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Le Parti Communiste dans la Tradition de la Gauche |
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Sommaire |
CINQUIÈME PARTIE
Du fait que le parti n’est pas un cercle de penseurs ou de disciples d’une philosophie déterminée, mais un organe de combat pour la guerre entre les classes, qui empoigne comme une arme la théorie et la connaissance, comme le font toutes nos thèses, que l’action du parti ne se limite pas à la propagande et à l’explication de sa position, ni seulement à un travail de critique des faits sociaux et politiques, mais qu’il y intervient activement, le parti combat en se reliant physiquement à la classe prolétarienne qui se meut pour des objectifs partiels et immédiats, l’organise, la dirige, la pousse à la lutte. L’action que le parti doit développer en tant qu’organe politique de la classe prolétarienne est donc très complexe, mais elle est essentielle pour la préparation du prolétariat dans le sens révolutionnaire, préparation qui ne sera jamais le produit d’une simple propagande théorique ou d’une démonstration de la supériorité interprétative des communistes. Si pour le marxisme, la conscience vient après l’action, il est évident que le parti ne peut espérer être à la tête de la classe seulement au travers de la propagande ou d’une action de type éducatif et pédagogique ; il est nécessaire que mille liens se forment au travers des faits matériels et de l’intervention que peut y faire le parti, ce dernier étant reconnu par la classe comme une entité physique à la physionomie bien déterminée grâce à des éléments qui ne se comprennent pas rationnellement et ne sont pas faits d’études et de propagande.
L’ensemble des moyens que le parti doit utiliser dans les vicissitudes diverses et variées de la lutte de classe, afin de les orienter dans un sens favorable à ses buts, afin d’attirer le prolétariat sous sa bannière, afin de l’arracher aux rangs des partis non communistes, afin de démoraliser et d’abattre enfin l’ennemi de classe : voici le problème de la tactique, que la Gauche a toujours qualifié de « grave et difficile », en ne s’imaginant jamais pouvoir l’éluder ou le remplacer métaphysiquement par une pure et simple propagande de principes théoriques ou par une simple action de critique intellectuelle.
Ayant reconnu que le déroulement de la lutte entre prolétariat et bourgeoisie est un fait complexe et caractérisé par des vicissitudes matérielles innombrables et variées, et que le prolétariat ne se relie pas à son parti par une conviction rationnelle, le problème des moyens par lesquels le parti doit intervenir dans la réalité de la lutte, c’est-à-dire le problème de la tactique du parti, s’impose.
La première notion dans ce domaine, qui dérive de notre conception matérialiste, est une critique impitoyable de ce que nous avons toujours qualifié d’ « infantilisme » : les moyens tactiques ne se choisissent pas selon des critères moraux, esthétiques et formalistes ; l’entreprise ou l’action ne se décide pas en fonction de ce qu’elle se présente ou non sur la ligne d’une prétendue morale qui serait nôtre. Sur cette base, Lénine s’est moqué de ceux qui repoussaient par principe les « compromis », et la Gauche fut toujours d’accord avec lui sur ce point.
Mais la Gauche, avec Marx et Lénine, a toujours revendiqué qu’un choix des moyens tactiques doit être fait pour la simple raison que tous les moyens tactiques ne sont pas adéquates pour parvenir au but, et que l’usage de moyens qui semblent fournir un succès immédiat à l’action du parti peut au contraire se montrer en contradiction avec le déroulement ultérieur et les finalités ultimes de l’action même.
Il doit y avoir un choix des moyens tactiques, non guidé par des préjugés moraux, mais par la juste évaluation, à la lumière de notre doctrine matérialiste, des rapports réels entre les classes et entre les partis qui expriment la politique des différentes classes, et par la prévision des vicissitudes que la lutte traversera, prévision dont feront partie les actions du parti en présence des différentes situations afin que ces actions puissent permettre de potentialiser et de disposer au mieux les forces prolétariennes pour la bataille finale. Ce choix doit être établi préventivement et constituer un patrimoine du parti, tout comme le constitue sa doctrine invariante.
C’est la théorie qui permet au parti de définir son programme dans lequel est contenue la prévision d’une série ininterrompue d’événements au travers desquels la lutte des classes parviendra à l’issue prévue. C’est la théorie qui permet au parti de délimiter le champ d’action des forces sociales, d’en évaluer les rapports réciproques, d’en établir les réactions possibles en présence de faits déterminants. Les leçons des faits historiques, lues à la lumière de la théorie, conduisent le parti à établir que la route pour le communisme passe nécessairement au travers de la révolution violente, de la destruction de la machine étatique bourgeoise, de la violence et de la terreur révolutionnaires exercées par la classe prolétarienne sous la direction de son parti et au travers de la machine étatique de la dictature prolétarienne.
Le parti doit être en mesure de prévoir et de planifier également les moyens qui dans la situation historique concrète sont susceptibles de conduire à ces issues finales, les forces qui sont en jeu, les actions et les réactions qui existent entre ces forces, les moyens qui au contraire ne doivent pas être utilisés dans la mesure où ils contrecarraient l’atteinte du but révolutionnaire. L’analyse critique conduit donc le parti à établir en premier lieu des champs historico-politiques, des phases historiques où son action doit se dérouler et où les rapports et les attitudes des forces sociales qui se combattent doivent être distincts, et par conséquent également les moyens que le parti applique. Si cette analyse et cette prévision n’eussent pas été possibles, le marxisme s’écroulerait en tant que théorie révolutionnaire, et donc on ne pourrait même pas parler de parti communiste et de classe prolétarienne.
Les champs historiques dans lesquels s’insère la tactique du parti sont ainsi définis dans notre rapport à la réunion générale de Gênes du 26 avril 1953 (Publié dans le fascicule n° 6 des Edizioni Il Programma Comunista, intitulé : Per l’organica sistemazione dei principi comunisti, 1973, au chapitre “L’organica sistemazione dei principi comunisti nelle periodiche riunioni interregionali” : riunione di Genova, I - “Le rivoluzioni multiple”, p 31. Il a été traduit dans Le Prolétaire n° 164-1974) :
« 1 - La position de la Gauche communiste se distingue nettement, non seulement de l’éclectisme dans les manœuvres tactiques du parti, mais aussi du simplisme grossier de ceux qui réduisent toute la lutte au dualisme, toujours et partout répété, de deux classes conventionnelles, seules à agir. La stratégie du mouvement moderne prolétarien s’ordonne selon des lignes précises et stables, valables pour toutes les hypothèses d’action future, qui se réfèrent à des “aires” géographiques distinctes composant le monde habité, et des cycles historiques distincts.
« 2 - L’aire première et classique du jeu de forces de laquelle fut tirée la première fois l’irrévocable théorie du cours de la révolution socialiste est celle anglaise. Dès 1688 la révolution bourgeoise supprimait le pouvoir féodal et extirpait rapidement les formes de productions féodales ; dès 1840 il est possible de déduire la conception marxiste du jeu de trois classes essentielles : propriété bourgeoise de la terre – capital industriel, commercial, financier – prolétariat en lutte contre les deux premières.
« 3 - Dans l’aire de l’Europe occidentale (France, Allemagne, Italie, pays mineurs), la lutte bourgeoise contre le féodalisme va de 1789 à 1871, et dans les situations présentées par ce cours historique est à l’ordre du jour l’alliance du prolétariat avec les bourgeois quand ceux-ci luttent les armes à la main pour renverser le pouvoir féodal – tandis que les partis ouvriers ont déjà réfuté toute confusion idéologique avec les apologies économiques et politiques de la société bourgeoise.
« 4 - En 1866, les Etats Unis d’Amérique se trouvent dans les conditions de l’Europe occidentale après 1871, en ayant liquidé les formes capitalistes impures par la victoire sur le sud esclavagiste et rural. A partir de 1871, dans toute l’aire euro-américaine, les marxistes radicaux refusent toute alliance et tout bloc avec les partis bourgeois et sur quelque terrain que ce soit.
« 5 - La situation d’avant 1871, dont nous au point 3, se prolonge en Russie et dans d’autres pays de l’Europe orientale jusqu’en 1917, et dans ces pays se pose le problème que l’Allemagne avait déjà connu en 1848 : provoquer deux révolutions, et par conséquent lutter également pour les tâches de la révolution capitaliste. Pour qu’on puisse passer directement à la deuxième révolution, prolétarienne, il fallait une la révolution politique en Occident. Celle-ci fit défaut, mais la classe prolétarienne russe parvient cependant à conquérir seule le pouvoir politique, qu’elle conserva quelques années.
« 6 - Tandis que dans l’aire européenne d’Orient, on peut aujourd’hui considérer la substitution du mode de production et d’échange capitaliste au mode féodal, dans l’aire asiatique, la révolution contre le féodalisme et contre des régimes encore plus anciens bat son plein; elle est menée par un bloc révolutionnaire de classes bourgeoises, petit-bourgeoises et travailleuses.
« 7 - L’analyse que nous avons désormais amplement développée montre que ces tentatives de double révolution ont abouti à des résultats historiques divers : victoire partielle et victoire totale, défaite sur le terrain insurrectionnel accompagnée d’une victoire sur le terrain économico-social, et vice-versa. Le leçon des demi-révolutions et des contre-révolutions est fondamentale pour le prolétariat. Deux exemples classiques parmi tant d’autres : l’Allemagne d’après 1848 – double défaite insurrectionnelle des bourgeois et des prolétaires, victoire sociale de la forme capitaliste et établissement graduel du pouvoir bourgeois ; la Russie d’après 1917 – double victoire insurrectionnelle des bourgeois et des prolétaires (février et octobre), défaite sociale de la forme socialiste, victoire sociale de la forme capitaliste.
« 8 - La Russie, du moins sa partie européenne, a aujourd’hui un mécanisme de production et d’échange pleinement capitaliste, dont la fonction sociale se reflète politiquement dans un parti et un gouvernement qui ont expérimenté toutes les stratégies d’alliance avec des partis et des Etats bourgeois de l’aire occidentale. Le système politique russe est un ennemi direct du prolétariat, et on ne peut concevoir aucune alliance avec lui, bien que la victoire en Russie de la forme capitaliste de production soit un résultat révolutionnaire.
« 9 - Dans les pays de l’Asie, où domine encore l’économie locale agraire de type patriarcal et féodal, la lutte, y compris politique, des « quatre classes » est un facteur de victoire dans la lutte communiste internationale, même si elle aboutit dans l’immédiat à l’instauration de pouvoirs nationaux et bourgeois, tant par la formation de nouvelles aires où seront à l’ordre du jour les revendications socialistes, que par les coups que ces insurrections et ces révoltes portent à l’impérialisme euro-américain ».
Nos Thèses de Rome de 1922 opéraient une distinction en cinq phases historiques qui était en même temps une distinction d’aires géographiques :
« V - Eléments de la tactique du parti communiste tirés de l’examen des situations (…) 28. (…) pouvoir féodal absolutiste ; pouvoir démocratique bourgeois ; gouvernement social-démocrate ; période intermédiaire de guerre sociale dans laquelle les bases de l’Etat sont ébranlées ; pouvoir prolétarien de la dictature des Conseils ».
Et elles précisaient :
« En un certain sens, le problème tactique consiste non seulement à choisir la bonne voie pour une action efficace, mais aussi à éviter que l’action du parti ne sorte des limites opportunes pour revenir à des méthodes qui, répondant à des phases dépassées, arrêteraient le développement du parti et constitueraient un repli pour la préparation révolutionnaire ».
Notre courant a donc toujours soutenu que les moyens tactiques que le parti peut utiliser dans des aires historiques et sociales et où se vérifient des situations déterminées doivent être prévus et « résumés dans des règles d’action claires », lesquelles constituent la base de l’organisation même du parti. S’il n’avait pas été possible de déterminer des règles tactiques, un « éventail d’éventualités », un plan valable pour un très long arc de temps et pour des espaces très grands, il n’aurait pas même été possible de parvenir à l’homogénéité et à la centralisation organisative. Il ne s’agit pas, nous l’avons dit, de définir l’ensemble des moyens en se laissant guider a priori par des postulats, mais de déterminer, à la lumière de la doctrine et d’une manière de plus en plus complète et profonde, le « champ » historique dans lequel le parti combat et le jeu des forces sociales internes à ce « champ ».
C’est sur la base de cette exigence pratique que sont de mieux en mieux définies et mises au point par le travail collectif et par l’expérience même du parti les « limites » au delà desquelles la tactique du parti ne peut aller sous peine d’avoir des conséquences négatives sur le parti lui-même. C’est pourquoi une autre de nos affirmations de caractère fondamental est que la tactique que le parti utilise se reflète dans l’organisation et l’influence, comme dans les principes du parti ; la tactique est la façon d’agir du parti et ne peut contredire son essence sans que l’essence même, avant ou ensuite, ne doive se modifier. Ce fut l’Internationale Communiste qui prétendit, après 1922, pouvoir adopter n’importe quel moyen, n’importe quelle manœuvre, sans pour autant briser le parti dans son ensemble organisatif et dans sa solidité théorique et programmatique. Nos Thèses de Lyon de 1926 tirent la leçon de cette catastrophique prétention propre au moment où l’Internationale va être conquise définitivement par la contre-révolution stalinienne :
« Ce n’est pas seulement le bon parti qui fait la bonne tactique, mais c’est la bonne tactique qui fait le bon parti » (Thèses de Lyon. I, 3 - Action et tactique du parti - En défense... p 96).
Et ceci est une évidence si, en tant que marxistes, nous pensons qu’il ne suffit pas de déclarer que l’on adhère à une certaine doctrine, à un programme, à des principes et des finalités données, si ces derniers ne comprennent pas en eux toute l’activité réelle du parti, et n’en déterminent pas les caractéristiques et les manifestations mêmes les plus limitées. Si la vie réelle du parti, son action, son mode de se mouvoir face aux forces sociales et politiques en arrive à se contredire avec ses énonciations de principe, il est clair que ces mêmes énonciations tomberont à la longue, même si on continue à en proclamer le respect ou à les propager et les agiter. Ceci constitue le chemin classique de l’opportunisme qui proclame une adhésion platonique aux principes communistes tandis que dans la pratique il opère les plus obscènes déviations de ceux-ci.
Pour nous, l’adhésion et la fidélité aux principes se manifeste dans l’effort colossal de faire en sorte que toute la vie du parti s’uniformise et soit cohérente avec eux. Et ceci non par luxe doctrinaire, mais par nécessité pratique de lutte. La démonstration lumineuse de la révolution de Russie est que seul sera en mesure de vaincre la bataille révolutionnaire un organisme de parti qui ait su construire sur la base de granit du marxisme un plan tactique cohérent, et y rester fidèle quelque soient les vicissitudes de la lutte, sans jamais céder un pouce de terrain, ni sacrifier cette continuité et cette rigidité de position pour de possibles succès faciles et momentanés ; c’est-à-dire le « marécage » dont parle Lénine dans Que faire? et qui est toujours prêt à accueillir tous ceux qui abandonnent la ligne prévue et codifiée, pensant précisément pouvoir utiliser n’importe quel moyen, réaliser n’importe quelle manœuvre, en s’illusionnant sur le fait que celle-ci ne se reflète pas sur leur être même.
La condition prioritaire qui doit être posée comme base du choix des moyens tactiques et des manœuvres est que ceux-ci servent à potentialiser et non à invalider la physionomie du parti aux contours saillants par rapport aux autres partis et à l’Etat politique. Le problème tactique comprend deux facteurs fondamentaux : le parti – élément conscient capable de prévoir l’issue de la lutte de classe – et la masse du prolétariat qui doit être, au cours du déroulement de l’action physique et matérielle, conduite à suivre le parti, la voie qu’il indique, les méthodes qu’il propose. La condition qui doit donc être posée comme base de la solution de tout problème tactique, afin de réaliser le second facteur,est de ne pas dénaturer, de ne pas déformer le premier facteur, fondamental. Si cela se vérifie, les masses peuvent se mettre en mouvement, mais c’est le parti qui dévie de sa route et n’est plus l’instrument utile à la conduction de la lutte révolutionnaire. Ceci est un critère essentiel valide pour tous les domaines historiques de la lutte de classe. Sur ce problème général, se greffe le fait que le parti doit toujours se présenter aux yeux des masses prolétariennes comme opposé à tous les autres partis politiques et à l’Etat, démontrant pratiquement, au cours de l’action, au prolétariat la nécessité d’embrasser les méthodes révolutionnaires de lutte et de dévaluer tout recours à des mouvements et actions qui se placent sur le plan des institutions actuelles ; ces méthodes révolutionnaires visent à démontrer aux masses que la résolution de leurs problèmes, petits ou grands, immédiats ou généraux, est impossible par voie pacifique et légale, et sans que n’existent des heurts entre la force organisée du prolétariat et l’ensemble des institutions légales.
