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SOMMAIRE |
QUATRIÈME PARTIE
En 1952, se reconstituant sur ses bases classiques, notre parti ne se distinguait pas seulement par la possession d’un bagage doctrinal et théorique, programmatique et tactique, correct qui provenait de l’application de la doctrine continue et invariante aux leçons de cinquante années de contre-révolution ; ni seulement par sa prédisposition au combat afin « de rechercher la moindre lueur » qui lui permît, sans à aucun moment toucher aux principes vitaux, d’élargir le contact avec les masses prolétariennes partout où ces dernières fussent poussées à la lutte même pour des objectifs partiels et immédiats ; mais aussi, par conséquent, par le fait de se forger une structure organisative et de travail centralisée, adaptée au déroulement des tâches qui se posaient au parti. Cette structure de travail est largement définie par les citations qui suivent. Elle se fonde, depuis 1952, sur l’existence d’un centre d’où partent toutes les dispositions pour l’ensemble du réseau sous formes de « circulaires à l’organisation » ; sur une liaison encore plus fréquente qui relie le centre avec les divers points de l’organisation engagés dans différents secteurs de travail ; sur le flux opposé partant des sections territoriales et des groupes ou des militants actifs vers le centre ; sur des réunions périodiques de tout le réseau organisé et qui font le point, au travers d’exposés étendus, sur le travail développé, soit dans le camp théorique, soit dans celui pratique, par le parti dans une période de temps déterminé. Le vaste matériel de ces réunions périodiques est publié dans la presse du parti, et constitue l’objet d’étude et d’élaboration ultérieure pour les réunions locales et régionales. Cette structure de travail a permis au parti la publication régulière de ses organes de presse qui exigent des collaborateurs et des propagandistes ; il a permis un travail continu de martèlement des lignes théoriques, programmatiques et tactiques du mouvement, et une intervention constante dans les luttes ouvrières pour coordonner et diriger, ce qui entraîna en 1962 le besoin de publier un organe syndical spécifique, et en 1968, la nécessité de créer un organe coordinateur appelé »
En 1952, se reconstituant sur ses bases classiques, notre parti ne se distinguait pas seulement par la possession d’un bagage doctrinal et théorique, programmatique et tactique, correct qui provenait de l’application de la doctrine continue et invariante aux leçons de cinquante années de contre-révolution ; ni seulement par sa prédisposition au combat afin « de rechercher la moindre lueur » qui lui permît, sans à aucun moment toucher aux principes vitaux, d’élargir le contact avec les masses prolétariennes partout où ces dernières fussent poussées à la lutte même pour des objectifs partiels et immédiats ; mais aussi, par conséquent, par le fait de se forger une structure organisative et de travail centralisée, adaptée au déroulement des tâches qui se posaient au parti. Cette structure de travail est largement définie par les citations qui suivent. Elle se fonde, depuis 1952, sur l’existence d’un centre d’où partent toutes les dispositions pour l’ensemble du réseau sous formes de « circulaires à l’organisation » ; sur une liaison encore plus fréquente qui relie le centre avec les divers points de l’organisation engagés dans différents secteurs de travail ; sur le flux opposé partant des sections territoriales et des groupes ou des militants actifs vers le centre ; sur des réunions périodiques de tout le réseau organisé et qui font le point, au travers d’exposés étendus, sur le travail développé, soit dans le camp théorique, soit dans celui pratique, par le parti dans une période de temps déterminé. Le vaste matériel de ces réunions périodiques est publié dans la presse du parti, et constitue l’objet d’étude et d’élaboration ultérieure pour les réunions locales et régionales. Cette structure de travail a permis au parti la publication régulière de ses organes de presse qui exigent des collaborateurs et des propagandistes ; il a permis un travail continu de martèlement des lignes théoriques, programmatiques et tactiques du mouvement, et une intervention constante dans les luttes ouvrières pour coordonner et diriger, ce qui entraîna en 1962 le besoin de publier un organe syndical spécifique, et en 1968, la nécessité de créer un organe coordinateur appelé « bureau syndical central » (1).
Il se peut que cette structure ait mal fonctionné et, par conséquent, nous partageâmes toutes les tentatives pour la rendre plus rigide et stricte en resserrant les rapports entre centre et périphérie, et vice-versa, ; et nous exigeâmes une régularité et une précision plus grande dans le double flux en mettant à disposition dans les points adaptés de l’engrenage tous les bras nécessaires. Il est évident qu’au fur et à mesure que le travail du parti augmentera et deviendra plus complexe, d’autres instruments de coordination et de centralisation seront nécessaires. En relation avec l’augmentation du nombre de camarades et de la complexité du travail, la nécessité d’une sélection de plus en plus grande entre les militants, une spécialisation de plus en plus grande des fonctions et des hommes qui doivent être affectés aux différents organes, s’imposera. Mais ceci est un fait organique et non volontariste ; il est déterminé par la potentialisation du travail du parti, non par la volonté de quelqu’un. Les organes différenciés que le parti possède dans un moment déterminé doivent être la résultante des nécessités fonctionnelles de l’activité du parti, non d’un schéma organisatif tombé du ciel, et considéré comme nécessaire seulement parce qu’il correspond à l’idée du parti parfait ou du mécanisme parfait que quelqu’un a dans la tête.
Lénine a soutenu dans Que faire ? que, s’il est vrai que l’organisation toujours plus complexe du parti dérive du déroulement du travail du parti lui-même, il est tout aussi vrai que les formes d’organisation peuvent à leur tour favoriser ou au contraire limiter le déroulement du travail. Ceci équivaut à dire que le parti doit avoir à tout moment une forme structurelle de son activité qui soit en mesure de ne pas gêner mais de favoriser le déroulement de l’activité dans tous les domaines. Aujourd’hui, les formes d’organisation que le parti s’est données de 1952 à 1970 sont peut-être inadéquates pour contenir le déroulement rapide de l’activité, ou bien, à cause de l’existence de ces formes, le travail ne peut se développer comme il le devrait, ni se dérouler au mieux ? Le problème mérite l’attention et une étude rationnelle. Mais seulement sur ce plan et non sur d’autres qui seraient le fruit d’élucubrations cérébralesques.
On peut dire que la structure centralisée de la période 1952-1970 doit être améliorée et potentialisée pour mieux répondre aux tâches de plus grande portée qui se présentent au parti, mais on ne peut pas dire que « jusqu’alors notre vie a été une vie de cercle », que « nous sommes en train de lutter pour donner au parti une forme organisée », etc. Des affirmations de ce genre non seulement falsifient l’histoire réelle du parti qui depuis 1952 « trouva par une voie organique et spontanée une forme structurelle pour son activité qui a été soumise à l’épreuve de quinze années » (Thèses de 1965), mais conduisent à des conséquences mortelles dans la conception marxiste du parti.
La première conséquence peut être celle d’affirmer que cette organisation n’existait pas, parce que en réalité le parti n’existait pas, mais plutôt un groupe d’apprentis de la théorie ou un cercle marxiste. Il en découlerait que la transformation de ce groupe ou cercle en parti serait un fait organisatif, et de ce fait, que le parti doit encore naître et naîtra dans la mesure où se forgera une structure organisative déterminée. On retomberait dans l’idéaliste « modèle d’organisation » qui caractériserait le parti, contre Marx, Lénine et la Gauche. Mais la déviation encore plus grave serait d’identifier l’existence ou non d’une structure organisative centralisée à la présence de formalismes d’organisation comme les statuts, codes, appareils spéciaux de type bureaucratique, etc., en affirmant qu’on ne peut parler de structure organisée que si ceux-ci existent. Une affirmation de ce genre nous conduirait à une conception idéaliste du parti. Le marxisme a affirmé qu’a existé et qu’existera une société qui, tout en ayant des organes différenciés et un centralisme absolu, n’a pas eu besoin et ni n’aura besoin pour maintenir cette structure, ni de statuts, ni de codes, ni d’un appareil spécial différencié du corps social, caractéristiques propres seulement à la société divisée en classe, mais se servira exclusivement d’une hiérarchie de fonctions techniques pour le déroulement desquelles seront organiquement sélectionnés les individus qui seront « autant nécessaires que non indispensables » selon leur aptitude à réaliser la fonction, étant bien entendu que ce sont les fonctions techniques qui se servent des individus et non vice-versa. Et nous avons éclairci ailleurs que c’est précisément pour cela que le parti préfigure la société future.
En 1952, le parti a renoncé à avoir en son sein des codifications statutaires, tout comme il a renoncé à se servir des mécanismes démocratiques internes jusqu’à la convocation de « congrès souverains », non parce qu’il était une secte d’hommes studieux ou un « cercle » sans aucune organisation, mais parce qu’il a défini que l’organisation de parti peut se structurer sans avoir recours à ces mécanismes ; il y a renoncé non pour y revenir ensuite, la phase du « cercle » terminée, mais pour toujours.
Notre correcte tradition le démontre ainsi:
1) nous écrivions en 1967 (La continuité d’action du Parti sur le fil de la tradition de la Gauche, Il Programma Comunista n°5, 1967) : « La généreuse préoccupation des camarades afin que le parti œuvre sur le plan organisatif de façon sûre, linéaire et homogène, concerne donc – comme Lénine même l’affirmait dans sa "Lettre à un camarade" (2) – non la recherche de statuts, codes et constitutions, ou pire encore, de personnages au tempérament "spécial", mais celle de la meilleure façon de contribuer, tous et chacun, à l’accomplissement harmonieux des fonctions sans lesquelles le parti cesserait d’exister en tant que force unificatrice et en tant que guide et représentation de la classe ; ceci est l’unique chemin pour l’aider à résoudre au jour le jour, "par lui-même" – comme dans le "Que faire ?" de Lénine, quand il parle du journal comme d’un "organisateur collectif" – ses problèmes de vie et d’action. Ici se trouve la clé du "centralisme organique" ; ici se trouve l’arme sûre dans la bataille historique des classes, non dans l’abstraction vide des prétendues "normes" de fonctionnement des organismes les plus parfaits, ou pire encore, dans les misérables procès faits aux hommes qui du fait d’une sélection organique se retrouvent là pour les manier, que ce soit "en bas" ou en "haut" ». Et peu avant : «En tant que force réelle œuvrant dans l’histoire selon des caractères de rigoureuse continuité, le parti vit et agit (et voici la réponse à la seconde déviation) non sur la base de la possession d’un patrimoine statutaire de normes, préceptes et formes constitutionnelles, au mode hypocritement voulu par le légalisme bourgeois ou ingénument rêvé par l’utopisme pré-marxiste, architecte de structures bien planifiées à fournir toutes prêtes à la réalité de la dynamique historique, mais sur la base de sa nature d’organisme formé, dans une succession ininterrompue de batailles théoriques et pratiques, sur le fil d’une direction de marche constante : comme nous l ’écrivions dans notre "Plate forme" de 1945 (Point 11), "les normes d’organisation du parti sont liées à la conception dialectique de sa fonction ; elles ne reposent pas sur des recettes juridiques ou réglementaires et dépassent le fétichisme des consultations majoritaires". C’est dans l’exercice de ses fonctions, de toutes et non une seule, que le parti crée ses propres organes, engrenages, mécanismes ; c’est au cours de ce même exercice qu’il les défait et les recrée, n’obéissant pas à des préceptes métaphysiques ou à des paradigmes constitutionnels, mais aux exigences réelles et précisément organiques de son développement. Aucun de ces engrenages est théorisable ni a priori, ni a posteriori ».
2) Et en 1970, pour preuve que ce qui est écrit ci-dessus fait partie de la pensée constante du parti (En défense... dans l’introduction aux Thèses d’après 1945, p 124-125) : « L’organisation, comme la discipline, n’est pas un point de départ mais un aboutissement ; elle n’a pas besoin ni de codifications statutaires ni de règlements disciplinaires (…) Les consultations, les constitutions, les statuts, sont le propre des sociétés divisées en classes et des partis qui expriment non le cours historique d’une classe,mais la rencontre des cours divergents ou partiellement convergents de plusieurs classes. Démocratie interne et "bureaucratisme", culte de la "liberté d’expression" individuelle ou de groupe et "terrorisme idéologique", sont des termes non pas antithétiques mais dialectiquement liés ».
Nous en tirons la conclusion suivante ; notre parti a eu l’exigence, depuis 1945, de se donner une structure centralisée différenciée en une hiérarchie de fonctions techniques (Introduction aux Thèses d’après 1945 dans En défense... p.125) sans avoir recours à des statuts, des mécanismes démocratiques, des appareils bureaucratiques, des procès, des expulsions, des choix d’hommes « spéciaux ». Celui qui y voit une absence de structures organisatives est hors de notre parti parce que le parti y voit au contraire, comme l’ont démontré toutes les citations, « la réalisation d’aspirations qui étaient manifestes dans la Gauche Communiste dès l’époque de la II Internationale » (Thèses de Naples,1965) et « l’élimination de la structure d’une des erreurs de départ de l’Internationale de Moscou » (Considérations sur l’activité organique du parti quand la situation générale est historiquement défavorable, 1965).
Citation 117 - Thèses sur la tâche
historique, l’action et la structure du parti international mondial
(Thèses de Naples) - 1965
« 7. Il s’agissait de transmettre l’expérience historique de la génération qui avait vécu les luttes glorieuses du premier après-guerre et de la scission de Livourne à la nouvelle génération de prolétaires qu’il fallait libérer de l’enthousiasme insensé suscité par la chute du fascisme, pour la ramener à la conscience de la nécessité d’une action autonome du parti révolutionnaire contre tous les autres partis, et surtout contre le parti social-démocrate, et reconstituer des forces décidées à lutter pour la dictature et la terreur prolétariennes, contre la grande bourgeoisie et tous ses ignobles serviteurs. Pour accomplir cette tâche, le nouveau mouvement trouva organiquement et spontanément une forme structurelle d’activité qui, en quinze ans, a fait ses preuves (...)
« 8. L’ampleur, la difficulté et la longueur historique de l’œuvre à accomplir par notre mouvement ne pouvaient attirer les éléments douteux et désireux de faire une carrière rapide, car loin de promettre des succès historiques à brève échéance, elles les excluaient au contraire. Notre structure de travail s’organisa sur la base de fréquentes rencontres d’envoyés de toute l’organisation dans lesquelles il n’y avait ni débats contradictoires, ni polémiques entre des thèses opposées, ni donc la moindre manifestation sporadique de nostalgie pour la maladie de l’antifascisme démocratique. Dans ces réunions, il n’y avait rien à voter ni à délibérer, leur but étant uniquement de continuer de façon organique l’important travail de transmission historique des fécondes leçons du passé aux générations présentes et futures, aux nouvelles avant-gardes destinées à se former dans les masses prolétariennes. Cent fois battues, trompées et déçues, celles-ci finiront bien par s’insurger contre les souffrances que leur inflige la purulente décomposition de la société capitaliste (...)
« Ce travail et cette dynamique s’inspirent d’enseignements classiques de Marx et de Lénine, qui donnèrent la forme de thèses à leur présentation des grandes vérités historiques révolutionnaires. Ces thèses et ces rapports, fidèles aux grandes traditions marxistes vieilles de plus d’un siècle, étaient répercutés par tous les présents, ainsi que par les comptes rendus de notre presse, dans toutes les réunions périphériques, locales et régionales, où ce matériel historique était ainsi porté à la connaissance de tout le parti. Il serait absurde de dire qu’il s’agit de textes parfaits, irrévocables, et non modifiables, car durant toutes ces années nous avons au contraire toujours affirmé qu’il s’agissait de matériaux en continuelle élaboration, destinés à recevoir une forme toujours meilleure et toujours plus complète ; d’ailleurs on n’a pas cessé de constater un apport de plus en plus fréquent d’excellentes contributions, parfaitement en accord avec les positions classiques de la Gauche, provenant de tout le parti et même de très jeunes camarades.
« C’est seulement en développant notre travail dans cette direction que nous pouvons espérer un accroissement quantitatif de nos effectifs et des adhésions spontanées qui arrivent au parti et qui en feront un jour une force sociale plus importante.
