prendre « l’initiative » - en voilà un mot à la mode - de cette lutte antifasciste, se battre avec les autres pour défendre les avantages d’un gouvernement « de gauche », considérer comme but victorieux la faillite du fascisme en France, en réservant d’autres actions et d’autres conquêtes à lui seulement comme un deuxième acte de la lutte, comme l’effet d’une prétendue stratégie qui lui ferait dévoiler à ses alliés de l’antifascisme, mais entendons-nous bien seulement après coup, l’arrière- pensée de conquérir le pouvoir pour lui-même, la revendication de sa dictature.
Les choses sont bien autrement. Si le fascisme nous menace de près en
France, ce sera parce que la révolution prolétarienne menacera la France
bourgeoise droitière et démocratique tout à la fois. En ce moment là sans
doute, les couches moyennes joueront un rôle, mais dans le sens qu’elles se
rangeront avec celle des deux classes ennemies qui saura se montrer la plus
forte et la plus capable de vaincre et de réorganiser, selon son programme
historique, la vie sociale. La défense d’un statu quo ou bien l’expression
d’antifascisme négatif à la place de l’anticapitalisme positif, sous
prétexte de populariser avant - avant quoi ? - le parti prolétarien, sont
dans une telle situation décisive, tout simplement réactionnaires.
3° LE RÔLE DU PROLÉTARIAT ET DU PARTI
Malgré toutes les tirades sur la France petite bourgeoise et paysanne, la classe ouvrière française par son importance numérique et par ses traditions historiques est l’élément central de la situation actuelle et de la lutte sociale. L’expérience des erreurs de l’opportunisme social démocrate et aussi du syndicalisme anarchiste est en France bien riche pour donner des bases à la réorganisation des forces révolutionnaires de première ligne dans le parti communiste et sous la direction de celui-ci.
La tactique démocratique comme la tactique fasciste du capitalisme ont un but commun : éviter par tous les moyens l’action générale, unique, de la classe ouvrière sur toutes les questions soulevées par les situations : car dans ce cas les armes défensives de l’état bourgeois peuvent se révéler insuffisantes. Pour l’action unique de la classe ouvrière il faut entendre non le lieu commun d’un bloc de différentes organisations et mouvements politiques avec une direction centrale mixte et fictive, mais l’entrée en lutte du prolétariat dans toutes les villes et les villages, sans exceptions de catégories et de métiers : ce mouvement pouvant vaincre seulement si on parvient à l’animer par un programme unique et précis sous la direction d’un vrai parti révolutionnaire.
Pour atteindre ce résultat capitaliste, le Bloc des Gauches ménage des arrangements législatifs qui atténuent l’impression produite sur les masses par les épisodes et les tournants aigus de la crise, et à l’aide du parti socialiste et de la C. G. T. réformiste il fait ce qu’il peut pour localiser et isoler les conflits soulevés par les revendications prolétariennes.
Le Bloc fasciste de demain s’attacherait à cette besogne par une méthode différente, mais en complétant cette première manœuvre. Il s’efforcera de démolir le réseau d’organisations ouvrières, en frappant localité par localité avec des bandes armées qui sèmeront la terreur, en provoquant des luttes syndicales partielles offensives par branches d’industries successives et isolées. Si ce plan réussissait, les syndicats tomberaient l’un après l’autre, l’annulation des contrats de travail se renforçant de licenciements en masse, et l’engagement professionnelle et territoriale pour une direction commune de l’action ouvrière viendrait à manquer.
LES CONDITIONS ACTUELLES NOUS SONT FAVORABLES POUR AGIR DANS LE SENS OPPOSÉ
LLe chômage n’est pas encore commencé et les menaces contre les contrats syndicaux et les conditions de travail ne s’appuient pas sur une augmentation appréciable de l’offre de main d’oeuvre par rapport à la demande. Nous ne sommes donc pas dans une conjoncture économique favorisant la dissolution de l’organisation ouvrière. La première tâche pour exploiter la crise dans un sens révolutionnaire et de lutter contre le fascisme de toute sorte, est de défendre et d’étendre l’organisation ouvrière. Les syndicats, c’est un fait notoire, ne groupent qu’une minorité de la classe ouvrière, même dans les centres les plus industriels. Le parti communiste doit lutter contre cet état de choses en travaillant à la réorganisation et au recrutement syndicaux. II doit soutenir le principe de l’organisation syndicale nationale unique, et faire tout le possible, dans les faits, pour avoir sur cette organisation unique. le maximum d’influence.
