Parti Communiste International
 
 
LE PARTI NE NAÎT PAS DES CERCLES



Introduction de 2017

L’article que nous publions ci-dessous fut écrit en 1980  (1), c’est-à-dire un peu plus de 6 ans après notre séparation d’un parti dans lequel beaucoup d’entre nous avaient milité depuis sa fondation. Cette séparation fut réalisée par une manœuvre que nous qualifierons de sale et sur laquelle l’article revient dans sa partie finale.

L’occasion provenait d’une délirante affirmation de nos ex-camarades, selon laquelle nous aurions jusqu’à cette séparation traversé une phase de cercles et que le moment de construire le vrai parti était venu. Mais l’article est une réaffirmation lucide et générale des points cardinaux de l’existence de l’organisation communiste, de son mode de travail et des rapports entre les camarades, aspects vitaux de son existence même comme organe politique révolutionnaire.

L’affirmation évoquée ci dessus faisait référence à un soi-disant camp révolutionnaire à filtrer pour arriver à la construction du grand parti. Évidemment une telle opération impliquait la réduction du parti au niveau d’un cercle, ou à un ramassis de cercles, dont la fonction se réduisait à l’élaboration de la théorie.

On se référait en ceci à l’expérience bolchevique, qui en effet fut confrontée aux cercles. Mais la ressemblance s’arrête là. Il est vrai qu’à la fin du 19ème siècle, en raison de la répression tsariste, les plus grandes organisations avaient été dispersées, et les socialistes étaient contraints de se réunir uniquement localement et isolément. Ceci avait donné lieu à des groupes évidemment hétérogènes, aux théorisations les plus diverses. Il s’agissait dans la majeure partie des cas de socialistes sincères, qui désiraient se battre afin de renverser le tsarisme et le capitalisme.

Mais à la différence de ce que les véritables charognes politicardes veulent faire croire, Lénine ne fit jamais de filtrages, de compromis sur la théorie ou sur la tactique dans le but de construire le parti; au contraire, il insista toujours sur l’intransigeance du marxisme originel et monolithique, “base théorique de granit” – comme il l’écrit dans “L’extrémisme” (2) – marxisme qu’il connaissait à la perfection, comme en témoigne sa production théorique et polémique durant ces années. Se vérifiait alors l’existence d’un camp révolutionnaire que Lénine contribua grandement à accompagner dans sa maturation en parti, centralisé et discipliné car formé à l’unique doctrine et à l’unique programme du communisme, et qui devait le guider vers la Révolution d’Octobre.

Même précédemment, la théorie révolutionnaire n’était pas non plus issue d’un filtrage, lors des médiations entre les divers groupes, ni en 1848, ni en 1903. Et il en a été de même pour notre courant de Gauche dans le Parti Socialiste Italien, qui depuis sa constitution, à la fin de la guerre 1914-18, a affirmé des bases théoriques parfaitement alignées sur Marx. Et également avec Lénine, que nous ne connaissions pas alors.

PPenser en 1980 que l’on puisse amener à la doctrine marxiste correcte – en admettant que nous aurions disposé d’un quelconque droit d’aînesse – des groupes et organisations issus de la rébellion bourgeoise, qui pullulent depuis toujours autour du parti du communisme, et leur faire accepter le verbe marxiste en vertu de on ne sait quelles astuces et petites manœuvres, n’était que du velléitarisme anti marxiste. C’était de l’opportunisme: on disait vouloir filtrer, mais la véritable proposition était de faire filtrer le parti, d’en faire un cercle parmi les cercles.

D’où cet article, qui selon notre méthode ouvre très peu à la polémique et rappelle en positif les caractéristiques fondamentales du parti communiste de toujours. Déjà les quelques années qui se sont écoulées depuis notre rupture ont montré la justesse de nos positions pour maintenir la barre sur le chemin qui conduira le prolétariat à la révolution. Et les décennies qui ont suivi n’ont fait que confirmer notre analyse et nos prévisions.

 

 


Le parti ne naît pas des cercles

La fonction essentielle du parti politique est – cela est dit en toutes lettres dans les textes de la Gauche Communiste – celle de ne jamais se détacher du “parti historique”, du programme, de la tradition. L’organisation politique de parti est une organisation spéciale, différente et opposée à tous les autres partis, car elle incarne le programme de la classe prolétarienne, du communisme. Cela dit, il en découle que l’histoire du parti politique est l’histoire de la conquête, de la part de la classe, de la conscience du communisme.

De la même façon qu’il serait absurde et anti-historique de penser que le prolétariat adopte aujourd’hui la technique militaire des barricades, il serait aussi absurde et anti-historique d’estimer que le parti politique doive passer par la “phase des cercles”, avant de devenir un parti “compact et puissant”. Cela reviendrait, au niveau théorique, à admettre qu’avant aujourd’hui n’a existé aucune activité historique de la classe et qu’il faut réécrire le Capital, que la classe n’a pas de “mémoire” historique.

La “phase du cercle” est typique de la Russie de la fin du XIX° et n’a pas d’équivalent dans l’Europe occidentale, à fort développement industriel capitaliste, et cela est si vrai que Lénine prend comme “modèle” de parti la social démocratie allemande pour fondre les cercles socialistes russes en un parti politique national unique.

Le prolétariat mondial a désormais derrière lui une histoire formidable, dans tous les domaines, et n’a pas besoin de repartir à zéro chaque fois qu’il subit une défaite. D’ailleurs, cela serait incompatible, entre autres, avec le développement, la concentration et la centralisation des forces productives, d’où surgit presque mécaniquement la nécessité d’un parti mille fois plus centralisé non seulement en tant qu’organisation mais aussi en tant qu’activité théorique.

L’étroitesse du “cercle” est typiquement petite-bourgeoise, et y domine l’incapacité à l’élaboration doctrinale, l’absence de principes et de programme, où l’aspiration maximale est celle de l’association fédérative, comme chez les anarchistes.