« 9. Avant de conclure sur cette question de la formation du parti après la seconde guerre mondiale, il est bon de réaffirmer certains résultats qui ont aujourd’hui la valeur de thèses caractéristiques pour le parti, car il s’agit, malgré les effectifs réduits du mouvement, de résultats historiques, et non d’inventions d’inutiles génies ni de solennelles résolutions de congrès "souverains".
« Le parti reconnut très vite que, même dans une situation extrêmement défavorable et même dans les pays où elle l’est le plus, il faut éviter l’erreur de considérer le mouvement comme une pure activité de propagande écrite et de prosélytisme politique. Partout, toujours et sans exceptions, la vie du parti doit s’intégrer dans un effort incessant pour s’insérer dans la vie des masses, même lorsque ses manifestations sont influencées par des directives opposées aux nôtres. C’est une vieille thèse du marxisme de gauche qu’on doit accepter de travailler dans les syndicats de droite où se trouvent les ouvriers ; le parti repousse l’attitude individualiste de ceux qui dédaignent y mettre les pieds et en arrivent même à théoriser le sabotage des rares et timides grèves auxquelles se risquent les syndicats actuels. Dans de nombreuses régions, le parti a déjà mené une activité non négligeable dans ce sens, même s’il se heurte toujours à de graves difficultés et à des forces contraires qui lui sont supérieures, numériquement du moins. Il est important de préciser que même là où ce travail ne s’est pas encore développé de façon sensible, on doit repousser la conception qui voudrait réduire notre petit parti à des cercles fermés sans lien avec l’extérieur, ou se contentant de chercher des adhésions dans le seul monde des opinions, qui, aux yeux des marxistes, est un monde faux tant qu’on ne le traite pas comme une superstructure du monde des conflits économiques. Il serait tout aussi faux de vouloir subdiviser le parti ou ses sections locales en compartiments étanches se consacrant exclusivement, selon les cas, à la théorie, à l’étude, à la recherche historique, à la propagande, au prosélytisme ou à l’activité syndicale : dans l’esprit de notre théorie et de notre histoire, ces domaines sont absolument inséparables et en principe accessibles à tous les camarades, quels qu’ils soient.
« Un autre point, qui constitue un acquis historique auquel le parti ne pourra jamais renoncer, est le refus de toutes les propositions tendant à accroître ses effectifs et à élargir ses bases au moyen de congrès constitutifs communs avec les nombreux groupes et groupuscules qui pullulent depuis la fin de la guerre, en élaborant des théories incohérentes, ou n’ayant d’autre base que la condamnation du stalinisme russe et de tous ses dérivés locaux ».
Citation 118 - Thèses
supplémentaires… (Thèses de Milan) - 1966
« 8. (…) Nous savons bien que la dialectique historique amène tout organisme de lutte à perfectionner ses moyens d’attaque en employant les techniques de l’ennemi. Nous en déduisons que dans la phase de la lutte armée, les communistes auront un encadrement militaire avec une organisation hiérarchique précise et unitaire qui assurera les meilleurs résultats à l’action commune. Mais cette vérité ne doit pas être calquée inutilement sur toutes les activités, même non combattantes, du parti. La voie par laquelle les directives sont transmises doit être unique, mais cette leçon de la bureaucratie bourgeoise ne doit pas nous faire oublier de quelle façon cette règle se corrompt et dégénère même lorsque ce sont des associations ouvrières qui l’adoptent. La nature organique du parti n’exige nullement que chaque camarade voit la personnification de la forme du parti dans tel ou tel camarade spécifiquement désigné pour transmettre des dispositions venues d’en haut. Cette transmission entre les différentes molécules composant l’organe-parti se fait toujours dans les deux sens ; et la dynamique de chaque unité s’intègre dans la dynamique historique de l’ensemble. Abuser sans raison vitale des formalismes d’organisation a toujours été et sera toujours un défaut stupide et suspect, et un danger ».
Chapitre 2
Les « phases » de développement du parti
Les citations qui suivent, depuis les Thèses de Rome de 1922 jusqu’aux extraits de la préface de En défense... de 1970, montrent clairement le développement du parti politique propre à l’école marxiste révolutionnaire. C’est la théorie marxiste qui a résolu le vieux dilemme de l’humanité – la séparation entre pensée et action, entre théorie et pratique – en démontrant que ces termes sont en réalité strictement et indissociablement liés entre eux. Dans la société humaine, c’est l’action qui détermine la conscience et ceci vaut aussi pour la classe prolétarienne, dont l’action est déterminée par les faits et les exigences matérielles. Dans le parti de classe, conscience et action sont indissociablement liées et ne peuvent exister l’une sans l’autre. L’unique différence consiste en ce que l’organe parti est susceptible, à la différence de tous les autres, d’action consciente, c’est-à-dire que la conscience est la prémisse de l’action sur le théâtre des luttes sociales.
Nous sommes en présence de l’organe parti de classe quand sont rassemblés dans la dynamique d’un regroupement déterminé les trois facteurs déjà décrits dans les Thèses de Rome : défense et martelage de la théorie et de la doctrine historique ; organisation physique d’un noyau combattant ; intervention et activité dans la lutte physique prolétarienne. Ces trois tâches sont contenues de façon contemporaine à tout moment de la vie du parti, parce que ce sont les tâches qui définissent le parti. La proportion entre les énergies qui sont attribuées par le parti à chacune de ces tâches peut varier selon les époques historiques et les situation objectives dans lesquelles le parti agit, mais aucune d’entre elles n’est traitée moins qu’une autre, du moins dans les dispositions du parti, quand bien même une situation absolument négative le réduirait pratiquement à zéro. Dans une situation contre-révolutionnaire comme celle que nous vivons actuellement, 95% des énergies du parti sont dédiées à la restauration de la doctrine, et seulement 5% à l’ensemble de l’activité organisative et d’intervention dans les luttes ouvrières. Dans une situation de reprise révolutionnaire et d’attaque au pouvoir bourgeois, le pourcentage de l’énergie s’inversera nécessairement et 95% de celle-ci sera dédiée à l’oeuvre d’organisation et d’intervention dans les luttes. Mais ceci dépend seulement et exclusivement de la situation externe au parti, laquelle influe sur lui non seulement en déterminant le périmètre plus ou moins restreint de l’organisation, mais aussi en imposant une distribution particulière des énergies à l’intérieur de l’organe. Ce sont des incidents historiques, mais le parti ne renonce à aucun domaine du développement de toutes ses fonctions vitales à aucun moment de sa vie. Ce sont des rapports quantitatifs entre les diverses manifestations d’énergie que la situation externe détermine et non le parti. Mais du point de vue qualitatif, les fonctions du parti restent toutes réunies à tous les moments de sa vie. Dans des moments déterminés de l’histoire, le travail pratique entre les masses prolétariennes peut être inexistant dans l’immédiat, mais les dispositions de l’organe parti à développer ce travail en profitant de chaque lueur doit exister. De la même façon en ce qui concerne l’organisation armée et le travail illégal, dont la nécessité doit être toujours présente au parti, même si, en pratique, il ne développe aucune activité allant dans ce sens.
De la distribution des énergies du parti entre les diverses activités – travail théorique, propagande, action syndicale, action armée, etc – on ne doit rien déduire et rien conclure sur la nature du parti, parce que qualitativement rien ne change. Déduire, puisque cent pour cent des effectifs sont dédiés à un travail théorique, chose qui ne peut dépendre que des conditions objectives externes, que le parti se trouve dans la « phase » de préparation théorique et que le travail pratique d’organisation et de pénétration dans la classe est inutile ou secondaire, est une stupidité anti-marxiste. Cette grossière erreur tue le parti en le réduisant à un groupe de penseurs qui ne serait pas en mesure d’apprendre la théorie, parce que notre théorie est de par sa nature caractérisée par le fait que seul peut être considéré comme un patrimoine ce qui vient d’un organe combattant et qu’elle ne peut être apprise de façon intellectuelle par un groupe de « professeurs ». C’est pour cela que, comme l’affirment nos thèses, celui qui conçoit non seulement l’action du parti, mais aussi celle d’un simple militant comme se distribuant en « phases » séparées dans le temps – on apprend d’abord la théorie et les principes du mouvement, on lit et on étudie tous les textes marxistes jusqu’à en avoir la pleine maîtrise intellectuelle, et ensuite on entreprend un travail pour donner une structure organisative à ceux qui ont « appris », afin de transformer les « professeurs de marxisme » en « militants d’une organisation », et enfin l’organisation, armée d’une théorie apprise, se lance dans l’action externe – est en dehors de toute la conception marxiste.
La thèse marxiste affirme que les trois manifestations d’énergie ou sont réunies ensemble ou n’existent pas. La vieille thèse marxiste est que la théorie peut être « apprise » seulement par un noyau organisé et immergé dans l’action pratique. Sinon il n’existe ni apprentissage, ni éclaircissement, ni martelage, car l’apprentissage de la théorie marxiste, arme de bataille du parti, ne peut être un fait individuel et culturel, mais un fait collectif de l’organe parti et elle se réalise dans le développement coordonné de toute son activité.
C’est pour cela que notre petit noyau eut dès sa reconstruction le droit de se définir comme parti communiste. Il était et est numériquement très réduit, mais il n’a jamais cessé de développer ses fonctions organiques : il ne s’est pas résumé à une réunion de penseurs ou de personnes studieuses, tout en ayant un rayon d’activité externe quantitativement très limité, et il n’est pas tombé dans l’activisme et l’immédiatisme caractéristique de tous les groupuscules gauchistes ; il a su lier la fidélité et la défense absolue de la théorie, des principes et des expériences historiques du prolétariat au développement de toute l’action pratique possible durant cette époque, sans perdre une occasion d’intervenir même dans les manifestations les plus limitées de la lutte ouvrière de manière organisée et selon des modalités qui le distinguent de n’importe quel autre groupe. C’est par cette ligne cohérente, cette bataille théorique et pratique que l’on reconnaît le parti. C’est sur cette base solide que le processus de la crise capitaliste et le retour du prolétariat à la lutte au moins sur le terrain économique amènera au petit noyau d’aujourd’hui les rangs des jeunes gardes révolutionnaires à la recherche de l’arme déterminante pour se lancer sur le terrain de la guerre sociale. A condition que le parti ait su maintenir cette continuité organique de programme et d’action.
En dehors de cette conception du parti, il n’y a que la mort. Est complètement absurde la thèse selon laquelle il y a le parti historique - programme qui est défendu par un noyau d’intellectuels et de personnes studieuses – puis il y a la « société de propagande » ; puis encore, à condition de se donner une organisation adéquate, il y a le noyau du parti. Il est tout à fait débilitant que de telles constructions mécanistes et idéalistes, qui ne peuvent s’obtenir qu’en falsifiant Lénine et la tradition de la Gauche, trouvent encore le moyen d’empester le mouvement ouvrier.
Si le parti maintient cette continuité et cette connexion dialectique entre les diverses tâches et les diverses fonctions qui forment sa vie organique, l’organisation se développe, se diversifie, se structure, non par la volonté de quelques uns, mais par les nécessités mêmes du développement, de l’amplification, du devenir plus complexe de l’activité du parti. De nouveaux organes se créent car les fonctions se compliquent de plus en plus et réclament une structure adaptée à leurs nécessités, car l’activité du parti pousse à réclamer des instruments adaptés à un meilleur déploiement dans tous les domaines ; mais ceci ne survient pas pour le motif infantile qu’un jour quelqu’un pense que l’heure est arrivée de donner finalement une structure organisée au parti et se met, dans son petit cerveau, à façonner un modèle d’organisation, voire même à recopier les dernières lignes d’un Lénine, mal lu et mal compris, mais en revanche cité pour résoudre les petits problèmes comme celui de se libérer chaque jour des scories liquides et solides.
Le parti, non la société de propagande ou le « cercle », s’est formé définitivement en 1952 quand il a précisé de façon définitive les points cardinaux de doctrine, de programme et de tactique (Nature, fonction et tactique ; Thèses caractéristiques, etc.) et a commencé sur de telles bases à développer tout l’ensemble de ses activités, sans en exclure aucune. Depuis 1952, il s’est donné une structure organisative adaptée à son importance numérique et au développement des activités rendues possibles par la température sociale externe. Cette structure est amplement décrite dans les Thèses de 1965-1966. Cette structure se modifiera certainement en devenant plus complexe, plus rigoureuse, plus différenciée et avec des caractères plus nets et précis, mais sous la poussée d’un élargissement du réseau des organisés, du développement du travail, de la croissance de l’influence du parti sur la classe et non par la belle découverte de quelque « génie inutile » ou de quelque « congrès souverain » qui découvre que nous ne pouvons pas être le parti si nous ne possédons pas un appareil que, lui semble-t-il, Lénine aurait décrit.
Citation 119 - Thèses caractéristiques
du parti (Thèses de Florence) - 1951
« II. Tâches du parti communiste (...) 4. Sont également nécessaires avant, pendant et après la lutte armée pour la prise du pouvoir, les tâches suivantes du parti : défense et diffusion de la théorie du mouvement; défense et renforcement de l’organisation interne par le prosélytisme et la propagande de la théorie et du programme communiste ; activité constante dans les rangs du prolétariat, partout où celui-ci est poussé par les besoins et les déterminations économiques à lutter pour défendre ses intérêts.
« IV. Action du parti en Italie et dans d’autres pays en 1952 (...) 4. Aujourd’hui, bien que nous soyons au cœur de la dépression et que les possibilités d’action s’en trouvent considérablement réduites, le parti, suivant en cela la tradition révolutionnaire, n’entend pas interrompre la continuité historique de la préparation d’une future reprise généralisée du mouvement de classe, qui fera siens tous les résultats des expériences passées. La réduction de l’activité pratique n’entraîne pas le renoncement aux postulats révolutionnaires. Le parti reconnaît que la réduction de son activité est plus marquée quantitativement dans certains secteurs, mais l’ensemble des aspects de cette activité ne change pas pour autant, et le parti n’y renonce pas expressément (...)
« 7. Sur la base de cette juste appréciation révolutionnaire de ses tâches actuelles, le parti, bien que peu nombreux et n’ayant que peu de liens avec la masse du prolétariat, et bien que toujours jalousement attaché à sa tâche théorique comme à une tâche de premier plan, refuse absolument d’être considéré comme un cercle de penseurs ou de simples chercheurs en quête de vérités nouvelles, ou qui aurait perdu la vérité d’hier en la considérant comme insuffisante (...)
« 9. Ce sont les événements, et non la volonté ou la décision des hommes, qui déterminent donc aussi la pénétration du parti dans les grandes masses, en la limitant à une petite partie de son activité générale. Le parti ne perd cependant aucune occasion de pénétrer dans chaque brèche, dans chaque fissure, sachant bien qu’il n’y aura de reprise que lorsque ce secteur de son activité se sera largement développé et sera devenu dominant.
« 10. L’accélération du processus dépend non seulement des causes sociales profondes des crises économiques, mais de l’activité de prosélytisme et de propagande du parti, avec les moyens réduits qui sont à sa disposition ».
Citation 120 - Considérations sur
l’activité organique du parti quand la situation générale est
historiquement défavorable - 1965
« 8. Etant donné que la dégénérescence de toute la société se caractérise par la falsification et la destruction de la théorie et de la saine doctrine, il est clair que le petit parti d’aujourd’hui se caractérise essentiellement par la restauration des principes et de la doctrine, bien que les conditions favorables dans lesquelles Lénine a accompli cette tâche après le désastre de la première guerre fassent défaut aujourd’hui. Cependant, nous ne pouvons pour autant dresser une barrière entre théorie et action pratique, parce que, au-delà d’une certaine limite, ce serait nous détruire nous-mêmes ainsi que toutes nos bases de principe. Nous revendiquons donc toutes les formes d’activité propres aux moments favorables, dans la mesure où les rapports de force réels le permettent.