Le parti doit envisager une action générale prolétarienne contre l’offensive
patronale demain fasciste, dans laquelle les plus larges masses entreront en
lutte, la direction de la lutte étant assurée au parti communiste et
soustraite ainsi au danger bien connu d’une révocation par en haut de
l’ordre de mouvement, le moment de l’action choisi après l’étude de la
situation et surtout avant qu’une action bourgeoise de grand style se
développe par la terreur locale ou par la défaite syndicale d’importantes
catégories, l’intervention prolétarienne n’étant effectuée ni trop tard ni
prématurément, en la subordonnant aux exigences du jeu parlementaire. C’est
seulement sur cette base solide : action générale de la classe ouvrière,
forte organisation syndicale, influence décisive du parti communiste, que
peuvent et doivent être résolus les problèmes de la mobilisation des alliés
du prolétariat parmi les paysans pauvres et les autres couches exploitées.
4° L’ACTION DU PARTI DANS LE PASSÉ ET SES FAIBLESSES
Le mouvement ouvrier français a des défauts traditionnels bien connus contre lesquels devait réagir la formation, après la guerre, du P. C. adhérant à la III Internationale. Mais le P. C. F. n’a pas été et n’est pas ce qu’il devait être. Les causes en sont indiquées dans les critiques générales développées dans ce qui a été dit à propos de la politique et de la tactique de l’I.C. La constitution du parti se fit à Tours sur des bases trop larges. On avait cru qu’en héritant un peu plus des éléments de l’ancien parti opportuniste, on aurait plus vite conquis une influence décisive en France. On sait que le bilan est défavorable : sans les succès que l’on s’attendait à enregistrer, sans la disparition du parti socialiste, nous avons vu une série de crises au sein du parti, dont il serait inutile de répéter l’histoire.
Tel qu’il est aujourd’hui le parti communiste français laisse beaucoup à désirer dans sa préparation idéologique marxiste, dans son organisation intérieure, dans sa politique, dans la formation surtout d’un centre dirigeant capable d’interpréter les situations et leurs exigences, de donner des mots d’ordre justes à l’ensemble du parti, de réaliser avec celui-ci une bonne liaison réciproque. Il n’y a pas lieu de s’étonner si, malgré les plans les plus rusés, il ne progresse pas en influence et surtout en sérieuse influence révolutionnaire dans les masses.
Le dernier Comité Exécutif Élargi de l’I.C. s’est occupé largement des « erreurs » de la direction du P. C. F. dans la dernière période, qui ont été qualifiées d’erreurs gauchistes. Il s’agit en réalité d’erreurs opportunistes et droitiers ce qui n’est nullement contredit par l’usage du verbalisme révolutionnaire jouant un rôle très large dans cette série de bêtises. C’est dans la politique du centre français qu’on trouve une sorte de « maximalisme » consistant, entre autres, à considérer la révolution imminente comme un beau cadeau que le généreux prolétariat de France fera un jour aux leaders communistes. La maladie opportuniste évidente dans le parti français n’est pas venue du dehors en s’appuyant sur une aile extrême du parti, mais elle a son siège justement dans l’appareil central du parti et dans ses groupes dirigeants. La cause de cette maladie doit être recherchée dans une large mesure dans cette méthode mauvaise du Comintern, par laquelle on veut souvent remplacer la formation de la doctrine, et des cadres du partis par des brevets donnés d’en haut d’une manière artificielle et bureaucratique. Par cette méthode la sélection des chefs du parti s’est faite à l’envers, non moins que son éducation et son entraînement révolutionnaire.
Le mauvais régime intérieur toléré et soutenu dans le parti a entravé la
lutte contre la méfiance traditionnelle des ouvriers français à l’égard de
l’action politique et des partis. Les déviations du Comintern en matière de
tactique et ses interprétations contradictoires du front unique, ont empêché
la liquidation des déviations nettement « maximalistes » représentées par
Renoult (Daniel) en 1921. Pour les mêmes motifs le parti français n’a pas
encore établi une politique juste sur la question des rapports avec les
syndicats et sur la question paysanne, malgré l’admirable travail dont le
camarade Trotsky avait jeté les bases dans les Congrès internationaux, en
réagissant contre l’ensemble de préjugés petits-bourgeois, social
démocrates, anarchistes, dont le mouvement français était pourri, et qui
nous menacent aujourd’hui encore.