Avec l’avènement de la III° Internationale Communiste avec un centre mondial unique allant vers le Parti Communiste International, la classe ouvrière a acquis ce que Lénine appelait la “conscience organisative”, le contenu programmatique, tactique, la dimension planétaire, la structure pyramidale de son organisation politique.

La Gauche Communiste, après la destruction du Komintern, en est la dépositaire. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, incarnée par le petit Parti Communiste International, pèse sur elle le devoir de raccorder l’hier fécond et héroïque et le demain révolutionnaire et victorieux, dans une œuvre incessante de restauration de la doctrine et de reconstruction de l’organisation politique.


Un travail de parti tenace et cohérent

Lénine parlait d’“embryon de parti” et la Gauche de “petit parti”, pour signifier que, pour arriver au “grand parti”, il ne fallait pas dénaturer les formes et les prérogatives du parti tout court. Pour passer du parti-embryon au parti-adulte, il n’est pas besoin de tournants. L’organisation politique à l’état d’embryon mérite la dénomination de parti si, et seulement si, elle exerce ses propres fonctions avec cohérence et fidélité à la doctrine et au programme. Tout autre “embryon” ne devient pas le grand parti, mais le parti ennemi. L’embryon, comme on le sait en biologie, contient à l’état potentiel et de façon plus ou moins marquée les fonctions essentielles et fondamentales de l’organisme mûr et adulte. Dans les faits, la preuve de ces considérations est la vie et le travail effectués par le “petit parti” tout au long de l’arc des trente dernières années. Un travail non seulement théorique et doctrinal, mais aussi au niveau économico-syndical, de la propagande, de l’organisation et de la vie interne. Nos “thèses” de 1965-66, qui sont impératives pour tous ceux qui se disent communistes révolutionnaires, confirment ces assertions. On se rappelle que « le parti ne peut pas ne pas se ressentir des caractères de la situation réelle qui l’entoure » (Considérations sur l’activité organique..., 1965), situation nettement défavorable, mais, justement « le parti ne doit pas renoncer à résister mais il doit survivre et transmettre la flamme tout au long du “fil du temps” historique. Il est clair que ce sera un petit parti, non parce que nous l’aurons désiré ou choisi mais par nécessité inéluctable ».

En ce qui concerne la structure de ce petit parti, « nous ne voulons pas que le parti soit une secte secrète, ou une élite qui refuserait tout contact avec l’extérieur par manie de pureté. Nous repoussons toute formule de parti ouvrier et labouriste (...) Nous ne voulons pas réduire le parti à une organisation de type culturel, intellectuel et scolastique. Nous ne croyons pas davantage, comme certains anarchistes et blanquistes, que l’on puisse penser à un parti de conspirateurs tramant des conjurations et des actions armées ». S’il à fallu employer la plupart des énergies pour l’action historique contre « la falsification et la destruction de la théorie et de la saine doctrine (...), nous ne pouvons pas pour autant dresser une barrière entre théorie et action pratique ; car, au-delà d’une certaine limite, ce serait nous détruire nous-mêmes. ainsi que toutes nos bases de principe ». « Nous revendiquons donc toutes les formes d’activité propres aux moments favorables, dans la mesure où les rapports de force réels le permettent ». Et nous ne faisons pas que les “revendiquer”, mais, là où les conditions matérielles le permettent, nous les mettons en pratique. « La vie du parti doit s’intégrer, partout, toujours et sans exceptions, dans un effort incessant pour s’insérer dans la vie des masses et même dans ses manifestations influencées par des directives opposées aux nôtres (…). Dans de nombreuses régions, le parti a déjà une activité non négligeable derrière lui [dans le domaine économico-syndical], même s’il doit toujours affronter de graves difficultés et des forces contraires, supérieures du moins en nombre » (Thèses sur la tâche historique..., Naples 1965).


Activité et action

“Activité” importante donc, et “Action” théorique marquent nos thèses. Tant que durera cette longue période défavorable, trop longue pour notre passion révolutionnaire, le parti sera contraint, non par un choix délibéré, mais par nécessité à l’activité politique et à l’action théorique, activité de propagande et de prosélytisme, de polémique. Le champ de l’ action ne peut être que limité et les instruments de cette action ne se limitent qu’ au domaine de la presse pour la diffusion du programme révolutionnaire.

Malgré ces limites temporelles relatives, le parti s’efforce toujours de passer de l’activité à l’action, de la propagande et du prosélytisme à l’agitation, à la mobilisation, pour exercer son influence sur les ouvriers. Il faut veiller cependant à ne pas croire qu’il suffit d’une simple décision pour inverser les proportions de notre travail, car, comme disait Lénine, « plus grande est la poussée spontanée des masses, plus le mouvement s’étend, et plus apparaît – et de façon insoupçonnablement rapide – la nécessité d’une conscience dans l’activité théorique, politique et organisative » du parti.

On attend du parti le passage de l’activité à l’action et ses militants y recherchent la source et l’issue où, finalement, peut se déployer toute l’énergie longtemps contenue et réprimée à cause de la supériorité des forces. Ennemies. Si ce n’était pas ainsi, si le parti devait apprendre par un “communiqué” officiel, ou par une décision improvisée, inattendue, qu’est venue l’heure de passer à l’action, l’organisation subirait un traumatisme fatal.

Tout le travail effectué par le parti, à l’extérieur et surtout à l’intérieur de ses rangs, a tendu et tend à préparer sa petite organisation, à la rendre apte à traduire en actes politiques précis et spécifiques son formidable programme historique, dans des conditions données. C’est en cela que consiste la préparation du parti dans les conditions matérielles encore adverses, en mettant à l’épreuve la pénétrabilité à l’action du parti et non pas en recourant à des escamotages faciles ou à des manœuvres douteuses, qui en fin de compte l’amèneraient à se laisser pénétrer par l’influence adverse, corrompant l’organisation et détruisant nos bases programmatiques, mais en adhérant de façon absolue aux racines de la tradition et du programme.