« 9. Tout cela mériterait de plus amples développements, mais nous pouvons dès maintenant conclure en ce qui concerne la structure organisative du parti dans une période si difficile. Ce serait une erreur fatale de considérer qu’il peut être divisé en deux groupes, dont l’un se consacrerait à l’étude et l’autre à l’action : une telle distinction est mortelle non seulement pour l’ensemble du parti mais aussi pour chaque militant. L’unitarisme et le centralisme organique signifient que le parti développe en son propre sein les organes aptes à différentes fonctions, que nous appelons propagande, prosélytisme, organisation du prolétariat, travail syndical,etc, et demain, organisation armée, mais qu’on ne doit rien conclure du nombre des camarades qui ont été chargés de ces fonctions, parce qu’en principe aucun camarade ne doit être étranger à aucune d’entre elles.
« C’est par accident de l’histoire que, dans la phase actuelle, les camarades qui se consacrent à la théorie et à l’histoire du mouvement peuvent sembler trop nombreux, et trop rares ceux qui sont déjà prêts à l’action. Surtout, il serait insensé de rechercher quel devrait être le nombre de camarades se consacrant à l’une ou l’autre activité. Nous savons tous que, quand la situation se radicalisera, d’innombrables éléments se rangeront à nos côtés d’une façon immédiate, instinctive, et sans avoir suivi des cours singeant ceux de l’université ».
Citation 121 - Thèses sur la tâche
historique, l’action et la structure du parti communiste mondial
(Thèses de Naples) - 1965
« 5. (...) En appliquant la vieille consigne qui répond à la phrase « Sur le fil du temps », notre mouvement s’employa à rappeler au prolétariat la valeur des résultats historiques enregistrés tout au long de la douloureuse retraite. Il ne s’agissait pas de nous réduire à une tâche de diffusion culturelle ou de propagande de petites doctrines, mais de démontrer que la théorie et l’action sont des domaines dialectiquement inséparables et que les leçons de l’histoire n’ont rien de livresque ou d’académique, mais résultent (pour éviter ce termes d’expériences, qui est aujourd’hui la tarte à la crème des philistins) des bilans dynamiques que nous avons tirés des affrontements intervenus sur une très grande échelle entre des forces réelles considérables, en utilisant même les cas où les forces révolutionnaires ont finalement été vaincues. C’est ce que nous avons appelé, selon un critère marxiste classique, les "leçons des contre-révolutions" ».
Citation 122 - Prémisse aux
« Thèses
d’après 1945 » - 1970
« (…) on peut dire que c’est seulement à partir de la seconde moitié de 1951 et surtout à partir de 1952 que le parti a pris une orientation ferme et homogène, sur la base des thèses fondamentales de la période 1920-26 et du bilan dynamique des vingt-cinq années suivantes, qui leur donnait un caractère encore plus net et distinct ; c’est au même moment que le parti se donna une structure correspondant à cet apport théorique, autour de son nouvel organe, Il Programma Comunista, journal-revue qui va représenter pendant une vingtaine d’années la continuité programmatique et théorique de la Gauche, avant que des événements plus récents et de bas étage ne nous le retirent et nous obligent à continuer la bataille de toujours sur tous les fronts avec un autre organe, Il Partito Comunista, auquel se joindront un organe économico-syndical, Per il Sindacato Rosso, et une revue théorique, Comunismo.
« Le problème central était sans aucun doute la restauration intégrale de la doctrine marxiste, mille fois reniée et falsifiée par la contre-révolution stalinienne ; mais ni en théorie, ni en pratique, cet objectif ne pouvait être séparé, et il ne le fut jamais, d’un effort constant non seulement pour diffuser nos positions théoriques et programmatiques, mais pour les « importer » dans la classe ouvrière, selon la définition classique de Lénine, en participant dans les limites de nos forces aux luttes qu’elle mène, même pour des objectifs immédiats et contingents, et sans jamais faire du parti, même réduit numériquement, une académie de penseurs, un cercle de gens éclairés, une secte de conspirateurs armés d’un bagage inestimable mais connu des seuls initiés ».
Chapitre 3
Parti et Troisième Internationale
Les citations qui suivent montrent quelle a été l’attitude de la Gauche envers la III Internationale et quelles leçons le parti a tirées de sa dégénérescence en raison de la contre-révolution stalinienne. Il en ressortira clairement comment nous avons toujours individualisé les causes de ce processus dégénératif non seulement dans le reflux du mouvement révolutionnaire international – cause déterminante au travers de l’influence négative qu’il pouvait avoir sur le parti, comme le développement des faits sociaux en aura toujours du fait que le parti est le produit du développement des situations et que les situations l’influencent en favorisant son cours ou vice-versa en s’y opposant – mais aussi dans les faiblesses qui avaient marqué le processus de formation du nouvel organisme, et que, quand le reflux révolutionnaire survint, ne pouvaient que peser sur les capacités de réaction de l’organisme même à la situation défavorable. Ces « faiblesses » organiques de l’organisme III Internationale sont mises en évidence par la Gauche dans les faits suivants :
1) - « Il faut toutefois dire que,
si sa restauration des
valeurs révolutionnaires fut grandiose et complète en ce qui
concerne les principes doctrinaux, l’orientation théorique et le
problème fondamental du pouvoir d’Etat, il n’en fut pas de même par
contre pour l’organisation de la nouvelle Internationale et la
définition de sa tactique et de celle des partis adhérents »
(Nature, fonction et tactique... 1947).
2) - « Dans la situation du premier
après-guerre, qui
apparaissait comme objectivement révolutionnaire, la direction de
l’Internationale se laissa guider par la crainte – non dénuée de
fondements – de ne pas être prête ou en tous cas peu suivie des
masses lors de l’explosion d’un mouvement européen général qui
pouvait amener à la conquête du pouvoir dans quelques uns des
grands pays capitalistes. L’éventualité d’un rapide effondrement du
monde capitaliste était tellement importante pour l’Internationale
léniniste, qu’on peut comprendre aujourd’hui comment, dans l’espoir
de pouvoir diriger de plus vastes masses dans la lutte pour la
révolution européenne, elle alla jusqu’à accepter l’adhésion de
mouvements qui n’étaient pas de véritables partis communistes, et
chercha, par la tactique élastique du front unique, à garder le
contact avec les masses qui étaient derrière les appareils des
partis qui oscillaient entre la conservation et la révolution.
Si l’éventualité favorable s’était
réalisée, ses
conséquences sur la politique et sur l’économie du premier pouvoir
prolétarien en Russie auraient eu une importance telle qu’un
redressement immédiat des organisations internationales et
nationales du mouvement communiste aurait été possible.
L’éventualité la plus défavorable, celle
de la stabilisation
relative du capitalisme, s’étant au contraire réalisée, le
prolétariat révolutionnaire dut reprendre la lutte avec un
mouvement, qui ayant sacrifié sa claire orientation, se trouvait
exposé à de nouvelles dégénérescences opportunistes (Nature, fonction et tactique... 1947).
3) - « Toutefois, l’erreur qui ouvrit la
porte de la III
Internationale à la nouvelle et plus grave vague opportuniste,
n’était pas seulement une erreur de calcul sur les probabilités
futures de la révolution prolétarienne : c’était une erreur
d’orientation et d’interprétation historique, qui consistait
à vouloir généraliser les expériences et les méthodes du
bolchevisme russe en les appliquant à des pays de civilisation
bourgeoise et capitaliste bien plus avancée » (Nature, fonction et tactique... 1947).
4) - « La confusion induite dans
l’organisation interne
ne fut pas moindre, et on compromit les résultats du difficile
travail de sélection et de délimitation des éléments
révolutionnaires par rapport aux opportunistes dans les différents
partis et pays. On crut se gagner de nouveaux effectifs, bien
manœuvrables à partir du centre, en arrachant en bloc aux partis
social-démocrates leurs ailes gauches. Ce qu’il aurait fallu au
contraire, c’est qu’après une première période de formation, la
nouvelle Internationale fonctionne de façon stable comme parti
mondial du prolétariat, et que les nouveaux membres adhèrent
individuellement à ses sections nationales. On voulut conquérir des
groupes importants de travailleurs, et on négocia en réalité avec
les chefs, en désorganisant continuellement les cadres des partis
communistes, et en bouleversant la composition de leur direction
jusque dans des périodes de lutte active. On reconnut comme
communistes des fractions et des cellules à l’intérieur des partis
socialistes et opportunistes, et on pratiqua des fusions
organisationnelles. Ainsi, au lieu de devenir aptes à la lutte,
presque tous les partis furent maintenus dans un état de crise
permanente ; ils agirent sans continuité et sans frontières
bien définies entre amis et ennemis, essuyant des échecs répétés
dans les différents pays. La Gauche revendique au contraire
l’unicité et la continuité organisationnelle » (Thèses
caractéristiques du parti, 1951, III,15).
L’Internationale montra donc des faiblesses sur ces quatre points, ce qui rendit possible sa reconquête par l’opportunisme. La Gauche italienne fut la seule à identifier ces faiblesses dès 1920. Ce fut la Gauche italienne qui insista pour que les conditions d’admission (1920) fussent plus rigides, et réussit à faire insérer dans les vingt et un points certaines précisions vitales ; mais elle ne réussit pas à faire approuver l’élimination des « particularités nationales » auxquelles ensuite se référeront les maximalistes italiens pour leur jeu de fausses adhésions que la direction de l’Internationale accepta dès 1921 en proposant une révision possible de la scission irrévocable du PC d’Italie (voir "Moscou et la question italienne" dans Rassegna Comunista, 1921).
De même, toujours au II Congrès, la Gauche exprima ses doute sur les notions de « parti, fraction de la classe » et de « centralisme démocratique » non par manie de pure littérature, mais pour les dangers que l’inadéquation de ces formulations exprimait. Toujours au II Congrès, la Gauche s’opposa à la tactique du parlementarisme révolutionnaire non seulement en tant que tactique erronée pour l’Occident européen, mais également en tant qu’elle était incapable de tracer une ligne de démarcation définitive avec les soi-disant « communistes électoralistes », c’est-à-dire les maximalistes.
Au III Congrès, la Gauche s’opposa à la formulation douteuse de « conquête de la majorité » qui, tout en ayant un sens précis et correct chez Lénine et Trotski, présentait d’immenses dangers pour les jeunes partis communistes d’Occident. Dès 1921, la Gauche s’opposa à la pratique des fusions, des agrégations de parties d’autres partis à celui communiste, qui doit être unique et à adhésions individuelles ; elle s’opposa également à la pratique du noyautage de fractions communistes dans d’autres partis et réclama que soient rendues rigides les normes d’organisation. En décembre 1921, sont adoptées les thèses sur le front unique et la Gauche avance alors les réserves connues, bien que ce soit la Gauche qui ait adopté en premier la tactique du front unique par le bas en Italie. Au Congrès de Rome en 1922, la Gauche vote les fameuses thèses sur la tactique dans lesquelles est revendiquée la nécessité pour l’Internationale de délimiter et de prévoir des moyens tactiques au moins dans les grandes lignes et pour de grands arcs d’espace et de temps, dans le but d’empêcher la survenue, qui s’instaurera par la suite dans l’Internationale, des tactiques oscillantes et dictées exclusivement par la modification des situations.
Les Thèses de Rome, proposées comme projet pour toute l’Internationale, seront critiquées et repoussées par cette dernière sous l’accusation d’ « abstraitisme », « schématisme », « formalisme »,etc. Par conséquent, il serait absurde de dire que la Gauche a eu avec l’Internationale seulement des divergences secondaires de caractère tactique. La Gauche a eu avec l’Internationale une divergence profonde portant sur la question de comment poser les problèmes tactiques en général. Et l’écroulement successif de l’Internationale a confirmé que, tandis qu’elle avait résolu de manière définitive les problèmes de théorie et de principe, elle n’avait pas pu poser le problème de la tactique de manière aussi définitive et adéquate ; et c’est au travers de cette brèche laissée ouverte qu’a pu passer à nouveau l’opportunisme. Les raisons matérielles et historiques pour lesquelles cette systématisation du problème tactique ne fut pas possible, sont clairement expliquées par nos thèses. Il est cependant un fait que la systématisation ne fut pas pour autant la demande continuelle de la Gauche qui justement pour cela s’attira de la part de l’Internationale l’accusation de doctrinarisme et d’abstraitisme. De même il est tout autant inexact de soutenir que le parti bolchevique de Russie tenta toujours de toutes ses forces de poser les problèmes de l’Internationale de manière cohérente et marxiste, mais il se trouva confronté en Occident à un matériel qui, la Gauche mise à part, refusait cette position correcte. Il est au contraire évident que la position même du parti bolchevique, contraint à résister seul au pouvoir, influa sur le mode avec lequel il posa et résolut les problèmes de l’Internationale, mode qui fut dominé par la nécessité impérieuse d’une victoire révolutionnaire en Occident à tout prix. C’est pour cela que le parti bolchevique révolutionnaire accepta généreusement des groupes et des fractions non parfaitement marxistes, ouvrit certaines brèches avec les vingt points et avec la tactique du parlementarisme révolutionnaire, les agrandit avec les oscillations tactiques et avec une praxis organisative erronée, rendant ainsi plus difficile à son tour la formation en Occident de véritables partis communistes.
Les partis communistes d’Occident, et en particulier celui allemand et français, restèrent pleins de réformistes non pour le motif infantile qu’ils se cachaient dans l’organisation et que le centre de Moscou ne fut pas capable d’exercer une énergie répressive pour les expulser en masse, mais parce que les limites des partis envers l’extérieur restèrent toujours vagues non dans les normes disciplinaires ou dans les examens d’admission individuelle, mais dans les domaines vitaux de la tactique et des normes d’organisation ; et elles demeurèrent telles quelles, voire devinrent encore plus vagues, parce que la direction de l’Internationale misaient toutes ses cartes sur une victoire proche en Allemagne et, pour avoir un parti qui fût capable de diriger le prolétariat insurgé, élargit les mailles de l’organisation. Elle les élargit, en n’oubliant pas de vérifier chaque adhésion individuelle, et de faire faire à tout militant le curriculum rigide – lecteur, auditeur, sympathisant, camarade (mode dont la rigidité organisative pourrait au maximum être comprise par des petits groupes du type de "Lotta Comunista"), mais en admettant les particularités nationales, en marchandant les fusions et filtrages d’autres groupes, en ouvrant les portes à des droites et centristes notoires afin d’avoir une influence sur les masses prolétariennes et enfin en laissant en blanc la page des normes tactiques. Cette pratique fit en sorte que, le mouvement révolutionnaire en reflux, on se retrouva aux prises avec des partis qui n’avaient pas réussi à se développer dans le sens communiste, mais étaient encore imbu de mentalités social-démocrate, voire parlementaire.
Revenons à notre formulation correcte des questions d’organisation. Nos thèses ne parlent en aucun point d’une chasse manquée aux sorcière social-démocrates nichées dans les partis communistes comme facteur de faiblesse de l’Internationale. Les social-démocrates pouvaient « se cacher » dans les partis communistes, parce que l’Internationale n’avait pas définitivement rompu avec la praxis parlementaire, parce qu’elle admettait les fusions et les blocs, parce qu’elle refusait une délimitation rigide des normes tactiques, et non parce qu’il n’y avait pas assez d’ « inspecteurs » à envoyer pour « contrôler » les sections. Si la physionomie organisative et la tactique des partis communistes avait été plus nette et incisive, les social-démocrates nichés dans l’organisation seraient partis. Si cette précision dans le domaine non disciplinaire, mais tactique et organisatif, n’était pas possible, il était vain de chercher un remède à son absence dans des normes disciplinaires plus rigides, des pénalités et des expulsions. Ceci est la bataille de la Gauche.
Citation 123 - Thèses de la Gauche au III Congrès du PC d’Italie (Thèses de Lyon) - 1926
« II.1 – La constitution de la Troisième Internationale.
« La crise de la II Internationale, déterminée par la guerre mondiale, a eu avec la constitution de l’Internationale Communiste une solution complète et définitive du point de vue de la restauration de la doctrine révolutionnaire, tandis que du point de vue organisatif et tactique la formation du Komintern, qui constitue une immense conquête historique, n’a pas pour autant donné à la crise du mouvement prolétarien une solution complète.