5° LE PARTI ET LES SYNDICATS
La liaison correcte entre le parti communiste et les syndicats a été sans doute bien formulée maintes fois dans les textes. Mais les résultats de l’application demeurent négatifs. C’est que l’on s’y est très mal pris en voulant accélérer peut-être le succès, en substituant à la formation d’une conscience et d’une pratique marxistes nouvelle, une série de négociations et de ménagements mettant en danger les principes, avec les hommes et les groupements de l’ancien syndicalisme qui paraissaient plus concluants avec nos directives, mais qui en réalité ne s’adaptaient nullement d’une manière sérieuse au mouvement communiste, dont ils escomptaient le succès rapide. C’est pourquoi la solution des rapports entre parti et syndicat continue d’osciller à travers des compromis et des contradictions, comme d’ailleurs sur le terrain international. Sans posséder en France une organisation syndicale en fait dirigée sûrement par les communistes, nous sommes passés par la scission syndicale, et le nombre des ouvriers organisés reste tout-à-fait insuffisant.
Le parti doit avant tout soutenir sérieusement l’unité syndicale,
l’organisation syndicale unique, sans conditions préalables visant les
rapports officiels du syndicat et du parti. Sur ce terrain nous serions
amenés à reconnaître que le syndicat reste « au dessus » des partis, que la
lutte des courants d’opinion politiques dans son sein est un « mal », un
facteur négatif qu’il faut s’engager mutuellement à éliminer, ce qui est
contraire à notre tâche et à la nécessité révolutionnaire. Notre but doit
être l’unité d’organisation syndicale, sans aucune formule de liaison
officielle entre les organes syndicaux et le parti, mais avec un solide
réseau de fractions communistes dans toute l’organisation syndicale, la
soumission absolue au parti de ce réseau et de ces fractions, et la lutte
pour que ces fractions deviennent la majorité, et confient les fonctions
syndicales à des communistes appliquant strictement la politique du parti
dans le travail syndical. Cette tâche ne doit pas être comprise comme une
conquête de leaders et des fonctionnaires syndicaux et des bureaux
syndicaux, existants. Le personnel syndical traditionnel doit être, par
l’oeuvre du parti, élargi et renouvelé, avant de conquérir les secrétaires
et même les syndiqués ; il s’agit d’organiser les ouvriers de former des
chefs syndicaux par le travail des communistes, par l’initiative du parti,
qui ne mettra pas avant son étiquette, mais montrera sa volonté de
travailler pour la plus large organisation et la plus large action
économique des travailleurs. Les Comités d’unité prolétarienne ne doivent
pas être la base d’une nouvelle organisation en dehors et du parti et des
syndicats et ils ne doivent pas présenter l’unité comme conditionnée par
l’acceptation de programme communs sur tous les problèmes, par les
communistes socialistes, syndicalistes, anarchistes, etc. sans quoi on ne
fera point de pas vers l’unité, mais vers le confusionnisme.
6° LA TACTIQUE DU PARTI
III est évident que dans une situation qui peut être considérée comme le prologue de la situation révolutionnaire, le parti doit s’efforcer d’élargir son influence sur les masses. Il doit donc relier sa politique au revendications qui intéressent les travailleurs et les plus larges masses exploitées.
Mais la possibilité de compter pour la lutte finale sur la mobilisation aussi de certaines couches des classes moyennes ne doit pas nous suggérer une politique qui, par des formules équivoques sur la lutte et la solution du problème de l’État et de ses institutions, en séduisant peut-être des éléments petits bourgeois (très dangereux d’ailleurs quand il se voient désillusionnés par les faits) ferait perdre au prolétariat et au parti lui-même la notion claire du développement de la lutte et la ferme volonté de balayer les obstacles se présentant au tournant décisif, quand il s’agira de vaincre et de briser la machine de l’état bourgeois et de combattre les institutions politiques propres de la domination bourgeoise. La soudure entre la lutte des ouvriers et celle des petits paysans et autres couches exploitées, de même qu’avec les populations opprimées par l’impérialisme, se pose historiquement pour le léninisme et ne se réduit pas à une espèce de vaine croisade pour « tous les affamés, tous les pauvres, tous les souffrants ». Les revendications de ces alliés du prolétariat sont incompatibles avec la domination politique bourgeoise, elles ne peut être satisfaites que par des moyens de lutte dépassant les moyens légaux. En propageant cela nous pouvons amener ces classes à se ranger aux côtés du prolétariat, en leur présentant celui-ci ce qu’il est en effet, comme la seule force capable de briser le cercle de fer. Mais si nous faisons l’agitation pour une, action commune des ouvriers et des paysans ou. encore des petits bourgeois des villes, en ne proclamant pas que l’alliance proposée ne peut être réalisée qu’en dehors des cadres du pouvoir bourgeois et par la lutte révolutionnaire et la guerre civile, alors nous tombons directement dans l’opportunisme.