Pour désorienter le parti, il suffit de peu : lui imposer de sombres manœuvres avec une “découverte” de dernière heure, comme par exemple la fable de l’existence d’un “camp révolutionnaire” en dehors du parti, qu’il niait auparavant ; et à partir de là, on s’empresse de tendre la main aux “révolutionnaires de salon” qui pullulent dans les milieux étudiants et professoraux dans l’ambiance mollassonne des classes moyennes. Cela seul suffit pour démolir le travail de décennies, où de toute façon, en admettant que l’erreur puisse être corrigée, pour retarder ou compromettre la préparation du parti et son extension. Le “besoin de conscience” dans le parti est un impératif catégorique. Il est impératif que le parti sache par avance, qu’il ait la conscience profonde de ce qu’il fait et de ce qu’il s’ apprête à faire, et des conséquences que comporte toute entreprise, tout “pas en avant”, et des répercussions qui en découlent pour l’organisation.

l’“action théorique” du parti est aussi d’une certaine façon une “activité politique”, dans le sens où le parti se sert de l’élaboration théorique comme d’une arme, dont les organes de diffusion sont le journal et les militants eux-mêmes, par lesquels le parti est en contact physique avec la classe et en opposition directe avec les fausses idéologies des faux partis et syndicats ouvriers. La surface de contact avec la classe et avec l’ennemi, comme le préconisent nos thèses, s’étend sous l’effet de cette action incessante, combinée au mûrissement de la crise du capitalisme.

Le journal, organe du parti, ne fait que refléter l’activité et l’action du parti. A mesure que la pratique du parti se développera et s’étendra, le journal politique se développera et étendra sa pénétration et son influence dans la classe. S’il n’en était pas ainsi, nous serions face à un journal sans rapport avec l’activité réelle du parti, qui ne refléterait pas l’état réel de l’organisation, qui serait une simple expression de la volonté, et tomberait dans le volontarisme et l’activisme. Au contraire, on tomberait dans “l’académisme” si on refusait d’étendre l’activité politique et d’entreprendre, 1à où c’est possible, une action politique. Mais cela, dans le véritable parti ne s’est jamais vu et ne se verra jamais, à moins de perdre la bonne orientation.

C’ est pourquoi on ne doit faire aucun crédit à la théorie de la “phase du cercle” que notre parti aurait traversée et pas encore dépassée, théorie facile pour justifier les faux pas de nos détracteurs, les brusques “tournants” et les retours improvisés, niant ainsi l’enviable efficience organisative sur le terrain de l’activité et de l’action d’un petit parti qu’on n’a pas hésité à casser, en le jetant dans l’incompréhension et l’embarras.

 
Organisation et discipline

Il est trop commode de soutenir: « c’est fait maintenant, et même si nous nous sommes trompés, on ne peut revenir en arrière ». Théoriser la “phase du cercle” et puis se donner l’air de construire le “grand parti” amène tout droit à estimer que le parti se dilatera et se renforcera au-delà du périmètre actuel, non en fonction de son activité traditionnelle, mais en vertu des “cercles”, c’est à dire par l’entremise des milieux petit-bourgeois dans lesquels et desquels naissent les “cercles”. Imaginer cette fausse construction sert à justifier le bureaucratisme dans l’organisation et la contrainte dans la vie interne du parti, à transformer la discipline en une domination d’en haut sur le parti, sans lesquels, justement, les “cercles” ne peuvent être tenus ensemble.

Le vrai parti n’est pas né des cercles ni ne croîtra en passant par la “phase du cercle”. Toute l’histoire de la Gauche Communiste le démontre et le confirme.

Il est tout aussi faux de retenir que la “phase du cercle”, en admettant, ce qui n’est pas prouvé, que le parti l’ait parcourue et soit encore en train de la parcourir, soit surmontable avec des expédients organisatifs, avec le recours à la discipline, avec des inventions du style : un journal plus “politique”, comme si Lénine avait opéré au niveau de l’organisation du travail, de la discipline, sans avoir d’abord battu en brèche les falsifications du socialisme diffusées par les économistes de l’époque et divers groupes socialistes. Si nous le croyions en 1980, à l’ère de la révolution univoque, ce serait falsifier Lénine, ce serait en mystifier les puissantes leçons. En singeant l’expérience russe pour la construction du parti, on arriverait au résultat opposé à celui qu’a atteint le bolchevisme et la Gauche Communiste italienne ; nous aurions un parti composé de “groupes” ou de “cercles”, dont la vie serait soumise à des luttes politiques continuelles et aux déchirures internes consécutives, le délirant “filtrage” de micro-organisations politiques, de nature opposée à celle du vrai parti, n’y faisant rien.

L’organisation et la discipline comme formule magique, comme “sésame ouvre-toi” dans la question de la construction du parti politique, tout cela est dérivé des automatismes militaires et bureaucratiques. Le parti a une conception différente de celle de la bourgeoisie en ce qui concerne l’organisation, la structure et les mesures nécessaires relatives à la discipline vis-à-vis des dispositions centrales.

C’est seulement au niveau de l’organisation militaire de parti qu’on exige de l’organisation une discipline complexe, même mécanique, mais le moins possible inconsciente, comme on la trouve chez Lénine. Ce qui présuppose une préparation du parti tel que rien n’apparaît comme improvisé et inattendu. Ce n’est pas un hasard si les célèbres “commissaires politiques” de l’armée rouge n’étaient autres que les porte paroles du parti, supérieurs aux niveaux hiérarchiques et politiques aux “commandants” militaires. Par leur intermédiaire, le parti non seulement contrôlait la structure et l’appareil militaire de classe, mais insufflait surtout aux prolétaires combattants la passion et la conscience communiste.