« La révolution russe, première et glorieuse victoire du prolétariat mondial, a été un facteur décisif pour la formation de la nouvelle Internationale. Pourtant, du fait des conditions sociales régnant dans le pays, la révolution russe n’a pas fourni le modèle historique général de tactique applicable aux révolutions des autres pays. Entre l’époque du pouvoir féodal autocratique et celle de la dictature du prolétariat, elle n’a en effet pas connu de domination politique de la bourgeoisie organisée dans un État stable lui appartenant en propre.
« C’est justement pourquoi la confirmation historique du programme marxiste par la révolution russe est de la plus grande portée et pourquoi cette révolution a puissamment contribué à la défaite du révisionnisme social-démocrate sur le terrain des principes. Mais sur le terrain de l’organisation, la lutte contre la II Internationale, partie intégrante de la lutte contre le capitalisme mondial, n’a pas eu le même succès décisif, et les multiples erreurs qui ont été commises ont empêché les partis communistes d’avoir toute l’efficacité à laquelle les conditions objectives leur permettaient de prétendre.
« On doit en dire autant de la tactique, beaucoup de problèmes liés au fait que les forces en présence sont la bourgeoisie, l’État bourgeois parlementaire moderne doté d’un appareil historiquement stable, et le prolétariat, ayant été résolus de façon insuffisante et continuant à l’être aujourd’hui, si bien que les partis communistes n’ont pas toujours obtenu les succès possibles dans l’offensive prolétarienne contre le capitalisme et dans la liquidation des partis social-démocratiques, organes politiques de la contre-révolution bourgeoise.
« II.4 - Question d’organisation.
« La considération qu’il était urgent d’établir une vaste concentration de forces révolutionnaires pesa d’un grand poids dans la fondation du Komintern, car on prévoyait alors un développement beaucoup plus rapide de la situation objective. On a pu constater depuis qu’il aurait été préférable d’établir les critères d’organisation avec une plus grande rigueur. La formation des partis ou la conquête des masses n’ont été favorisées ni par les concessions faites aux groupes syndicalistes et anarchistes, ni par les petites transactions avec les centristes permises par les 21 conditions, ni par les fusions organiques avec d’autres partis ou fractions de partis obtenues par le "noyautage" politique, ni par la tolérance d’une double organisation communiste dans certains pays avec les partis sympathisants. Le mot d’ordre lancé après le V Congrès : organiser le parti sur la base des cellules d’entreprise, n’atteint pas son objectif, qui était d’éliminer les défauts unanimement constatés dans les sections de l’Internationale.
« III.4 - Rapports entre la Gauche italienne et l’Internationale Communiste.
« Le Congrès de Rome (mars 1922) mit en évidence une divergence théorique entre la Gauche italienne et la majorité de l’Internationale ; nos délégations au III Congrès mondial et à l’Exécutif Élargi de février 1922 l’exprimèrent fort mal, commettant, dans le premier cas surtout, des erreurs "gauchistes". Les thèses de Rome constituèrent l’heureuse liquidation théorique et politique de tout danger d’opportunisme de gauche dans le parti italien.
« En pratique, la seule divergence entre le parti et l’Internationale s’était manifestée à propos de la tactique à suivre à l’égard des maximalistes, mais la victoire des unitaires au congrès socialiste d’octobre 1921 semblait l’avoir réglée.
« Les thèses de Rome furent adoptées comme contribution du parti aux décisions de l’Internationale et non pas comme une ligne d’action immédiate. La direction du parti le confirma à l’Exécutif Élargi de 1922 ; si la discussion ne fut pas ouverte alors, c’est à la suite d’une décision de l’Internationale à laquelle la direction se plia par discipline.
« En août 1922 pourtant, l’Internationale n’interpréta pas la situation selon les indications de la direction du parti, mais conclut que la situation italienne était instable dans le sens d’un affaiblissement de la résistance de l’État. Elle pensa alors renforcer le parti par une fusion avec les maximalistes, considérant la scission entre maximalistes et unitaires comme un facteur décisif, tandis que la direction du parti plaçait au contraire au premier plan les enseignements de la vaste manœuvre de la grève d’août.
« C’est à partir de ce moment que les deux lignes politiques divergent définitivement. Au IV Congrès mondial (décembre 1922), l’ancienne direction s’oppose à la thèse qui l’emporte ; lors du retour des délégués en Italie, elle décline unanimement la responsabilité de la fusion, qui est confiée à une Commission, tout en conservant naturellement ses fonctions administratives. C’est alors que se produisent les arrestations de février 1923 et la grande offensive contre le parti ; finalement l’Exécutif Élargi de l’IC de juin 1923 dépose l’ancien exécutif et le remplace par un autre complètement différent, situation dont les démissions d’une partie des membres de la direction furent une simple conséquence logique. En mai 1924, une conférence consultative du parti donnait encore à la Gauche une écrasante majorité sur le Centre et la Droite, et c’est ainsi qu’on arriva au V Congrès mondial de 1924 ».
Citation 124 - Nature, fonction et
tactique du parti
révolutionnaire de la classe ouvrière - 1947
« (…) Avec la révolution russe, la III Internationale se dressa contre cette orientation désastreuse pour le mouvement ouvrier. Il faut toutefois dire que, si sa restauration des valeurs révolutionnaires fut grandiose et complète en ce qui concerne les principes doctrinaux, l’orientation théorique et le problème fondamental du pouvoir d’État, il n’en fut pas de même par contre pour l’organisation de la nouvelle Internationale et la définition de sa tactique et de celle des partis adhérents.
« La critique des opportunistes de la II Internationale fut cependant complète et décisive : on critiqua non seulement leur abandon total des principes marxistes, mais aussi leur tactique de coalition et de collaboration avec des gouvernements et des partis bourgeois.
« On mit en évidence que l’orientation particulariste et immédiate donnée aux vieux partis socialistes n’avait nullement procuré de petits avantages et des améliorations matérielles aux travailleurs en échange de leur renonciation à préparer et à réaliser l’attaque suprême contre les institutions et le pouvoir bourgeois ; au contraire, compromettant tout à la fois les buts immédiats et le but historique, elle avait conduit à une situation pire encore, c’est-à-dire à l’utilisation des organisations, des forces, de la combativité, des personnes et des vies de prolétaires pour réaliser des objectifs qui, loin de correspondre aux buts politiques et historiques de leur classe, conduisaient à un renforcement de l’impérialisme capitaliste. La guerre avait permis à celui-ci d’éloigner, au moins pour toute une phase historique,le danger qu’engendraient les contradictions de son mécanisme productif, tandis que le ralliement des cadres syndicaux et politiques de la classe ennemie au travers de la méthode politique de coalitions nationales lui permettait de surmonter la crise politique déterminée par la guerre et ses répercussions.
« Comme le montre la critique léniniste, on avait ainsi complètement dénaturé la tâche et la fonction du parti prolétarien qui n’est pas de sauver la patrie bourgeoise ou les institutions de la soi-disant liberté bourgeoise, mais de tenir les forces prolétariennes en ordre de bataille sur la ligne historique générale du mouvement, qui doit culminer dans la conquête totale du pouvoir politique par le renversement de l’État bourgeois.
« Dans l’immédiat après-guerre, alors que ce que l’on appelle les conditions subjectives de la révolution (c’est-à-dire l’efficacité des organisations et des partis du prolétariat) apparaissaient défavorables, tandis que la crise du monde bourgeois qui se manifestait alors dans toute son ampleur fournissait au contraire des conditions objectives favorables, il s’agissait de remédier à la première déficience par la rapide réorganisation de l’Internationale révolutionnaire.
« Ce processus fut dominé, et il ne pouvait en être autrement, par le grandiose fait historique de la première victoire révolutionnaire prolétarienne en Russie, qui avait permis de remettre en pleine lumière les grandes directives communistes, qui dans les autres pays réunissaient les groupes socialistes opposés à l’opportunisme de guerre, une imitation directe de la tactique appliquée victorieusement en Russie par le parti bolchevique pour conquérir le pouvoir au cours de sa lutte historique de février à novembre 1917.
« Dès les premiers temps, cela donna lieu à d’importants débats sur les méthodes tactiques de l’Internationale, et en particulier sur celle du front unique, qui consistait à adresser fréquemment aux autres partis prolétariens et socialistes des invitations à pratiquer une agitation commune et à agir de concert, afin de mettre en évidence l’inadéquation de la méthode de ces partis et de détourner à l’avantage des communistes leur influence traditionnelle sur les masses.
« En fait, malgré les mises en garde pressantes de la Gauche communiste italienne et d’autres groupes d’opposition, les chefs de l’Internationale ne se rendirent pas compte que cette tactique du front unique, en alignant les organisations révolutionnaires aux côtés des organisations social-démocrates, social-patriotes, opportunistes, dont elles venaient de se séparer en une opposition irréductible, non seulement désorienterait les masses et rendrait du même coup illusoires les avantages attendus de cette tactique, mais – ce qui était plus grave encore – finirait par corrompre les partis révolutionnaires eux-mêmes. S’il est vrai que le parti révolutionnaire est le meilleur facteur de l’histoire et le moins étroitement conditionné, il n’en reste pas moins un produit de cette histoire et subit donc des changements à chaque modification des forces sociales. On ne peut considérer le problème de la tactique comme celui du maniement à volonté d’une arme qui, brandie dans n’importe quelle direction, demeurerait identique à elle-même ; la tactique du parti influence et modifie le parti lui-même. Aucune tactique ne doit être condamnée au nom de dogmes a priori, mais toute tactique doit être préalablement analysée et discutée en fonction du critère suivant : pour gagner éventuellement en influence sur les masses, ne va-t-on pas compromettre le caractère du parti et sa capacité de guider ces masses vers le but final ?
« L’adoption de la tactique du front unique signifiait en réalité que l’Internationale Communiste s’engageait elle aussi sur la voie de l’opportunisme qui avait conduit la II Internationale à la défaite et à la liquidation. Sacrifier la victoire finale et totale aux succès contingents et partiels, telle avait été la caractéristique de la tactique opportuniste ; celle du front unique se révélait elle aussi opportuniste, puisqu’elle aussi sacrifiait justement la garantie primordiale et irremplaçable de la victoire totale et finale (la capacité révolutionnaire du parti de classe) à l’action contingente qui devait assurer des avantages momentanés et partiels au prolétariat (l’augmentation de l’influence du parti sur les masses, et une participation plus massive du prolétariat à la lutte pour l’amélioration graduelle de ses conditions matérielles et pour le maintien des conquêtes éventuelles déjà obtenues).
« Dans la situation du premier après-guerre, qui apparaissait comme objectivement révolutionnaire, la direction de l’Internationale se laissa guider par la crainte – non dénuée de fondements – de ne pas être prête ou en tous cas peu suivie des masses lors de l’explosion d’un mouvement européen général qui pouvait amener à la conquête du pouvoir dans quelques-uns des grands pays capitalistes. L’éventualité d’un rapide effondrement du monde capitaliste était tellement importante pour l’Internationale léniniste, qu’on peut comprendre aujourd’hui comment, dans l’espoir de pouvoir diriger de plus vastes masses dans la lutte pour la révolution européenne, elle alla jusqu’à accepter l’adhésion de mouvements qui n’étaient pas de véritables partis communistes, et chercha, par la tactique élastique du front unique, à garder le contact avec les masses qui étaient derrière les appareil qui oscillaient entre la conservation et la révolution.
« Si l’éventualité favorable s’était réalisée, ses conséquences sur la politique et sur l’économie du premier pouvoir prolétarien en Russie auraient eu une importance telle qu’un redressement immédiat des organisations internationales et nationales du mouvement communiste aurait été possible.
« L’éventualité la plus favorable, celle de la stabilisation relative du capitalisme, s’étant au contraire réalisée, le prolétariat révolutionnaire dut reprendre la lutte avec un mouvement qui, ayant sacrifié sa claire orientation politique et l’homogénéité de sa composition et de son organisation, se trouvait exposé à de nouvelles dégénérescences opportunistes.
« Toutefois, l’erreur qui ouvrit la porte de la III Internationale à la nouvelle et plus grave vague opportuniste n’était pas seulement une erreur de calcul sur les probabilités futures de la révolution prolétarienne : c’était une erreur d’orientation et d’interprétation historique, qui consistait à vouloir généraliser les expériences et les méthodes du bolchevisme russe en les appliquant à des pays de civilisation bourgeoise et capitaliste bien plus avancée. La Russie d’avant février 1917 était encore une Russie féodale dans laquelle les forces productives capitalistes étaient étouffées par le carcan des vieux rapports de production : il était évident que dans cette situation, analogue à celle de la France de 1789 et de l’Allemagne de 1848, le parti politique du prolétariat devait combattre le tsarisme même s’il avait semblé impossible d’éviter que s’établisse un régime bourgeois capitaliste après son renversement ; et en conséquence, il était tout aussi évident que le parti bolchevique pouvait prendre avec d’autres groupements politiques les contacts rendus nécessaires par la lutte contre le tsarisme. Entre février et octobre 1917, le parti bolchevique rencontra les conditions objectives favorables à un plus vaste dessein : greffer directement sur le renversement du tsarisme la conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat. Il durcit donc ses positions tactiques, luttant ouvertement et sans merci contre toutes les autres formations politiques, des réactionnaires partisans d’une restauration tsariste et féodale aux socialistes-révolutionnaires et aux mencheviques. Mais, tandis que l’on pouvait effectivement craindre une restauration du féodalisme absolutiste et théocratique, les formations politiques et étatiques de la bourgeoisie, ou influencées par elle, n’avaient encore, dans la situation extrêmement fluide et instable d’alors, aucune solidité et se montraient incapables d’attirer et d’absorber les forces autonomes du prolétariat : ces conditions mirent le parti bolchevique en mesure d’accepter des contacts et de prendre des accords provisoires avec d’autres organisations ayant une certaine influence dans le prolétariat, comme cela se produisit lors de l’épisode de Kornilov (3).
« Lorsqu’il réalisait le front unique contre Kornilov, le parti bolchevique luttait contre une réaction féodale réelle ; par ailleurs, il n’avait à craindre ni un renforcement des organisations mencheviques et socialistes-révolutionnaires qui eût pu le soumettre à leur influence, ni un degré suffisant de solidité et de consistance du pouvoir d’État qui aurait consenti à ce dernier de tirer avantage de son alliance contingente avec les bolcheviques pour se retourner ensuite contre eux.
« La situation et le rapport des forces étaient complètement différents dans les pays de civilisation bourgeoise avancée. Là, la perspective d’une restauration féodale était totalement absente (et à plus forte raison l’est-elle aujourd’hui) ; l’objet même d’éventuelles actions communes avec d’autres partis n’existait donc pas. De plus, le pouvoir d’État et les organisations bourgeoises y étaient tellement affermis par le succès et la tradition de domination, qu’il était bien prévisible que les organisations autonomes du prolétariat, poussées par la tactique du front unique à des contacts fréquents et étroits avec elles, risquaient d’être quasi inévitablement influencées et absorbées progressivement par les organisations bourgeoises.
« Le fait d’avoir ignoré cette profonde différence de situation et d’avoir voulu appliquer à des pays développés les méthodes tactiques bolcheviques adaptées à la situation du régime bourgeois naissant de la Russie, ont conduit l’Internationale Communiste à une série de désastres de plus en plus graves, et enfin à sa honteuse liquidation.
« On poussa la tactique du front unique jusqu’à lancer des mots d’ordre contraires au programme du parti sur la question de l’État : on revendiqua la formation de gouvernements ouvriers, c’est-à-dire de gouvernements formés à la fois de communistes et de sociaux démocrates et parvenant au pouvoir par les voies parlementaires normales sans briser l’appareil d’État bourgeois par la violence. Ce mot d’ordre du gouvernement ouvrier fut présenté au VIe Congrès de l’Internationale Communiste comme le corollaire logique et naturel de la tactique du front unique ; et il fut appliqué en Allemagne, avec pour résultat une grave défaite du prolétariat allemand et de son parti communiste ».
Citation 125 - Thèses caractéristiques
du parti (Thèses de
Florence) - 1951
« III. Vagues historiques de dégénérescence opportuniste.
