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En cette triste période où la guerre sévit en Europe entre la Russie et l’Ukraine et aiguise les relents nationalistes, il est encore nécessaire de démonter l’éternel débat entre guerre d’agression et guerre de défense qui dans le passé a conduit aux terribles trahisons des partis prolétariens et à la négation de la lutte de classes, pourtant devenue désormais internationale.
Dans un contexte de "guerre froide" entre l’URSS et les USA des années 1950, l’État américain, principale organisation capitaliste du monde, est désigné par notre parti comme le plus "dangereux" pour la lutte de classe. Ses interventions dans les guerres européennes de 1917 et de 1942 constituent en effet la concentration d’une immense force militaire et destructrice pour un centre de défense du régime de classe, le régime capitaliste, et la « construction des conditions optimales pour étouffer la révolution des travailleurs dans n’importe quel pays ». Il y est même envisagé la possibilité de la vassalité de la Russie, ce que les évènements actuels semblent désormais exclure. Et pour faire la guerre, il y est déjà affirmé que ce ne sont plus les compétences militaires qui comptent, mais le capital et les moyens de production.
Ainsi, durant la deuxième guerre mondiale l’on estimait que la plus mauvaise des situations serait la victoire de l’impérialisme anglo-américain ; ce qui a été amplement confirmé par la suite. Au sortir de la guerre, la production industrielle des États-Unis représentait la moitié de la production industrielle mondiale. Aucun État, pas même l’URSS, ne pouvait rivaliser avec lui. Sa victoire garantissait une stabilité de la société bourgeoise et une accumulation du capital pour des décennies. Et l’histoire nous a donné raison : à l’ombre de l’impérialisme américain, les capitalismes japonais et européen se sont épanouis et la "prospérité" liée à l’accumulation du capital a assuré une paix sociale et un abrutissement de prolétariat qui durent encore aujourd’hui. Ni l’Allemagne, ni le Japon avaient, à eux deux réunis, la puissance industrielle pour assurer une telle stabilité à l’ordre bourgeois.
Les "Trente glorieuses" se caractérisèrent, entre autres, par le démantèlement des empires coloniaux anglais et français, avec le réveil des peuples de couleur conquis à leur tour par le capitalisme, que l’impérialisme américain, qui se développait à grandes enjambées, se paya le luxe de favoriser, et par la guerre froide avec l’URSS qui voulait tenir tête à l’Amérique.
Aujourd’hui les États-Unis sont une puissance déclinante et la Russie est devenue une puissance secondaire. Grâce, entre autres, aux énormes flux de capitaux américain, japonais et européen qui sont allés s’y investir, la Chine est devenue la nouvelle superpuissance qui rivalise avec les États-Unis. L’impérialisme chinois, méthodiquement se prépare à un affrontement militaire avec les États-Unis, en vue, non seulement d’un repartage du Monde en sa faveur, mais aussi en vue de se substituer à l’Amérique pour prendre sa place comme nouveau maître du Monde, tout comme les États-Unis, au cours de la première moitié du XX siècle ont supplanté l’Angleterre.
La Russie qui a dégringolé du rang de superpuissance à celui de puissance secondaire, ne peut que s’aligner sur les États-Unis ou sur la Chine.
Cet article nous apparaît comme une prédiction de la
situation actuelle où manquerait l’autre grand monstre
capitaliste qu’est la Chine.
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Le texte du 1949
Guerres de défense et guerres d’agression, cette distinction fit l’objet d’une grande polémique lors de l’éclatement du conflit européen en 1914, eu égard à l’attitude des socialistes.