Cela n’a jamais été la position de la Gauche au niveau de l’organisation que de répartir les militants en “spécialistes”, “experts” dans des fonctions spécifiques des activités articulées du parti. Un des moyens pour réduire au minimum les conséquences, négatives de la routine dans le parti est celui de solliciter les militants à développer leur travail dans toute fonction et organe, car c’est déjà dans le parti actuel que nous nous efforçons de briser concrètement la division technique du travail. Le parti doit être en mesure de forger des camarades capables de répondre à toute fonction, et de décourager chez chacun toute “vocation” personnelle qui soit autre que de travailler pour le parti, dans le parti, aux ordres du parti. L’histoire de la Gauche Communiste nous aide pour cela, en nous rappelant comment tous les camarades, quelle que soit la place dans la structure organisative où le parti les a placé, s’occupent des luttes revendicatives et des syndicats du prolétariat, en ne pensant pas du tout à empiéter sur les “compétences” d’autrui, ni à ne pas être à la “hauteur” par manque de “spécialisation”. Notre antique et âpre polémique avec tous les futurs renégats, à propos de l’organisation du parti sur la base des “cellules”, en tant qu’organes structuraux, spécialisés au lieu d’une base territoriale, rappelle la nécessaire aspiration à travailler et progresser pour rompre avec les spécialisations, les technicismes, les limitations, les cloisonnements : cela fit partie de l’arsenal au service d’une hiérarchie “de fer”, avec laquelle l’opportunisme écrasait le parti, faisait passer pour “bolchevisme” de stupides exercices bureaucratiques et hiérarchiques, au lieu de le soutenir par l’emploi organique de toutes les forces militantes.

La transposition à aujourd’hui des leçons de Lénine dans le domaine de la construction de l’organisation politique, ne peut faire abstraction du processus historique parcouru, marqué en lettres de feu par la révolution d’Octobre et par la Troisième Internationale Communiste, couronnement de l’expérience historique du prolétariat mondial. Si, pour la reconstruction du parti, on ne se servait pas des meilleurs matériaux sélectionnés par l’histoire, en employant au contraire de matériaux dépassés et déchus, nous ne travaillerions pas à l’édification du parti communiste international comme puissante force sociale, mais à la construction d’un avorton de parti, une organisation politique qui empêcherait la renaissance du parti. En transposant la question dans le domaine de la tactique, ce serait comme si nous appliquions les concepts opérationnels propres à l’action du parti dans la phase de révolution double à la phase de la révolution univoque.

Selon ce critère correct du déterminisme historico-dialectique, nous avons lutté pendent plus de 56 ans afin de construire un parti communiste unique et mondial, et non pour rééditer la “Ligue des Communistes” ou l’“Association Internationale des Travailleurs”, organes de classe, révolutionnaires en 1848 et en 1866, mais utopiques si ce n’est réactionnaires en 1980, au moins de par leur provenance équivoque.

Les falsificateurs de la Gauche soutiennent que si n’est pas dépassée la “phase des cercles” pendant laquelle – notez-le bien ! – auraient été restaurés le programme et la théorie, on ne peut reconstruire le parti politique. Belle découverte que celle de reconstruire programme et théorie sans, dans le même temps, jour après jour, reconstruire l’organisation. Comme si la restauration des bases fondamentales, programmatiques et théoriques, n’était pas l’activité, la lutte, l’action d’une organisation, même petite, mais toujours d’une organisation politique.

Un de nos opuscules les plus significatifs porte le titre “En défense de la continuité du programme communiste”. Il contient les thèses de la Gauche, depuis celles de la “Fraction Communiste Abstentionniste” de 1920 au corps de thèses de 1965-66, dites du “centralisme organique”. Ces thèses cristallisent nos positions fondamentales sur l’arc de ces 46 années, en parfaite continuité les unes par rapport aux autres. Elles contiennent les phases saillantes de la lutte révolutionnaire des communistes pour la construction, le reconstruction et la défense du parti à l’échelle mondiale, de l’organe fondamental, de premier ordre, pour un nouvel “assaut au ciel”. C’est justement dans les thèses de 1965 que se lit expressément pour ceux qui, niant en cœur le qualificatif de parti à notre petite organisation, veulent que nous nous réduisions à une sorte de marxologues : « Avant de conclure au sujet de la formation du parti après la seconde guerre mondiale, il est bon de réaffirmer certains résultats qui ont aujourd’hui valeur de points caractéristiques pour le parti car ce sont des résultats historiques de fait, malgré l’extension quantitative limitée du mouvement, et non des découvertes d’inutiles génies ou de solennelles résolutions de congrès souverains ». Suit la liste des « résultats historiques de fait », acquise par le « petit parti », parmi lesquels, au premier rang, se trouve celui de ne pas « concevoir le mouvement comme une pure activité de presse propagandiste et de prosélytisme politique », mais comme « un effort incessant pour s’insérer dans la vie des masses » ; ainsi est repoussée la position suivant laquelle le petit parti se réduirait à des cercles fermés sans liaison avec l’extérieur ». Et enfin, le rappel péremptoire à ne pas fractionner l’organisation, à ne pas « subdiviser le parti ou ses regroupements locaux, en compartiments étanches se consacrant uniquement à la théorie, à l’étude, à la recherche historique, à la propagande, au prosélytisme ou à l’activité syndicale : dans l’esprit de notre théorie et de notre histoire, ces domaines sont absolument inséparables et en principe accessibles à tous les militants, quels qu’ils soient ».