Nous établissons, en partant de nos Thèses de Rome (1922), les grandes lignes de la tactique du parti dans le champ européen occidental et américain à l ’époque impérialiste. Dans ce champ et à cette époque historique, les points cardinaux, les grandes lignes, qui délimitent toute action tactique du parti, sont les suivantes :
a) aucun bloc ou alliance ou front avec d’autres partis politiques même pseudo-prolétariens sur la base de mots d’ordres contingents communs (front unique syndical sur la base de l’action directe des masses prolétariennes opposé au front unique politique et actions communes conduites sur le terrain des institutions démocratiques légales) ;
b) aucune participation du parti à des campagnes électorales d’aucun genre ; dévaluation constante de la méthode électorale du décompte des opinions non seulement parce qu’elle est impuissante à conquérir le pouvoir politique, mais parce qu’elle est contre-productive pour la défense même des intérêts immédiats de la classe. Invitation constante et démonstration de la nécessité pour le prolétariat de passer du terrain de la lutte légale et pacifique à celui de l’action directe même pour la défense de ses intérêts les plus élémentaires ;
c) face à l’ « apparente » division du camp bourgeois en un bloc de « droite » et un bloc de « gauche » et des postulats prétendument intéressants pour la classe ouvrière que le bloc de « gauche » proclame vouloir réaliser, critique constante des positions de ce dernier, démonstration qu’il forme avec la « droite » un front anti-révolutionnaire, démonstration que ces postulats, dans la mesure où ils intéressent vraiment les masses prolétariennes, sont réalisables uniquement sur le plan de la mobilisation de lutte de la classe, et non sur celui légalitaire et pacifique. Le parti peut directement se faire le promoteur de la lutte pour des objectifs que le bloc de « gauche » énonce démagogiquement, mais qui intéressent vraiment la classe ouvrière, en appelant lui-même le prolétariat à les revendiquer et à les défendre en constituant un front de lutte de ses organismes économiques immédiats, en descendant sur le terrain de l’action et de la grève générale, en parvenant à la démonstration pratique que ces partis, qui se placent sur le plan de l’action uniquement au travers des institutions légales, trahissent en réalité également ces objectifs qu’ils soutiennent en paroles, précisément parce qu’ils refusent l’usage des moyens qui seuls pourraient permettre leur réalisation ou leur défense. C’est sur cette constatation historique réelle que sont fondés l’abstentionnisme électoral (et non seulement parlementaire) du Parti Communiste en Occident depuis 1920, et la polémique de notre courant contre les thèses du parlementarisme révolutionnaire soutenues par Lénine et par les Bolcheviques ;
d) face à la possible existence d’un gouvernement de « gauche », démonstration constante et préventive qu’il ne constitue pas une amélioration d’aucun genre et dans aucun domaine pour le prolétariat. Evaluation que l’ « expérience social-démocrate » peut être positive, mais seulement parce qu’elle démontrerait pratiquement aux masses la nature contre-révolutionnaire des partis opportunistes et pourrait se transformer en une augmentation de la puissance du parti révolutionnaire à condition qu’il ait dénoncé dès le début l’expérience, qu’il ait indiqué aux masse son nécessaire échec, et qu’il ait su bien séparer ses responsabilités de celles des partis opportunistes. Aucune solidarité du parti avec un gouvernement de ce genre même s’il était violemment attaqué par des forces de « droite ». Si dans une telle circonstance le prolétariat était appelé par les partis opportunistes à des actions armées contre la « droite », le parti aurait la tâche d’orienter les prolétaires en armes vers la conquête du pouvoir politique et la dictature de classe, en dénonçant toute défense du pouvoir existant et en proclamant ouvertement que ce dernier est tout aussi hostile au prolétariat que les forces qui l’attaquent, et que les deux doivent se soumettre au pouvoir armé du prolétariat dirigé par le Parti Communiste.
Ces points cardinaux de la tactique du
parti, clairement énoncés dans les Thèses de Rome de 1922, tandis
que se déroulait en Italie l’offensive fasciste, sont confirmés et
vérifiés dans les Thèses de Lyon de 1926 qui tirent la leçon de
cet intervalle de temps où le fascisme s’était affirmé et où le
parti inclinait dangereusement et à ses dépends vers la recherche
d’ « alliés politique », non seulement dans les
partis pseudo-ouvriers, mais également dans les partis bourgeois
« démocratiques » (Aventin (1),
etc.). Ce corps de thèses complète les grandes lignes décrites
plus haut :
a) négation que le parti doive, en présence de luttes de classe et de partis qui ne se placent pas encore sur son terrain spécifique, «choisir celle des deux forces qui est la plus favorable à l’évolution historique générale et la soutenir et s’allier avec elle plus ou moins ouvertement » (Thèses de Lyon, I, 3 - En Défense... p 92). Aucun choix entre « gouvernements réactionnaires de droite » et « gouvernements de gauche » ; démontrer au prolétariat que « la bourgeoisie tente d’alterner ses méthodes et ses partis de gouvernement en fonction de son intérêt contre-révolutionnaire » (I, 3, p 93), et que « lorsque le prolétariat s’est passionné pour les péripéties de la politique bourgeoise, l’opportunisme a toujours triomphé » (I,3, p 93) ;
b) par conséquent : « en présence de luttes qui ne peuvent encore aboutir à la victoire prolétarienne, le parti ne se fera donc pas le gérant de transformations et de réalisations qui n’intéressent pas directement la classe qu’il représente et il ne renoncera ni à son caractère propre ni à son action autonome pour participer à une espèce de société d’assurance au bénéfice de tous les mouvements politiques soi-disant “rénovateurs” ou de tous les systèmes et gouvernements politiques menacés par un gouvernement prétendument “pire” » (I,3, p 93).
En parfaite continuité avec l’analyse développée par Lénine, la Gauche identifie dans l’ordre totalitaire de l’économie capitaliste de l’époque impérialiste, la prémisse objective du remplacement des formes démocratiques et parlementaires de la domination bourgeoise par des formes totalitaires de gouvernement : la « moderne et progressive » méthode fasciste qui, parvenue à son expression la plus évidente en Italie et en Allemagne, s’impose désormais dans tous les grands Etats impérialistes du monde, détruisant partout la vieille et réactionnaire forme démocratico-libérale, ou la maintenant au maximum comme « miroir aux alouettes prolétariennes ». Dans la phase impérialiste du capitalisme jusqu’à la seconde guerre mondiale,
« les postulats économiques, sociaux et politiques du libéralisme et de la démocratie sont anti-historiques, illusoires et réactionnaires, et que le monde en est à la phase où, dans les grands pays, l’organisation libérale doit disparaître et céder la place au système fasciste, plus moderne » (Nature, fonction et tactique du parti révolutionnaire de la classe ouvrière, 1947).
Les points cardinaux tactiques déjà énoncés dans les Thèses de Rome et de Lyon sont confirmés sur ce point avec les passages suivants:
1) Le parti ne doit appliquer aucune
« tactique qui, ne serait-ce que dans la forme, comporte des
attitudes et des mots d’ordre acceptables par les mouvements
politiques opportunistes » (idem)
2) La praxis politique du
parti « rejette les manœuvres, les combinaisons, les
alliances, les blocs qui se forment sur la base de mots d’ordres
contingents communs à plusieurs partis » (idem).
3) « Dans la lutte
économique quotidienne comme dans la politique générale et
mondiale, la classe prolétarienne n’a rien à perdre et donc rien à
défendre : l’attaque et la conquête, telles sont ses seules
tâches. En conséquence, le parti révolutionnaire doit avant tout
reconnaître dans l’apparition de formes concentrées, unitaires et
totalitaires du capitalisme, la confirmation de sa doctrine, et donc
sa victoire idéologique intégrale. Il ne doit donc se préoccuper
que du rapport de forces réel pour la préparation à la guerre
civile révolutionnaire, rapport que seules les vagues successives de
dégénérescence opportuniste et gradualiste ont jusqu’ici rendu
défavorable » (Thèses Caractéristique du Parti, 1951,
III, 17 - En défense... p 166).
4) « Même là où elles
semblent survivre, les institutions parlementaires élues des
bourgeoisies traditionnelles se vident de plus de leur contenu, ne
subsistant qu’à l’état de phraséologie ; et dans les moments
de crise sociale elles laissent voir au grand jour la forme
dictatoriale de l’Etat en tant que dernière instance du
capitalisme, contre laquelle doit s’exercer la violence du
prolétariat révolutionnaire. Cet état de chose et les rapports de
force actuels subsistants, le parti se désintéresse donc des
élections démocratiques de toute sorte et ne déploie pas son
activité dans ce domaine » (idem, IV, 12. En défense...
p 173).
C’est à l’intérieur de ces « limites » précises, dictées par l’histoire, que, dans le camp occidental, doit se dérouler le problème complexe de la tactique du Parti Communiste. C’est pour ceci que dans les deux derniers paragraphes de cette partie du travail, nous alignons les citations qui montrent l’analyse faite par le parti du fascisme et du totalitarisme comme étant « progressifs » par rapport à la vieille démocratie libérale. Nous ne sommes pas dans la phase et dans le champ historico-politique où le parti prolétarien appuie, sur le terrain de l’action armée et en toute autonomie de programme, de tactique, d’organisation, les mouvements démocratico-bourgeois contre les vieux régimes (alliances et blocs de partis politiques étaient alors admissibles), ni dans celui, typique de l’Europe de 1871-1914, où se posait à l’ordre du jour la révolution bourgeoise « jusqu’au bout » et la démocratie bourgeoise, qui tout en n’étant plus révolutionnaire était au moins réellement « progressiste » (et le parti combattit au côté de la petite bourgeoisie pour l’extension de la démocratie, pour les réformes, pour le suffrage universel, etc.) ; nous nous trouvons à l’époque où le totalitarisme étatique s’affirme en éliminant de façon substantielle si ce n’est formellement, les ultimes vestiges de la démocratie parlementaire avec tout son cortège de « garanties » et de « droits ».
Le parti prolétarien doit accorder son action à cette constatation qu’il se distingue, comme le répètent nos thèses du second après-guerre, de tous les autres groupes politiques pour lesquels, même s’ils sont à l’« extrême gauche », la démocratie est toujours un « bien » à défendre ou à reconquérir, et le fascisme est « le pire des maux ». Pour le parti, la démocratie est morte une fois pour toute pour la bourgeoisie même, et le monde moderne s’organise sous des formes totalitaires et fascistes également là où il peut et trouve opportun de maintenir l’apparence de « libres institutions » afin de tromper les prolétaires. C’est pourquoi le dernier paragraphe du travail rassemble les citations qui expriment la pensée du parti sur l’électionisme et sur le parlementarisme, et qui se résument dans l’évidente conclusion que, si en 1920 l’utilisation du mécanisme électoral était encore un instrument permettant d’assurer la domination de la bourgeoisie, et en tant qu’instrument de la domination bourgeoise, le parlement était attaqué et démasqué, aujourd’hui, après la victoire du totalitarisme, la bourgeoisies elle-même ne domine plus au travers des parlements et des élections, mais elle s’en sert seulement pour cacher ses véritables instruments de pouvoir aux yeux du prolétariat. D’où notre directive tactique lumineuse exprimée dans notre Dialogue avec les morts (1956) : « Depuis 1920, le parti ne participe plus (n’aurait pas du participé (2)) aux élections ».
C’est seulement sur la base de ces
points cardinaux fondamentaux que doivent être évalués et étudiés
les mouvements du parti dans les différentes situations de l’aire
euro-américaine.
Nécessité de la prévision et de la programmation tactique
Le texte “La tactique de l’Internationale Communiste” fut publié dans Ordine Nuovo du 12 au 31 janvier 1922, entre la réunion de l’Exécutif de l’IC de décembre 1921 – qui approuvait le front unique et remettait en cause l’attitude tenue jusqu’alors vis à vis de la social démocratie et de la démocratie parlementaire – et le congrès de Rome de mars 1922. Dans ce texte sont exposées les positions de la section italienne de l’Internationale sur toutes les questions tactiques internationales du prolétariat, et sur la funeste tactique du front unique politique. Les Thèses de Rome furent la contribution de la section italienne à la solution du difficile problème de la tactique. L’alarme lancée par la Gauche ne fut malheureusement pas entendu. De l’entrée du parti communiste anglais dans le Labour Party, on passa à la règle des fusions avec d’autres partis jusqu’à la scandaleuse dissolution du parti communiste chinois dans le Kuomitang démocratico-bourgeois.
Le début du chapitre IV rappelle que les deux conditions fondamentales et parallèles du processus révolutionnaire sont l’existence et le renforcement d’une part d’un solide parti politique de classe, et de l’autre le concours de plus en plus important des grandes masses, poussées de façon instinctive par la situation économique à l’action contre le capitalisme et dont le parti est un guide et un etat major. Le Parti communiste allemand avec Radek et Levi proposait en janvier 1921 une action générale et unitaire non seulement syndicale mais avec plusieurs partis « ouvriers » afin de rassembler le plus grand nombre de prolétaires. Commençait ainsi cette tactique du front unique avec le mot d’ordre « d’aller vers les masses » (III Congrès de l’IC de juin-juillet 1921) qui devait emporter l’Internationale Communiste.
Citation 137 - La tactique de l’Internationale Communiste - 1922 (3)
« II. (...) Il n’y a pas de marxiste qui ne doive être avec Lénine quand il dénonce comme une maladie infantile un critère d’action qui exclut certaines possibilités d’initiatives en considérant simplement qu’elles ne sont pas assez rectilignes et ne collent pas assez au schéma formel de nos idéaux avec lesquels elles détonnent et créent des déformations anti-esthétiques. Le moyen peut avoir des aspects contraires au but pour lequel nous l’adoptons, dit le fond de notre pensée critique : pour un but supérieur, noble, séduisant, le moyen peut se présenter comme étant mesquin, tortueux et vulgaire : ce qui importe est de pouvoir calculer son efficacité, et celui qui le fait en se confrontant simplement à l’aspect extérieur, descend au niveau d’une conception subjective et idéaliste des causalités historiques. Cette conception a quelque chose du quaker ; elle ignore les ressources supérieures de notre critique qui devient aujourd’hui une stratégie, et qui vit des géniales conceptions réalistes du matérialisme de Marx (…)
Citation 138 - Thèses sur la tactique au II Congrès du PC d’Italie (Thèses de Rome) - 1922
« 24 - (…) Le programme du Parti Communiste contient la perspective de situations successives auxquelles, en règle générale, correspondent des actions successives attribuées par le processus de développement. Il y a donc une étroite connexion entre directives programmatiques et règles tactiques. L’étude de la situation apparaît donc comme un élément complémentaire de la solution des problèmes tactiques, puisque dans sa conscience et son expérience critiques, le Parti avait déjà prévu un certain développement des situations, et donc délimité les possibilités d’action correspondant à chacune d’elles. L’examen de la situation permettra de contrôler l’exactitude de la perspective de développement que le Parti a formulée dans son programme ; le jour où cet examen imposerait une révision substantielle de celle-ci le problème ne pourrait se résoudre par un simple volte-face tactique : c’est la vision programmatique elle-même qui subirait inévitablement une rectification, non sans conséquences graves pour l’organisation et la force du Parti. Celui-ci doit donc s’efforcer de prévoir le développement des situations, afin de déployer dans chacune d’elles tout le degré d’influence qu’il sera possible d’exercer ; mais les attendre et se laisser indiquer et suggérer par elles des attitudes éclectiques et changeantes est une méthode caractéristique de l’opportunisme social-démocrate (...)
« 26 - La volonté du Parti ne peut toutefois pas s’exercer de façon capricieuse, ni son initiative s’étendre dans des proportions arbitraires. Les limites qu’il peut et doit fixer à l’une comme à l’autre lui sont données précisément par son programme et par l’appréciation de la possibilité et de l’opportunité d’engager une action qu’il déduit de l’examen des situations contingentes.
« 27 - C’est en examinant la situation qu’on jugera des forces respectives du Parti et des mouvement adverses. Le premier souci du Parti doit être d’apprécier correctement l’importance de la couche du prolétariat qui le suivrait s’il entreprenait une action ou engageait une lutte. Pour cela, il devra se faire une idée exacte de l’influence de la situation économique sur les masses et des poussées spontanées qu’elle détermine en leur sein, ainsi que du développement que les initiatives du Parti Communiste et l’attitude des autres partis peuvent donner à ces poussées (…)
« 28 - Les éléments intégrants de cette recherche sont très variés. Il faudra examiner non seulement la tendance effective du prolétariat à constituer et développer des organisations de classe, mais toutes les réactions, psychologiques y compris, déterminées en son sein d’une part par la situation économique, d’autre part par les attitudes et initiatives sociales et politiques de la classe dominante elle-même et ses partis. Sur le plan politique, l’examen de la situation se complète par celui des positions des différentes classes et partis à l’égard du pouvoir d’Etat, et par l’appréciation de leurs forces. De ce point de vue, les situations dans lesquelles le Parti Communiste peut être amené à agir et qui, dans leur succession normale, le conduisent à augmenter ses effectifs et en même temps à préciser toujours davantage les limites de sa tactique peuvent être classées en cinq grandes phases qui sont : 1. Pouvoir féodal absolutiste. 2. Pouvoir démocratique bourgeois. 3. Gouvernement social-démocrate. 4. Période intermédiaire de guerre civile dans laquelle les bases de l’Etat sont ébranlées. 5. Pouvoir prolétarien de la dictature des Conseils. En un certain sens, le problème tactique consiste non seulement à choisir la bonne voie pour une action efficace, mais aussi à éviter que l’action du Parti ne sorte des limites opportunes pour revenir à des méthodes qui, répondant à des phases dépassées, arrêteraient le développement du Parti et constitueraient un repli pour la préparation révolutionnaire (...)
« 29 - (…) C’est pourquoi, avant d’appeler leurs adhérents et ceux des prolétaires qui les suivent, à l’action et au sacrifice d’eux-mêmes, le Parti et l’Internationale doivent exposer de façon systématique l’ensemble de leurs règles tactiques générales et démontrer qu’elles sont la seule voie de la victoire. Si le Parti doit donc définir les termes et les limites de sa tactique, ce n’est pas par désir de théoriser et de schématiser les mouvements complexes qu’il pourra être amené à entreprendre, mais en raison d’une nécessité pratique et organisationnelle. Une telle définition peut sembler restreindre ses possibilités d’action mais elle seule garantit l’unité organique de son intervention dans la lutte prolétarienne, et c’est pour ces raisons tout à fait concrètes qu’elle doit être décidée (...)
« 47 - (…) La tactique du Parti communiste n’est jamais dictée par des a priori théoriques ou par des préoccupations éthiques ou esthétiques, mais uniquement par le souci de conformer les moyens aux fins et à la réalité du processus historique, selon cette synthèse dialectique de doctrine et d’action qui est le patrimoine d’un mouvement appelé à devenir le protagoniste du plus vaste renouvellement social, le chef de la plus grande guerre révolutionnaire ».