« 6. La III Internationale naît sur la base d’une double donnée historique : la lutte contre la social-démocratie et la lutte contre le social-patriotisme.
« Non seulement on ne conclut pas d’alliances avec les gouvernements en guerre, même s’il s’agit d’une guerre « défensive », et on persiste, même pendant la guerre, dans l’opposition de classe, mais on s’efforce, dans tous les pays, d’engager l’action défaitiste à l’arrière du front, pour transformer la guerre impérialiste entre les États en guerre civile entre les classes.
« 7. La réponse révolutionnaire à la première vague de l’opportunisme avait été : aucune alliance électorale, parlementaire ou ministérielle pour obtenir des réformes.
« La réponse à la seconde était cette autre formule tactique : aucune alliance de guerre (depuis 1871) avec l’État et la bourgeoisie.
« L’efficacité tardive de ces réactions empêcha le prolétariat de profiter du tournant et de l’écroulement de 1914-1918 pour engager partout la bataille du défaitisme et de la destruction de l’État bourgeois, et la gagner.
« 8. Il n’y eut qu’une grandiose exception historique : la victoire d’octobre 1917 en Russie. La Russie était le seul grand État européen encore régi par le pouvoir féodal et où les formes capitalistes de production n’avaient encore que peu pénétré. En Russie, il existait un parti pas très nombreux mais possédant une tradition de grande fermeté doctrinale sur les justes positions de la doctrine marxiste ; il s’était opposé, dans l’Internationale, aux deux vagues successives d ’opportunisme et s’était en même temps montré capable de poser, dès les luttes grandioses de 1905, les problèmes de l’articulation des deux révolutions, bourgeoise et prolétarienne.
« En février 1917, ce parti lutte avec les autres contre le tsarisme, mais tout de suite après il combat non seulement les partis bourgeois libéraux, mais les partis prolétariens opportunistes, et il réussit à les battre tous. De plus, il joue un rôle central dans la reconstruction de l’Internationale révolutionnaire (...)
« 11. Il était donc indispensable d’accélérer la conquête du pouvoir en Europe, pour éviter que l’État soviétique ne soit en peu d’années renversé par la violence, ou ne dégénère en État capitaliste. Or, dès qu’il apparut que la société bourgeoise se consolidait après la grave secousse de la première guerre mondiale, et que les partis communistes ne parvenaient pas à vaincre, à l’exception de quelques tentatives vite réprimées, l’évidence même de cette nécessité impérieuse conduisit à se demander par quelle manœuvre on pourrait conjurer l’influence social-démocrate et opportuniste encore subie par de larges couches prolétariennes.
« Deux méthode s’affrontèrent : la première considérait les partis de la Deuxième Internationale, qui menaient ouvertement une campagne impitoyable tant contre le programme communiste que contre la Russie révolutionnaire, comme des ennemis déclarés, et elle les combattait comme un détachement, et le plus dangereux, du front de classe bourgeois ; la seconde consistait à recourir à des expédients, à des « manœuvres » stratégiques et tactiques, pour détourner vers le parti communiste les masses influencées par les partis sociaux-démocrates.
« 12. Pour justifier cette seconde méthode, on invoqua à tort les expériences de la politique bolchevique en Russie, déviant ainsi de la juste ligne historique. Là, en effet, les propositions d’alliances faites à d’autres partis, petit-bourgeois et même bourgeois, étaient fondées sur une situation où le pouvoir tsariste mettait tous ces mouvements hors la loi et les contraignait à lutter de façon insurrectionnelle. En Europe, au contraire, on ne pouvait proposer d’actions communes, même dans un but de pure manœuvre, que sur le terrain légalitaire, qu’il fût parlementaire ou syndical. En Russie, l’expérience du parlementarisme libéral avait été extrêmement brève en 1905 et n’avait duré que quelques mois en 1917, de même que celle d’un syndicalisme reconnu par la loi. Dans le reste de l’Europe, un demi-siècle de dégénérescence du mouvement prolétarien avait fait de ces deux domaines un terrain propice à l’assoupissement de toute énergie révolutionnaire et au passage des chefs prolétariens au service de la bourgeoisie. La garantie que constituait la fermeté d’organisation et de principes du parti bolchevique était une chose, celle que devait constituer l’existence du pouvoir de l’État prolétarien en Russie en était une tout autre car, du fait même des conditions sociales existantes et du rapport de forces international, ce pouvoir était précisément le plus exposé (comme l’histoire l’a démontré) à sombrer dans la renonciation aux principes et aux directives révolutionnaires (…)
« 14. L’expérience de la méthode tactique appliquée par l’Internationale de 1921 à 1926 fut négative, mais malgré cela on en donna, à chaque congrès, des versions plus opportunistes (III, IV, V Congrès et Exécutif Élargi de 1926). Cette méthode était fondée sur le principe suivant : changer de tactique en fonction de l’examen des situations. Sur la base de prétendues analyses, on découvrait tous les six mois de nouveaux stades du développement du capitalisme, qu’on prétendait combattre chaque fois par de nouvelles manœuvres. Au fond, c’est bien là ce qui caractérise le révisionnisme, qui a toujours été « volontariste » : lorsqu’il constate que les prévisions sur l’avènement du socialisme ne se sont pas encore réalisées, il pense forcer l’histoire par une pratique nouvelle mais en même temps il cesse de lutter pour le but prolétarien et socialiste de notre programme maximum. En 1900, les réformistes raisonnaient ainsi : la situation exclut désormais toute possibilité d’insurrection ; cela ne mène à rien d’attendre l’impossible, travaillons pour des possibilités concrètes, élections et réformes légales, conquêtes syndicales.
« Lorsque cette méthode échoua, le volontarisme des syndicalistes réagit en rejetant toute la faute sur la méthode politique et sur le parti politique en soi, et préconisa, pour forcer la situation, l’action des minorités audacieuses convergeant dans la grève générale dirigée par les seuls syndicats.
« De même, quand elle vit que le prolétariat occidental ne passait pas à l’attaque pour instaurer sa propre dictature, l’Internationale prétendit recourir à des expédients pour sortir de l’impasse. Le résultat fut que, une fois passé le moment de déséquilibre des forces capitalistes, la situation objective et le rapport des forces ne changèrent pas pour autant, mais le mouvement fut par contre affaibli, puis en plus corrompu - de même que naguère les impatients révisionnistes de droite ou de gauche avaient fini par s’enrôler au service de leurs bourgeoisies dans les unions sacrées de la guerre. La préparation théorique et la restauration des principes furent sabotées lorsqu’on introduisit la confusion entre le programme de conquête intégrale du pouvoir par le prolétariat, et la formation de gouvernements « proches » grâce à l’appui et à la participation parlementaire et ministérielle des communistes. En Saxe et en Thuringe, l’expérience se termina en farce, puisqu’il suffit d’une poignée de policiers pour renverser le chef communiste du gouvernement.
« 15. La confusion introduite dans l’organisation interne ne fut pas moindre, et on compromit les résultats du difficile travail de sélection et de délimitation des éléments révolutionnaires par rapport aux opportunistes dans les différents partis et pays. On crut se gagner de nouveaux effectifs, bien manœuvrables à partir du centre, en arrachant en bloc aux partis social-démocrates leurs ailes gauches. Ce qu’il aurait fallu faire au contraire, c’est qu’après une première période de formation, la nouvelle Internationale fonctionne de façon stable comme parti mondial du prolétariat, et que les nouveaux membres adhèrent individuellement à ses sections nationales. On voulut conquérir des groupes importants de travailleurs, et on négocia en réalité avec les chefs, en désorganisant continuellement les cadres des partis communistes, et en bouleversant la composition de leur direction jusque dans les périodes de lutte active. On reconnut comme communistes des fractions et des cellules à l’intérieur des partis socialistes et opportunistes, et on pratiqua des fusions organisationnelles. Ainsi, au lieu de devenir aptes à la lutte, presque tous les partis furent maintenus dans un état de crise permanente, ils agirent sans continuité et sans frontières bien définies entre amis et ennemis, essuyant des échecs répétés dans les différents pays. La Gauche revendique au contraire l’unicité et la continuité organisationnelle ».
Citation 126 - Considérations sur
l’activité organique du parti
quand la situation générale est historiquement défavorable -
1965
« Point 14. (…) Cette possibilité historique de sauver sinon la révolution, du moins le noyau de son parti historique, nous ayant également fait défaut, nous avons recommencé aujourd’hui, dans une situation objective de paralysie totale, avec un prolétariat infecté jusqu’à la moelle par le démocratisme petit-bourgeois. Mais l’organisme naissant, utilisant toute la tradition doctrinale et pratique confirmée par la vérification historique de nos justes prévisions, l’applique même à son action quotidienne, en s’efforçant de reprendre contact, à une échelle toujours plus grande, avec les masses exploitées, et il élimine de sa structure ce qui avait représenté une des erreurs de départ de l’Internationale de Moscou, en liquidant la thèse du centralisme démocratique et l’application de tout système de vote, de même qu’il a éliminé de l’idéologie du moindre adhérent toute concession à des positions démocratisantes, pacifistes, autonomistes et libertaires ».
Citation 127 - Thèses sur la tâche historique, l’action et la
structure du parti... (Thèses de Naples) -
1965
« 3. Dans la période suivante, celle de la nouvelle Internationale, ce qui forme le patrimoine inoubliable de la Gauche communiste, c’est son juste diagnostic théorique et sa juste prévision historique des nouveaux dangers d’opportunisme qui se dessinaient dans l’Internationale dès ses premières années de vie. La méthode historique permettra de traiter ce point sans lourds développements théoriques. Les premières manifestations d’opportunisme dénoncées et combattues par la Gauche apparurent dans la tactique à propos des rapports à établir avec les vieux partis socialistes de la II Internationale, dont les communistes s’étaient séparés sur le plan organisationnel par des scissions ; par la suite, ces tendances apparurent également dans des mesures erronées en matière d’organisation.
« Dès 1921, on pouvait prévoir que la grande vague révolutionnaire d’après-guerre était en train de s’affaiblir et que le capitalisme tenterait une contre-offensive aussi bien économique que politique. Le III Congrès avait constaté avec raison qu’il ne suffisait pas d’avoir formé des partis communistes fermement attachés au programme de l’action violente, de la dictature prolétarienne et de l’État communiste, si une large fraction des masses prolétariennes restait accessible à l’influence des partis opportunistes, que tous les communistes considéraient alors comme les pires instruments de la contre-révolution bourgeoise, et qui avaient les mains souillées du sang de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Mais la Gauche communiste n’accepta pas la formule qui voulait, pour éviter les initiatives de type blanquiste prises par les trop petits partis, que l’action révolutionnaire fût subordonnée à la conquête de la "majorité" du prolétariat (on ne sut jamais, entre autres, s’il s’agissait de la "majorité" du véritable prolétariat salarié ou du "peuple", comprenant également des paysans propriétaires et des petits capitalistes, des artisans et toutes sortes d’autres couches petites-bourgeoises). Avec son allure démocratique, cette formule de la "majorité" éveillait une première crainte, qui fut hélas confirmée par l’histoire : celle que l’opportunisme ne renaisse dans la nouvelle Internationale par le biais habituel d’un hommage aux funestes notions de démocratie et de comptabilité électorale.
« Le IV Congrès, qui eut lieu à la fin de 1922, et les Congrès suivants, n’infirmèrent pas les prévisions pessimistes de la Gauche. Celle-ci continua à lutter vigoureusement et à dénoncer les tactiques dangereuses (front unique entre partis communistes et socialistes, mot d’ordre du "gouvernement ouvrier") et les erreurs dans le domaine de l’organisation (tentatives d’accroître les effectifs des partis communistes non seulement par l’afflux de prolétaires abandonnant les autres partis à programme, action et structure social-démocrates, mais par des fusions avec des partis entiers ou des fractions de partis après des tractations avec leurs états-majors ; et, pis encore, par l’admission de prétendus partis "sympathisants" comme sections nationales du Komintern, ce qui constituait une erreur fédéraliste évidente).
« Le troisième point sur lequel porta la critique de la Gauche était celui des méthodes de travail au sein de l’Internationale ; dès cette époque, et de plus en plus vigoureusement dans les années suivantes, elle dénonça le danger croissant d’opportunisme que représentait l’emploi par le centre, représenté par l’Exécutif de Moscou, non seulement de la « terreur idéologique », mais surtout des pressions organisationnelles sur les partis ou même les sections de partis ayant pu commettre des erreurs politiques. Une telle méthode de travail constituait une application erronée – puis, au fur et à mesure, une falsification totale – des justes principes de la centralisation et de la discipline absolues.
« 10. Revenant à l’histoire des premières années de l’Internationale Communiste, nous rappellerons que les dirigeants russes, qui avaient derrière eux non seulement une connaissance profonde de la doctrine et de l’histoire du marxisme, mais aussi le résultat grandiose de la victoire révolutionnaire d’Octobre, considéraient des thèses comme celles de Lénine, comme un matériel que tous les militants devaient accepter, tout en reconnaissant qu’on pourrait ultérieurement les développer dans la vie du parti international. Ils demandèrent qu’on ne votât jamais, car toutes les thèses devaient être acceptées par adhésion unanime, spontanément confirmée par toute la périphérie de l’organisation qui, dans ces années glorieuses, vivait dans une atmosphère d’enthousiasme et même de triomphe.
« La Gauche partageait ces généreuses aspirations, mais elle considérait que pour atteindre les résultats auxquels nous aspirons tous il aurait fallu rendre plus rigoureuses et plus rigides certaines mesures d’organisation et de constitution du parti communiste unique, et préciser dans le même sens toutes les normes de sa tactique.
« Lorsqu’il apparut qu’un certain relâchement dans ces domaines fondamentaux – relâchement que nous avions dénoncé devant le grand Lénine lui-même – commençait à avoir des effets néfastes, nous fûmes contraints d’opposer nos rapports aux rapports de l’Exécutif, et nos thèses à ses thèses.
« A la différence d’autres groupes d’opposition, de ceux qui se formaient en Russie même et du courant trotskiste lui-même, nous avons toujours soigneusement évité de donner à notre travail au sein de l’Internationale la forme d’une revendication de consultations démocratiques et électorales de toute base, ou de réclamer des élections générales des comités directeurs (…)
« Dans les toutes premières années, la Gauche espérait que les concessions faites sur le plan de l’organisation et de la tactique n’étaient dues qu’à la fécondité de ce moment historique, qu’elles ne seraient que provisoires, puisqu’elles étaient liées à la perspective de Lénine envisageant de grandes révolutions en Europe centrale et peut-être occidentale, et qu’on en reviendrait ensuite à la claire ligne de conduite intégralement conforme à nos principes vitaux. Mais cet espoir fit progressivement place à la certitude que l’Internationale allait à sa perte, et que le nouvel opportunisme ne pourrait manquer de prendre les formes classiques d’une glorification et d’une exaltation de l’intrigue démocratique et électorale. La Gauche continua donc sa lutte historique de défense, sans jamais relâcher sa méfiance à l’égard du mécanisme démocratique ».