Les positions complexes, énoncées sous forme de thèses, c’est-à-dire d’une façon positive, ne constituent pas un beau livre finement relié à placer dans une bibliothèque, mais des règles de vie pratique dont la petite organisation se sert tant pour se former et se fortifier que dans la lutte pour les affirmer, les mettre en œuvre et les défendre contre les ennemis et les faux amis.


A qui cela profite-t-il ?

L’organisation politique du parti, ainsi, se forge et se structure grâce à l’adéquation parfaite de ses fonctions et de ses devoirs spécifiques et complexes au programme et à la tradition du marxisme révolutionnaire. On ne peut y substituer des expédients organisatifs et disciplinaires.

Les détracteurs de la Gauche répètent depuis 7 ans que, jusqu’ici, le parti a vécu une “phase de cercles” et que, pour en sortir, il est nécessaire de prendre des mesures organisatives et même disciplinaires.

En 35 ans, personne ne s’ était rendu compte d’avoir vécu dans des cercles et parmi eux. Seuls les théoriciens de la “phase des cercles” ont eu cette puissante illumination. Ainsi, en théorisant faussement, les “doctrinaires” de la dernière heure accréditent le mensonge suivant lequel le parti politique naît après avoir dépassé la “phase de cercle”, dans laquelle il aurait incubé. Nous assistons ainsi à une nouvelle série historique : d’abord les “cercles”, puis, à l’aide d’opérations organisatives et disciplinaires, “le vrai parti”.

Les “cercles”, en réalité, sont une invention des détracteurs de la Gauche pour justifier leurs faux théorèmes politiques, leurs interprétations bizarres, leurs mesures organisatives et disciplinaires malsaines pour “dominer” la “phase du cercle” de l’organisation.

C’est dans le même but que furent inventées par l’Exécutif de Moscou en pleine dégénérescence les “fractions” dans l’Internationale, pour les “combattre” et pour anéantir la Gauche. Nombre de fois, et avec une force incomparablement supérieure à la nôtre, les vieilles générations des communistes de gauche répétèrent ces mêmes considérations, dans les congrès nationaux et internationaux, aux dirigeants, grands et petits, du mouvement communiste. Combien de fois nous sommes-nous entendu dire et répéter que c’étaient lubies de visionnaires, que nous étions des “fractionnistes”, et cela suffisait bien pour être chassé du parti avec l’accusation infamante de traître.

Il est facile aujourd’hui de constater l’ignoble fin de ces “bolcheviques de fer”, mais il est beaucoup plus difficile de comprendre pleinement de quelle manière les usurpateurs de la révolution ont trahi le communisme, ont détruit le parti. Même alors nous nous entendions répéter la doctrine bourgeoise de “la fin justifie les moyens”, attribuée de façon ignoble à Lénine, comme si le moyen était indifférent par rapport à la fin, comme si il n’y avait pas, au contraire, un étroit rapport dialectique entre les moyens à employer et les buts poursuivis. Quand (Thèses de Rome, de Lyon, etc.) nous avons développé ces thèmes centraux, nous nous sommes vus accuser de “doctrinaires”, d’“académiques”, de vouloir un parti “désincarné”.

L’aspect le plus honteux de cette fausse doctrine est que l’on essaye de jeter un voile de “pieux” silence sur 35 années de travail et de luttes, avec lesquels s’est forgée une petite organisation, comme si pendant un tiers de siècle on n’en avait pas sué pour préparer non pas le parti, mais un tas de “cercles”. A vouloir renforcer cette thèse, on ne fait que séparer artificiellement le travail de “reconstruction” de la doctrine de celui de reconstruction du parti politique, en attribuant le premier non pas aux forces du parti, mais au “génie” que l’on révère traîtreusement en publiant ses “œuvres”, post-mortem, avec moult nom et prénom.


Une sévère leçon pour tous

La conservation des forces, surtout en cette phase négative qui dure depuis 54 ans, est une fonction organisative de premier ordre du petit parti. C’est une consigne qui date du temps de Marx et d’Engels, et qui a permis la transmission de la doctrine intacte d’une génération de communistes révolutionnaires à l’autre. Il ne faut pas rompre cette consigne avec de prétendues “phases” et “développement”. On est dans le parti, non par l’effet d’une adhésion formelle, ni à cause d’une discipline quelle qu’elle soit, mais par fidélité inébranlable au programme et à l’organisation qui l’exprime, le pratique, le défend.

Ce n’est pas un unitarisme formel, aussi nocif que le fractionnisme, mais ce n’est pas non plus la prétention vile et stupide d’être un noyau d’élus, imposés par l’histoire, à qui tout serait permis, et en particulier de nier aujourd’hui ce qu’on affirmait hier. La décantation permettant la “sélection des forces” n’est pas un a priori, mais une conséquence de la lutte révolutionnaire. Quand on se met à l’invoquer pour réprimer les forces du parti qui “se trouvent en difficulté” face au devoir difficile d’avancer à contre courant, nous devons en conclure que nous nous trouvons en présence d’une dégénérescence mortelle, et non qu’il s’agit d’une pratique qui renforcerait l’organisation.

Ce ne sont pas des considérations morales ni esthétiques, mais le patrimoine de la Gauche. Soutenir que les “conditions” ne sont pas mures pour les réaliser équivaut à les nier et, en conséquence, à préparer, à la longue, la défaite de la révolution.

Ne jamais permettre à qui que ce soit d’attenter à l’intégrité programmatique et organisative du parti, c’est là l’autre consigne dérivée de la première. Quiconque ose cela, au “sommet” ou dans les “rangs”, doit être laissé à la dérive. Il ne faut pas croire que le parti est dans les chefs et que les “grégaires” sont les exécuteurs de leurs ordres indiscutables. Souvent, très souvent, la ligne politique révolutionnaire juste a été donnée non d’en haut, comme le prouve la formidable lutte de la Gauche, à laquelle on opposait comme preuve de vérité révolutionnaire la majorité des consentements, plutôt que la solidité doctrinaire des arguments, en conformité avec le programme et la tradition. Que la forme démocratique des consentements, comme il était coutume dans l’Internationale, soit aujourd’hui écartée n’est pas une justification utile, mais une preuve de supercherie sur le parti. Les saloperies restent toujours des saloperies, avec ou sans la poudre aux yeux des décomptes des votes.