Citation 139 - Thèses de la Gauche au III Congrès du PC d’Italie (Thèses de Lyon) -1926
« I - 3. Action et tactique du parti (…) On doit dire hautement que dans certaines situations passées, présentes et à venir, le prolétariat a été, est et sera nécessairement en majorité sur une position non révolutionnaire – position d’inertie ou de collaboration avec l’ennemi selon les cas – mais que malgré tout, le prolétariat reste partout et toujours la classe potentiellement révolutionnaire et dépositaire des possibilités d’insurrection, dans la mesure où existe en son sein le Parti Communiste et où, sans jamais renoncer à aucune possibilité de s’affirmer et de se manifester de façon cohérente, ce parti sait éviter les voies qui semblent plus faciles pour conquérir une popularité immédiate, mais qui le détourneraient de sa tâche, enlevant au prolétariat le point d’appui indispensable à sa reprise révolutionnaire. C’est sur ce terrain marxiste et dialectique, jamais sur le terrain esthétique et sentimental, que doit être repoussée la formule opportuniste bestiale disant qu’un Parti Communiste est libre d’adopter tous les moyens et toutes les méthodes. En assurant que c’est précisément parce qu’il est communiste, c’est-à-dire sain dans ses principes et son organisation, que le parti peut se permettre les manœuvres politiques les plus acrobatiques, on oublie que pour nous le parti est en même temps un facteur et un produit du développement historique, et que face aux forces de ce dernier le prolétariat se comporte comme un matériau encore plus plastique. Ce ne sont pas les justifications tortueuses que les chefs du parti avanceront pour expliquer certaines “manœuvres” qui l’influenceront, mais bien des effets réels, qu’il faut savoir prévoir en utilisant surtout l’expérience des erreurs passées. C’est uniquement par une action correcte dans le domaine tactique et en s’interdisant les chemins de traverse grâce à des normes d’action précises et respectées que le parti se préservera des dégénérescences, et jamais simplement par des credo théoriques et par des sanctions organisatives (…)
« Elaborer la tactique communiste selon une méthode non pas dialectique, mais formaliste serait renier Lénine et Marx. Ce serait une erreur grossière de prétendre que les moyens doivent correspondre aux fins, non pas par leur enchaînement historique et dialectique dans le processus de développement, mais d’après une ressemblance et une analogie d’aspect qu’ils pourraient prendre d’un point de vue immédiat et quasi, dirions-nous, éthique, psychologique et esthétique. Il ne faut pas commettre en matière de tactique la même erreur que les anarchistes et les réformistes en matière de principes quand ils jugent absurde que l’abolition des classes et du pouvoir d’Etat passent à travers la domination de classe et la dictature du prolétariat, et que l’abolition de toute violence sociale se réalise à travers l’emploi de la violence offensive et défensive visant à renverser le pouvoir actuel et à protéger celui prolétarien. De même, il serait faux de prétendre qu’un parti révolutionnaire doive être à tout moment pour la lutte, quel que soit le rapport entre les forces favorables et hostiles ; qu’en cas de grève, par exemple, les communistes ne puissent rien préconiser d’autre que sa poursuite illimitée ; qu’un communiste doive s’interdire certains moyens comme la dissimulation, la ruse, l’espionnage, etc., pare qu’ils manquent de noblesse ou sont peu sympathiques. La critique du marxisme et de Lénine à ce pseudo-révolutionnarisme superficiel qui empoisonne le mouvement prolétarien est un effort pour résoudre les problèmes tactiques sans recourir à ces critères stupides et sentimentaux, et elle est désormais partie intégrante de l’expérience du mouvement communiste (...)
« La critique de l’ “infantilisme” ne signifie pas que l’indétermination, le chaos et l’arbitraire doivent régner en matière de tactique, et qu’en somme “tous les moyens sont bons” pour atteindre nos buts. Dire que l’accord entre les moyens employés et le but à atteindre est garanti par la nature révolutionnaire du parti, par la contribution qu’apportent à ses décisions des hommes remarquables ou des groupes ayant derrière eux une brillante tradition, est un jeu de mots étranger au marxisme, car il fait abstraction des répercussions qu’ont sur le parti les moyens eux mêmes employés pour son action dans le jeu dialectique des causes et des effets. On oublie en outre que le marxisme nie toute valeur aux “intentions” qui dictent leurs initiatives aux individus et aux groupes, sans compter que, du fait des expériences sanglantes du passé, ces intentions pourront toujours inspirer des “soupçons”, au sens non injurieux du terme.
« Dans son livre sur l’infantilisme, Lénine dit que les moyens tactiques doivent être choisis à l’avance en fonction du but révolutionnaire final et grâce à une vision claire de la lutte historique du prolétariat et de son aboutissement. Il montre qu’il serait absurde d’écarter tel ou tel moyen tactique sous le prétexte qu’on le trouve “laid” ou qu’il mérite le nom de “compromis” et qu’il faut au contraire établir si ce moyen répond ou non à ce but. Leur activité collective pose et posera toujours cette question au parti et à l’Internationale qui ont la tâche formidable de la résoudre. En matière de principes théoriques, nous pouvons dire que Marx et Lénine nous ont légué un solide héritage, sans vouloir prétendre pour autant que le communisme n’a plus aucune recherche théorique nouvelle à accomplir. En matière tactique, par contre, on ne peut pas en dire autant, même après la révolution russe et l’expérience des premières années de la nouvelle Internationale qui a été trop tôt privée de Lénine. Le problème de la tactique est trop vaste pour qu’on puisse le résoudre à l’aide des réponses simplistes et sentimentales des communistes “infantiles”, et il doit être approfondi avec la contribution de tout le mouvement communiste international et à la lumière de toute son expérience ancienne et récente. On ne va ni contre Marx ni contre Lénine quand on affirme que la solution de ce problème doit tendre à l’établissement de règles d’action qui, sans être aussi vitales et fondamentales que les principes, seront néanmoins obligatoires non seulement pour les militants, mais pour les organes dirigeants du mouvement, qui envisageront les différents développements possibles des situations afin de tracer avec toute la précision possible la ligne d’action du parti en fonction d’aspects déterminés.
« L’étude et la compréhension des situations sont nécessaires pour prendre des décisions tactiques, parce qu’elles permettent de signaler au mouvement que l’heure de telle action prévue dans toute la mesure du possible a sonné, mais elles n’autorisent en aucun cas l’arbitraire des chefs, l’ “improvisation” ou des “surprises”. Nier la possibilité de prévoir les grandes lignes de la tactiques – non de prévoir les situations, ce qui n’est pas possible avec une certitude absolue, mais de prévoir ce que nous devrons faire dans les différentes hypothèses possibles des situations objectives – revient à nier la tâche du parti et nier du même coup la seule garantie que nous ayons qu’en toutes circonstances ses militants et les masses répondront aux ordres du centre dirigeant ».
Citation 140 - Les perspectives de l’après-guerre en relation avec la plate-forme de 1945 du Parti - 1946
« (…) Le caractère tout à fait central
de notre
position, et qui nous distingue de celles de tous les opportunistes
et les déserteurs de la lutte de classe contre lesquels nous luttons
depuis des décennies, est que nous établissons selon des lignes
très nettes les directives d’action du parti face aux tournants
prévisibles et parmi les plus impressionnants du cours historique du
monde capitaliste que nous combattons. Il doit être totalement exclu
pour le parti, et, si ce dernier est à la hauteur de sa tâche, pour
la classe qu’il personnifie également, que lorsqu’éclatent des
événements mêmes grandioses et des cataclysmes historiques, les
centres dirigeants et les groupes organisatifs aient à découvrir
lors du déroulement de ces événements un choix de direction et
l’acceptation de mots d’ordre d’action opposés à ceux solidement
établis et suivis par le mouvement.
« Telle est la condition pour qu’un mouvement
révolutionnaire
puisse non seulement resurgir mais éviter d’être submergé lors de
crises comme celles du social-nationalisme de 1914 et du
national-communisme imposé par Moscou dans la phase historique de la
seconde guerre (...)
« L’essence de la tâche pratique du Parti et de sa
possibilité
d’influer sur les rapports de force en action et sur la succession
des événements se trouve précisément non dans l’improvisation et
la cogitation de remèdes et manœuvres habiles au fur et à mesure
que de nouvelles situations se présentent, mais dans la stricte
continuité entre ses positions critiques et ses paroles de
propagande et de bataille au cours de la succession et de
l’opposition des différentes phases du devenir historique ».
Citation 141 - Nature, fonction et tactique du parti révolutionnaire de la classe ouvrière - 1947
« (...) Les principes et les doctrines
n’existent pas en soi,
comme une base établie avant l’action ; ils se forment au
contraire dans un processus parallèle à celui de l’action. Ce sont
leurs intérêts matériels opposés qui jettent les groupes sociaux
dans la lutte pratique, et c’est de l’action suscitée par ces
intérêts matériels que naît la théorie qui devient le patrimoine
caractéristique du parti. Que viennent à changer les rapports
d’intérêts, les stimulants et la direction pratique de l’action, et
la doctrine du parti sera du même coup modifiée et déformée.
« Croire que, du seul fait qu’elle a été codifiée
dans un texte
programmatique et que l’organisation du parti a été dotée d’un
encadrement strict et discipliné, la doctrine du parti est devenue
intangible et sacrée, et que par conséquent on peut se permettre
d’emprunter des directions variées et de recourir à de multiples
manœuvres dans le domaine de l’action tactique, signifie simplement
qu’on ne voit pas de façon marxiste quel est le véritable problème
à résoudre pour parvenir au choix des méthodes d’action (...)
« Il est aujourd’hui possible, sans rappeler
l’ensemble des
arguments développés dans les discussions d’alors, de conclure que
le bilan de la tactique trop élastique et trop manœuvrière a été
non seulement négatif, mais désastreux (...)
« On doit chercher la cause de ces revers dans le
fait que les
divers mots d’ordre tactiques successifs pleuvaient sur les partis et
leurs cadres comme autant d’improvisations inattendues, sans que
l’organisation communiste soit le moins du monde préparée aux
différentes éventualités. Or, les plans tactiques du parti ne
peuvent ni ne doivent devenir le monopole ésotérique de cercles
dirigeants ; définissant au contraire par avance l’attitude
correspondant aux diverses situations prévisibles, ils doivent être
étroitement liés à la cohérence théorique, à la conscience
politique des militants, aux traditions du mouvement, et doivent
imprégner l’organisation de telle sorte qu’elle soit toujours
préparée à l’avance et qu’elle puisse prévoir quelles seront les
réactions de la structure unitaire du parti devant les événements
favorables ou défavorables du cours de la lutte. Ce n’est pas avoir
une conception plus complète et plus révolutionnaire du parti que
d’en attendre autre chose ou plus, que de croire qu’il peut résister
à des coups de gouvernails imprévus dans le domaine de la
tactique ; au contraire, comme le prouvent les faits
historiques, c’est là le processus classique défini par le terme
d’opportunisme, qui amène le parti révolutionnaire, ou bien à se
dissoudre et à faire naufrage dans l’influence défaitiste de la
politique bourgeoise, ou bien à se trouver plus vulnérable et plus
désarmé devant la répression ».
Citation 142 – Théorie et action - Réunion de Forli du 28 décembre 1952
« I - 1. Etant donnée la situation actuelle où
l’énergie
révolutionnaire est tombée au niveau le plus bas, le Parti a pour
tâche pratique d’examiner le cours historique de toute la lutte ;
il est erroné de définir ceci comme un travail de type littéraire
ou intellectuel et de l’opposer à on ne sait quelle descente dans le
vif de l’action des masses (...)
« - 6. Comme un retour soudain des masses à une
organisation efficace
pour une offensive révolutionnaire n’est donc pas pensable, le
meilleur résultat à attendre des temps à venir est de reproposer
des véritables buts et des véritables revendications prolétariennes
et communistes, et de réaffirmer la leçon selon laquelle tout
changement tactique improvisé au fil des situations successives sous
prétexte d’exploiter les données inattendues de chacune d’elles,
n’est rien d’autre que du défaitisme.
« - 7. Le stupide actualisme-activisme qui adapte
ses actions et ses
mouvements aux données immédiates du jour, véritable
existentialisme de parti, doit être remplacé par la reconstruction
d’un pont solide reliant le passé au futur et dont le parti se donne
les grandes lignes une fois pour toute, interdisant non seulement aux
militants mais surtout aux chefs toute recherche et découverte
tendancieuse de “voies nouvelles”.
« - 8. Cette façon de faire, surtout quand elle
décrie et déserte le
travail doctrinal et la restauration théorique, qui sont aussi
nécessaires aujourd’hui qu’ils le furent pour Lénine en 1914-18,
sous prétexte que l’action et la lutte sont primordiales, aboutit à
la destruction de la dialectique et du déterminisme marxistes en
remplaçant l’immense recherche historique des moments rares et des
points cruciaux sur lesquels faire levier, par un volontarisme
déchaîné qui n’est finalement que la pire et la plus crasse
adaptation au statu quo et à ses perspectives immédiates
misérables (...)
« - 11.Un tel travail est long et difficile et il
nécessite des
années ; mais d’autre part le rapport de forces de la situation
mondiale ne pourra pas se renverser avant des décennies. Tout
esprit, stupide et faussement révolutionnaire, visant à une
aventure rapide, doit donc être repoussé avec dédain car il est
propre à ceux qui ne savent pas tenir leur position révolutionnaire,
et qui comme maints exemples de l’histoire des déviations, abandonne
la grande route pour les sentiers équivoques du succès à brève
échéance ».
Citation 143 - Considérations sur l’activité organique du parti quand la situation générale est défavorable - 1965
« 5 - Le rapport existant entre les
solutions tactiques
(qui ne doivent pas aller à l ’encontre des principes doctrinaux et
théoriques) et le développement multiforme des situations
objectives, qui sont, en un sens, extérieures au parti, est
certainement très variable ; mais comme on peut le voir dans
les Thèses de Rome sur la tactique qui sont un projet de thèses
pour la tactique internationale, la Gauche a soutenu que le parti
doit dominer et prévoir ce rapport ».
Chapitre 2
Élément prioritaire de la tactique : autonomie absolue du parti
Citation 144 - La tactique de l’Internationale Communiste - 1922
« IV - (…) Nous croyons qu’un tel plan se fonde sur une contradiction et contient pratiquement les éléments d’une immanquable faillite. Il est indubitable que le Parti communiste doit proposer d’utiliser également les moments non conscients des grandes masses et ne peut s’adonner à une prédication négative purement théorique quand il se trouve en présence de tendances générales à aller vers d’autres voies d’actions qui ne sont pas celles propres à sa doctrine et à sa praxis. Mais cette utilisation devient profitable si en se mettant sur le terrain où se meuvent les grandes masses et en travaillant ainsi à un des deux facteurs essentiels du succès révolutionnaire, on est certain de ne pas compromettre l’autre facteur non moins indispensable à l’existence et au renforcement progressif du parti et de l’encadrement de la partie du prolétariat qui se trouve déjà sur le terrain où agissent les mots d’ordre du parti (...)
« Si un jour, après une période plus ou moins longue d’événements et de luttes, la masse ouvrière constate finalement que toute tentative de sauvetage est inutile si on ne se bat pas contre la machine même de l’appareil étatique bourgeois, et que l’organisation du Parti Communiste et celles des mouvements qui le flanquent (comme l’encadrement syndical et celui militaire) se soient gravement compromises précédemment dans la lutte, le prolétariat se trouverait ainsi privé des armes mêmes de sa lutte, de la contribution indispensable de cette minorité qui possède la vision claire des tâches à accomplir et qui, pour l’avoir depuis longtemps possédée sans la perdre de vue, s’est entraînée et armée au sens large du terme, ce qui est indispensable pour la victoire des grandes masses.
« Nous pensons que ceci surviendrait, démontrant ainsi la stérilité de tout plan tactique comme ceux que nous examinons, si le Parti Communiste assumait de façon prédominante et bruyante des attitudes politiques telles qu’elles annuleraient ou invalideraient son caractère intangible de parti d’opposition par rapport à l’Etat et aux autres partis politiques (...)
« L’attitude et l’activité d’opposition politique du Parti Communiste ne sont pas un luxe doctrinal, mais, comme nous le verrons, une condition concrète du processus révolutionnaire.
« En effet activité d’opposition signifie prêcher constamment nos thèses sur l’insuffisance de toute action de conquête démocratique du pouvoir et de toute lutte politique qui se place sur le terrain légal et pacifique ; elle signifie aussi de lui être fidèle dans la critique continue et dans la séparation de responsabilité de l’œuvre des gouvernements et des partis légaux ; et formation, exercice et entraînement d’organes de lutte que seul un parti anti-légalitaire comme le nôtre peut construire, en dehors et contre le mécanisme qui est celui de la défense bourgeoise (...)
« Sous cet aspect, fidèles à la plus éclatante tradition de l’Internationale Communiste, nous ne jugeons pas les partis politiques selon le critère avec lequel il est juste de juger les organismes économiques syndicaux, c’est-à-dire selon le champ de recrutement de leurs effectifs et la classe dans laquelle ce recrutement s’accomplit, mais selon le critère de leurs attitudes envers l’Etat et son mécanisme représentatif. Un parti qui s’arrête volontairement aux limites de la légalité, c’est-à-dire qu’il ne conçoit pas d ’autre action politique que celle que l’on peut expliquer sans user de violence civile vis-à-vis des institutions de la constitution démocratique bourgeoise, n’est pas un parti prolétarien, mais un parti bourgeois ; et dans un certain sens le seul fait qu’un mouvement politique (comme celui syndicaliste ou démocratique), même s’il se place en dehors des limites de la légalité, refuse d’accepter le concept de l’organisation étatique de la force révolutionnaire prolétarienne, soit la dictature, suffit à porter un tel jugement négatif.