Chapitre 4
Centralisme démocratique et centralisme organique
Les citations que nous avons rapportées démontrent à l’évidence que la différence entre centralisme démocratique et centralisme organique est tout autre qu’une simple question de « terminologie ». Aujourd’hui on affirme que dans le parti « le centralisme démocratique et le centralisme organique sont la même chose », que nous « proposâmes d’appeler organique le centralisme pour mieux préciser le terme », que, au fond, tout se réduit à la revendication du « centralisme sans adjectif ». Le centralisme organique signifierait seulement que nous avons besoin, étant donné que nous sommes dans l’ambiance du capitalisme putrescent, d’un centralisme encore « plus rigide » que celui du parti bolchevique. Et le besoin d’un centralisme « plus rigide » aurait dicté notre position sur l’élimination des mécanismes démocratiques de consultation interne. En un mot, les choses se seraient passées ainsi : centralisme démocratique signifie un centralisme moins complet, parce qu’invalidé par les nécessités de la consultation périodique de la base ; centralisme organique signifierait « centralisme absolu » car on ne consulte plus personne et toutes les décisions proviennent de façon incontestable du centre dirigeant qui a des pouvoirs absolus. En définitif : centralisme démocratique moins les mécanismes démocratiques = centralisme organique. Il resterait à expliquer pourquoi les partis de la II Internationale utilisèrent des mécanismes de démocratie interne, tandis que nous pouvons faire la soustraction de ces mécanismes. Il est évident que la raison doit résider dans une dynamique, un mode de se mouvoir, de vivre, de se développer des partis de la II Internationale, différents du nôtre et même de ceux de la III Internationale ; ce serait pour cela que les bolcheviques, disons de 1903 ou de 1905, étaient contraints de théoriser la formule de « centralisme démocratique », et d’adopter dans l’organisation des mécanismes de démocratie électorale et que nous pouvons dire aujourd’hui que dans notre parti on s’en est passé pour toujours, après avoir souhaité qu’il en fût de même dans l’Internationale Communiste.
Une première distinction, bien présente dans toutes nos thèses, s’impose : celle entre « valeur de principe » à donner aux mécanismes de démocratie et à l’utilisation nécessaire de la part du parti dans une époque historique déterminée. Lénine, nous l’avons toujours répété, n’a jamais attribué aucune valeur de principe à la démocratie interne ou externe au parti ; au contraire chaque fois que cela a été possible et nécessaire, il n’a pas hésité à la renverser et à la violer ; mais il a été contraint de l’utiliser avec tout son attirail statutaire, formaliste, bureaucratique, comme un « mécanisme accidentel » pour la construction de l’organisation de parti. Nous, non seulement nous le lui avons jamais attribué la moindre valeur de principe, mais nous l’avons même éliminée pour toujours avec tout son cortège comme instrument utile à la construction de l’organisation. En 1920, nous proposâmes qu’on ne dise pas que notre principe était le « centralisme démocratique », parce que la démocratie ne peut être un principe pour nous, tandis que le centralisme l’est sans aucun doute.
La formule aurait dû être : centralisme qui peut aussi utiliser comme mécanisme utile pratiquement, le mécanisme démocratique. En 1965, nous avons défini que non seulement nous ne voulons pas du principe de démocratie, mais que nous ne retenons pas non plus utiles ses mécanismes et nous l’avons rejeté pour toujours. Il ne s’agit donc pas d’opposer un centralisme plus rigide à un centralisme moins rigide pour parvenir à la conclusion aberrante que, organique ou non, nous sommes pour le centralisme quel qu’il soit. Le centralisme démocratique, en effet, n’était pas du tout un centralisme moins rigide, mais une centralisation de l’action du parti obtenue au travers de l’utilisation du mécanisme démocratique ; le centralisme organique n’est pas un centralisme « plus rigide », mais la centralisation obtenue en se passant du mécanisme démocratique. Maintenant, en se fondant non seulement sur toutes nos thèses, mais aussi sur Lénine (Que faire ?, Un pas en avant et deux en arrière, etc), quand nous parlons de mécanismes démocratiques, nous devons y entendre non seulement la consultation périodique de la base, mais aussi tout l’attirail annexe : congrès délibérants et souverains, statuts, codes, appareils bureaucratiques, expulsions, répression à caractère légal, comme méthode de vie du parti, choix ou élection de camarades particuliers, etc.
Que bureaucratisme et démocratie ne soient pas des termes antithétiques, mais intimement et dialectiquement liés, nous l’avons écrit en toutes lettres dans l’ensemble de nos thèses. Par conséquent, si nous avons éliminé la démocratie de l’organisation, cela veut dire que nous avons également éliminé le bureaucratisme. Si le bureaucratisme devait persister, avant ou par la suite, la démocratie interne devrait être aussi de retour.
La pratique du centralisme démocratique était adéquate et nécessaire pour les partis de la II Internationale car ils se plaçaient effectivement sur une base non parfaitement homogène au travers du heurt de courants et de fractions divisés par des divergences non occasionnelles ni momentanées, sur la tactique et souvent également sur le programme. Il s’agissait de divers courants, d’expression de divers intérêts de classe qui confluaient dans l’organisation du parti en s’accordant sur quelques points généraux communs, mais en divergeant, sans possibilité de conciliation, sur d’autres. Au début du siècle, il était évident pour Lénine et tous les révolutionnaires que les révisionnistes et les mencheviques exprimaient l’influence des aristocraties ouvrières et de la petite bourgeoisie réformiste à l’intérieur du parti prolétarien. Le parti se trouvait être ainsi le produit de la convergence de diverses couches sociales, et pour cela de diverses tactiques, même si tous reconnaissaient un but commun. Ainsi l’organisation de parti était divisée en courants divergents, non occasionnellement mais physiologiquement, comme une règle commune. La lutte politique interne est donc pour ces partis une norme de vie, et même la norme de vie. Mencheviques et Bolcheviques luttent pour la conquête de la direction du parti avec deux lignes tactiques qui s’opposent : aile révolutionnaire et aile réformiste à l ’intérieur de tous les partis socialistes et social-démocrates. Pour que la lutte interne n’entraîne pas l’immobilisation de l’action pratique du parti, elle doit être régulée par un mécanisme légal accepté et reconnu de tous ; elle doit établir les devoirs et les droits de la « majorité » et de la « minorité ». Comme l’unicité du mouvement pratique est toujours la conséquence d’une unité de tactique, et comme les lignes tactiques du parti sont toujours au moins deux, l’unique façon de faire bouger le parti dans un sens pratique unique, devient celui de la prévalence d’une ligne sur l’autre au travers de la convocation de congrès démocratiques qui sont des « arènes de lutte » pour la victoire d’un courant sur l’autre. La hiérarchie qui sort de ces congrès dans lesquels se forme une « majorité » et une « minorité » doit avoir un caractère nécessairement bureaucratique, parce qu’elle représente non le parti dans son ensemble, mais la victoire d’une partie du parti sur l’autre partie.
Le centre du parti ne peut se référer, pour obtenir le respect de ses ordres, à un patrimoine de normes tactiques communes à tout le parti, publié et accepté par tous les militants, mais il doit nécessairement se référer à des délibérations ayant valeur légale parce qu’elles expriment l’avis de la majorité ; il doit se référer aux statuts, aux délibérations des congrès, etc. Au travers des délibérations démocratiques des congrès se crée ainsi une hiérarchie bureaucratique dont le pouvoir dérive des délibérations du congrès et des statuts que personne ne peut violer sous peine de sanctions qui vont jusqu’à l’expulsion du parti. Les hommes qui dirigent le parti et ceux préposés aux diverses fonctions sont choisis par le congrès qui décide non au nom de la capacité ou non de l’individu à assurer cette fonction, mais au nom de son appartenance ou non à une ligne politique déterminée. Et par conséquent ils doivent être connus et nommés par leur nom et prénom et doivent dans une certaine mesure porter un signal spécial. Tous les militants qui appartiennent à l’aile victorieuse ou à celle défaite lors du congrès doivent accepter une discipline absolue aux ordres de cet homme déterminé avec ce signal déterminé.
L’Internationale Communiste, née sur la base homogène de la doctrine et du programme marxiste, sur la base de principes unitaires et énoncés clairement, sur la base de finalités uniques, n’aurait plus eu besoin de cette praxis et de ces mécanismes dans la mesure où il s’était orienté vers la délimitation des moyens tactiques en continuité avec les mesures d’organisation. L’Internationale commença par démonter cette praxis et la remplacer par une praxis « organique » dans de nombreux secteurs, comme nous l’avons clairement expliqué dans nos « Notes de 1964 pour les Thèses sur la question d ’organisation de 1921 ». Elle ne put la démonter complètement, car les partis communistes s’étaient formés et se formaient sur la base pas du tout homogène, parce qu’on ne parvint jamais à fixer une tactique unique pour toute l’Internationale et qu’on admit les « particularités nationales » et les fusions d’organisations. Le processus de formation était influencé par la perspective des Bolcheviques d’une révolution européenne à brève échéance pour la direction de laquelle une organisation même pas du tout homogène, mais capable de guider le prolétariat à l’assaut, était nécessaire. La Gauche, tandis qu’elle se pliait à cette perspective reconnue valide par tous, demanda qu’on ne fît pas un principe de la praxis démocratique, restant dans les partis et dans l’Internationale, mais que l’on précisât qu’il s’agissait seulement d’un « mécanisme accidentel », tandis que la construction réelle du parti survenait au travers d’une méthode organique basée sur la conquête d’une homogénéité toujours plus grande dans le domaine tactique et organisatif. Si l’Internationale avait pris ce chemin, il s’en serait suivi l’élimination de ce qui restait de la mécanique démocratique et bureaucratique interne.
Par conséquent le parti né dans le second après-guerre n’a pas fait autre chose que tirer les conclusions d’un processus qui avait commencé en 1919 et que l’écroulement de l’Internationale avait interrompu et renversé. Dans le parti communiste mondial, fondé sur une théorie unique et reconnue comme valide et invariante par tous, sur des principes et des finalités uniques, sur un programme unique et sur un ensemble de normes tactiques déduites des principes et devenues le patrimoine de tous les militants ; dans le parti communiste qui refuse la pratique des fusions, du noyautage d’autres partis, des « exceptions nationales et locales », mais admet seulement et exclusivement des adhésions individuelles, il n’y plus de place ni pour la démocratie ni pour la bureaucratie ; il n’y a plus de place pour les « choix sur des noms de camarades ou sur des thèses générales » ; il n’y a plus de place pour la lutte des courants et des fractions, c’est-à-dire pour la lutte politique interne.
La garantie de l’obéissance aux ordres du centre de la part de la base n’est plus donnée par l’observance des articles d’un statut ou d’un code, mais par l’adhésion aux ordres du patrimoine commun du parti. La hiérarchie du parti n’a plus besoin ni d’être élue par la base, ni d’être nommée d’en haut, parce que l’unique critère de sélection reste celui de la capacité du déroulement des diverses fonctions de l’organe parti. Qu’au centre se trouve un individu plutôt qu’un autre ne peut rien changer à la position politique du parti ni à sa tactique ; ce qui peut changer est la majeure ou mineure efficacité centrale, mais la désignation des militants les plus aptes aux diverses fonctions devient un fait « naturel et spontané » qui n’a besoin d’aucune sanction particulière. La hiérarchie du parti devient ainsi une hiérarchie non politique, mais organique. Le parti s’articule en divers organes et fonctions qui demandent pour leur déroulement des hommes physiques ; à ces hommes on ne demande pas : vous êtes bolcheviques ou mencheviques ? Appartenez-vous à l’aile droite ou à l’aile gauche du parti ? On leur demande seulement s’ils sont en mesure de développer la tâche à laquelle le parti les appelle, qu’ils soient au plus haut ou au plus bas de l’échelle hiérarchique. Et, par conséquent, il n’est pas plus déterminant de savoir qui est l’individu qui donne les ordres, mais on réclame que les ordres soient sur la ligne de la tradition commune à tout le parti, qu’ils ne se détachent pas d’elle et qu’ils soient opportuns et adéquates. C’est-à-dire qu’on demande que la fonction « centre » se développe de la façon la meilleure selon la ligne du parti par qui il la développe. Et la vie interne du parti ne se manifeste plus dans une lutte constante entre courants divergents ; lutte politique, c’est-à-dire lutte pour conquérir le pouvoir central dans l’organisation dans le but d’imposer à celle-ci une ligne tactique déterminée. Étant admis qu’on ne discute pas sur la doctrine, qu’on ne discute pas sur le programme, qu’on ne discute pas sur les lignes dorsales du plan tactique, les rapports internes se présentent comme un travail solidaire et commun à tous les membres du parti, visant à rechercher sur la base du patrimoine commun à tous les solutions les plus adaptées aux divers problèmes.
On doit graver de mieux en mieux les points cardinaux théoriques du mouvement, on doit graver ses lignes tactiques ; on doit résoudre à la lumière des principes communs, de la tactique commune et de l’examen des situations dans lesquelles le parti se trouve pour agir, les problèmes complexes de l’action pratique, la recherche des instruments organisatifs les plus efficaces afin de coordonner toute l’action du parti ; on doit travailler à acquérir tout le patrimoine théorique et pratique du mouvement et à le transmettre aux nouvelles générations de militants. Mais tout ceci n’advient pas au travers de heurts et de congrès ou de consultations des opinions ; ceci advient au travers de la recherche rationnelle et scientifique de solutions, étant entendu que, quelqu’elles soient, elles ne doivent pas dépasser les limites que le parti s’est tracées à lui même dans tous les domaines.
Sur cette base, même les erreurs que n’importe quel organe du parti peut commettre, y compris l’organe « centre », en donnant une solution à un problème déterminé, ne comporte pas la condamnation d’hommes ou leur remplacement, mais la recherche commune des causes réelles de l’erreur à la lumière de notre doctrine et de nos normes tactiques. Il est vrai que pour le même problème tactique plusieurs réponses peuvent être données. Dans ce cas, on peut observer la division temporaire et localisée de groupes de militants concernant ce problème. Mais dans ce cas également, il ne se crée pas une situation de lutte politique, parce que la requête fondamentale sera toujours que celle-ci, quelque soit la solution adoptée, ne soit pas en opposition aux principes et aux lignes tactiques dorsales fixées par la parti. Le fait que le parti choisit pour chaque problème la solution la plus adaptée et non la pire, provient non de la consultation de la majorité, ni d’une prétendue infaillibilité des organes centraux ou de la personne des chefs, mais à la croissance et à l’approfondissement du travail de parti et pour cela de son expérience dans tous les camps de la théorie comme de l’action pratique.
L’homogénéité théorique, programmatique, tactique du parti n’est certes pas une donnée assurée une fois pour toute ; c’est une chose qui se maintient et se défend dans chaque acte du parti toujours et partout. Si à un moment déterminé, l’action du parti contredit ce patrimoine homogène, et ceci peut survenir en raison du poids de situations externes défavorables ou en raison d’une mince adéquation du parti au développement des tâches que la situation lui impose, la conséquence dans le camp organisatif sera nécessairement la création de dissensions internes, de courants et voire de fractions. Cet état de malaise dans l’organisation, c’est notre thèse classique, doit indiquer que « quelque chose ne va pas dans le travail et dans la conduction générale du parti », « que quelque chose s’est déroulée sur un mode erroné et inadéquate dans l’activité du parti par rapport aux bases sur lesquelles le parti même s’appuie » ; et le remède doit se trouver non dans la répression « bureaucratique » de la dissension, ni dans l’invocation de « la discipline pour la discipline », chose qui représente une solution momentanée et partielle au problème, mais dans le fait de préciser les points cardinaux du parti, dans la recherche objective et dans la reproposition à toute l’organisation de ces points fondamentaux de théorie et de praxis qui doivent dicter l’action du parti. On devra rechercher la ligne de continuité qui lie le passé du parti à son présent et à son futur, et rendre adéquate à cette ligne les directives d’action en appelant les militants à se discipliner sur cette base.
L’objection du petit-bourgeois est évidente : qui empêchera que les individus fassent ce qui leur plaît, qu’ils désobéissent parce que dans tout individu, même militant du parti, se trouve le germe de l’individualisme, de l’auto-exaltation, de l’anarchisme, etc ? Qui empêchera que les particuliers ne soulèvent des problèmes seulement par goût de les soulever ou de critiquer ? La Gauche a déjà répondu il y a 50 ans à des objections de ce genre et la réponse sonne ainsi : dans un organisme, comme le parti, qui se forme sur la base d’adhésions volontaires à une tranchée commune de combat et de sacrifice, ces manifestations individuelles doivent rester de rares exceptions et en tant que telles elles peuvent même être réprimées bureaucratiquement ; mais si ces manifestations se multiplient et augmentent au lieu de diminuer et tendre à disparaître, ceci signifie que quelque chose ne va pas dans l’activité complexe du parti et dans sa conduction centrale ; ne serait-ce que par le fait qu’au lieu d’attirer des individus sains et disposés à abandonner leur propre prurit individualiste, on commence à attirer des bavards et des vaniteux. Et ceci se résout aussi non seulement en chassant les bavards, mais précisément en recherchant les causes par lesquelles le parti les attire. Le remède est de rendre tellement saillante et nette la physionomie du parti dans toutes ses manifestations théoriques et pratiques que cela décourage toute adhésion qui ne soit celle de toute personne disposée à devenir un véritable militant de la révolution.