Comme nous sommes détenteurs de la théorie et du programme, de la même façon, nous sommes jaloux de l’organisation. Les adeptes de la fausse doctrine de la “phase du cercle” ne peuvent avoir ces “scrupules”, ne parlant pas de parti, quant à eux, mais de “cercles”.

Empêcher à qui que ce soit de pontifier en apportant des solutions pêchées au hasard, avec une ignorance crasse de notre histoire et de notre classe, à la mode des pharisiens, fait oublier que les problèmes centraux ne se présentent jamais sous la même forme, et que le parti ne doit pas être contraint de subir périodiquement des douches tantôt froides, tantôt chaudes, se pliant aux humeurs du premier venu. Le parti doit être en mesure de contrôler chaque aspect de sa vie, chaque fonction de son organisation, de façon à ce ne rien n’arrive de manière inattendue, incomprise, mystérieuse. Faire passer pour positions de la Gauche celles qui soutiennent que le terrorisme est un “rayon de lumière” pour le prolétariat, que le folklore politique des groupuscules à base étudiante, intellectuelle, sous-prolétarienne, fait partie du “camp révolutionnaire”, que les “comités ouvriers” sont des lubies, et que travailler à l’intérieur d’eux c’est de l’ “activisme”, de l’“économisme”, et affirmer peu après le contraire, sous l’effet non de changement de situation, mais poussé par l’impatience de ne voir rien aboutir dans l’immédiat ; faire passer ces hésitations pour une “tactique” de la Gauche signifie désorienter les militants, semer la défiance dans le parti, en briser l’organisation, compromettre des décennies et des décennies de dur et cohérent travail.

Les théoriciens des “cercles” ne sont pas concernés par de telles préoccupations car ils remédient à tout avec la “discipline” et avec la formule organisative.

Il reste sûr que le parti communiste international n’est pas né des cercles.

Les arguments développés jusqu’ici ont tendu à démontrer que le parti ne naît pas de “tournants” organisatifs, ni de traitements “disciplinaires”, mais du travail correct de restauration du programme. C’est sur cette base que s’est toujours élevé et relevé le parti politique de classe. Les forces qui se regroupent autour de toutes les fonctions, dans des proportions requises, dans lesquelles se manifeste la vie du parti, trouvent tout naturellement leur place dans la lutte et leur emploi naturel dans le respect, lui aussi naturel, des principes fondamentaux de l’organisation, qui sont le centralisme et la discipline. Ces principes sont communs à tous les partis politiques, même bourgeois, avec la différence substantielle que, dans le parti communiste, on en trouve l’application que la Gauche définit par l’adjectif “organique”.

Pour éviter toute équivoque, l’adjectif “organique” ne veut pas dire que chaque militant peut interpréter arbitrairement les dispositions du parti, que le parti se structure sans une hiérarchie et que, dans cette hiérarchie fonctionnelle, celui qui se trouve en haut peut arbitrairement donner des ordres, réprimer et condamner. L’Histoire de la Gauche est là pour démontrer que, plutôt que d’enfreindre les règles fondamentales de l’organisation politique du parti, celle ci a préféré “subir” en “silence”, souvent “héroïque”. L’exemple des soi-disant “rétractions” de la “Vieille garde” bolchevique, face aux tribunaux étatiques de Staline, confirme la formidable disponibilité des communistes à renier toutes leurs convictions personnelles quand elles devaient s’affronter avec le principe des principes, l’exigence première du parti politique de classe, pour ne pas offrir à l’ennemi, le capitalisme, l’argument de chantage sur la classe ouvrière selon lequel même son parti en vient à être renié par des révolutionnaires. La leçon de Boukharine, Zinoviev, Kamenev, etc., a été justement de ne pas offrir au monde capitaliste le spectacle de l’insubordination au parti.

Organique signifie que le parti n’est lié à aucune forme d’a priori et qu’il veut être en mesure d’assumer toute forme qui soit fonctionnelle pour la guerre meurtrière et totale du prolétariat révolutionnaire à la société capitaliste. En ce sens, cela n’exclue pas de son arsenal politique, idéologique, tactique et organisatif tout moyen qu’il reconnaît comme efficace pour vaincre son ennemi historique. C’est un parti avec une organisation souple, en mesure de passer d’une phase à l’autre de la lutte des classes, sans sortir de la voie tracée par le programme, et c’est ce qu’a toujours soutenu Lénine, lui aussi.


Les principes de l’organisation

Un parti politique peut exister sans une idéologie, une doctrine, un programme historique qui lui soient propres, mais ne peut exister sans organisation. Le parti fasciste en est un exemple clair. Le parti anarchiste a dû retirer tous ses sophismes pour survivre comme force politique.

L’avantage qu’a le parti communiste est que son organisation ne fonde pas ses principes organisatifs de centralisme et de discipline de façon détachée du programme. L’organisation communiste affirme sa continuité en cela, meurt et resurgit dans le temps, car elle tire son origine et sa force de son programme unique et indivisible. Étant bien entendu que le parti “historique”, c’est-à-dire le parti-programme, existe tant qu’existera la société divisée en classes, le parti politique, c’est à dire éphémère, selon l’expression de Marx, sensible aux fluctuations de la lutte de classe travaille et se meut en organisant ses forces sur la base du centralisme et de la discipline.