Pour les bien-pensants, il s’agit d’une question simple, comme d’habitude. Gouvernement, État, Patrie, Nation, Race, sans être trop subtils, sont assimilés à un sujet unique doté de raison, de tort, de droit et de devoir, car tout se réduit à la Personne Humaine, et à la petite doctrine de son comportement, tirée soit de la morale chrétienne, soit du droit naturel, soit du sens inné de la justice et de l’équité, et, en parlant en termes plus sophistiqués, de l’éthique de l’impératif catégorique. Ainsi, de même que l’homme juste, étranger au mal, s’il est attaqué, se défend contre l’agresseur - en laissant de côté pour un instant la question de l’autre joue - de même le Peuple attaqué a le droit de se défendre, la guerre est une chose barbare mais la défense de la patrie est sacrée, tout citoyen doit se prononcer démocratiquement pour la paix et contre les guerres, mais dès l’instant où son pays est attaqué, il doit se précipiter pour se défendre contre l’envahisseur! Ceci vaut pour l’individu, ceci vaut pour la Nation faite Personne, ceci vaut donc aussi pour les partis, à leur tour vus et traités comme des sujets personnifiés dans leurs obligations, ceci vaut pour les classes.
Le résultat a été la trahison générale du socialisme, le bellicisme sur tous les fronts et le triomphe du militarisme dans toutes les langues. Et il est tout aussi évident qu’il n’y a pas eu de guerre que l’État et le gouvernement qui l’ont menée n’ont pas qualifiée de défensive.
La polémique marxiste s’est naturellement développée en déblayant le terrain de toutes ces personnes fantomatiques à une tête, à plusieurs têtes ou sans tête, ou avec la tête d’un autre sur les épaules, remettant à leur place le caractère et la fonction de ces organismes que sont les classes, les partis, les États, qui ont leur propre dynamique historique pour démontrer que les bons principes moraux ne servent à rien.
On répliqua aux bourgeois que les prolétaires n’ont pas de patrie et que le parti prolétarien poursuit ses buts avec la rupture des fronts internes, à laquelle les guerres peuvent offrir d’excellentes occasions ; qu’il ne voit pas le développement historique dans la grandeur ou le salut des nations ; que dans les congrès internationaux il s’est déjà engagé à briser tous les fronts de guerre, en commençant là où il le pouvait le mieux.
Les falsificateurs du marxisme se sont dispersés dans une longue lutte, pas seulement verbale, et, de diverses manières et dans diverses langues, ils ont essayé de démolir la théorie selon laquelle le prolétariat ne peut se constituer en classe nationale, en premier lieu, qu’en exerçant sa dictature contre la bourgeoisie écrasée, comme l’enseigna Marx, et ils l’ont remplacée par l’autre théorie, éhontée, selon laquelle le prolétariat et son parti n’acquièrent un caractère national que lorsque la démocratie politique et le libéralisme ont été mis en œuvre.
On a longuement montré combien sont différents les problèmes des conséquences que les guerres, leur déroulement et leur dénouement ont sur les vicissitudes internes et mondiales de la lutte de classe socialiste et sur le comportement du parti socialiste dans les pays en guerre, car la condition pour toute exploitation des conditions nouvelles ou de la nouvelle fragilité des régimes est la continuité, l’autonomie, la fière opposition de classe, la disposition théorique et matérielle du parti révolutionnaire à la guerre sociale intérieure.
Une fois niée toute adhésion à la guerre des États ou des gouvernements, toute distinction entre les guerres de défense ou d’offensive s’effondre, de même que toute excuse tirée de telles distinctions tortueuses pour justifier le passage des socialistes sur les fronts de l’union nationale.