Sans épéter ici ce qui est dit, largement dans la partie générale, il s’ensuit qu’il faut mettre de côté le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, compris comme une solution pacifique et parlementaire, qui se distinguerait comme une troisième solution de celles du bloc de droite et du Cartel des gauches. Laisser dans l’incertitude la portée de cette malheureuse formule, ce n’est pas remédier à la critique qu’on vient d’en faire, mais l’aggraver dans ses conséquences. Il faut dire que la solution politique présentée par le parti communiste est la dictature du prolétariat, et une alliance avec d’autres couches exploités ne se réalisant jamais au parlement avec les partis soi-disants représentants ces couches, jamais dans un Cartel de partis politiques à organes dirigeants mixtes, mais dans la lutte des rues, dans les démonstrations de masses, dans la grève générale, dans la révolte armée, et sur le terrain de la convocation des Soviets quand le moment de lancer un tel mot d’ordre sera venu.
Nous devons attirer l’avant-garde des ouvriers et même des rares représentants d’autres couches sociales qui sont sur notre terrain dans les rangs du parti et sous son influence, et ne pas nous proposer la formation d’ailes gauches communistes dans le parti socialiste, ou dans des partis politiques petits bourgeois des villes et des campagnes.
Les revendications compatibles avec l’ordre social capitaliste doivent être soutenues, mais en présentant leur satisfaction comme la tâche des organisations économiques et syndicales.
Les revendications théoriquement compatibles avec le régime bourgeois, mais rendues impossibles par le développement de la crise, doivent former l’objet d’une critique intense dans l’agitation du parti, mais ne pas devenir son programme de par le seul fait que les bourgeois de gauche et les social-traîtres les abandonnent : il faut montrer la faillite de toutes les garanties politiques et sociales que le régime actuel prétendait offrir aux travailleurs, mais ne pas prendre notre compte ce qui reste de cette banqueroute avec son bilan désastreux, sous prétexte de nous rendre populaire aux petits bourgeois désillusionnés. Le marxisme fut de leurs illusions le premier destructeur, il ne peut pas en tenter le sauvetage lorsqu’elles sombrent sans gloire, mais en profiter pour passer à ses propres solutions révolutionnaires. Le petit bourgeois convaincu que sa démocratie ne valait rien et qu’il faut se tourner vers une dictature révolutionnaire ou crever de faim à la merci des hauts profiteurs, devra être notre allié ; mais cela ne veut pas dire que pour nous faire des alliés coûte que coûte nous ramènerons en arrière les ouvriers communistes sur un terrain de compromis et d’illusions stériles et défaitistes. Quant aux revendications qui sortent nettement des cadres de l’ordre présent y comprises celles qui intéressent les paysans et les peuples opprimés, il faut les formuler ouvertement comme le programme de la dictature du prolétariat.
A quoi se réduit la tactique soi-disante bolchéviste à la mode? A taire les
moyens nécessaires à une conquête donnée, qui pourraient effrayer certains
éléments, pour mettre en avant la conquête elle-même, en se promettant, une
fois celle-ci acceptée comme tâche par des nombreux suiveurs de faire
comprendre par quelle méthode il faut y arriver. C’est du pur prémarxisme à
type utopiste, correspondant à élaborer des beaux projets de réorganisation
sociale, sans rien dire et rien préparer comme moyens historiques de
réalisation. Et on ne peut pas dire que si les pauvres bougres ramassés un
peu partout, des ronds de cuir aux boutiquiers, des petits rentiers aux
retraités, ne savent pas comment les choses se passeront, nous le savons
pour eux. Nous qui ? Le prolétariat industriel, le parti, l’état major de
celui-ci ? C’est encore une preuve profonde d’antimarxisme que de s’imaginer
que ces « personnes et ces « sujets » peuvent rester exempts de toute
corruption en dirigeant leur manœuvre compliquée. La tactique du parti doit
donc se baser:
Sur une proposition formelle d’action prolétarienne générale (grève
générale) pour une série de revendications économiques : respect des
contrats de travail, des huit heures, des salaires réels, etc.. etc.