« Il ne se trouve ici que l’énonciation de la plate-forme défendue par notre parti : front unique syndical du prolétariat, opposition politique incessante envers le gouvernement bourgeois et tous les partis légaux (...) »
« V - (…) La bourgeoisie et ses alliés travaillent à persuader le prolétariat que dans sa lutte pour améliorer ses conditions de vie, il n’est pas nécessaire de se servir de moyens violents, et que ses armes se trouvent dans l’emploi pacifique de l’appareil démocratique représentatif et dans l’orbite des institutions légales. Ces inférences sont extrêmement dangereuses pour le sort de la révolution parce qu’il est certain qu’elles tomberont à un moment, mais, au moment de leur chute et en raison de celle-ci, les masses ne donneront pas leur soutien à la lutte contre l’appareil légal et étatique bourgeois au moyen de la guerre révolutionnaire, ni ne proclameront ni n’appuieront la dictature de classe, unique moyen d’écraser la classe adverse. La réticence et l’inexpérience du prolétariat dans l’utilisation de ces armes déterminantes tourneront au complet avantage de la bourgeoisie : détruire chez le plus grand nombre possible de prolétaires cette répugnance subjective à porter à l’adversaire les coups décisifs, et le préparer aux exigences d’une telle action, est par contre la tâche du Parti Communiste. Il est illusoire de poursuivre ce but par la préparation idéologique et par des exercices de guerre de classe et ceci jusqu’au dernier prolétaire ; il est indispensable de le garantir par la formation et la consolidation d’un organisme collectif dont l’œuvre et l’attitude sur ce terrain constituent un appel à la plus grande partie possible de travailleurs, afin que, possédant un point de référence et d’appui, la désillusion inévitable qui dispersera demain les mensonges démocratiques soit suivie d’une conversion efficace aux méthodes de lutte révolutionnaire (...)
« Le chemin de la révolution devient une impasse si le prolétariat, avant de constater que le rideau bariolé de la démocratie aux manières libérales et populaires cache les bastions de fer de l’Etat de classe, doit aller jusqu’au bout sans se munir de moyens capables de démolir l’ultime et décisif obstacle, jusqu’à ce que se précipitent sur lui de la forteresse de la domination bourgeoise les troupes féroces de la réaction. Le parti est nécessaire à la victoire révolutionnaire comme est nécessaire que bien avant une minorité du prolétariat commence à clamer sans cesse aux autres prolétaires qu’il faut s’armer pour la bataille suprême, qu’elle s’arme elle-aussi et se dresse pour la lutte qui sera inévitable. C’est précisément pour cela que le Parti, afin d’accomplir sa tâche spécifique, ne doit pas seulement prêcher et démontrer par des raisonnements que la voie pacifique et légale est une voie insidieuse, mais doit “empêcher” la partie la plus avancée du prolétariat de s’endormir dans l’illusion démocratique ; il doit encadrer cette dernière dans des formations qui d’une part commencent à se préparer aux exigences techniques de la lutte en affrontant sporadiquement les actions réactionnaires bourgeoises, d’autre part s’habituent elles-mêmes et une large partie des masses environnantes aux exigences idéologiques et politiques de l’action décisive en critiquant de façon incessante les partis social-démocrates et en luttant contre eux à l’intérieur du syndicat (...)
« Pour toutes ces raisons, notre Parti soutient qu’on ne parle pas d’alliance sur le terrain politique avec d’autres partis, mêmes s’ils se disent “prolétariens”, ni ne souscrit à des programmes qui impliquent une participation du Parti communiste à la conquête démocratique de l’Etat. Ceci n’exclut pas qu’on puisse poser et envisager comme réalisables par la pression du prolétariat des revendications qui se réaliseraient par le biais de décisions du pouvoir politique de l’Etat, et que les social-démocrates démocrates disent vouloir et pouvoir réaliser au travers de ce dernier, puisqu’une telle action n’abaisse pas le degré d’initiative de lutte directe que le prolétariat a atteint.
« Par exemple, parmi nos revendications pour le front unique à soutenir lors de la grève générale nationale, se trouve l’assistance aux chômeurs par la classe industrielle et l’Etat, mais nous refusons toute complicité avec la grossière tromperie des programmes “concrets” de politique étatique du parti socialiste et des chefs réformistes syndicaux, même si ceux-ci acceptent de les exposer comme programme d’un gouvernement “ouvrier” plutôt que celui dont ils rêvent ensemble aux partis de la classe dominante avec laquelle ils partagent une digne et fraternelle connivence.
« Entre soutenir une mesure (qu’on pourrait appeler “réforme” pour parodier de vieux débats) à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Etat, il y a une formidable différence établie par l’évolution des situations : avec l’action directe des masses à l’extérieur, ou l’Etat ne peut ou ne veut pas céder et on arrivera à la lutte pour le renverser, ou il cède, même en partie, et la méthode de l’action anti-légalitaire sera valorisée et expérimentée ; tandis qu’avec la méthode de la conquête de l’intérieur, même si elle échoue, conformément à ce que nous avons soutenu, il ne sera plus possible de compter sur les forces capables d’assaillir la machine étatique, leur processus d’agrégation autour d’un noyau indépendant ayant été interrompu.
« L’action des grandes masses sur le front unique ne peut donc se réaliser que dans le champ de l’action directe et en accord avec les organes syndicaux de toute catégorie, localité et tendance, et l’initiative de cette agitation revient au Parti Communiste puisque les autres partis, soutenant l’inertie des masses face aux provocations de la classe dominante et exploiteuse, et s’agitant sur le terrain de la légalité étatique et démocratique, montrent qu’ils ont déserté la cause prolétarienne. Ils nous permettent de pousser au maximum la lutte pour conduire le prolétariat à l’action selon la directive et les méthodes communistes, aux côtés du plus humble groupe d’exploités qui demande un morceau de pain ou le défend de l’insatiable avidité patronale, mais contre le mécanisme des institutions actuelles et contre quiconque se place sur leur terrain ».
Citation 145 - Thèses sur la Tactique au II Congrès du PC d’Italie (Thèses de Rome) - 1922
« 30 - Quand les conditions manquent
pour une action
tactique qu’on peut appeler “directe” – et dont
on parlera plus loin – puisqu’elle a le caractère d’un assaut au
pouvoir bourgeois par les forces dont dispose le parti communiste, ce
dernier – loin de se limiter au prosélytisme et à la propagande
purs et simples – doit et peut alors exercer son influence sur les
événements à travers ses rapports avec les autres partis et
mouvements politiques et sociaux, et en exerçant sur eux sa pression
de façon à déterminer un développement de la situation favorable
à ses propres buts et à hâter le moment où l’action
révolutionnaire décisive sera possible.
« Les initiatives et attitude à adopter en pareil
cas constituent
un problème délicat. Pour qu’il soit résolu, la première
condition est qu’elles ne soient pas et ne puissent sembler
aucunement en contradiction avec les nécessités ultérieures de la
lutte propre du Parti, selon le programme qu’il est le seul à
défendre et pour lequel le prolétariat devra lutter au moment
décisif. Toute attitude qui causerait ou comporterait le passage au
second plan de l’affirmation intégrale de cette propagande qui n’a
pas seulement une valeur théorique mais résulte surtout des
positions que le Parti prend quotidiennement dans la lutte
prolétarienne réelle, et qui doit mettre continuellement en
évidence la nécessité pour le prolétariat d’embrasser le
programme et les méthodes communistes ; toute attitude qui
ferait de l’obtention de tel ou tel résultat contingent une fin en
soi, et non pas un moyen de poursuivre plus avant, conduirait à un
affaiblissement de la structure du Parti et à un recul de son
influence dans la préparation révolutionnaire des masses ».
« 36 - (...) A ce moment, le Parti communiste pourra agiter ces mêmes revendications en les précisant, en faire un drapeau de la lutte de tout le prolétariat qu’il portera en avant pour forcer les partis qui en parlent par simple opportunisme à s’employer à leur réalisation. Qu’il s’agisse de revendications économiques ou même de caractère politique, le Parti communiste les proposera comme objectif d’une coalition des organisations syndicales. Il évitera cependant la constitution de comités directeurs de lutte et d’agitation dans lesquels il serait représenté et engagé aux côtés d’autres partis politiques ; et tout ceci dans le but de retenir l’attention des masses sur le programme spécifique du communisme et de conserver sa propre liberté de mouvement pour le moment où il devra élargir la plate-forme d’action en débordant les autres partis, abandonnés par les masses après la démonstration de leur impuissance. Le front unique syndical ainsi compris offre la possibilité d’actions d’ensemble de toute la classe travailleuse. De telles actions, la méthode communiste ne peut sortir que victorieuse, car elle est la seule capable de donner un contenu au mouvement unitaire du prolétariat, et la seule qui ne partage pas la moindre responsabilité dans l’œuvre des partis qui affichent un appui verbal à la cause du prolétariat par opportunisme et avec des intentions contre-révolutionnaires ».
Chapitre 3
La tactique du parti dans le champ européen occidental : les Thèses de Rome de 1922
Citation 146 - Thèses sur la tactique au II Congrès du PC d’Italie (Thèses de Rome) - 1922
« VI - Action tactique “indirecte” du
Parti
communiste (…) - 31- Dans la phase politico-historique qui
correspond au pouvoir démocratique bourgeois, les forces politiques
sont généralement divisées en deux courants ou
“blocs” :
la droite et la gauche, qui se disputent la direction de l’Etat.
« En règle générale les partis sociaux-démocrates,
coalitionnistes par principe, adhèrent plus ou moins ouvertement au
bloc de gauche. Le Parti communiste n’est pas indifférent aux
développements de cette lutte, que ce soit parce qu’elle soulève
des points et des revendications qui intéressent les masses
prolétariennes et concentrent leur attention, ou parce que sa
conclusion par une victoire de la gauche peut réellement aplanir la
voie à la révolution prolétarienne (...)
« 32 - Une des tâches essentielles du Parti
communiste pour préparer
idéologiquement et pratiquement le prolétariat à la lutte
révolutionnaire pour la dictature est de critiquer sans pitié le
programme de la gauche bourgeoise et tout programme qui voudrait se
servir des institutions démocratiques et parlementaires bourgeoises
pour résoudre les problèmes sociaux. La plupart du temps, c’est
seulement par des falsifications démagogiques que la droite et la
gauche bourgeoises parviennent à intéresser le prolétariat à
leurs divergences. Les falsifications ne peuvent évidemment être
démontrées par la seule critique théorique : c’est dans la
pratique et le vif de la lutte qu’elles seront démasquées.
« En règle générale le but des revendications
politiques de la
gauche n’est nullement de faire un pas en avant pour atteindre un
quelconque échelon intermédiaire entre le système économique et
politique capitaliste et le système prolétarien. En général, ses
revendications politiques tendent à créer de meilleures conditions
de fonctionnement et de défense du capitalisme moderne, tant par
leur contenu propre que par l’illusion qu’elles donnent aux masses de
pouvoir faire servir les institutions présentes à leur émancipation
de classe. Cela vaut pour les revendications d’élargissement du
droit de vote et autres garanties et perfectionnement du libéralisme,
comme pour la politique anticléricale et l’ensemble de la politique
franc-maçonne.
« Cela vaut également pour les réformes d’ordre
économique et
social : ou bien elles ne seront pas réalisées, ou elles ne le
seront qu’à la condition et dans le but de faire obstacle à la
poussée révolutionnaire des masses.
« 33 - Si l’avènement d’un gouvernement de la
gauche bourgeoise ou
même d’un gouvernement social-démocrate peut être considéré
comme un pas vers la lutte finale pour la dictature du prolétariat,
ce n’est pas dans le sens qu’il fournit des bases économiques ou
politiques utiles, et moins encore accorde au prolétariat une plus
grande liberté d’organisation, de préparation et d’action
révolutionnaires. Le Parti communiste a le devoir de proclamer ce
qu’il sait grâce non seulement à la critique marxiste, mais à une
sanglante expérience : que ces gouvernements ne respecteraient
la liberté de mouvement du prolétariat qu’aussi longtemps que ce
dernier les appuie et les défend comme ses propres représentants,
mais que devant un assaut des masses contre la machine d’Etat
démocratique, ils répondraient par la réaction la plus féroce.
« C’est donc dans un tout autre sens que l’avènement
de tels
gouvernements peut être utile, à savoir dans la mesure où leur
œuvre constituera pour le prolétariat une expérience réelle lui
permettant de conclure que seule sa propre dictature peut provoquer
la défaite du capitalisme. Il est évident que le Parti communiste
ne sera en mesure d’utiliser efficacement cette expérience qu’autant
qu’il aura dénoncé par avance la faillite de ces gouvernements et
conservé une solide organisation indépendante autour de laquelle le
prolétariat pourra se regrouper lorsqu’il se verra contraint
d’abandonner les groupes et les partis dont il avait en partie
initialement soutenu l’expérience gouvernementale.
« 34 - Une coalition du Parti communiste avec les partis de la gauche bourgeoise ou de la social-démocratie nuirait donc à la préparation révolutionnaire du prolétariat et rendrait l’utilisation d’une expérience gouvernementale de la gauche difficile. En outre, elle retarderait pratiquement beaucoup la victoire du bloc de gauche sur celui de droite. En effet, si la clientèle du centre bourgeois que ces deux blocs se disputent s’oriente à gauche, c’est parce qu’elle est à bon droit convaincue que la gauche n’est pas moins conservatrice et ennemie de la révolution que la droite (...)
« 35 - Il est indéniable que le bloc de gauche agite des revendications intéressant les masses et correspondant souvent, dans leur formulation, à leurs exigences réelles. Le Parti communiste ne négligera pas ce fait et ne soutiendra pas la thèse superficielle que de telles concessions sont à refuser, car seules les conquêtes finales et totales de la révolution méritent les sacrifices du prolétariat. Pareille proclamation n’aurait aucun sens, car son seul résultat serait de rejeter ce dernier sous l’influence des démocrates et sociaux-démocrates auxquels il resterait inféodé. Le Parti communiste invitera donc les travailleurs à accepter les concessions de la gauche comme une expérience sur l’issue de laquelle il exprimera les prévisions les plus pessimistes, insistant sur la nécessité pour le prolétariat de ne pas mettre en jeu son indépendance politique et d’organisation, s’il ne veut pas sortir ruiné de l’expérience. Il incitera les masses à exiger des partis sociaux-démocrates qu’ils tiennent leurs engagements, puisqu’ils se portent garants de la possibilité de réaliser les promesses de la gauche bourgeoise. Par sa critique indépendante et ininterrompue,il se préparera à recueillir les fruits du résultat négatif de ces expériences, dénonçant le front unique de toute la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire et la complicité des partis soi-disant ouvriers qui, soutenant la coalition avec une partie de la bourgeoisie, se font les agents de celle-ci.
« 36 - Les partis de gauche et en particulier les sociaux-démocrates affichent souvent des revendications d’une nature telle qu’il est utile d’appeler le prolétariat à l’action directe pour les obtenir. En effet, si la lutte était engagée, l’insuffisance des moyens proposés par les sociaux-démocrates pour réaliser leur programme de mesures ouvrières apparaîtrait immédiatement. A ce moment, le Parti communiste pourra agiter ces mêmes revendications en les précisant, en faire un drapeau de la lutte de tout le prolétariat qu’il portera en avant pour forcer les partis qui en parlent par simple opportunisme à s’employer à leur réalisation. Qu’il s’agisse de revendications économiques ou même de caractère politique, le Parti communiste les proposera comme objectif d’une coalition des organisations syndicales. Il évitera cependant la constitution de comités directeurs de lutte et d’agitation dans lesquels il serait représenté et engagé aux côtés d’autres partis, afin de retenir l’attention des masses sur le programme spécifique du communisme et de conserver sa propre liberté de mouvement pour le moment où il devra élargir la plate-forme d’action en débordant les autres partis, abandonnés par les masses après la démonstration de leur impuissance. Le front unique syndical ainsi compris offre la possibilité d’actions d’ensemble de toute la classe travailleuse. De telles actions, la méthode communiste ne peut sortir que victorieuse, car elle est la seule capable de donner un contenu au mouvement unitaire du prolétariat, et la seule qui ne partage pas la moindre responsabilité dans l’œuvre des partis qui affichent un appui verbal à la cause du prolétariat par opportunisme et avec des intentions contre-révolutionnaires.
« 37 - La situation que nous envisageons peut prendre l’aspect d’une attaque de la droite bourgeoise contre un gouvernement démocratique ou social-démocrate. Même dans ce cas, le Parti communiste ne saurait proclamer la moindre solidarité avec des gouvernements de ce genre : s’il les accueille comme une expérience à suivre pour hâter le moment où le prolétariat se convaincra de leurs buts contre-révolutionnaires, il ne peut évidemment les lui présenter comme un conquête à défendre.
« 38 - Il pourra arriver que le gouvernement de
gauche laisse des
organisations de droite, des bandes blanches de la bourgeoisie mener
leurs actions contre le prolétariat et ses institutions et, bien
loin de réclamer l’appui de ce dernier, lui refuse le droit de
répondre par les armes. Dans ce cas, les communistes dénonceront la
complicité de fait, la véritable division du travail entre le
gouvernement libéral et les forces irrégulières de la réaction,
la bourgeoisie ne discutant plus alors des avantages respectifs de
l’anesthésie démocratico-réformiste et de la répression violente,
mais les employant toutes les deux à la fois.
« Dans cette situation, le véritable, le pire ennemi
de la
préparation révolutionnaire est le gouvernement libéral : il
fait croire au prolétariat qu’il le défendra pour sauver la
légalité afin que le prolétariat ne s’arme ni ne s’organise.
Ainsi, le jour où par la force des choses celui-ci sera mis dans la
nécessité de lutter contre les institutions légales présidant à
son exploitation, le gouvernement pourra l’écraser sans mal en
accord avec les bandes blanches.