D’autre part, la vacuité des comparaisons avec la bagarre entre deux personnes réside dans la portée différente des concepts d’agression et d’invasion. Même les deux morveux de la rixe prennent soin de brailler qu’il était le premier, mais lorsque l’intégrité du territoire est invoquée, l’affaire est bien différente. Dans les guerres d’autrefois, et dans une large mesure pendant la Première Guerre mondiale, la guerre menaçait la sécurité de l’individu en tant que soldat envoyé au combat, mais le risque de mort pour le civil éloigné du front était pratiquement nul. Si, par contre, un territoire était envahi par l’armée adverse, on avait l’habituel tableau de la destruction des biens, des maisons, des foyers, des familles, de la violence contre les femmes et les sans-défense, etc. tout un matériel de propagande qui était largement utilisé pour attirer les partis socialistes dans le guet-apens. Même le travailleur qui ne possédait rien, disait-on, qui était prêt à se battre pour des objectifs de classe, a quelque chose à perdre et voit ses intérêts vitaux menacés dans un sens matériel et immédiat si une armée ennemie envahit la ville ou la campagne où il vit et travaille. Il doit donc se précipiter pour chasser l’envahisseur. Une thèse littérairement solide. Nous en sommes à la défense organisée dans le château de l’Innomé contre les Lansquenets (1) pillards, nous en sommes aux paroles de la Marseillaise : ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes…
En réponse à tant de fadaises, les marxistes ont établi cent fois que, sans renoncer en aucune façon à l’évaluation critique et historique des traits distinctifs entre guerre et guerre dans leurs répercussions sur le développement des luttes sociales et sur les crises révolutionnaires, toutes ces raisons pour justifier la guerre, utilisées pour trouver de la chair à canon et disperser les mouvements et les partis qui encombrent la route du militarisme, sont inconsistantes et se détruisent mutuellement. Le prétexte hyper-usé de l’agression et celui non moins hyper-usé de l’invasion peuvent être opposés. Un État peut prendre l’initiative de la guerre mais, en cas de revers militaire, la défaite peut rapidement exposer ses territoires à l’envahisseur, comme dans la théorie togliatienne3 déjà mentionnée de la poursuite de l’agresseur.
Non moins contradictoires sont les autres fameux prétextes tirés des revendications nationales et irrédentistes, et ceux que beaucoup de marxistes sérieux alignèrent pour justifier le soutien aux guerres coloniales, qui servaient à répandre dans les pays " barbares " les caractéristiques de l’économie capitaliste moderne. La guerre anglo-boer de 1899-900 était une agression flagrante, les colons boers de race hollandaise défendaient leur patrie, leur liberté nationale et leur territoire violé, mais les travaillistes réussirent à justifier l’entreprise britannique comme étant progressive. En mai 1915, l’agression de l’Italie contre son ancien allié autrichien était une agression flagrante, mais ils l’ont justifiée - les divers sociaux-traîtres - en invoquant la libération de Trente et de Trieste et la "guerre pour la démocratie", sans être gênés par le fait que, de l’autre côté, l’Autriche-Hongrie était aux prises avec les armées du Tsar.
Un cas classique est rapporté dans le très intéressant livre de Bertram D. Wolfe "Three who made a revolution", véritable mine de données historiques, avec toutes les réserves sur les positions propres à l’auteur. Le 6 février 1904, les Japonais, à la façon de Pearl Harbour, attaquent et liquident la flotte russe devant Port Arthur sans déclaration de guerre. Une agression flagrante. Après un long siège sur terre et sur mer, la citadelle tombe en janvier 1905. Jour de deuil noir pour le patriotisme russe. Dans le "Vperiód" du 4 janvier 1905, Lénine écrit des phrases comme celles-ci :
« Le prolétariat a toutes les raisons de se réjouir... Ce n’est pas le peuple russe mais l’absolutisme qui a subi une défaite honteuse : la capitulation de Port Arthur est le prologue de la capitulation du tsarisme. La guerre est loin d’être terminée, mais sa poursuite soulève à chaque pas l’irrépressible ferment et l’indignation des masses russes, et nous rapproche du moment d’une nouvelle grande guerre, la guerre du peuple contre l’absolutisme ».
Toute la question mérite une analyse plus approfondie si nous voulons clarifier l’ensemble des problèmes relatifs aux relations historiques entre l’absolutisme, la bourgeoisie et le prolétariat, en dénouant au moyen de la dialectique marxiste la prétendue contradiction que l’auteur cité plus haut voit entre les temps historiques de la doctrine et de l’œuvre léninistes - il suffit pour l’instant de remarquer que l’écrit de l’exilé isolé vivait du contenu même de la gigantesque bataille révolutionnaire russe de 1905, qui a surgi de la défaite nationale quelques mois plus tard.