Sur une agitation et une préparation visant ouvertement à la mobilisation progressive de la classe ouvrière française et des larges masses, ruinées par la crise autour du programme de la lutte révolutionnaire, de la république des conseils et de la dictature du prolétariat. Ceci doit être affirmé non seulement dans les textes théoriques et de propagande pure, mais dans toutes les manifestations politiques. Quand un problème nouveau divise les partisans de la politique droite fasciste et ceux du cartellisme de gauche, le parti communiste ne se bornera pas à « choisir » ce qu’il faut soutenir, mais se présentera comme le troisième facteur préconisant une solution indépendante et opposée aux deux premières.
Si par exemple des actes de terreur fascistes se produisent, la gauche
demandant l’intervention légale contre les « criminels » et la droite s’y
opposant, le parti communiste devra soutenir dans la presse au Parlement, et
partout, la lutte directe antifasciste des ouvriers, leur armement, leur
encadrement militaire, la réponse par la violence à la violence. En même
temps il proclamera que la « légalité » n’étranglera pas le fascisme, et que
le tournant décisif sera celui où le prolétariat aura affaire à l’un et à
l’autre des deux partis.
On peut se rappeler deux faits dans l’expérience italienne : le « pacte de
pacification » avec les fascistes signé en 1921 par ceux-mêmes qui
préconisaient la non résistance et l’intervention de la loi contre le
“manganello” (2), la faillite de l’Aventin (3) et l’erreur du parti communiste de s’être pratiquement, à certains moments
décisifs, confondu avec lui, malgré une critique théorique froide
n’atteignant pas les grandes masses. Au lieu d’une campagne pour la
dissolution des ligues fascistes par l’État, on fera donc une campagne pour
la lutte des ouvriers contre ces ligues et contre les bandes armées. On
devra se rappeler que lorsque le gouvernement, sous le prétexte de « l’ordre
» proclamera des mesures pour le séquestre des armes et des munitions et
’interdiction des défilés militaires, les fascistes garderont leurs armes et
leur encadrement contre un prolétariat qui restera pris au piège du
désarmement et de la dissolution officiellement réclamés.
Il faut gagner tout le temps que la situation française nous laisse encore
pour nous organiser politiquement, syndicalement, militairement, et aussi
pour nous armer idéologiquement non moins que matériellement.
7° LA SITUATION INTÉRIEURE DU PARTI
Nous avons déjà dit notre pensée sur le groupe ou les groupes dirigeants du parti. Une analyse ultérieure de leurs conflits intérieurs n’amènerait à rien d’utile, car il s’agit trop souvent de pure concurrence personnelle.
Le malaise dans le parti découle en première ligne du malaise dans l’Internationale et du mauvais régime intérieur de celle-ci. Le système des cellules s’est prêté en France mieux qu’ailleurs à une véritable stagnation de la masse du parti à la fin de toute contribution d’opinion et de travail des militants. Ces conséquences viennent aggraver les défauts connus du mouvement communiste en France. Mille arguments de détail montrent le mauvais résultat de cette ainsi dite bolchevisation.
Différents groupements d’opposition ont surgi dans le parti. Dans la résolution du C.C.E. de l’I.C., on fournit une vraie anthologie des blasphèmes de la droite et on l’indique comme le foyer de la corruption et de la dégénérescence du parti. Cette critique est pour les trois quarts une critique vaine. ̃
Il y avait un peu nécessité d’ériger la droite française en fantôme pour atténuer la pression des coups portés sur la gauche internationale. L’opportunisme et le liquidationnisme dans le parti français, il fallait les dénicher ailleurs. La droite en réalité est l’union de différents mécontentements dans lesquels il y avait bien souvent quelque chose de bon et d’utile. Certaines réactions saines à la mauvaise marche du parti pouvaient être, par une bien autre attitude, utilement choisies parmi ces manifestations, et beaucoup d’entre elles venaient de la meilleure source prolétarienne.