La solution ne se trouve jamais, pour la Gauche, dans l’intensification des réseaux bureaucratiques et des répressions organisatives, dont nous pouvons très bien, nous l’avons toujours dit, nous passer au même titre que nous pouvons nous passer du décompte des têtes individuelles.
Citation 128 - Le principe démocratique
- 1922
« (...) Le critère démocratique est pour nous, jusqu’ici, un élément matériel et accidentel dans la construction de notre organisation interne et la formulation de nos statuts de parti : il n’en est pas la plate-forme indispensable. C’est pourquoi, quant à nous, nous n’érigerons pas en principe la formule organisative bien connue du « centralisme démocratique ». La démocratie ne peut pas être pour nous un principe ; le centralisme, lui, en est indubitablement un, puisque les caractères essentiels de l’organisation du parti doivent être l’unité de structure et de mouvement. Le terme de centralisme suffit à exprimer la continuité de la structure du parti dans l’espace ; et pour introduire l’idée essentielle de la continuité dans le temps, c’est-à-dire la continuité du but vers lequel on tend et de la direction dans laquelle on avance à travers des obstacles successifs qui doivent être surmontés, mieux, pour relier dans une même formule ces deux idées essentielles d’unité, nous proposerions de dire que le parti communiste fonde son organisation sur le « centralisme organique ». Ainsi, tout en gardant de ce mécanisme accidentel qu’est le mécanisme démocratique ce qui pourra nous servir, nous éliminerons l’usage de ce terme de « démocratie » cher aux pires démagogues mais entaché d’ironie pour les exploités, les opprimés et les trompés, en l’abandonnant, comme il est souhaitable, à l’usage exclusif des bourgeois et des champions du libéralisme dans ses divers accoutrements et ses poses parfois extrémistes ».
Citation 129 - Thèses sur la tactique au II Congrès du PC
d’Italie (Thèses de Rome) - 1922
« I.3. Les déclarations programmatiques des Partis et de l’Internationale communiste contiennent une définition précise de la conscience théorico-critique du mouvement communiste. A cette conscience, comme à l’organisation des premiers et de la seconde, on est parvenu et on parvient par une étude de l’histoire de la société humaine et de sa structure à l’époque capitaliste actuelle conduite sur la base des données et des expériences de la lutte prolétarienne réelle et dans une participation active à celle-ci.
« 4. La proclamation de ces déclarations programmatiques et la désignation des hommes auxquels sont confiés les divers échelons de l’organisation du parti résultent formellement d’une consultation démocratique d’assemblées de représentants du parti. En réalité elles sont le produit du processus réel qui, accumulant les éléments d’expérience et réalisant la préparation et la sélection des dirigeants, donne forme au contenu programmatique, et à la constitution hiérarchique du parti ».
Citation 130 - Thèses de la Gauche au III Congrès du PC
d’Italie (Thèses de Lyon) - 1926
« II.5. Discipline et fractions. (...) Les partis communistes doivent réaliser un centralisme organique qui, avec le maximum possible de consultations de la base, assure l’élimination spontanée de tout regroupement tendant à se différencier. On ne peut obtenir cela à coups de prescriptions hiérarchiques formelles et mécaniques mais, comme le disait Lénine, par une juste politique révolutionnaire ».
Citation 131 - Notes pour les thèses
de 1921 sur la question
d’organisation - 1964
« 2. La formule citée ci-dessus apparaît au point 14 des thèses de Zinoviev, et est formulée ainsi : "Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution au moyen d’élection de Comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui lui est supérieur, et l’existence d’un Centre muni des pleins pouvoirs, dont l’autorité ne peut, dans l’intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne ; tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique".
« Ces thèses ne donnent pas de détails majeurs, et en ce qui concerne le concept de la subordination de la périphérie au Centre, la Gauche n’avait pas de motif de ne pas les accepter. Le doute surgit sur la manière de désigner les Comités de la périphérie au Centre, et sur l’emploi du mécanisme électoral avec le décompte des votes, auxquels fait de façon évidente référence l’adjectif démocratique opposé au substantif centralisme (…)
« 12. Quand la Gauche communiste développa davantage sa critique face aux déviations de la III Internationale sur les problèmes de la tactique, elle fit aussi une critique des critères d’organisation, et la suite des faits historiques a démontré que ces déviations ont fatalement conduit à l’abandon de positions de base programmatiques et théoriques (…)
« Notre formule centralisme organique voulait précisément dire que non seulement le parti est un organe particulier de la classe, mais de plus c’est seulement quand il existe que la classe agit comme organisme historique et non seulement comme une section statistique que tout bourgeois est prêt à reconnaître. Marx, dans la reconstruction historiquement fondamentale et irrévocable de Lénine, ne dit pas seulement qu’il n’a pas découvert les classes, mais pas plus la lutte entre les classes, et indique comme marque unique de sa théorie originale la dictature du prolétariat : ceci veut précisément dire que seulement grâce au parti communiste le prolétariat pourra parvenir à la dictature. Par conséquent, les deux notions de parti et de classe ne se comparent pas numériquement parce que le parti est petit et la classe est grande, mais historiquement et organiquement ; car c’est seulement quand s’est formé à partir de la classe l’organe énergétique qu’est le parti, que la classe devient telle, et en vient à assumer la tâche que lui assigne notre doctrine de l’histoire.
« 13. La substitution de l’adjectif organique à celui démocratique n’a pas pour seul motif la plus grande exactitude d’une image de type biologique par rapport à l’image terne de nature arithmétique, mais constitue également une exigence solide et de lutte politique pour se libérer de la notion de démocratie ; et en abattant cette dernière, nous avons pu avec Lénine réédifier l’Internationale révolutionnaire.
« 140 (…) D’autre part, les critiques organisatives de la Gauche visant le travail de l’Internationale restèrent cohérentes de façon à ce que le concept d’organicité dans la distribution des fonctions au sein du mouvement ne fût pas confondu avec une revendication de liberté de pensée et encore moins avec un respect de la démocratie élective et numérique (…)
« Ces précédents historiques confirment que le mécanisme du décompte de votes est partout une farce et une tromperie, dans la société, dans la classe ou dans le parti ; mais la résistance la meilleure fut offerte par le Parti italien justement en raison de sa tradition politique enracinée qui répudiait tout hommage, même minime, au processus et aux mécanismes de la démocratie historique et de la méthode du décompte des votes ».
Citation 132 - Considérations sur
l’activité organique du parti
quand la situation générale est historiquement défavorable -
1965
« 14. (…) La Gauche tenta historiquement, sans rompre avec le principe de la discipline mondiale centralisée, de mener un combat révolutionnaire, même défensif, en sauvant l’avant-garde prolétarienne de la collusion avec les couches intermédiaires, leurs partis et leurs idéologies voués à la défaite. Cette possibilité historique de sauver sinon la révolution, du moins le noyau de son parti historique, nous ayant également fait défaut, nous avons recommencé aujourd’hui, dans une situation objective de paralysie totale, avec un prolétariat infecté jusqu’à la moelle par le démocratisme petit-bourgeois. Mais l’organisme naissant, utilisant toute la tradition doctrinale et pratique confirmée par la vérification historique de nos justes prévisions, l’applique même à son action quotidienne, en s’efforçant de reprendre contact, à une échelle toujours plus grande, avec les masses exploitées, et il élimine de sa structure ce qui avait représenté une des erreurs de départ de l’Internationale de Moscou, en liquidant la thèse du centralisme démocratique et l’application de tout système de vote, de même qu’il a éliminé de l’idéologie du moindre adhérent toute concession à des positions démocratisantes, pacifistes, autonomistes, libertaires ».
Citation 133 - Thèses sur la tâche historique, l’action et la
structure du parti communiste mondial (Thèses
de Naples) -1965
« 7. Il s’agissait de transmettre l’expérience historique de la génération qui avait vécu les luttes glorieuses du premier après-guerre et de la scission de Livourne à la nouvelle génération de prolétaires qu’il fallait libérer de l’enthousiasme insensé suscité par la chute du fascisme, pour la ramener à la conscience de la nécessité d’une action autonome du parti révolutionnaire contre tous les autres partis, et surtout contre le parti social-démocrate, et reconstituer des forces décidées à lutter pour la dictature et la terreur prolétariennes, contre la grande bourgeoisie et tous ses ignobles serviteurs. Pour accomplir cette tâche, le nouveau mouvement trouva organiquement et spontanément une forme structurelle d’activité qui, en quinze ans, a fait ses preuves. Le parti réalisa des aspirations déjà présentes dans la Gauche communiste au temps de la II Internationale, et qui s’exprimèrent ensuite au cours de sa lutte théorique contre les manifestations du danger opportuniste dans la III Internationale. Cette aspiration séculaire est la lutte contre la démocratie et contre toute influence de cet ignoble mythe bourgeois, en parfaite continuité avec la critique marxiste, les textes fondamentaux et les premiers documents des organisations prolétariennes, depuis le Manifeste du parti communiste.
« L’histoire de l’humanité ne s’explique pas par l’influence d’individus exceptionnels par leur force et leur valeur physique ou même intellectuelle et morale ; il est faux et anti-marxiste de considérer la lutte politique comme un processus de sélection de ces personnalités d’exception, et le démocratisme, qui prétend effectuer cette sélection par le décompte des voix de tous les membres de la société, nous est encore plus étranger que les vieilles doctrines qui y voyaient l’œuvre de la divinité ou l’apanage d’une aristocratie sociale. L’histoire est au contraire l’histoire de la lutte des classes ; on ne peut la déchiffrer et en appliquer les enseignements aux batailles non plus théoriques et critiques mais violentes et armées opposant les différentes classes, qu’en mettant à nu les rapports économiques qui, dans des formes de production données, s’établissent entre les classes. Ce théorème fondamental avait été confirmé par le sacrifice des innombrables militants tombés sous les coups du capital, et dont la mystification démocratique avait brisé les généreux efforts ; et c’est sur ce bilan d’oppression, d’exploitation et de trahison que la Gauche communiste avait institué son patrimoine révolutionnaire.
« Il était donc clair que la seule voie à suivre était celle qui nous libérerait toujours plus du mortel mécanisme démocratique, non seulement dans la société et dans ses différentes institutions, mais dans la classe révolutionnaire elle-même et avant tout dans son parti politique. Cette aspiration de la Gauche ne peut être ramenée ni à une institution miraculeuse, ni aux lumières de quelque penseur, mais elle découle intimement de toute une série de luttes réelles, violentes, sanglantes, impitoyables et même de celles qui se sont terminées par les défaite des forces révolutionnaires. On en trouve les traces historiques dans toutes les manifestations de la Gauche, que ce soit à l’époque où elle luttait contre les blocs électoraux et l’influence de l’idéologie maçonnique, contre l’appui aux guerres coloniales puis à la gigantesque première guerre européenne, qui triompha de l’aspiration prolétarienne à déserter l’armée et à retourner les armes contre sa propre bourgeoisie, surtout par une propagande ignoble sur la conquête de la liberté et de la démocratie ; que ce soit enfin à l’époque où, dans tous les pays d’Europe et derrière le prolétariat révolutionnaire russe, la Gauche se jeta dans la lutte pour abattre son ennemi direct, qui protégeait le cœur de la bourgeoisie capitaliste : la droite social-démocrate, et le centrisme plus ignoble encore, qui, nous diffamant comme il diffamait le bolchevisme, le léninisme et la dictature soviétique russe, faisait tous ses efforts pour jeter de nouveau un pont – pour nous c’était un guet-apens – entre le prolétariat en marche et les criminelles illusions démocratiques. Parallèlement, cette aspiration à se libérer de toute influence de la démocratie jusque dans le vocabulaire se retrouve dans d’innombrables textes de la Gauche que nous avons rapidement énumérés au début de nos thèses.
« 13. (...) Dans la conception du centralisme organique, nous avons toujours proclamé contre les centristes de Moscou la garantie de la sélection des membres du parti. Le parti continue inlassablement à graver les lignes directrices de sa doctrine, de son action et de sa tactique, au moyen d’une méthode unique dans l’espace comme dans le temps. Tous ceux qui se trouvent mal à l’aise devant ces positions ont la ressource évidente de quitter les rangs du parti.
« Même après la conquête du pouvoir, on ne peut pas concevoir d’adhésion forcée dans nos rangs ; c’est pourquoi les compressions terroristes dans le domaine disciplinaire est étranger à la juste acception du centralisme organique ; de telles mesures ne peuvent que copier, jusque dans le vocabulaire, les pratiques constitutionnelles dont la bourgeoisie n’a que trop usé, comme la faculté pour le pouvoir exécutif de dissoudre et de reconstituer les assemblées élues – formes que l’on considère depuis longtemps comme dépassées non seulement pour le parti prolétarien, mais même pour l’État révolutionnaire et transitoire du prolétariat victorieux ».
Citation 134 - Les thèses vues par
nous alors et aujourd’hui.
Introduction aux « Thèses sur le rôle du parti communiste
dans la révolution prolétarienne » du II Congrès de l’IC-
1965
« (…) La thèse 14 définit en ces termes le centralisme démocratique : élection des comités secondaires par les comités primaires, soumission obligatoire de chaque comité au comité qui lui est supérieur, centre muni de pleins pouvoirs et dont l’autorité ne peut être contestée par personne dans l’intervalle des congrès du parti. Remarquons seulement que dans la conception de la Gauche du centralisme organique, les congrès aussi ne doivent pas décider en jugeant le travail du centre et le choix des hommes, mais sur des questions de positions, ceci en cohérence avec la doctrine historique invariante du parti mondial ».
Citation 135 - Introduction aux
« Thèses d’après 1945 »
- 1970
« (...) C’est à ces exigences toujours actuelles, dont le militant doit pouvoir trouver la solution claire et définitive dans les bases programmatiques du parti, que répondent les Considérations, rédigées à la fin de 1964 et publiées au début de 1965. Dans cette synthèse brillante et riche de contenu se trouve démentie sans appel la vieille accusation stupide selon laquelle la Gauche rêverait d’une élite de révolutionnaires « purs » et parfaits enfermés dans une tour d’ivoire. Les Considérations se terminent sur la revendication du « centralisme organique » par opposition au « centralisme démocratique » de la III Internationale. Postulat constant de la Gauche dès 1921, le « centralisme organique » ne peut qu’aujourd’hui se réaliser pleinement et sans possibilité de retour en arrière, excluant définitivement tout recours à des mécanismes « démocratiques » même au sein de l’organisation du parti (…)
« En fait, l’opposition entre centralisme organique et centralisme démocratique est bien autre chose qu’une question de... vocabulaire. La seconde formule, contradictoire, reflète bien dans le substantif l’aspiration au parti mondial unique tel que nous l’avons toujours envisagé, mais dans l’adjectif elle reflète la réalité de partis encore hétérogènes par leur formation historique et leur base doctrinale, qui étaient coiffés par un Comité exécutif (ou un autre organisme analogue) considéré comme l’arbitre suprême (et non comme le sommet d’une pyramide, relié à la base par une ligne unique et homogène, sans solution de continuité). N’étant pas lié par ce fil unique, mais libre de prendre des décisions changeantes au gré des "situations" et des vicissitudes de la lutte de classe, cet arbitre a périodiquement recours – exactement comme dans la tradition de la démocratie bourgeoise – soit à la farce de la "consultation" de la périphérie (dont il est sûr qu’elle lui apportera un appui plébiscitaire ou presque), soit à l’arme de l’intimidation et de la "terreur idéologique", qui dans l’Internationale Communiste s’appuya sur la force physique et le "bras séculier" de l’État.