Il est bien vrai que le parti ne naît pas des cercles, mais peut se dissoudre dans des cercles quand diminue le respect du programme, de la tactique, des principes organisatifs. Un autre aspect qui caractérise l’application des principes organisatifs dans le parti communiste est que la discipline est spontanée, même quand, pour raison de force majeure, le parti doit se donner une organisation militaire. Il faut aussi répéter ici que spontané ne signifie pas acceptation ou rejet de la discipline selon l’humeur du jour.

Un des arguments principaux que la Gauche a utilisé dans la lutte contre la dégénérescence de Moscou, et contre le stalinisme, était et est qu’il est mortel pour le parti d’estimer qu’on corrige les déviations avec des procédés organisatifs et disciplinaires.

Le parti se crée des règles de fonctionnement, qui peuvent varier de phase en phase de la lutte de classe, correspondant à l’action et à l’activité qu’il doit développer. Ces règles doivent pareillement répondre aux exigences précises et aux principes organisatifs, de façon à ne pas troubler l’ordre du parti. S’assurer que la vie interne et le travail du parti se déroulent au mieux n’est pas un aspect secondaire ni moral, dans le sens péjoratif du terme. L’histoire tourmentée de l’Internationale a dû subir la pollution opportuniste même à ces niveaux, que la Gauche, l’ayant pourtant dénoncée en son temps et avec force, ne put éviter. Le petit parti ne peut négliger ces aspects en les estimant secondaires par rapport aux grands problèmes à affronter. Le bon fonctionnement du parti ne vient pas seulement du respect rigoureux du programme, de la tactique et de l’organisation, mais aussi de l’ensemble des fonctions internes et externes. À cet égard, la Gauche a donné des indications précises, sous forme de préceptes qui, dans leur lettre, se réfèrent plus au sentiment qu’à la raison et, pour cela, susceptibles de subir les sarcasmes des néo-bolcheviques de fer, hostiles à tout mouvement de l’âme. La définition selon laquelle “le socialisme est un sentiment” est de Marx et de la Gauche, non de Tolstoï, et on ne voit pas pourquoi ce “sentiment” devrait imprégner l’humanité de demain et pas celle de la “communauté combattante”, le parti précisément d’aujourd’hui. La “considération fraternelle des camarades” qui scandalise les imbéciles et offre un prétexte aux hypocrites pour leurs manœuvres diplomatiques, est un des préceptes de vie interne du parti. Il signifie solidarité des camarades entre eux, et non compassion. La solidarité est une force matérielle, non une faiblesse. On se rappelle ce que l’Internationaliste Lénine répondait au “romantique”, au “bolchevique de fer” ou d’ “acier” par définition, Staline, pour s’être permis de manquer de respect envers sa compagne, Krupskaia, militante du parti (3).

Un autre précepte de vie du parti est celui, qui semble contredire le premier, suivant lequel “on ne doit aimer personne”. Les hystériques ne peuvent apprécier le haut contenu de vérité du paradoxe, donnent l’interprétation qu’entre camarades ne doivent pas s’interposer des sentiments affectifs, que les camarades doivent être considérés comme des purs instruments, à prendre ou à laisser, d’un parti métaphysique compris comme un Moloch envers quoi tout doit être sacrifié : c’est oublier que le parti politique ne peut exister sans ses militants. Au contraire, la signification du précepte est que “l’on doit aimer tous les camarades” et ne pas privilégier certains et en exclure d’autres.

Est fausse l’image selon laquelle le parti est tout et seulement rationalité, science militante, organe social froid, comme s’il était une machine. Même dans le parti, la rationalité, la science n’appartient pas aux individus, mais au corps complexe de la classe, comprise des marxistes, condensée en textes et thèses qui ont traversé les siècles et les générations. Et science et rationalité n’existeraient pas sans les impulsions déterminantes de la passion et du sentiment. Sans instinct, foi, sentiment, il n’existe pas de “renversement de la praxis”. La science pour la science n’existe pas, ni le marxisme pour le marxisme, ni le parti pour le parti. Marxisme et parti sont l’arme et l’organe de l’ultime classe révolutionnaire de l’histoire, le prolétariat. Nous avons repris ces concepts pendant le dernières années de vie de l’Internationale, quand nous étions contraints d’assister à des luttes internes venimeuses qui déchirèrent le corps glorieux du parti international : quand se déclenchaient des luttes fratricides qui n’excluaient pas les coups et dont Staline fut la macabre synthèse.

La scission de notre petit parti en novembre 1973 n’advint pas parce qu’il avait été imposé au parti une discipline “stalinienne”, selon la version des scissionnistes, dont le bilan, entre autres choses, est aussi grave que le fut dans ces années troublées et asphyxiantes l’arrogance avec laquelle on a mis la muselière au parti. Les raisons de la scission reposent sur un projet tactique par lequel on voulait déplacer le parti sur le terrain du marasme extrémiste petit-bourgeois, rebaptisé “aire révolutionnaire”, avec les “cercles” et les égouts de la “contestation” perpétuelle des étudiants et du sous-prolétariat, qui sont la tête et le bras des semi-classes stériles et réactionnaires. La manœuvre fut soutenue par la fausse doctrine selon laquelle “il faudrait peut-être substituer les Soviets” aux syndicats, faisant sien le principe qui provenait justement du camp de l’ “extrémisme” réactionnaire de “la politique d’abord”, de la “politique avant tout”, avec laquelle on mettait à l’arrière-plan la lutte économique prolétarienne et la reconstruction de l’irremplaçable organisation de classe.

Les mesures organisatives et disciplinaires qui furent prises pour faire passer cette manœuvre servirent à briser les résistances dans le parti et furent accompagnées d’une campagne de dénigrements et de mensonges, dignes des années sombres de l’Internationale de Moscou.