Ceci n’empêche pas qu’il soit indispensable de critiquer la ligne politique et idéologique des différents groupes composant la droite. Le groupe de la Révolution prolétarienne soutenant un retour à la doctrine syndicaliste pure, doit être très sérieusement combattu par une critique vigoureuse et claire. Mais il reste à faire au parti français bien des efforts pour avoir la possibilité de mener avec succès une telle critique. Les thèses des rédacteurs de la R.P en fait d’interprétation économique comme de « praxis » prolétarienne sont foncièrement erronées et dangereuses.
Quant au groupe ainsi dit de Loriot, on a tort de faire fi de ses traditions révolutionnaires prolétariennes et de son adhésion spontanée aux directives du communisme dans la France empoisonnée des années de guerre, et de le confondre avec une manifestation de petits-bourgeois intellectuels, etc. Une grande partie de ce que ce groupe disait du cours intérieur dans le parti et des excès de bureaucratisme et soi-disant centralisme était juste. Mais il faut le combattre dans ses solutions tactiques, dans sa proposition de front unique politique avec la social démocratie, erreurs graves, mais qui en large mesure tirent leur origine des absurdités stratégiques préconisées par la direction du parti pendant 1925 et du désarroi dans lequel le parti était ainsi jeté.
Pour Souvarine et le Bulletin Communiste, les précédents auraient dû conseiller à ceux qui avaient une certaine responsabilité de modérer les termes. Les excès polémiques de Souvarine, pour graves qu’ils étaient, ne fournissaient pas la preuve que l’homme qui autrefois avait représenté en France, toute l’autorité de Moscou fût devenu un agent provocateur bourgeois. Ces excès sont plutôt le point d’arrivée d’une rupture avec certains systèmes de compression et d’étouffement constituant le mauvais cours intérieur actuel, et qui semble ne vouloir connaître que l’adhésion aveugle ou le blasphème scandaleux. Au dessus de la personne de Souvarine et de l’équité de la première mesure prise contre lui en 1924, il n’avait pas été sérieux que le Comintern reprît parmi ses chefs l’expulsé d’hier : ce qui est malheureux, c’est que le sort de Souvarine n’a pas été décidé en conséquence de ce principe, mal accepté ou ridiculisé dans nos cadres.
Le règlement de la situation intérieure dans le parti français ne se conçoit que comme une conséquence de la solution de ce problème dans l’Internationale qui, malgré certains engagements pris dans la dernière session du C.E.E., ne paraît pas très avancée.
Ce ne sera pas par un optimisme obstiné et prétentieux qu’on résoudra et pas même que l’on cachera les difficultés d’une telle situation.
C’est aux ouvriers français, aux militants communistes, dévoués et sérieux
de poser et d’imposer ce problème et d’apporter des contributions sérieuses
à l’amélioration du régime intérieur dans le parti.
1 - Le cartel des gauches était une coalition électorale, constituée dans une cinquantaine de départements, pour les élections législatives de 1924 entre les partis radicaux (Partis radicaux indépendants, parti radical et radical socialiste, parti républicain socialiste) auxquels se joignirent des socialistes indépendants, et la SFIO (Parti socialiste, section française de l’ Internationale ouvrière). Il s’agissait de battre le Bloc national formé d’une coalition des partis de droite et du centre, au pouvoir en France de 1919 à 1924, le bloc de Gauche obtenant un succès aux élections législatives de 1924 (327 sièges sur 581).
Une véritable crise dans le milieu financier provoquait la chute du cartel de Gauche en 1926, le gouvernement Poincaré formé étant à forte majorité de droite et de radicaux, les socialistes, les communistes et les nationalistes intransigeants n’y participant pas. On assiste alors à une poussée anti parlementaire avec les mouvements de droite et des ligues d’extrême droite qui culminera en 1934 avec les conséquences de la crise économique issue du krach mondial de 1929, tandis qu’en Italie et en Allemagne, le fascisme se consolidait.
2 - Terme italien : gourdin utilisé par les fascistes
3 - En 1924, le député Giacomo Matteoti est assassiné par les fascistes. Les députés opposés au fascisme quittaient le parlement : la sécession aventinienne fait référence à l’histoire romaine lorsque les sécessionnistes se rendirent sur une des collines de Rome, l’Aventin.