« 39 - Il peut aussi se produire que le gouvernement et les partis de gauche qui le composent invitent le prolétariat à participer à la résistance armée contre l’attaque de la droite. Cet appel ne peut que cacher un piège. Le Parti communiste l’accueillera en proclamant que l’armement des prolétaires signifie l’avènement du pouvoir et de l’Etat prolétarien, ainsi que la destruction de la bureaucratie étatique et de l’armée traditionnelle, puisque jamais celles-ci n’obéiraient aux ordres d’un gouvernement de gauche légalement instauré dès le moment où il appellerait le peuple à la lutte armée, et que seule la dictature du prolétariat pourrait donc remporter une victoire stable sur les bandes blanches ; En conséquence, le Parti communiste ne pratiquera ni ne proclamera le moindre “loyalisme” à l’égard du gouvernement menacé. Il montrera au contraire aux masses le danger de consolider son pouvoir en lui apportant le soutien du prolétariat contre le soulèvement de la droite ou la tentative de coup d’Etat, c’est-à-dire de consolider l’organisme appelé à s’opposer à l’avance révolutionnaire du prolétariat au moment où celle-ci s’imposera comme la seule issue, en laissant le contrôle de l’armée aux partis gouvernementaux, c’est-à-dire en déposant les armes sans les avoir employées au renversement des formes politiques et étatiques actuelles, contre toutes les forces de la classe bourgeoise.
« VII - Action tactique “directe” du Parti
communiste -
40 (…) Mais il est d’autres cas où les besoins immédiats et
urgents de la classe ouvrière ne rencontrent qu’indifférence auprès
des partis de gauche ou sociaux-démocrates, qu’il s’agisse de
conquêtes ou de simple défense. S’il ne dispose pas de forces
suffisantes pour appeler directement les masses à l’action en raison
de l’influence social-démocrate sur elles, le Parti communiste
posera ces revendications de lutte prolétarienne et en appellera
pour leur conquête au front unique du prolétariat réalisé sur le
terrain syndical, en évitant d’offrir une alliance aux
sociaux-démocrates, et même en proclamant qu’ils trahissent
jusqu’aux intérêts contingents et immédiats des travailleurs. La
réalisation d’une action unitaire trouvera à leur poste les
communistes qui militent dans les syndicats, tout en laissant au
Parti la possibilité d’intervenir au cas où la lutte prendrait un
autre cours, dressant inévitablement contre elle les
sociaux-démocrates, et parfois même les syndicalistes et les
anarchistes. Si les autres partis prolétariens refusent de réaliser
le front unique syndical pour ces revendications, le Parti communiste
ne se contentera pas de les critiquer et de démontrer leur
complicité avec la bourgeoisie. Pour détruire leur influence, il
devra surtout participer en première ligne aux actions partielles du
prolétariat que la situation ne manquera pas de susciter et dont les
objectifs seront ceux pour lesquels le Parti communiste avait proposé
le front unique de toutes les organisations locales et de toutes les
catégories. Cela lui permettra de démontrer concrètement qu’en
s’opposant à l’extension des mouvements, les dirigeants
sociaux-démocrates en préparent la défaite (...) »
Chapitre 4
Refus de blocs, alliances, fronts entre partis
Citation 147 - La tactique de l’Internationale Communiste - 1922
« II - (...) La tactique du front
unique comme nous la
concevons ne contient au contraire pas du tout ces éléments de
renonciation de notre part. Ils demeurent seulement comme un danger
possible : nous pensons que celui-ci devient prépondérant si
la base du front unique est portée hors du champ de l’action directe
prolétarienne et de l’organisation syndicale pour envahir le champ
parlementaire et gouvernemental, et nous dirons pour quelles raisons
qui sont liées au développement logique de cette tactique.
« Le front unique prolétarien ne veut pas dire un
banal comité
mixte de représentants de divers organismes en faveur desquels les
communistes abdiquent leur indépendance et leur liberté d’action
pour la troquer contre un certain degré d’influence sur les
mouvements d’une masse plus grande que celle qui les suivrait s’ils
agissaient tout seuls. C’est bien autre chose.
« Nous proposons le front unique parce que nous
sommes sûrs que la
situation est telle que les mouvements d’ensemble de tout le
prolétariat, quand celui-ci se pose des problèmes qui n’intéressent
pas seulement une catégorie ou une localité, mais toutes, ne
peuvent se réaliser que dans un sens communiste, c’est-à-dire dans
le même sens que nous leur donnerions s’il dépendait de nous de
guider tout le prolétariat. Nous proposons la défense des intérêts
immédiats et du traitement qui est actuellement fait au prolétariat
contre les attaques du patronat, car cette défense, qui n’a jamais
été en contradiction avec nos principes révolutionnaires, ne peut
se faire qu’en préparant et en réalisant l’offensive avec tous ses
développements révolutionnaires comme nous les avions fixés à
l’avance (...)
« V - (…) L’expérience social-démocrate doit être
utilisée
dans certaines situations par les communistes, mais on ne peut
concevoir cette utilisation comme un fait subit qui surviendrait à
la fin de l’expérience, mais comme le résultat d’une critique
incessante que le Parti communiste aura développée sans cesse, et
pour laquelle une séparation précise des responsabilités
est indispensable.
« D’où notre concept que le Parti communiste ne peut
jamais
abandonner son attitude d’opposition politique à l’Etat et aux
autres partis, opposition considérée comme un élément de son
œuvre de construction des conditions subjectives de la révolution,
qui est sa raison d’être même. Un parti communiste qui se confond
avec les partis de la social-démocratie pacifiste et légalitaire
dans une campagne politique parlementaire ou gouvernementale n’assume
plus la tâche du parti communiste.
Citation 148 - Thèses de la Gauche au III Congrès du PC d’Italie (Thèses de Lyon) - 1926
« I - 3 (...) Il y a, dans la question générale de la tactique, une autre erreur qui rappelle nettement la position opportuniste classique réfutée par Marx et par Lénine. Elle consiste à prétendre qu’en cas de luttes entre classes et organisations politiques ne se plaçant pas encore sur son terrain spécifique, le parti doit choisir celle des deux forces qui est la plus favorable à l’évolution historique générale et la soutenir et s’allier avec elle plus ou moins ouvertement, sous le prétexte que les conditions de la révolution prolétarienne totale qui surviendra à la fin (et dont le parti sera le facteur, le moment venu) mûriront uniquement grâce à une évolution des formes politiques et sociales.
« Avant tout, c’est la base d’une telle politique qui fait défaut : le schéma typique, fixé dans ses moindres détails, d’une évolution sociale et politique préparant au mieux l’avènement final du communisme appartient au “marxisme” des opportunistes, c’est le fondement de la diffamation de la révolution russe et du mouvement communiste actuel par les divers Kautsky. On ne peut même pas établir d’une façon générale que les conditions les plus propices à un travail fécond du parti communiste se trouvent réalisées par certains types du régime bourgeois, les plus démocratiques par exemple. S’il est vrai que des mesures réactionnaires, de “droite”, ont arrêté plusieurs fois la marche du prolétariat, il n’est pas moins vrai, et beaucoup plus fréquent, que la politique libérale, de gauche, des gouvernements bourgeois, a souvent étouffé la lutte de classe et détourné la classe ouvrière d’entreprendre des actions décisives. Une évaluation plus exacte, vraiment conforme à la rupture du marxisme avec les sortilèges de la démocratie, l’évolutionnisme et le progressisme, montre seulement que la bourgeoisie tente d’alterner ses méthodes et ses partis de gouvernement en fonction de son intérêt contre-révolutionnaire, et qu’elle y réussit souvent. Toute notre expérience nous montre d’ailleurs que lorsque le prolétariat s’est passionné pour les péripéties de la politique bourgeoise, l’opportunisme a toujours triomphé.
« En second lieu, même s’il est vrai que certains changements de gouvernement dans le cadre du régime actuel facilitent le développement ultérieur de l’action du prolétariat, l’expérience montre à l’évidence que cela est soumis à une condition expresse : l’existence d’un parti qui ait prémuni les masses contre les désillusions qui ne manqueront pas de suivre ce qui se présentait comme un succès immédiat, et pas seulement la simple existence de ce parti, mais sa capacité d’agir, avant même le déclenchement de la lutte dont nous parlons, avec une autonomie qui saute aux yeux des prolétaires, car ils ne le suivront qu’en fonction de son attitude concrète et non pas sur la base des schémas qu’il lui serait commode d’adopter officiellement. En présence de luttes qui ne peuvent encore aboutir à la victoire prolétarienne, le parti ne se fera donc pas le gérant de transformations et de réalisations qui n’intéressent pas directement la classe qu’il représente et il ne renoncera ni à son caractère propre ni à son action autonome pour participer à une espèce de société d’assurance au bénéfice de tous les mouvements politiques soi-disant “rénovateurs” ou de tous les systèmes politiques et les gouvernements menacés par un gouvernement prétendument “pire”.
« On brandit souvent contre les exigences de cette ligne d’action la formule de Marx selon laquelle “les communistes appuient tout mouvement dirigé contre les conditions sociales existantes” ou l’argumentation de Lénine contre “la maladie infantile du communisme“. L’utilisation que l’on essaie d’en faire à l’intérieur de notre mouvement ne diffère pas, au fond, des tentatives constantes des révisionnistes et des centristes à la Bernstein ou à la Nenni de tourner les révolutionnaires marxistes en dérision au nom de Marx et de Lénine.
« Deux observations doivent être faites. Avant tout, ces positions de Marx et de Lénine ont une portée historique contingente puisqu’elles se réfèrent à l’Allemagne non encore bourgeoise en ce qui concerne Marx, et à la Russie tsariste pour l’expérience bolchevique illustrée par Lénine dans son ouvrage. Ce n’est pas sur ces seules bases que doit se fonder la solution du problème de la tactique dans des conditions classiques : prolétariat en lutte contre une bourgeoisie capitaliste pleinement développée. En second lieu, l’appui dont parle Marx (la même chose vaut pour les “compromis” dont parle Lénine, qui préférait ce terme plus par coquetterie de magnifique dialecticien marxiste qu’autre chose, lui qui reste le champion d’une intransigeance non pas formelle, mais tout entière tendue vers un but immuable) est un appui et un compromis à des mouvements encore contraints de se frayer leur voie par l’insurrection contre les formes du passé, même si cela est en contradiction avec les idéologies et la volonté éventuelles de leurs dirigeants : l’intervention du Parti communiste s’effectue donc sur le terrain de la guerre civile, ainsi qu’en témoignent les positions de Lénine dans la question des paysans et des nationalités, dans l’épisode de Kornilov et dans cent autres. Enfin, même en dehors de ces deux observations, le sens de la critique de l’ “infantilisme” par Lénine et de tous les textes marxistes sur la souplesse de la politique révolutionnaire n’est nullement en contradiction avec le fait qu’ils ont volontairement élevé une barrière contre l’opportunisme, défini par Engels puis par Lénine comme l’ “absence de principes”, c’est-à-dire comme l’oubli du but final (...) »
Citation 149 - La plate-forme politique du Parti communiste international - 1945
« 7 - La classe prolétarienne
italienne n’a aucun intérêt,
ni particulier, ni général, ni immédiat, ni historique, à appuyer
la politique des groupes et des partis, qui, profitant non de leurs
forces propres, mais de la ruine militaire du gouvernement fasciste,
exercent aujourd’hui le simulacre de pouvoir que le vainqueur en
armes a cru devoir laisser à l’appareil étatique italien. Le Parti,
expression des intérêts prolétariens, doit refuser à tous ces
groupes, non seulement sa collaboration au gouvernement, mais tout
consentement à leurs proclamations doctrinales, historiques et
politiques parlant de solidarité nationale des classes, de lutte
unifiée entre partis bourgeois et soi-disant prolétariens sur les
mots d’ordre de liberté, de démocratie et de guerre au fascisme et
au nazisme.
« Le refus du Parti à toute collaboration politique
ne concerne pas
seulement les organes du gouvernement, mais aussi les Comités de
Libération, et tout autre organisme ou combinaison similaire sur la
même base politique ou sur une quelconque base différente (…)
« 21 - Le parti prolétarien, en Italie comme dans
le monde entier,
doit se distinguer de la confrérie de tous les autres mouvements
politiques, ou mieux, des pseudo-partis d’aujourd’hui, par son
interprétation historique fondamentale du phénomène de la
démocratie et du fascisme et par son appréciation originale de
leurs rapports en tant que types d’organisation du monde moderne.
« A son origine, qui remonte environ à cent ans en
arrière, le
mouvement communiste devait et pouvait, afin d’accélérer tout
mouvement déclenché contre les conditions sociales existantes,
admettre l’alliance avec les partis démocratiques, car ceux-ci
avaient alors un rôle historique révolutionnaire. Aujourd’hui, ce
rôle est depuis longtemps épuisé, et ces mêmes partis ont une
fonction contre-révolutionnaire. Le Communisme, malgré les défaites
du prolétariat dans des batailles décisives, a accompli en tant que
mouvement des pas gigantesques.
« Sa caractéristique actuelle est d’avoir
historiquement rompu et
dénoncé (depuis que le capitalisme est devenu impérialiste ;
depuis que la première guerre mondiale a révélé la fonction
contre-révolutionnaire des démocrates et social-démocrates) toute
politique d’action parallèle, même momentanée, avec la démocratie.
Dans la situation qui succédera à la présente crise, le
Communisme, ou bien se retirera de la scène historique englouti dans
les sables mouvants de la “démocratie progressive”, ou
bien il agira et luttera tout seul.
« Le Parti révolutionnaire du prolétariat, en Italie
et dans le
monde, ne resurgira que dans la mesure où il se distinguera de tous
les autres partis, et avant tout, du faux communisme qui se réclame
du régime actuel de Moscou, dans la tactique politique. Il dénoncera
impitoyablement le défaitisme de toutes les prétendues manœuvres
de pénétration et d’encerclement qui sont présentées comme une
adhésion passagère aux objectifs des autres partis et mouvements et
que l’on justifie en promettant, dans le secret du cercle fermé des
adhérents, que ces manœuvres ne servent qu’à affaiblir et à
circonscrire l’adversaire et qu’à un certain moment, on rompra les
alliances et les ententes pour passer à l’offensive de classe. Cette
méthode s’est avérée seulement capable de conduire à la
désagrégation du Parti révolutionnaire, à l’incapacité de la
classe ouvrière à lutter pour ses propres buts et à la dispersion
de ses meilleures énergies dans une lutte qui n’assure des résultats
et des conquêtes qu’à ses ennemis.
« Comme il y a un siècle dans le Manifeste,
les
communistes dédaignent de dissimuler leurs principes et leurs buts
et déclarent ouvertement que ces buts ne pourront être atteints
qu’avec la chute violente de toutes les organisations sociales qui
ont existé jusqu’à aujourd’hui.
« On pourrait émettre l’hypothèse que dans la phase
actuelle de
l’histoire mondiale, des groupes bourgeois démocratiques conservent
un reste de fonction historique en ce qui concerne les problèmes de
la libération nationale, de la liquidation d’îlots arriérés de
féodalisme et autres résidus semblables de l’histoire. Mais même
dans ce cas, le développement d’une telle tâche ne serait pas
favorisé par l’abdication du mouvement communiste et par son
adaptation passive à ces revendications démocratiques qui ne sont
pas siennes. C’est au contraire en vertu de l’opposition implacable
des prolétaires communistes à l’apathie et à la fainéantise
irrémédiables des groupes petit-bourgeois et des partis bourgeois
de gauche, que cette tâche pourrait être développée de la manière
la plus décisive et la plus concluante, pour faire place à une
phase ultérieure de la crise bourgeoise.
« En correspondance avec ces directives qui ont une
entière valeur
sur le terrain mondial, et dans la terrible situation de dissolution
qui frappe actuellement tous les cadres sociaux, toutes les classes
et les partis, du point de vue doctrinal et pratique, le mouvement
communiste en Italie doit représenter un violent rappel et une
clarification impitoyable de la situation.
« Fascistes et antifascistes, royalistes et
républicains, libéraux
et socialistes, démocrates et catholiques, qui se stérilisent
chaque jour davantage dans des débats vides de tout sens théorique,
dans des rivalités méprisables, dans des manœuvres des marchés
répugnants, devraient ainsi recevoir un défi impitoyable qui les
obligeât tous à mettre à nu la réalité des intérêts de classe,
nationaux et étrangers, qu’ils représentent et à rendre compte de
leur tâche historique si, par aventure, ils en avaient encore une.
« Si dans la désagrégation et la fragmentation
actuelles de tous
les intérêts collectifs et de groupe, une nouvelle cristallisation
de forces politiques combattant ouvertement, est encore possible en
Italie, la renaissance du Parti prolétarien révolutionnaire pourra
alors déterminer une situation nouvelle.
« Lorsque ce mouvement, qui sera le seul à proclamer
ses buts
maxima de classe, son totalitarisme de parti et l’âpreté des
limites qui le séparent des autres, aura tourné la boussole
politique dans la direction du nord révolutionnaire, tous les autres
seront obligés de reconnaître la voie qui est la leur (...) »
Citation 150 - Nature, fonction et tactique du Parti révolutionnaire de la classe ouvrière - 1947
« L’expérience pratique des crises opportunistes et des luttes conduites par les groupes marxistes de gauche contre les révisionnistes de la II Internationale et contre les déviations progressives de la III Internationale a montré qu’on ne peut conserver intacts le programme, la tradition politique et la solidité d’organisation du parti si celui-ci applique une tactique qui, ne serait-ce que dans la forme, comporte des attitudes et des mots d’ordre acceptables par les mouvements politiques opportunistes.
« De même, tout flottement, tout relâchement dans le domaine doctrinal trouve son reflet dans une tactique et une action opportunistes.
« Par conséquent, le parti se distingue de tous les autres, ennemis déclarés ou prétendus cousins, et même de ceux qui prétendent recruter leurs adhérents dans les rangs de la classe ouvrière, en ce que sa praxis politique rejette les manœuvres, les combinaisons, les alliances, les blocs qui se forment traditionnellement sur la base de postulats et de mots d’ordre contingents communs à plusieurs partis.