« Quarante ans passent et le 2 septembre 1945, le Japon, battu par les Américains avec les bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki, capitule sans conditions. Bien que la Russie n’ait déclaré la guerre aux Japonais qu’à la dernière heure, le maréchal Staline envoie une Adresse de victoire, qui dit textuellement ceci : "La défaite des troupes russes pendant la guerre russo-japonaise a laissé un souvenir douloureux dans l’esprit de nos peuples. C’était une tâche sombre sur notre pays. Notre peuple avait la foi et attendait le jour où le Japon serait défait et la tâche effacée. Nous, de l’ancienne génération, avons attendu ce jour pendant quarante ans. Et maintenant ce jour est arrivé! ».
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L’histoire suggestive des adhésions aux guerres fournit ainsi des arguments décisifs à l’appui du défaitisme révolutionnaire de Lénine, de la règle tactique selon laquelle les partis prolétariens ne peuvent dans ce domaine admettre la moindre concession, sans mettre la classe ouvrière à la merci des manœuvres des États militaires. Il suffira à ces États de créer l’irréparable par un bref télégramme, pour que soit affirmé le danger pour la nation, son sol et son honneur, et toute sensibilité à de tels arguments sera la ruine du mouvement de classe national et international. Lorsque l’agression italienne de 1915 conduisit, avec la défaite de Caporetto, à l’invasion, l’opposition méritoire des socialistes italiens fut ébranlée par le cri de Turati : « La patrie est sur le Grappa! » alors que son frère intellectuel Trèves avait osé avertir : « Plus un autre hiver dans les tranchées! ».
De plus, les États bourgeois et les partis gouvernementaux forgèrent la théorie des espaces vitaux, de l’invasion préventive, de la guerre préventive, en la motivant par des arguments de salut national. Des raisons qui ne sont pas sans consistance historique réelle, mais qui ne devraient pas ébranler les révolutionnaires, tout comme ils ne devraient pas être émus par les raisons de défense et de liberté des plus candides et innocents gouvernements capitalistes – s’il y en a. La guerre de 1914 elle-même, présentée comme une agression teutonne, était une guerre préventive britannique. Chaque gouvernement voit où il veut ses intérêts et ses espaces vitaux; c’est un jeu de plusieurs siècles que l’Angleterre a utilisé pour avoir ses frontières sur le Rhin et le Pô, et ce jeu aurait sauvé la Liberté de nombreuses fois, tandis que l’aurait offensée à mort la prétention d’Hitler d’avoir des frontières vitales au-delà des Sudètes et Dantzig... à quelques kilomètres à l’extérieur ou même à quelques kilomètres à l’intérieur de l’ineffable chef-d’œuvre démocratique versaillais du couloir polonais.
Les guerres peuvent se transformer en révolutions à condition que, quelle que soit leur appréciation sur elles, ce que les marxistes ne renoncent pas à faire, survive en chaque pays le noyau du mouvement révolutionnaire international de classe, complètement détaché de la politique des gouvernements et des mouvements des États-majors militaires, qui ne met aucune réserve théorique et tactique d’aucune sorte entre lui et les possibilités de défaitisme et de sabotage contre la classe dominante en guerre, c’est-à-dire contre ses organisations politiques étatiques et militaires.