Ainsi, dans la vie interne du parti, on allait en affirmant le faux principe suivant lequel on pouvait impunément passer d’une manœuvre à l’autre par le simple recours à des instruments organisatifs et disciplinaires, avec le terrorisme idéologique et même dans quelques cas non idéologique. Dans les rapports entre camarades prit place de plus en plus la défiance, la diplomatie, et même la haine, justifiée par le nouveau mot d’ordre avancé de la nécessité, pour le bien du parti, de la “lutte politique” dans le parti.

Nous ne nous plaignions pas, alors, de l’aggravation soudaine des mesures disciplinaires, ni du comportement policier des émissaires du centre, car c’est un principe sacro-saint que les communistes ne se plaignent pas de la discipline. Cependant, dans l’usage des moyens, utilisés à l’improviste, les communistes percevaient que quelque chose de peu clair était en train de changer dans le parti et qu’ils feraient bien de s’en méfier. Malgré cela, la soumission du parti au centre fut un acte cohérent et un devoir, sans renoncer à la fonction nécessaire pour tout camarade de contrôler le travail du centre.

Nous rappelons ces faits douloureux, mais aussi pitoyables, indignes de la tradition de la Gauche, aux camarades sérieux et jeunes d’hier, et même à ceux d’aujourd’hui, auxquels la vérité n’a jamais été dite, ou à qui elle est parvenue déformée, pour qu’ils puissent évaluer objectivement que les chemins à travers lesquels passe la destruction du parti sont variés et divers, mais qu’ils se ramènent tous à l’expérience historique que le vrai parti possède et que les camarades sincères ont le devoir de rechercher et de défendre, coûte que coûte.


Du parti aux “cercles”

Une des voies de dégénérescence du parti est celle de sa décadence dans des cercles, de loin la pire, voir totalement improductive. Ce danger subsiste quand il s’agit non seulement d’un grand parti, mais surtout d’un parti dans lequel s’est dilapidé le patrimoine précieux et complexe du marxisme révolutionnaire. La voie pour disperser ce patrimoine en mille ruisseaux est exactement celle qui donne les moyens pour que se forment et se cristallisent et enfin opèrent dans la même organisation politique de parti des positions divergentes de celles que le parti s’est donné, en cultivant l’illusion selon laquelle le parti ainsi transformé en parti d’opinions peut répondre aux sollicitations plus fermes de la lutte de classe. Nous avons déjà historiquement constaté combien est erronée la prétention généreuse d’attirer des forces hétérogènes au moment où l’on croit que l’on est lancé vers l’attaque révolutionnaire, en espérant que la lutte les amalgamera au moins jusqu’à la victoire, dans la ferme et encore généreuse proposition de s’en détacher après la victoire si ce devait être un obstacle au maintien du pouvoir politique. Nous avons constaté amèrement que, quand ne vinrent pas l’attaque et la victoire, ces forces hétérogènes ont contribué de façon décisive à tuer le parti.

En reparcourant cette route, refusée par l’histoire, le petit parti mourra encore avant de naître en tant que grand parti.

À plus forte raison, quand se vérifie le processus inverse, c’est-à-dire quand, sous l’effet d’une discontinuité organisative, d’oscillations tactiques, de diversité des positions, d’incohérence envers la tradition, le parti, nominalement unique, est en réalité une organisation composite, formée de petites parties inégales, qui ne se tiennent que par des règles disciplinaires qui la soutiennent du fait de l’absence de véritables heurts, en raison de la persistance de l’affaiblissement des rapports sociaux.

Les positions que nous exprimons sont celles de la Gauche, du parti d’hier, de 1921, cristallisé dans les Thèses de Rome 1922, de Lyon 1926, dans les positions fermes et cohérentes tenues dans les Congrès de l’Internationale Communiste, dans les bases caractéristiques de 1952 jusque aux thèses de 1965-66.

Nous l’avons sèchement rappelé aussi aux “cercles” soi-disant “internationaux” et “internationalistes” qui nous invitaient à des congrès para constituants du “parti”, et qui développaient, et nous croyons développent encore, l’argument selon lequel le parti naît d’une entente, d’un accord entre cercles ou groupes, comme ils les appellent, réunissant les “membres épars” des communistes. Que l’accord puisse exister, nous ne le nions pas. Nous excluons le fait qu’il génère le parti politique de classe, le parti “compact et puissant”.

On doit reconnaître que les “constituants” sont cohérents, car ils font suivre les actes aux paroles. Mais ne sont pas cohérents ceux qui ressassent la fausse doctrine que “le parti naît des cercles” et la pratiquent seulement en cachette, entre les murs de la maison – on se demande encore si c’est par pudeur ou par opportunité, ou pour les deux.

Les positions de la Gauche ne passent pas par le milieu, entre “constituants” effrontés et entre “constituants” pudiques, mais s’affrontent avec les uns comme avec les autres, détracteurs de la Gauche et du vrai parti.

Le parti croît et se développe selon des modes déjà connus, sur la base du patrimoine de la Gauche, et non en additionnant des cercles ou des groupes soi-disant révolutionnaires, vers lesquels est dirigée une politique de liquidation pour en extraire les forces véritablement prolétariennes. Autrement, ce seraient les cercles qui entreraient dans le parti et y porteraient le plus délétère que l’on puisse concevoir. Le parti s’accroîtra en effectifs, peut-être, mais se transformera en une série de cercles et fratries en lutte entre eux, jusqu’à dégénérer.

 
 


 1. - Il Partito Comunista, 1980, n°68, 69, 71 : “Il partito non nasce dai circoli”.
 2. - Dernier paragraphe du chapitre 2 de Lénine “La maladie infantile du communisme : l’extrémisme”, 1920.
 3. - Staline eut de nombreuses algarade avec Krupskaia et Lénine dans une lettre à Staline du 5 mars 1923 écrivit : « Je n’ai pas l’intention d’oublier si facilement ce qui a été fait contre moi, et il va de soi que ce qui est fait contre ma femme, je le considère comme dirigé contre moi ».