« Cette position du parti a une valeur essentiellement historique, et elle le distingue dans le domaine tactique de tous les autres, au même titre que son appréciation originale de la période que traverse actuellement la société capitaliste.
« Le parti révolutionnaire de classe est le seul à comprendre que les postulats économiques, sociaux et politiques du libéralisme et de la démocratie sont aujourd’hui anti-historiques, illusoires et réactionnaires, et que le monde en est à la phase où, dans les grands pays, l’organisation libérale disparaît et cède la place au système fasciste, plus moderne.
« Par contre, dans la période où la classe capitaliste n’avait pas amorcé son cycle libéral et devait encore renverser le vieux pouvoir féodal, ou même lorsque certaines phases essentielles de son expansion – encore libérale dans le domaine économique, et démocratique dans celui du pouvoir d’Etat – restaient encore à parcourir dans des pays importants, une alliance transitoire des communistes était compréhensible et admissible : dans le premier cas, avec des partis qui étaient ouvertement révolutionnaires, anti-légalitaires et organisés pour la lutte armée, et dans le second avec des partis qui assumaient encore un rôle assurant des conditions utiles et réellement “progressives” pour que le régime capitaliste avance plus rapidement sur le chemin qui doit le conduire à sa chute.
« Ce changement de tactique des communistes correspond donc au passage d’une période historique à une autre ; il ne peut être émietté dans une casuistique locale et nationale, ni aller se perdre dans l’analyse des incertitudes complexes que comporte indubitablement le cycle historique du capitalisme, sous peine d’aboutir à la pratique fustigée par Lénine dans Un pas en avant deux pas en arrière.
« La politique du parti prolétarien est avant tout internationale (et cela le distingue de tous les autres) depuis que, pour la première fois, son programme a été formulé et qu’est apparue l’exigence historique de son organisation effective. Comme le dit le Manifeste, les communistes, en appuyant tout mouvement révolutionnaire contre l’ordre social et politique existant, mettent en avant et font valoir, en même temps que la question de la propriété, les intérêts communs à tout le prolétariat, qui sont indépendants de la nationalité.
« Tant qu’elle ne fut pas dévoyée par le stalinisme, la stratégie révolutionnaire des communistes inspira une tactique internationale visant à enfoncer le front bourgeois dans le pays où apparaissent les meilleures possibilités, en mobilisant dans ce but toutes les ressources du mouvement.
« Par conséquent, la tactique des alliances insurrectionnelles contre les vieux régimes se termine historiquement avec le grand fait révolutionnaire de la révolution russe qui élimina le dernier appareil étatique et militaire imposant de caractère non capitaliste.
« Après cette phase, la possibilité, même théorique, de tactique des blocs doit être formellement et centralement dénoncée par le mouvement révolutionnaire international.
« L’importance excessive donnée, durant les premières années de vie de la III Internationale, à l’application de la tactique russe aux pays à régime bourgeois stable, et aussi à ceux extra-européens et coloniaux, fut la première manifestation de la réapparition du péril révisionniste.
« La seconde guerre impérialiste et ses conséquences, déjà évidentes, se caractérisent par l’influence prépondérante, étendue à toutes les aires du monde, même celles où subsistent les formes les plus arriérées de société indigène, non pas tant des puissantes formes économiques capitalistes, que du contrôle politique et militaire inexorable qu’exercent les grandes centrales impériales du capitalisme – pour l’instant rassemblées dans une gigantesque coalition qui inclut l’Etat russe.
« En conséquence, les tactiques locales ne peuvent être que des aspects de la stratégie révolutionnaire générale, qui doit avant tout restaurer la clarté programmatique du parti prolétarien mondial, puis tisser à nouveau le réseau de son organisation dans chaque pays.
« Cette lutte se développe dans une ambiance où triomphent les illusions et les séductions de l’opportunisme : la propagande en faveur de la croisade pour la liberté contre le fascisme dans le domaine idéologique, et dans la pratique politique les coalitions, les blocs, les fusions et les revendications illusoires présentées de concert par les directions des innombrables partis, groupes et mouvements.
« Proclamer que l’histoire a rejeté irrévocablement la pratique des accords entre partis, qu’il s’agit là d’une directive essentielle et fondamentale et non pas d’une simple réaction contingente aux saturnales opportunistes et aux combinaisons acrobatiques des politiciens, est le seul moyen pour que les masses prolétariennes comprennent la nécessité de la reconstruction du parti révolutionnaire fondamentalement différent de tous les autres.
« Même pour des phases transitoires, aucun des mouvements auxquels participe le parti ne doit être dirigé par un super-parti ou par un organisme supérieur coiffant un groupe de partis affiliés.
« Dans la phase historique moderne de la politique mondiale, les masses prolétariennes ne pourront se mobiliser de nouveau pour des buts révolutionnaires qu’en réalisant leur unité de classe autour d’un parti unique et compact dans la théorie, dans l’action, dans la préparation de l’assaut insurrectionnel, dans la gestion du pouvoir.
« Toute manifestation, même limitée, du parti
doit faire
apparaître aux masses que cette solution historique constitue le
seul moyen de s’opposer victorieusement au renforcement international
de la domination économique et politique de la bourgeoisie et de sa
capacité – non définitive, mais grandissante aujourd’hui – de
maîtriser les contradictions et les convulsions qui menacent
l’existence de son régime ».
Chapitre 5
Totalitarisme
Citation 151 - Plate-forme politique du Parti communiste international - 1945
« 4 - La position politique centrale
du Parti Communiste
Internationaliste dans tous les pays ne sera pas d’attendre, de
pousser et de revendiquer par l’agitation, la reconstitution de
l’organisation libérale et démocratique de la bourgeoisie, propre à
la période dépassée d’un équilibre social transitoire. Ceci avait
déjà été établi pour la période de guerre et durant la lutte
apparente des régimes bourgeois qui se définissaient comme
démocratique contre les formes fascistes de gouvernement
capitaliste. Cela s’applique également à l’actuelle période
d’après-guerre, dans laquelle les Etats vainqueurs hériteront et
adopteront la même politique fasciste après une conversion plus ou
moins habile et plus ou moins brusque de leur propagande.
« Le Parti repousse donc toute collaboration avec
des partis
bourgeois et pseudo-prolétariens qui brandissent le postulat faux et
trompeur de la substitution de régimes de « véritable »
démocratie au fascisme.
« Cette politique est avant tout illusoire parce que
pour tout le
temps de sa survivance le monde capitaliste ne pourra plus
s’organiser dans des formes libérales, mais s’orientera toujours
plus, dans les différents pays, vers de monstrueuses unités
étatiques, armées d’une police de classe toujours plus forte et
exprimant impitoyablement la concentration économique du
patronat ;
cette politique est en second lieu défaitiste, parce que (même si
des formes démocratiques pouvaient encore avoir dans quelques
secteurs secondaires du monde moderne une brève survivance) elle
sacrifie à la poursuite de ce postulat démocratique les
caractéristiques vitales de beaucoup les plus importantes du
mouvement, en ce qui concerne la doctrine, l’autonomie
organisationnelle de classe, et la tactique capable de préparer et
d’aplanir le chemin de la lutte révolutionnaire finale, but
essentiel du Parti ; en troisième lieu elle est
contre-révolutionnaire, en ce qu’elle accrédite aux yeux du
prolétariat des idéologies, des groupes sociaux et des partis, dont
la substance est le scepticisme et l’impuissance à rejoindre les
buts de cette démocratie qu’ils professent dans l’abstrait ;
dont la seule fonction et le seul but (correspondant pleinement à
ceux des mouvements fascistes) est de conjurer à n’importe quel prix
la marche indépendante et l’assaut direct des masses exploitées aux
fondements économiques et juridique du système bourgeois ».
Citation 152 - Les perspectives de l’après-guerre en relation avec la plate-forme du parti - 1946
« (...) Ainsi les conclusions
auxquelles peut parvenir une
critique marxiste, libre des influences et dégénérescences
opportunistes depuis l’aube du conflit aujourd’hui terminé, sur la
vacuité et l’inconsistance du matériel d’agitation utilisé par les
démocraties bourgeoises et le faux Etat prolétarien russe, et avec
eux par tous les mouvements qui s’en inspiraient et le soutenaient,
apparaissent aujourd’hui faciles et banales après la terrible
désillusion subie par les masses qui dans une large mesure avaient
cru en ces déclarations. La thèse que la guerre contre les Etats
fascistes et la victoire de leurs adversaires n’auraient pas ranimé
les idylles dépassées et stériles du libéralisme et de la
démocratie bourgeoise, mais auraient signé l’affirmation mondiale
du mode d’existence moderne du capitalisme, qui est monopoliste,
impérialiste, totalitaire et dictatorial, est aujourd’hui une thèse
accessible à tout le monde ; mais cinq ou six années en
arrière elle aurait pu être énoncée et défendue seulement par
les groupes d’avant-garde révolutionnaire restés strictement
fidèles aux lignes historiques de la méthode de Marx et de Lénine.
« La force du Parti politique de classe du
prolétariat doit surgir
de l’efficience de ces anticipations, qui concernent dans le même
temps la critique et le combat, et de la confirmation qu’elles
proviennent du déroulement des faits et non du jeu des compromis,
des accords, des blocs dont vit la politique parlementaire et
bourgeoise.
« Le nouveau Parti de classe International surgira
avec une
véritable efficacité historique, et offrira aux masses
prolétariennes la possibilité d’une rescousse, uniquement s’il
sait engager toutes ses attitudes futures selon une ligne de fer en
cohérence avec les précédentes batailles classistes et
révolutionnaires.
« Par conséquent, même en attribuant une importante
maximale à la
critique des positions erronées que les partis soi-disant
socialistes et communistes ont données, durant la guerre, à leur
interprétation des événements, à leur propagande, et à leur
comportement tactique, et en revendiquant celle qui aurait dû être
la restauration d’une vision politique classiste dans la période de
guerre, le Parti doit aujourd’hui tracer également les lignes
interprétatives et tactiques correspondant à la situation de la
soi-disant paix qui a succédé à l’arrêt des hostilités (...) »
« La future guerre comme croisade
anti-totalitaire - (…)
Ici aussi on voudra prouver aux prolétaires que le régime de la
liberté parlementaire est une conquête qui les intéresse, un
patrimoine historique qu’ils risquent de perdre et qui est menacé,
comme hier par l’impérialisme teutonique ou nippon, demain par celui
de Moscou.
« Face à cette propagande et à l’invocation du front
unique de
guerre au nom de la liberté, auquel adhéreront, parmi mille nuances
petite-bourgeoises, les socialistes du type II Internationale (qui
pendant la trêve temporaire deviendront anti-russes comme ils le
furent pour d’autres motifs à l’époque de Lénine), de nombreux
arnarchisants, les divers démocrate sociaux à fond bigot et
confessionnel qui infestent tous les pays, le Parti prolétarien de
classe répondra par l’opposition la plus résolue à la guerre, par
la dénonciation de ses propagandistes, et, partout où il pourra,
par la lutte directe de classe établie sur celle de l’avant-garde
révolutionnaire dans tous les pays.
« Et ceci en cohérence avec l’évaluation spécifique
et critique
du développement de la phase historique présente selon laquelle,
tandis que le régime russe n’est pas un régime prolétarien,
et l’Etat de Moscou est devenu un des secteurs de l’impérialisme
capitaliste, sa forme centralisée et totalitaire apparaît
cependant plus moderne que celle dépassée et agonisante de
la démocratie parlementaire ; et la restauration
anachronique de la démocratie à la place des régimes totalitaires
à l’intérieur des limites du devenir capitaliste, n’est pas un
postulat que le prolétariat doit défendre.
« Ce postulat est d’ailleurs contraire au chemin
historique général,
et n’est pas réalisé dans les guerres impérialistes par le
victoire militaire des Etats qui s’en font les partisans ».
Citation 153 - Le cycle historique de la domination politique de la bourgeoisie - 1947
« (...) Puisque, au fur et à mesure qu’augmentait le potentiel de la production industrielle, croissait le nombre d’armées du travail, la conscience critique du prolétariat se précisait, et ses organisations se renforçaient, la classe bourgeoise dominante, parallèlement aux transformation de sa praxis économique de libérale en interventionniste, a la nécessité d’abandonner sa méthode de tolérance apparente aux idées et aux organisations politiques pour une méthode de gouvernement autoritaire et totalitaire ; et c’est là que se trouve le sens général de l’époque actuelle. La nouvelle direction de l’administration bourgeoise du monde fait levier sur le fait indéniable que toutes les activités humaines, en raison de l’effet même des progrès de la science et de la technique, se déroulent par l’autonomisme des initiatives isolées, propre aux sociétés moins modernes et complexes, vers l’institution de réseaux de plus en plus étroits de rapports et de dépendances dans tous les domaines, qui graduellement couvrent le monde entier.
« L’initiative privée a accompli des prodiges et battu des records depuis les audacieux premiers navigateurs jusqu’aux entreprises téméraires et féroces des colonisateurs des régions les plus lointaines du monde. Mais maintenant il cède le pas face à la prédominance des formidables entrelacements d’activités coordonnées dans la production des marchandises, dans leur distribution, dans la gestion des services collectifs, dans la recherche scientifique dans tous les domaines.
« Une autonomie d’initiatives dans la société qui dispose de la navigation aérienne, des radio-communications, du cinéma, de la télévision, toutes ces découvertes étant d’application exclusivement sociale, est impensable.
« Par conséquent, la politique de gouvernement de la classe dominante, depuis plusieurs décennies dans cette partie et avec un rythme toujours plus décisif, évolue également vers des formes de contrôle strict, de direction unitaire, d’organisation hiérarchique fortement centralisée. Ce stade et cette forme politique moderne, superstructure qui naît du phénomène économique, monopoliste et impérialiste prévu par Lénine depuis 1916 avec l’affirmation que les formes politiques de la phase capitaliste la plus récente ne peuvent exercer que la tyrannie et l’oppression, cette phase qui tend à remplacer généralement dans le monde moderne celle du libéralisme démocratique classique, ne peut être autre chose que le fascisme.
« Confondre la naissance de cette nouvelle forme politique imposée par les temps, conséquence et condition inévitable de la survie du système capitaliste d ’oppression face à l’érosion de ses contrastes internes avec un retour réactionnaire des forces sociales des classes féodales, qui menacent de remplacer les formes démocratiques bourgeoises par une restauration des despotismes de l’ « ancien régime », est une énorme erreur scientifique et historique ; alors que la bourgeoisie a mis depuis des siècles hors combat et anéanti dans la plus grande partie du monde ces forces sociales féodales.
« Quiconque ressent tant soit peu l’effet d’une telle interprétation et en suit tant soit peu les suggestions et les préoccupations est en dehors du champ et de la politique communiste.
« La nouvelle forme par laquelle le capitalisme bourgeois administrera le monde, jusqu’au moment où la révolution du prolétariat le renversera, fait son apparition selon un processus qui n’est pas déchiffré par les banales et scolastiques méthodes du critique philistin.
« Les marxistes n’ont jamais tenu compte de l’objection selon laquelle le premier exemple de pouvoir prolétarien doit être donné par un pays industriel avancé et non par la Russie tsariste et féodale, dans la mesure où l’alternance des cycles de classe est un fait international et le jeu de forces à l’échelle mondiale, qui se manifeste localement là où concourent les conditions historiques favorables (guerres, défaites, survie excessive de régimes décrépis, bonne organisation du Parti révolutionnaire, etc.).
« On doit encore moins s’étonner quand les manifestations du passage du libéralisme au fascisme peuvent présenter dialectiquement chez chaque peuple les successions les plus variées, puisqu’il s’agit d’un passage moins radical dans lequel la classe dominante ne change pas mais seulement la forme de sa domination.
« Le fascisme peut donc se définir du point de vue économique comme une tentative d’auto-contrôle et d’auto-limitation du capitalisme tendant à freiner par une discipline centralisée les pointes les plus alarmantes des phénomènes économiques qui conduisent à rendre incurables les contradictions du système.
« On peut définir d’un point de vue social la tentative de la bourgeoisie, née avec la philosophie et la psychologie de l’autonomisme absolu et de l’individualisme, de se donner une conscience collective de classe, et d’opposer ses rangs et encadrements politiques et militaires aux forces de classe prolétariennes qui la menacent.
« Politiquement, le fascisme constitue le stade dans lequel la classe dominante dénonce comme inutiles les schémas de la tolérance libérale, proclame la méthode du gouvernement d’un seul parti, et liquide les vieilles hiérarchies de serviteurs du capital trop gangrenés par l’usage des méthodes de la tromperie démocratique.
« Idéologiquement, enfin, le fascisme (et avec ceci il se révèle ne pas être non seulement une révolution, mais non plus une ressource historique, universelle et sûre, de la contre-révolution bourgeoise) ne renonce pas, parce qu’il ne peut le faire, à déployer une mythologie de valeurs universelles et, tout en les ayant dialectiquement renversées, fait siens les postulats libéraux de la collaboration des classes, parle de nation et non de classe, proclame l’équivalence juridique des individus, veut faire gober le fait que son organisation étatique repose sur toute la collectivité sociale (...)
« Comme Lénine l’a établi, dans le diagnostic économique, celui qui s’illusionne sur le fait que le capitalisme monopoliste et étatique puisse rétrograder au capitalisme libéral des premières formes classiques, est un réactionnaire ; de même aujourd’hui il est clair qu’est également réactionnaire celui qui évoque le mirage d’une réaffirmation de la politique libérale démocratique opposée à celle de la dictature fasciste, avec laquelle, à un certain point de l’évolution, les forces bourgeoises écrasent par une tactique frontale les organisations autonomes de classe du prolétariat.