Dans le numéro précédent de cette revue4, nous avons précisé que ce défaitisme proclamé n’est pas un grand scandale, puisque tous nos adversaires, qu’ils soient révolutionnaires autoproclamés ou d’authentiques bourgeois, l’ont, dans des cas et des lieux divers, exalté et appliqué. Sauf que dans tous ces cas, le contenu dialectique du défaitisme n’est pas la conquête révolutionnaire d’un nouveau régime de classe, mais un simple changement des états-majors politiques dans le cadre de l’ordre bourgeois en vigueur. Les défaitistes de ce genre se risquent beaucoup en paroles mais peu de leur peau pour le seul motif qu’un régime donné ne tombera que s’il est vaincu dans la guerre, et que ce n’est que s’il tombe qu’il leur ouvrira la voie au succès personnel et aux positions de pouvoir. Il leur suffit de peu de chose - et ce sont les mêmes gentilshommes aux motivations patriotiques, nationales, libérales et démocratiques - pour approuver le fait que le pays et sa population au sens matériel, et conformément à la technologie de la guerre moderne, soient écrasés par des bombardements destructeurs et déchirés par toutes les manifestations irréparables de la guerre et de l’occupation militaire.
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Ceci étant dit pour la énième fois, voyons quel genre de guerre serait l’éventuelle prochaine guerre de l’Amérique, une guerre pour laquelle d’immenses crédits militaires sont votés, des réunions d’états-majors sont organisées, des ordres de préparation et des directives stratégiques sont donnés à des pays étrangers et lointains. Elle pourrait s’avérer être la plus noble des guerres à en croire les arguments littéraires louangeurs, elle pourrait réussir à avoir des figures encore plus noires que celles des Cecco Beppe5, des Guillaume, des Benito, des Adolf, des Tojo6, d’un Nicolas, ressuscité avec eux, avec ses mains dégoulinantes de sang, mais elle n’inciterait pas les marxistes révolutionnaires à avancer des paroles d’atténuation de la lutte anti-bourgeoise et anti-étatique où que ce soit.
Cela n’enlève pas le droit d’analyser cette guerre et de la définir comme l’exploit d’agression, d’invasion, d’oppression et d’asservissement le plus criant de toute l’histoire. Il ne s’agit pas seulement d’une guerre possible et hypothétique, car elle est déjà en cours, cette entreprise étant étroitement liée aux interventions dans les guerres européennes de 1917 et de 1942, et constituant fondamentalement le couronnement de la concentration d’une force militaire immense et destructrice en un centre suprême de domination et de défense du régime de classe actuel, le régime capitaliste, et la construction des conditions optimales pour étouffer la révolution des travailleurs dans n’importe quel pays.
Un tel processus pourrait se développer même sans une guerre au sens plein du terme entre les États-Unis et la Russie, si la vassalité de cette dernière pouvait être assurée, au lieu de recourir à des moyens militaires et à une véritable campagne de destruction et d’occupation, par la pression des forces économiques prépondérantes de la principale organisation capitaliste du monde – peut-être demain l’État unique anglo-américain dont on parle déjà – qu’un compromis par lequel l’organisation dirigeante russe serait achetée au prix fort ; et Staline aurait déjà précisé le chiffre de deux milliards de dollars.
Il n’en reste pas moins que les intimidations de ces agresseurs historiques européens, qui se sont damnés pour une province ou une ville à portée de canon, sont risibles face à l’impudence avec laquelle on discute publiquement – et il est facile de prévoir de quel genre seront les plans secrets – si la sécurité de New York et de San Francisco sera défendue sur le Rhin ou l’Elbe, les Alpes ou les Pyrénées. L’espace vital des conquérants américains est une bande qui fait le tour de la terre ; c’est le point final d’une méthode qui a commencé avec Ésope lorsque le loup a dit à l’agneau qu’il brouillait son eau en buvant en aval. Blanc, noir et jaune, aucun d’entre nous ne peut avaler une gorgée d’eau sans brouiller les cocktails servis aux rois de la camorra ploutocratique dans les boîtes de nuit des États.