« Dans notre conception, par contre, il s’agit de centralisme organique parce que le parti n’est pas seulement une "fraction", même d’avant-garde, de la classe prolétarienne, mais son organe, qui réalise la synthèse de toutes les poussées élémentaires de la classe et de tous ses militants, d’où qu’elles viennent. Le parti est l’organe de la classe parce qu’il possède une théorie, un ensemble de principes, un programme, qui dépassent les limites temporelles du présent pour exprimer la tendance historique, le but final et la méthode d’action des générations prolétariennes et communistes du passé, du présent et de l’avenir, et qui dépassent les limites de la nationalité et de l’État pour incarner les intérêts des salariés révolutionnaires du monde entier. Il l’est aussi parce qu’il prévoit, au moins dans ses grandes lignes, le développement des situations historiques, et qu’il est donc en mesure d’établir un ensemble de directives et de règles tactiques obligatoires pour tous (en tenant compte, bien sûr, de la différence entre les périodes et les aires de "révolution double" ou au contraire de "révolution prolétarienne pure", périodes et aires qui sont elles-mêmes prévues et impliquent des tactiques différentes, mais bien définies). Si le parti possède une telle homogénéité théorique et pratique (possession qui n’est pas une donnée de fait garantie pour toujours, mais une réalité à défendre avec les ongles et les dents, et s’il le faut, à reconquérir chaque fois), son organisation – c’est-à-dire sa discipline – naît et se développe de façon organique sur la base unique du programme et de l’action pratique, et exprime dans ces diverses formes d’explications, dans la hiérarchie de ses organes, l’adéquation parfaite du parti à l’ensemble de ses fonctions, sans exception aucune.
« L’organisation, comme la discipline, n’est pas un point de départ mais un aboutissement ; elle n’a besoin ni de codifications statutaires ni de règlements disciplinaires ; elle ne connaît pas d’opposition entre la "base" et le "sommet" ; elle exclut les barrières rigides d’une division du travail héritée du régime capitaliste : ce n’est pas qu’elle n’ait pas besoin de "chefs", et même de "spécialistes" dans certains secteurs, mais ceux-ci sont et doivent être, comme le plus "humble" des militants, et plus encore que lui, liés par un programme, par une doctrine et par une définition claire et sans équivoque des normes tactiques communes à tout le parti, connues de tous ses membres, affirmées publiquement et surtout traduites en pratique devant l’ensemble de la classe ; et de même que les "chefs" sont nécessaires dans ces conditions, de même le parti peut s’en passer dès qu’ils cessent de répondre à la fonction à laquelle le parti les a délégués en vertu d’une sélection toute naturelle et non d’une comptabilité électorale de pacotille ; à plus forte raison lorsqu’ils dévient de la voie qui a été tracée pour tous. Voilà ce que notre parti tend à être et s’efforce de devenir, sans prétendre pour autant à une "pureté" ou à une "perfection" antihistoriques. Un parti comme celui-là ne confie pas sa vie, son développement et, disons le mot, sa hiérarchie de fonctions techniques, au caprice de décisions contingentes et majoritaires ; il croît et se renforce de par la dynamique même de la lutte de classe en général et de son intervention dans cette lutte ; il crée, sans les inventer à l’avance, ses propres armes de lutte et ses propres organes, à tous les niveaux ; il n’a pas besoin – sinon dans des cas pathologiques exceptionnels – d’expulser après un « procès » en règle les éléments qui ne veulent plus suivre la voie commune et immuable, car il doit être capable de les éliminer comme un organisme sain élimine spontanément ses propres déchets.
« "La révolution n’est pas une question de formes d’organisation". C’est au contraire l’organisation, avec toutes ses formes, qui se constitue en fonction des exigences de la révolution dont nous prévoyons non seulement l’issue, mais le chemin. Les consultations, les constitutions, les statuts, sont le propre des sociétés divisées en classe et des partis qui expriment non le cours historique d’une classe, mais la rencontre des cours divergents ou partiellement convergents de plusieurs classes. Démocratie interne et "bureaucratisme", culte de la "liberté d’expression" individuelle ou de groupes et "terrorisme idéologique", sont des termes non pas antithétiques mais dialectiquement liés : unité de doctrine et d’action tactique, et caractère organique du centralisme organisationnel, sont également les deux faces d’une même médaille ».
Chapitre 5
La vie réelle du partiNous voulons terminer cette partie du travail par la reprise intégrale de la fin d’un rapport tenu à notre réunion générale et publié dans le numéro 5 de 1967 de Il Programma Comunista. La conclusion de ce rapport s’intitule « Vie réelle du parti » et nous n’avons rien à y ajouter ni à y soustraire ; nous le revendiquons dans toutes ses énonciations.
Citations 136 - La continuité d’action du parti sur le fil de la tradition de la Gauche - 1967
« Conclusion : La vie réelle du parti.
« Des longs passages déjà cités, il saute aux yeux comment pour nous les problèmes d’organisation et de fonctionnement du parti révolutionnaire marxiste s’entremêlent avec les questions fondamentales de la doctrine, du programme et de la tactique ; mais la solution correcte de ces dernières est préalable à la façon correcte de poser et de solutionner les premiers. En 1926 la Gauche complétait ici aussi le cycle d’une bataille soutenue d’année en année, sans jamais faillir, au sein de l’Internationale : et nous voulons la rappeler dans la conclusion de ce rapport déjà trop long, renvoyant pour plus de détails aux Thèses de Rome d’une part, aux Thèses de Naples et de Milan de l’autre.
« A cette date le processus, que nous avons dénoncé de façon opportune et "acharnée" durant ses étapes successives, était parvenu à maturité. Au travers de ce processus, le Komintern, dans la même mesure et pour la même raison qu’il adoptait des tactiques imprévues, hétérogènes et éclectiques, et accomplissait des détours en zigzag aussi improvisés que déroutants, pour parvenir à la fin à la théorisation du n’importe quel moyen pour parvenir au but ; dans la même mesure et pour la même raison qu’il lacérait, en le faisant, irrémédiablement le tissu unitaire de l’action politique du parti mondial, il prétendait imposer à celui-ci une uniformité formelle, toute pareille – précisément - à celle d’une armée, et de retrouver grâce à elle l’homogénéité politique perdue ; et il préparait le terrain sur lequel le stalinisme aurait construit son édifice d ’"unité" autoritaire, d’abord en utilisant de droite à gauche l’arme de l’intervention disciplinaire et de la "terreur idéologique", ensuite celle de la pression physique soutenue par le "bras séculier" du pouvoir d’État. Nous n’opposâmes jamais à cette centralisation formelle et militaire la critique selon laquelle elle "piétinait la liberté", mais bien au contraire qu’elle était une arme qui permettait au centre dirigeant toutes les libertés de piétiner l’unique, invariable et impersonnel, programme. L’appellation "démocratique" non seulement ne contredisait pas ce faux centralisme, mais lui allait comme un gant, car pour le marxisme, la démocratie n’est pas un moyen d’expression de la soi-disant "volonté générale" ou "majoritaire", mais un moyen de manipulerdéjà prises derrière son dos : un moyen d’oppression. Il fallait, pour être libres de violer le programme cent fois par an en se fichant des réactions de la fameuse et tant courtisée "base", et aussi en évitant qu’elles ne se déchaînassent, imposer la coquille vide de la centralisation sur le modèle des États-majors de toutes les armées du monde (ce n’est pas pour rien que l’Internationale se remplit alors d’ex mencheviques et d’ex social-démocrates, les Martinov, les Smeral, etc.. qui furent placés aux hauts grades de la hiérarchie organisative ; des hommes – comme disait Trotski – toujours prêts, pour faire oublier leur passé dans un présent qui réhabilitait leurs traditions politiques, à "mettre les mains sur les coutures des pantalons" comme des fourriers (4)), en théorisant la discipline pour la discipline, l’obéissance pour l’obéissance, quels que fussent les ordres d’en haut, voire de Très Haut.
« Parallèlement et pour la même raison, on voulait donner dans un "modèle organisatif", dans une espèce de document constitutionnel défini une fois pour toutes, la garantie de la cohésion et de l’efficacité du Parti (en l’espèce, l’organisation en cellule) et on l’appela, avec une impudence bestiale, bolchevisation. Notre réponse à ces deux graves dérapages, annonciateurs de toute la boue et le sang des trente années suivantes – une réponse qui occupa une grande partie de la courageuse bataille durant l’Exécutif Élargi de février-mars 1926 – fut limpide et définitive. Nous répétâmes pour le premier que l’unité et la centralisation réelle – que nous avons toujours revendiquée plus que tous – dans l’action et dans le mode d’organisation du parti est le produit, le point d’arrivée, non la cause et le point de départ, de l’unité et du cœur de la doctrine, du programme et du système des normes tactiques : il est vain de chercher celles-ci si les autres manquent ; pire que vain, ceci est destructif et mortifère. Nous sommes centralistes (et ceci est, si l’on veut, notre principe unique organisatif) non parce que nous reconnaissons comme valide en soi et pour soi le centralisme, non parce que nous le déduisons d’une idée éternelle ou d’un schéma abstrait, mais parce que le but auquel nous tendons est unique, et unique la direction dans laquelle nous nous orientons dans l’espace (internationalement) et dans le temps (par delà les générations "des morts, des vivants et de ceux qui vont naître") ; nous sommes centralistes par la force de l’invariance d’une doctrine que n’ont pas le pouvoir de changer ni des individus ni des doctrine que n’ont pas le pouvoir de changer ni des individus ni des groupes, et par la continuité de notre action dans le flux et le reflux des contingences historiques, face à tous les obstacles dont est semé le chemin de la classe ouvrière. Notre centralisme est la façon d’être d’un parti qui n’est pas une armée même s’il a une discipline rigoureuse, comme il n’est pas une école même si on y enseigne, mais il est une force historique réelle définie par une orientation stable dans la longue guerre entre les classes.
« C’est autour de ce noyau indissociable et très dur, doctrine-programme-tactique, possession collective et impersonnelle du mouvement, que notre organisation se cristallise, et ce qui la tient unie n’est pas le knout du "centre organisateur" mais le fil unique et uniforme qui lie "dirigeants" et "base", "centre" et "périphérie", en les engageant à l’observance et à la défense d’un système de buts et de moyens dont aucun n’est séparable de l’autre. Dans cette vie réelle du parti communiste – non d’un parti quelconque mais seulement et spécifiquement parce qu’il est communiste de fait et non de nom –, le casse-tête qui assaille le bourgeois démocratique avec le qui décide : le « haut » ou le « bas », la majorité ou la minorité ? Qui "commande" et qui "obéit" ?, disparaît et définitivement : c’est le corps unitaire du parti qui s’engage dans sa voie et la suit ; et en lui, comme dans les paroles d’un obscur soldat niveleur, "personne ne commande et tous sont commandés", ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’ordres, mais que ceux-ci correspondent à la façon naturelle de se diriger et d’agir du parti, quelque soit celui qui les donne. Mais si vous brisez cette unité de doctrine-programme-tactique, tout s’écroule, ne laissant qu’un… poste de contrôle et de commande à une extrémité, manœuvrant les masses de militants (comme le général – le "génie" stratégique supposé – manœuvre les soldats supposés être de pauvres idiots, voire en les faisant passer avec armes et bagages dans le camp ennemi, ou comme le chef de gare manœuvre ses trains, jusqu’à les faire se heurter les uns aux autres), et à l’autre extrémité, une immense place d’armes pour toutes les manœuvres possibles. Brisez-la, cette unité, et le stalinisme devient logique et historiquement justifié, comme devient logique et historiquement justifiée la ruineuse subordination au mécanisme faux et mensonger de la "consultation démocratique" d’un Parti comme le nôtre, qui a pour première tâche d’assurer "la continuité historique et l’unité internationale du mouvement" (point 4 du programme de Livourne de 1921). Brisez-la, et vous aurez détruit le parti de classe.
« En tant que force réelle œuvrant dans l’histoire selon des caractères de rigoureuse continuité, le parti vit et agit (et voici la réponse à la seconde déviation) non sur la base de la possession d’un patrimoine statutaire de normes, préceptes et formes constitutionnelles, au mode hypocritement voulu par le légalisme bourgeois ou ingénument rêvé par l’utopisme pré-marxiste, architecte de structures bien planifiées pour descendre dans la réalité de la dynamique historique, mais sur la base de sa nature d’organisme formé, dans une succession ininterrompue de batailles théoriques et pratiques, sur le fil d’une direction de marche constante : comme l’écrivait notre "Plate forme" de 1945 (Point 11), "les normes d’organisation du parti sont liées à la conception dialectique de sa fonction ; elles ne reposent pas sur des recettes juridiques ou réglementaires et dépassent le fétichisme des consultations majoritaires".
« C’est dans l’exercices de ses fonctions, de toutes et non d’une seule que le parti crée ses propres organes, engrenages, mécanismes ; et c’est au cours de ce même exercice qu’il les défait et les recrée, n’obéissant pas en cela à des préceptes métaphysiques ou à des paradigmes constitutionnels, mais aux exigences réelles et précisément organiques de son développement. Aucun de ces engrenages est théorisable ni a priori, ni a posteriori ; rien ne nous autorise à dire, pour donner un exemple très terre-à-terre, que la meilleure réponse au maniement de la fonction pour laquelle un de ceux-ci est né, soit garantie par un seul ou plusieurs militants ; la seule demande que l’on puisse faire est que les trois ou les dix – s’ils s’en trouvent – le manient selon une volonté unique, cohérente avec tout le parcours passé et futur du parti, et que s’il s ’en trouve un, qu’il le manie comme si dans ses bras et dans son esprit œuvre la force impersonnelle et collective du parti ; et la satisfaction à cette demande est donnée par la praxis, par l’histoire, non par les articles du code. La révolution est un problème non de forme mais de force ; il en est autrement pour le Parti dans sa vie réelle, dans son organisation comme dans sa doctrine. Le même critère organisatif de type territorial et non plus "cellulaire", que nous revendiquons, n’est ni déduit de principes abstraits et intemporels, ni élevé à la dignité de solution parfaite et intemporelle ; nous l’adoptons seulement parce qu’il est l’autre face de la fonction primaire de synthèse (de groupe, de catégorie, de poussées élémentaires) que nous assignons au parti.
« La généreuse préoccupation des camarades afin que le parti œuvre sur le plan organisatif de façon sûre, linéaire et homogène, concerne donc – comme Lénine même l’affirmait dans sa Lettre à un camarade – non la recherche de statuts, codes et constitutions, ou pire encore, de personnages au tempérament "spécial", mais celle de la meilleure façon de contribuer, tous et chacun, à l’accomplissement harmonieux des fonctions sans lesquelles le parti cesserait d’exister en tant que force unificatrice et en tant que guide et représentation de la classe ; ceci est l’unique chemin pour l’aider à résoudre au jour le jour, "par lui-même" – comme dans le Que faire ? de Lénine, quand il parle du journal comme d’un "organisateur collectif" – ses problèmes de vie et d’action. Ici se trouve la clé du "centralisme organique" ; ici se trouve l’arme sûre dans la bataille historique des classes, non dans l’abstraction vide des prétendues "normes" de fonctionnement des organismes les plus parfaits, ou pire encore, dans les misérables procès faits aux hommes qui du fait d’une sélection organique se retrouvent là pour les manier, que ce soit "en bas" ou en "haut" : ils sont eux-aussi des mécanismes et des engrenages, efficaces ou non, non par eux-mêmes, c’est-à-dire en vertu de qualités ou l’absence de qualités personnelles, mais selon la direction que le parti dans son ensemble – son programme dictatorial, sa doctrine invariable, sa tactique connue et prévue, les rapports internes et réciproques entre les différentes parties d’un organisme dont les membres vivent ou meurent tous ensemble dans la mesure où le même sang circule ou cesse de circuler dans le muscle central et dans les fibres périphériques – leur impose de se mouvoir.
« Les thèses de 1920, 1922, 1926, 1945, 1966, et en un mot, de toujours, ne nous laissent pas d’autre "choix" : ou cette voie, ou les deux voies, en apparence diverses, en réalité convergentes, du chaotique et arbitraire démocratisme et de l’autoritarisme torve stalinien ».