« La doctrine du parti prolétarien doit poser comme son point cardinal la condamnation de la thèse selon laquelle, face à la phase politique fasciste de la domination bourgeoise, doit être donnée le mot d ’ordre de retour au système parlementaire démocratique de gouvernement, tandis qu’à l’opposé la perspective révolutionnaire affirme que la phase totalitaire bourgeoise épuise rapidement sa tâche et se soumet à l’irruption révolutionnaire de la classe ouvrière, laquelle, loin de pleurer sur la fin sans remède des libertés bourgeoises mensongères, en vient à écraser par la force la Liberté de posséder, d’opprimer et d’exploiter, bannière du monde bourgeois, depuis sa naissance héroïque dans les flammes de la révolution anti-féodale puis son devenir dans la phase pacifiste de la tolérance libérale, jusqu’à ce qu’elle jette impitoyablement le masque dans la bataille finale pour la défense des institutions, du privilège et de l’exploitation patronale.
« La guerre en cours a été perdue par les fascistes, mais gagnée par le fascisme. Malgré l’emploi à une très vaste échelle des boniments démocratiques, le monde capitaliste, ayant sauvé, même dans cette terrible crise, l’intégrité et la continuité historique de ses plus puissantes unités étatiques, réalisera un effort grandiose ultérieur pour dominer les forces qui le menacent, et il réalisera un système toujours plus serré de contrôle des processus économiques et d’immobilisation de l’autonomie de tout mouvement social et politique menaçant de troubler l’ordre constitué. Comme les vainqueurs légitimistes de Napoléon durent hériter de l’organisation sociale et juridique du nouveau régime français, les vainqueurs des fascistes et des nazis, dans un processus plus ou moins bref et plus ou moins clair, reconnaîtront par leurs actes, tout en la niant par des proclamations idéologiques vides, la nécessité d’administrer le monde, terriblement bouleversé par la seconde guerre impérialiste, avec des méthodes autoritaires et totalitaires qui furent expérimentées en premier dans les Etats vaincus.
« Cette vérité fondamentale, plus qu’être le résultat d’analyses critiques difficiles et apparemment paradoxales, se manifeste chaque jour qui passe dans le travail d’organisation pour le contrôle économique, social, politique du monde.
« La bourgeoisie, autrefois individualiste, nationale, libérale, isolationniste, tient ses congrès mondiaux et, comme la Sainte Alliance tenta d’arrêter la Révolution bourgeoise par une internationale de l’absolutisme, aujourd’hui aussi le monde capitaliste tente de fonder son Internationale, qui ne pourra être que centraliste et totalitaire.
« Réussira-t-elle sa tâche essentielle qui, sous le couvert d’une répression de la renaissance du fascisme, est au contraire en fait et de façon de plus en plus manifeste celle de réprimer et de briser la force révolutionnaire de l’Internationale du prolétariat? »
Citation 154 - Tendances et socialisme - 1947
« (…) Le réformisme gradualiste n’est cependant pas mort en une telle phase puisque le capitalisme lui-même avait besoin de lui. Le capitalisme des dernières décennies a présenté des caractéristiques bien connues, et a été analysé dans l’ Impérialisme de Lénine.
« Ces nouvelles formes économiques de liaison, de monopole et de planification l’ont conduit à des formes sociales et politiques nouvelles. La bourgeoisie s’est organisée non seulement comme classe politique mais aussi comme classe sociale ; elle a, de plus, projeté d’organiser elle-même le mouvement prolétarien en l’insérant dans son Etat et dans ses plans, et comme contre-partie elle a mis dans ses programmes la gamme des réformes invoquées depuis longtemps par les chefs gradualistes du prolétariat. Ainsi la bourgeoisie, devenue fasciste, corporatiste, nationale-socialiste, a jeté plus ou moins totalement par dessus bord le système fondé sur la liberté individuelle et la démocratie électorale, système qui lui avait été indispensable lors de son avènement historique, qui était son oxygène mais qui n’était nullement une concession aux classes qu’elles dominaient et exploitaient, ni un milieu utile pour l’action de ces dernières (...)
« Le mouvement communiste en Italie, vigoureux, indépendant, clair dans la théorie et dans la tactique, a pu devenir esclave du totalitarisme soviétique qui intrigue et préoccupe tant Saragat (4) et ses associés de l’Initiative, en le déviant de ses positions programmatiques pour obéir à la consigne stupide de lutte pour la liberté en Italie. La liberté, dans son sens moderne, ne sert plus à la bourgeoisie qui se modernise et avance dans l’histoire en resserrant toujours plus les mailles qui étreignent ses individus, ses entreprises, ses initiatives en chaque coin de la terre. Elle d’est débarrassée de son arme, désormais inutile, de la liberté individuelle, et elle a empoigné notre arme, celle des révolutionnaires prolétariens, la socialité, le classisme, l’organisation, en nous l’arrachant des mains. Notre réponse ne peut pas consister à ramasser son arme usée et émoussée et à livrer avec celle-ci une lutte aussi insensée et désespérée que celle de la petite boutique contre l’usine mécanisée, que celle de la pirogue contre la canonnière ou de la torpille humaine contre la bombe atomique (...)
« Dans tous les cas, la supériorité historique relative de la version soviétique est dans son totalitarisme, progressiste, parce que planificateur et favorisant la centralisation, avec des pointes brillantes de rendement technique, et parce qu’il n’est pas embarrassé de scrupules sur les tolérances libérales. Et alors pourquoi donc s’offenser de l’épithète de totalitaire, pourquoi prêcher une démocratie à usage externe et la déclarer progressiste ? La raison est purement démagogique, c’est la course à qui exploitera le mieux l’élan de la campagne commune – la plus grande tromperie de l’histoire humaine – contre le monstre fasciste, modèle de ses vainqueurs.
« La clé qui permet de remettre tous ces messieurs à leur place est donc simple ; la succession n’est pas : fascisme, démocratie, socialisme – elle est au contraire : démocratie, fascisme, dictature du prolétariat ».
Citation 155 - Le cours historique du mouvement de classe du prolétariat - 1947
« (…) Le capitalisme, au stade impérialiste, comme il cherche à dominer avec un réseau central de contrôle ses contradictions économiques et à coordonner dans un énorme appareil étatique le contrôle de tous les faits sociaux et politiques, modifie ainsi son action vis à vis des organisations ouvrières. Dans un premier temps, la bourgeoisie les avait condamnées ; dans un second temps, elle les avait autorisées et laissées croître ; dans un troisième temps, elle comprend qu’elle ne peut ni les supprimer, ni les laisser se développer sur une plate-forme autonome, et se propose de les encadrer par n’importe quel moyen dans son appareil d’Etat, dans cette appareil qui, exclusivement politique au début du cycle, devient à l’époque de l’impérialisme un appareil politique et économique en même temps, transformant l’Etat des capitalistes et des patrons en Etat-capitaliste et Etat-patron. Dans ce vaste système bureaucratique se créent des postes de prison dorée pour les chefs du mouvement prolétarien. Au travers de mille formes d’arbitres sociaux, d’institutions d’assistance, d’organismes avec des fonctions apparentes d’équilibre entre les classes, les dirigeants du mouvement ouvrier cessent de s’appuyer sur des forces autonomes, et vont être absorbés dans la bureaucratie de l’Etat (…)
« Le mouvement d’organisation économique du prolétariat se verra emprisonné, exactement de la même façon inaugurée par le fascisme, c’est-à-dire avec une tendance à la reconnaissance juridique des syndicats, ce qui signifie leur transformation en organes de l’Etat bourgeois. Il deviendra évident que le plan d’anéantissement du mouvement ouvrier, propre au révisionnisme réformiste (labourisme en Angleterre, économisme en Russie, syndicalisme pur en France, syndicalisme réformiste à la Cabrini-Bonomi et ensuite Rigola-D’Aragona en Italie) coïncide en substance avec celui du syndicalisme fasciste, du corporatisme de Mussolini, et du national-socialisme de Hitler. La seule différence est que la première méthode correspond à une phase où la bourgeoisie pense seulement à se défendre contre le danger révolutionnaire, la seconde à la phase où, en raison de l’augmentation de la pression prolétarienne, la bourgeoisie passe à l’offensive. Dans aucun de ces deux cas elle avoue faire un travail de classe, mais elle proclame toujours vouloir satisfaire certaines exigences économiques des travailleurs, et vouloir réaliser une collaboration de classe (…)
« Au lieu d’un monde de liberté, la guerre aura amené un monde où l’oppression est plus grande. Quand le nouveau système fasciste, apporté par la phase impérialiste la plus récente de l’économie bourgeoise, lança son chantage politique et son défi militaire aux pays où le mensonge passéiste libéral pouvait encore circuler, survivant d’une phase historique dépassée, ce défi ne laissait au libéralisme agonisant aucune alternative favorable : ou les Etats fascistes auraient gagné la guerre ou leurs adversaires l’auraient gagnée, mais à condition d’adopter la méthodologie politique du fascisme. Aucun conflit entre les deux idéologies ou entre deux conceptions de la vie sociale, mais le processus nécessaire de l’arrivée de la nouvelle forme du monde bourgeois, plus accentuée, plus totalitaire, plus autoritaire, plus déterminée à n’importe quel effort pour sa conservation et contre la révolution (…)
« Face à cette nouvelle construction du
monde capitaliste, le mouvement des classe prolétariennes pourra
réagir seulement s’il comprend qu’on ne peut ni ne doit regretter le
stade terminé de la tolérance libérale, de l’indépendance
souveraine des petites nations, mais que l’histoire offre une seule
voie pour éliminer toutes les exploitations, toutes les tyrannies et
les oppressions ; et cette voie est celle de l’action
révolutionnaire de classe, qui dans chaque pays, dominateur ou
vassal, place les classes des travailleurs contre la bourgeoisie
locale, dans une complète autonomie de pensée, d’organisation,
d’attitudes politiques et d’actions de combat, et unit, par delà les
frontières de tous les pays, en paix et en guerre, dans des
situations considérées comme normales ou exceptionnelles, les
forces des travailleurs du monde entier en un seul organisme, dont
l’action ne s’arrêtera pas tant que les institutions du capitalisme
ne seront pas complètement détruites ».
Chapitre 6
Électionnisme-Abstentionnisme - Aucune solidarité avec la défense de la démocratie
Citation 156 - Thèses de la Gauche au III Congrès du PC d’Italie (Thèses de Lyon) - 1926
« III, 2 - Orientation politique de la Gauche communiste (...) Dès la fin de la guerre, l’extrême-gauche s’exprima par le journal Il Soviet qui, le premier, exposa et défendit l’orientation de la révolution russe en luttant contre ses interprétations anti-marxistes, opportunistes, syndicalistes et anarchisantes, et posa correctement les problèmes essentiels de la dictature du prolétariat et du rôle du parti, en soutenant dès le début la nécessité d’une scission dans le parti socialiste.
« Ce même groupe défendait l’abstentionnisme électoral, mais ses conclusions furent repoussées au II Congrès de l’Internationale. Toutefois, cet abstentionnisme ne dérivait pas d’erreurs théoriques anti-marxistes de type anarcho-syndicaliste comme le prouvent les sévères polémiques menées contre la presse anarchiste. La tactique abstentionniste était préconisée avant tout dans les conditions politiques de la démocratie parlementaire complète, car celle-ci crée des difficultés particulières à la conquête des masses à la juste compréhension du mot d’ordre de dictature du prolétariat, difficultés que l’Internationale continue, croyons-nous, de sous-estimer.
« D’autre part, l’abstentionnisme était proposé en fonction de l’imminence de grandes luttes mettant en mouvement les plus grandes masses du prolétariat (éventualité qui a malheureusement disparu aujourd’hui), et non pas comme une tactique valable partout et toujours.
« Avec les élections de 1919, le gouvernement bourgeois de Nitti ouvrit une immense soupape à la pression révolutionnaire, et détourna la poussée du prolétariat et l’attention du parti en exploitant ses traditions d’électoralisme effréné. L’abstentionnisme du Soviet fut alors la seule réaction juste contre les véritables causes du désastre qui suivit pour le prolétariat.
« Au Congrès de Bologne (octobre 1919), la minorité abstentionniste fut seule à poser correctement le problème de la scission avec les réformistes ; elle tenta en vain de s’entendre sur ce point avec une partie des maximalistes, en renonçant pour cela à faire de l’abstentionnisme une question préalable. Après l’échec de cette tentative et jusqu’au II Congrès, la fraction abstentionniste fut la seule qui travailla à l’échelle nationale pour la formation du parti communiste.
« Ce fut donc ce groupe qui représenta l’adhésion spontanée, à partir de son expérience et de ses traditions propres, de la gauche du prolétariat italien aux directives de Lénine et du bolchevisme qui triomphaient alors dans la révolution russe ».
Citation 157 - Plate-forme du Parti Communiste International - 1945
« 17 - La substitution de la république à la monarchie ne représente pas une solution au brûlant problème social qui se pose en Italie ; de la même manière, on ne peut pas non plus considérer comme telle la convocation d’une Assemblée représentative élue à pouvoirs constituants. Tout d’abord, l’influence d’une telle Assemblée aurait des limites très restreintes : car après les forces militaires d’occupation, les forces armées (définies et disposées à l’avance par l’organisation de paix qui suivra le conflit actuel et entrera en vigueur dans les Etat satellites) resteront en permanence sur le territoire où cette Assemblée devrait exercer une pleine souveraineté. De toute façon, quelle que puisse être la tactique du Parti, la future constitution de l’Etat italien sera dictée par les vainqueurs et ne résultera aucunement de la consultation des citoyens. La liste des membres de l’Assemblée sera établie dans les coulisses par l’intrigue et des compromis politiques ; elle devra non seulement s’inspirer des principes programmatiques de celui-ci, mais encore proclamer ouvertement qu’en aucun cas la consultation électorale ne peut offrir aux classes exploitées la possibilité d’exprimer réellement leurs besoins et leurs intérêts et encore moins de consister en la gestion du pouvoir politique.
« Le Parti se distinguera de tous les autres partis italiens du moment, tout d’abord parce qu’il ne se portera pas sur le marché des combines et des coalitions électorales ; ensuite, parce qu’il repoussera par principe et a priori, cette position d’abdication (que les autres partis soutiendront) selon laquelle le programme politique à réaliser et à accepter sans résistance ultérieure serait celui qui prévaudra au sein de la majorité numérique de l’Assemblée et qui est encore inconnu ; enfin parce que, à l’encontre de ces partis, dans l’hypothèse abstraite (mais pratiquement certaine) où la victoire électorale laisserait survivre les institutions fondamentales du capitalisme, sous la forme constitutionnelle actuelle, le Parti – tout en n’étant qu’une minorité du point de vue démocratique – continuera sa lutte pour abattre du dehors ces institutions.
« Seule la conjoncture historique et le rapport de forces (et non l’autorité des majorités constitutionnelles) détermineront la portée de cette lutte qui, suivant les possibilités de la dynamique de classe, va de la critique théorique à la propagande d’opposition politique, à l’agitation anti-capitaliste incessante et jusqu’à l’assaut révolutionnaire armé.
« Le Parti dénoncera surtout comme contre-révolutionnaire tout mouvement qui, en vue d’une agitation plus facile et de succès électoraux, déclare utile de simuler à l’avance une obéissance à la souveraine validité de la consultation parlementaire, et prétend être capable de passer de cette politique équivoque (que l’on a bien souvent expérimentée dans l’histoire et qui chaque fois a entraîné la corruption et le désarmement des énergies révolutionnaires) à une attaque contre le régime établi.
« Dans les élections locales, le Parti ne doit pas, pour des intérêts contingents, s’écarter de l’objectif général qui consiste à se distinguer de toutes les autres et à assumer la responsabilité et la position des forces prolétariennes et à poursuivre d’une manière conséquente l’agitation de ses revendications historiques générales.
« Dans des phases plus mûres de la situation, qui ne peuvent visiblement se développer qu’en étroite connexion avec la situation des différents pays d’Europe, le Parti se prépare et prépare les masses à la constitution des Soviets, à la fois organes représentatifs sur une base de classe et organes de lutte, et à l’élimination de tout droit de représentation pour les classes économiquement exploiteuses.
« En ce qui concerne la construction des organismes prolétariens de toute nature, d’avant et d’après la Révolution, le Parti ne fait aucune distinction entre les travailleurs des deux sexes. Le problème du vote de la femme dans le régime représentatif actuel est pour le Parti un problème secondaire ; il ne peut en effet être posé en dehors du terrain critique où l’exercice du droit de vote apparaît comme une pure fiction juridique dans un milieu ou l’inégalité économique crée des assujettissements insurmontables : un de ceux-ci est l’assujettissement du sexe féminin, dont l’émancipation n’est concevable que dans une économie qui ne sera pas de type personnel et familial ».
Citation 158 - Les perspectives de l’après-guerre en relation avec la Plate-forme du Parti - 1946
« (...) L’opposition marxiste au futur opportunisme de guerre. L’attitude préconisée par notre mouvement, dans la future troisième guerre impérialiste possible, est donc celle de refuser et de repousser, dans les deux camps de la grande lutte, tout mot d’ordre ayant le caractère de “défensisme” (5) (terme déjà bien connu et adopté par Lénine dans la bataille critique et politique contre l’opportunisme du premier cycle 1914-18) et contre tout “intermédisme”, terme que nous utilisons pour qualifier la prétention d’indiquer comme objectif principal et préalable de la force et des efforts du prolétariat révolutionnaire, non pas d’abattre ses oppresseurs de classe, mais de réaliser certaines conditions dans les modes d’organisation de la société actuelle qui lui offriraient un terrain plus favorable aux conquêtes ultérieures.
« L’aspect “défensiste” de l’opportunisme consiste dans l’assertion que la classe ouvrière, dans l’actuel ordre social, tout en étant la classe que celles supérieures dominent et exploitent, court mille fois le danger de voir empirer de façon générale ses conditions si certaines caractéristiques de l’ordre social actuel sont menacées.