Lorsque les régiments américains ont débarqué la première fois en France, les techniciens militaires ont ri et les états-majors anglo-français les ont suppliés de leur rendre les quelques portions du front occidental qu’ils avaient cédées, si on ne voulait pas voir Guillaume à Paris immédiatement. Les boys, ivres à l’époque et aujourd’hui, auraient pu répondre qu’il n’y avait pas de quoi se moquer, et aujourd’hui nous voyons les souris vertes d’un militarisme qui surpasse ceux de notre histoire plurimillénaire. Ce sont l’argent, les capitaux et les moyens de production qui comptent pour faire la guerre ; les compétences militaires et le courage sont des marchandises en vente sur le marché mondial riche en super-escrocs et en super-idiots.
Ils se sont vantés alors d’une première victoire, ont froncé le nez en ayant du abandonner leur isolationnisme dans le sillage des Britanniques, et se sont retirés après avoir dessiné une Europe plus absurde que celle que Tamerlan ou Omar Pacha auraient dessinée s’ils l’avaient faite. Vingt ans de paix ont suffi pour la préparation, et la consécration à la super statue de la Liberté, d’une super-flotte, d’une super-aviation et d’une super-armée. Au service de la super agression.
Dans l’intervalle, les colons du Far West ont également nettoyé leur alphabet et même étudié l’histoire, sans renoncer au confort ineffable d’être sans histoire. Lors du deuxième débarquement en Normandie, on ne sait pas si c’est Clark ou un autre officier, qui a prononcé la phrase sensationnelle : "Nous voici, Lafayette!", en se rendant sur la tombe du général français qui a combattu pour l’indépendance américaine. En d’autres termes, nous sommes venus pour rendre la politesse et libérer la France.
En fait, tout comme Moscou enseigne dans ses manuels d’histoire que Vladimir Ulianov, connu sous le nom de Lénine, a demandé et obtenu du tsar Nicolas le droit de former un corps de volontaires pour défendre la Mandchourie contre les Japonais, on enseignera à Washington comment le Français Lafayette, dans l’alliance de toutes les forces démocratiques du monde dirigée par l’Angleterre libre, a combattu pour libérer l’Amérique du Nord, jusqu’alors une colonie opprimée par les Allemands, qui depuis lors ont essayé de l’attaquer et de la reconquérir dans toutes les guerres. Et dans une prochaine édition, les manuels yankees pourront même parler d’une lutte pour l’émancipation coloniale contre le conquérant moscovite, dont les intentions exagérées de vengeance sont évidentes depuis qu’il a vendu l’Alaska pour quelques livres d’or.
Les exploits militaires de leur seconde aventure n’étaient pas non plus de premier ordre, mais même lorsqu’il s’agit de prouesses guerrières, la quantité se transforme en qualité. À propos de Clark, on dit que la gloire de la bataille de Cassino lui a été refusée en Amérique. Ils ont peut-être découvert qu’il n’y a jamais eu de bataille à Cassino, et qu’il n’y a jamais eu de ligne Gustav, comme peuvent en témoigner les quelques dizaines de soldats allemands restés saufs et les quelques centaines de milliers de civils italiens bombardés de manière sanguinaire pendant cinq mois, jusqu’à ce qu’avancent quelques divisions de Polonais, d’Italiens et, sur la route de Sessa Ausonia, de Marocains, violant toutes les femmes de dix à soixante-dix ans et quelques autres, s’accrochant moins avec les deutsche Grenadiere que les bandits de Giuliano ne s’accrochèrent avec les forces romaines de police.
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Parmi les grandes décisions du sanhédrin militaire américain pour les événements en Europe figure donc le réarmement italien. Le rôle de l’Italie dans tout ce mouvement de géants est étrange, puisqu’au cours des dernières décennies, la puissance démographique n’a plus été le facteur principal de la force militaire.
Après avoir été au seuil d’au moins une grande tentative de défaitisme révolutionnaire lors de la Première Guerre, notre pays a connu, lors de la Seconde, un défaitisme bourgeois à part entière.