« Nous avons ainsi vu des dizaines de fois les hiérarchies défaitistes du prolétariat l’appeler à abandonner la lutte classiste et accourir, coalisé avec d’autres forces sociales et politiques sur le terrain national ou mondial, pour défendre les postulats les plus divers : la liberté, la démocratie, le système représentatif, la patrie, l’indépendance nationale, le pacifisme unitaire, etc, etc, jetant ainsi par dessus bord les thèses marxistes selon lesquelles le prolétariat, seule classe révolutionnaire, considère toutes ces formes du monde bourgeois comme les meilleures armures dont le privilège capitaliste se revêt tour à tour, et sait qu’il n’a rien à perdre que ses chaînes dans la lutte révolutionnaire. Ce prolétariat, transformé en gestionnaire de patrimoines historiques précieux, en sauveur des idéaux perdus de la politique bourgeoise, est celui que l’opportunisme “défensiste” a consigné, encore plus misérable et esclave qu’avant, à ses ennemis de classe dans la crise ruineuse survenue durant la première et la seconde guerre impérialiste.
« La corruption opportuniste en prenant l’aspect de l’ “intermédisme” se présente non plus seulement sous le caractère négatif de la protection d’avantages dont la classe ouvrière jouissait et qu’elle pourrait perdre, mais sous l’aspect plus suggestif de conquêtes préliminaires qu’elle pourrait réaliser – avec évidemment l’aide complaisante et généreuse de la partie la plus moderne et la plus évoluée de la bourgeoisie et de ses partis – en se plaçant sur des positions qui lui permettront de faire un bond pour atteindre ses plus grandes conquêtes. L’ “intermédisme” triompha sous mille formes, en se précipitant toujours dans la méthode de la collaboration de classe, de la guerre révolutionnaire à laquelle Mussolini appelait les socialistes italiens en 1914, à l’insurrection partisane et à la démocratie progressive, que les transfuges de la III Internationale ont créées durant la guerre récente comme succédané à la lutte révolutionnaire et à la dictature du prolétariat, et pire encore en masquant ce trafic de principes par l’application de la tactique élastique qu’ils attribuent à Lénine. On trouve des formes non différentes de cette méthode dans les expressions peu compréhensibles et vides de contenu d’ “Europe prolétarienne”, d’ “Etats Unis du monde” et autres substituts équivoques du postulat programmatique central de Marx et de Lénine pour la conquête armée de tout le pouvoir politique par le prolétariat.
« En conclusion, lors de la future fracture possible du front impérialiste mondial, le mouvement politique révolutionnaire ouvrier pourra s’affirmer, résister et repartir pour une insurrection historique seulement s’il sait éviter les deux pièges de l’opportunisme “défensiste” pour lesquels le prolétariat devrait brûler toutes ses munitions : d’un côté du front pour le salut de la liberté représentatif des démocraties occidentales, de l’autre pour le salut du pouvoir prolétarien et communiste russe. De la même façon la condition pour la reprise classiste sera d’avoir une répulsion analogue vis-à-vis de tout “intermédisme” qui veut tromper les masses en leur indiquant la voie pour leur rédemption révolutionnaire ultérieure, d’un côté du front vers l’affirmation de la méthode du gouvernement parlementaire contre le totalitarisme moscovite, de l’autre dans l’extension du régime pseudo-soviétique aux pays du capitalisme de l’Ouest (...) »
Citation 159 - Après la garibaldade - 1948 (6)
« (...) Si d’autre part ils avaient gagné, ni Barberousse ni moustache grise (7) ne seraient descendus en Italie. Ce ne sont pas les décomptes de votes qui déterminent les situations, mais les facteurs économiques qui se concrétisent dans des positions de pouvoir, dans les contrôles inéluctables sur la production et la consommation, dans des polices organisées et payées, dans des flottes croisant le fer pour leurs maîtres.
« Toute personne élue au gouvernement de la république n’aurait eu d’autre choix que de démissionner, ou se mettre au service des forces capitalistes mondiales qui manient l’état vassal italien. Quant à faire du “sabotage”, c’est une autre illusion sur ce qui est le rôle de porte-drapeau parlementaire. Ce sont les sphères de l’affairisme bourgeois et des hautes magistratures civiles et militaires qui peuvent saboter ceux qui sont à leur merci, les politicards à portefeuille, et non vice versa.
« Le mécanisme électoral est maintenant tombé dans le domaine inexorable du conformisme et de la soumission des masses à l’influence des centres à haut potentiel, comme les grains de limaille de fer s’inclinent docilement le long des lignes de force du champ magnétique. L’électeur n’est pas lié à une confession idéologique, ni une organisation de parti, mais à la suggestion du pouvoir, et dans l’isoloir il ne résout certainement pas les grands problèmes de l’histoire et de la science sociale, mais quatre vingt dix neuf fois sur cent le seul qui est à son portée: qui va gagner? Il en est ainsi pour le joueur de Sisal (8) ; et, plus, celui qui n’a aucune compétence en la matière du jeu et cache ses propres sympathies intimes, y parvient le mieux.
« Ce problème ardu qui consiste à deviner qui est le plus fort, est abordé par le candidat par rapport au gouvernement, le gouvernant par rapport à la scène internationale. L’électeur l’aborde par rapport au candidat qu’il choisit ; il cherche, mais n’apporte pas, un soutien personnel dans la lutte difficile de tous les jours.
« Si cela avait été connu, De Gasperi qui obtint le 17 avril 50 pour cent des voix, en aurait eu 90 pour cent. On parvenait à ceci avec la dialectique des frontistes, et tout argument sérieux était dépassé et galvaudé face à cet énorme : Nous vaincrons! (Et nous pourrons payer, avec l’argent de Pantalone (9), des coursiers, des hommes de main, et de gracieux acolytes “indépendants”). Mussolini ne disait pas autre chose ; De Gasperi l’a dit et il le fait sans retenue.
« Toutes les politiques et les tactiques des adversaires des démocrates-chrétiens ont été défaitistes. La longue pratique de l’opportunisme des dirigeants de ces organisations dites de masse a conduit à une situation où n’est plus insérable une avancée progressive, dans la lutte sur le terrain des élections, d’un parti qui a un programme et une attitude d’opposition de principe et qui proclame aux électeurs le rejet de l’illusion que les classes exploitées peuvent tout de même arriver au pouvoir par voie démocratique.
« Aujourd’hui l’électionnisme n’est concevable que sur la base de la promesse du pouvoir, de bribes de pouvoir (...) »
Citation 160 - Thèses caractéristiques du Parti (Thèses de Florence) - 1951
« III, 17. b) Seconde vague opportuniste:1914 (...) En fait, il s’agissait de la réalisation pleine et entière du grand moment historique prévu par le marxisme et par lui seul, et caractérisé par deux phénomènes : d’une part la concentration économique qui, mettant en évidence le caractère social et mondial de la production capitaliste, poussait celle-ci à unifier son mécanisme propre, et d’autre part les conséquences politiques et de guerre sociale qui dérivaient de l’affrontement final entre les classes attendu par le marxisme, mais dont les caractères correspondaient à une situation où la pression exercée par le prolétariat restait toutefois inférieure au potentiel de défense de l’Etat capitaliste de classe.
« Les chefs de l’Internationale, au contraire, firent une grossière confusion historique avec la période de Kérensky en Russie, confusion qui non seulement constituait une grave erreur d’interprétation théorique, mais qui entraîna un véritable bouleversement de tactique. On établit pour le prolétariat et les partis communistes une stratégie de défense et de conservation des conditions existantes, en leur conseillant de former un front avec tous les groupes bourgeois moins aguerris et perspicaces (et par là-même, de bien piètres alliés), qui soutenaient qu’il fallait garantir aux ouvriers certains avantages immédiats et ne pas priver les classes populaires de leurs droits d’association, de vote, etc. L’Internationale ne comprit pas que le fascisme ou le national-socialisme n’avaient rien à voir avec une tentative de retour à des formes despotiques et féodales de gouvernement, ni avec une victoire de prétendues couches bourgeoises de droite opposées à la classe capitaliste plus avancée de la grande industrie, ou avec une tentative de gouvernement autonome de classes intermédiaires entre le patronat et le prolétariat. Elle ne comprit pas davantage que, se libérant du masque répugnant du parlementarisme, le fascisme héritait par contre en plein du réformisme social pseudo-marxiste, et assurait aux ouvriers et autres classes moins favorisées non seulement un minimum vital, mais une série de progrès sociaux et mesures d’assistance, grâce à un certain nombre de mesures et d’interventions de l’Etat de classe effectuées dans l’intérêt de la conservation du capitalisme. L’Internationale donna donc le mot d’ordre de la lutte pour la liberté, qui dès 1926 fut imposé au parti italien par le président de l’Internationale. Pourtant la presque totalité de ses militants voulaient mener contre le fascisme, au pouvoir depuis quatre ans, une politique autonome de classe, et non celle de bloc avec tous les partis démocratiques et même monarchistes et catholiques pour le retour des garanties constitutionnelles et parlementaires. Dès cette époque, les communistes italiens auraient voulu qu’on dénonçât ouvertement le contenu réel de l’antifascisme de tous les partis moyens-bourgeois, petits-bourgeois et pseudo-prolétariens ; et c’est en vain que, dès cette époque, ils avertirent l’Internationale que la voie qu’elle empruntait (et qui devait aboutir aux Comités de Libération Nationale pendant la deuxième guerre mondiale) était celle de la dégénérescence, et conduirait au naufrage de toutes les énergies révolutionnaires.
« La politique du Parti communiste est par nature offensive, et en aucun cas il ne doit lutter pour une conservation illusoire de conditions propres au régime capitaliste. Si, dans la période antérieure à 1871, le prolétariat avait à lutter aux côtés des forces bourgeoises, ce n’était pas pour que celles-ci puissent conserver des positions établies ou éviter la chute de formes historiques acquises, mais pour qu’elles puissent au contraire détruire et dépasser des formes historiques antérieures. Dans la lutte économique quotidienne comme dans la politique générale et mondiale, la classe prolétarienne n’a rien à perdre et donc rien à défendre : l’attaque et la conquête, telles sont ses seules tâches. En conséquence, le parti révolutionnaire doit avant tout reconnaître dans l’apparition de formes concentrées, unitaires et totalitaires du capitalisme, la confirmation de sa doctrine, et donc sa victoire idéologique intégrale. Il ne doit donc se préoccuper que du rapport de forces réel pour la préparation à la guerre civile révolutionnaire, rapport que seules les vagues successives de dégénérescence opportuniste et gradualiste ont jusqu’ici rendu défavorable. Il doit faire tout son possible pour déclencher l’attaque finale et, lorsqu’il ne le peut pas, il doit affronter la défaite, mais jamais il ne doit lancer un vade retro Satanas lâche et défaitiste, qui reviendrait à implorer stupidement la tolérance ou le pardon de l’ennemi de classe ».
« IV, 12. Notre parti n’est pas une filiation de la fraction abstentionniste du Parti Socialiste Italien, bien que celle-ci ait joué un rôle prépondérant dans le mouvement jusqu’à la fondation du Parti Communiste d’Italie à Livourne en 1921. L’opposition de la Gauche dans le Parti Communiste d’Italie et dans l’Internationale Communiste n’était pas fondée sur l’abstentionnisme, mais sur d’autres questions de fond. Avec le développement de l’Etat capitaliste qui prendra ouvertement la forme de dictature de classe que le marxisme a découverte en lui dès le début, le parlementarisme perd peu à peu de son importance. Même là où elles semblent survivre, les institutions parlementaires élues des bourgeoisies traditionnelles se vident de plus de leur contenu, ne subsistant qu’à l’état de phraséologie ; et dans les moments de crise sociale elles laissent voir au grand jour la forme dictatoriale de l’Etat en tant que dernière instance du capitalisme, contre laquelle doit s’exercer la violence du prolétariat révolutionnaire. Cet état de choses et les rapports de force actuels subsistant, le parti se désintéresse donc des élections démocratiques de toute sorte et ne déploie pas son activité dans ce domaine ».
Citation 161 - Le cadavre chemine encore - 1953
« (...) Il est donc clair que pour
Lénine d’alors puis dans
les débats ultérieurs et les thèses sur le parlementarisme du II
Congrès peu de temps après, le principal problème est
l’élimination des social-pacifistes du parti prolétarien, et la
question de savoir si ce dernier doit participer aux élections est
secondaire.
« Mais pour nous
aujourd’hui, ce que nous soutenions à l’époque, est aussi
évident :
que la seule voie pour parvenir au transfert des forces sur le
terrain révolutionnaire consistait en un énorme effort pour
liquider immédiatement après la fin de la guerre, le terrible
attrait pour la démocratie et les élections, qui avait déjà
célébré un trop grand nombre de saturnales.
« La tactique voulue par
Moscou fut suivie par le parti de Livourne avec discipline et
engagement. Mais malheureusement, la subordination de la révolution
aux exigences délétères de la démocratie était désormais en
cours au niveau international et au niveau local, et le point de
rencontre léniniste des deux problèmes, ainsi que leur poids
relatif, devinrent insoutenables. Le système parlementaire est comme
un engrenage qui vous broie inexorablement dès que vous y mettez un
pied. Son emploi soutenu par Lénine à une époque «réactionnaire »
était proposable ; mais au moment d’une possible attaque
révolutionnaire, c’est une manœuvre dans laquelle la
contre-révolution bourgeoise gagne trop facilement la partie. Dans
différentes situations et fréquemment au cours du temps, l’histoire
a démontré qu’on ne peut trouver de meilleure dérivatif à la
révolution que l’électoralisme (...)
« Si nous rappelons
encore une fois ces étapes, c’est pour établir le lien étroit qui
existe entre toute affirmation d’électoralisme, de parlementarisme,
de démocratie et de liberté, et une défaite, un pas en arrière,
du potentiel prolétarien de classe (...)
« La même chose doit
être dite de la “bataille historique” contre la “loi
arnaque”. L’élection est non seulement en soi une arnaque, mais
elle l’est d’autant plus quand elle prétend donner une parité de
poids à chaque vote personnel. Toute la tambouille (10)
en Italie est faite par quelques milliers de cuisiniers, marmitons et
plongeurs, qui moutonnent en lots approximatifs (11)
les vingt millions d’électeurs.
« Si le Parlement servait
à administrer techniquement quelque chose et pas seulement à abêtir
les citoyens, sur les cinq années de sa vie maximale, il n’en
dédierait pas une aux élections et une autre à discuter la loi à
se constituer lui-même! (...) »
Citation 162 - La révolution anticapitaliste occidentale - 1953
« 12 - (…) Il ne sera possible de dépasser cette situation que sous tous les aspects suivants : démonstration qu’il n’y a pas de construction du socialisme en Russie ; que l’Etat russe, s’il combat, ce ne sera pas pour le socialisme, mais pour des rivalités impériales ; démonstration surtout qu’en Occident les buts démocratiques, populaires et progressistes, non seulement n’ont aucun intérêt pour la classe des travailleurs, mais reviennent à consolider un capitalisme en putréfaction ».
Citation 163 - La structure économique et sociale de la Russie d’aujourd’hui et l’étape... - 1959
« Facile dérision - (…) avec la même source puisée bien derrière nous, nous arrivons au point de porter un affront à l’actuelle superstition de la méthode du décompte des opinions personnelles égales en poids, et nous donnons le même titre de charlatan à celui qui l’emploie à l’échelle de la société, de la classe, et même du parti ; parce que ce misérable ou filou parle de classe et de parti comme de forces qui transforment la société mais il les pense comme des singeries de cette même société démocrate-bourgeoise et de son sale bourbier dont il ne pourra jamais se désengluer ».
SOMMAIRE
Conclusion
Ce long travail, comme cela a été dit dans l’introduction, est destiné aux camarades du parti et constitue un rappel des conceptions fondamentales sur lesquelles le parti s’est reconstitué dans le second après-guerre et sur lesquelles il doit continuer à se placer sous peine de dégénérer et de périr. Il constitue en même temps un exposé de la ligne de pensée et d’action sur lequel entend continuer à se placer sans en démordre le groupe qui a été l’objet d’une « expulsion » en novembre 1973 par l’organisation.
Puisqu’à la base des scissions organisatives doivent se trouver des divergences de positions, nous avons voulu exposer dans un travail systématique, et en dehors de toute polémique et toute accusation, les positions qui sont les positions caractéristiques de la Gauche Communiste depuis cinquante ans, en les tirant non de nos « opinions » mais de nos textes fondamentaux, de tout ce que le parti a affirmé et écrit au cours de sa longue et laborieuse vie.
Nous ne voulons de « dialogues » avec personne. Nous voulons que l’organisation militante, qui s’honore du nom de Parti Communiste International, revendique en 1974 clairement comme siennes ces positions, qui seules constituent la ligne de continuité à laquelle tous, chefs et militants de base, doivent se tenir. C’est sur la base de l’énonciation nette de positions qu’on s’en va ou qu’on reste, qu’on s’y unit ou s’en sépare. Nous n’avons pas pu exprimer « nos » positions d’une autre façon qu’en reportant des citations de nos textes fondamentaux sur une ligne continue allant de 1920 à 1970.
Si tout ce qui est écrit dans les pages précédentes est la base sur laquelle se place et agit l’organisation actuelle, nous n’avons aucune raison de rester séparés et nos bras sont à la disposition de l’organisation. Si tel n’était pas le cas, et si tout ce qui a été écrit constitue pour celui qui milite sous l’enseigne du Programme Communiste une « espèce d’étang dans lequel pataugent des oies », cela veut dire que l’histoire met à l’ordre du jour la défense et la réaffirmation de ces positions par une voie différente de celle de l’actuelle formation organisée dans la mesure où elle affirme et défend d’autres positions qui divergent de cette voie. S’il en est ainsi, la scission organisative est pleinement justifiée, car nous n’entendons d’aucune façon abandonner la fidélité aux positions auxquelles nous avons donné notre adhésion une fois pour toute, quand nous sommes entrés dans le parti. Et nous affirmons que dans le parti n’y demeure que ceux qui sont fidèles à ces positions, en sort ceux qui les abandonnent, les mystifient, les oublient. Nous appelons tous les camarades à ces considérations. Il n’y a rien d’autre à ajouter.