En substance, personne n’a sapé la guerre des fascistes pendant la période de succès de l’effort de guerre allemand. Beaucoup avaient des espoirs défaitistes, mais pour des raisons personnelles. Mussolini était entre eux et la soif de pouvoir. Leur défaitisme se réduisait à cela. Ils ne pouvaient pas saper les armées de Benito et d’Hitler en se tenant sur les épaules des armées adverses.
A l’automne 1942, la nouvelle se répandit que les forces de débarquement américaines, après de longues discussions et des embûches réciproques avec les alliés russes qui s’épuisaient jour après jour sans mesure sur le second front, se trouvaient sur la côte marocaine, avec un itinéraire clair : la Méditerranée, la péninsule italienne.
Étaient-ce les étapes d’une seule et même invasion, passée par Versailles en 1917-18, en direction de Berlin. Seulement à Berlin? Non, et insensés furent ceux qui applaudirent, car dirigée aussi vers Moscou. Pour les grands spécialistes sensibilisés aux changements de l’histoire, vous êtes en retard aujourd’hui pour crier à la menace impériale et à l’agression. Ce serait peu d’être en retard, vous restez le souffle coupé, vous ne pouvez plus ressusciter et envoyer dans la direction opposée les millions de tués de Stalingrad. Personne ne vous répondra.
Cette nouvelle avait suffi pour prévoir le calvaire qui allait s’abattre sur le pays italien. À des fins de classe, à des fins de révolution, le marxiste attire des cataclysmes encore plus grands sur la région où il opère. Mais ici c’était un pur aveuglement. La radio fasciste qui chantait une chansonnette de propagande, afin d’apporter de l’eau à son propre moulin, avait plus de sens historique, chansonnette qui peut passer aujourd’hui dans la bouche des alliés d’hier de l’Amérique surpuissante, de ceux qui se réjouissent de l’échec de la classique contre-offensive militaire italo -allemande en Tunisie, d’abord garantie par la France neutralisée, une contre-offensive bien menée techniquement par la dernière armée italienne à partir de Scipion (nous nous réjouissons du fait qu’il n’y aura plus d’armées italiennes sans autre adjectif, et nous nous réjouirons encore plus quand il n’y aura plus d’armées avec aucun adjectif), mais qui, en raison de la puissance écrasante des moyens accumulés en toute tranquillité sur l’autre rive de l’atlantique, tandis que les cadavres européens s’entassaient devant la Volga, n’a pas évité la farce sanglante du débarquement.
Les patriotes, les nationalistes et les populistes italiens se réjouissaient d’un avenir radieux.
Mais quelle était la chansonnette, fasciste pas si bête que ça? Elle rappelait que Colomb était italien et disait dans le refrain : "Colomb, Colomb, Colomb, qui t’a fait faire ça?".
Selon une mode déjà établie, je crains fort que Staline ne doive faire découvrir aux historiens de Moscou que Colomb était russe.
1 - Les lansquenets étaient des mercenaires, connus pour leur brutalité, le plus souvent issus des États germaniques, au 15 et 16ème siècle et servant dans la plupart des armées européennes. L’article avec le château de l’Innommé fait référence au roman de Manzoni de 1840 "Les Fiancés" dont la toile de fond est la Lombardie au 17ème siècle. L’Innommé est un seigneur feodal.
2 - Togliatti, rédacteur, avec Gramsci, de l’Ordine nuovo, adhéra au Parti Communiste Italien, lors de sa fondation en 1921, mais il passera avec armes et bagages à la contre-révolution stalinienne en devenant le dirigeant du nouveau parti communiste devenu nationaliste et en soutenant la contre-révolution en Russie.
3 - Il s’agit d’un article intitulé "Neutralité".
4 - Il s’agit du surnom donné à l’empereur d’Autriche François Joseph.
5 - Il s’agit de Tojo Hideki, général japonais dans la guerre en Chine, ministre de l’intérieur et de l’Armée en 1941, il déclencha la guerre du Pacifique. Il démissionna en 1944 après le repli de l’armée japonaise et fut exécuté en décembre 1948 comme criminel de guerre.