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"Volcan de la production ou marais du marché", publié pour la première fois en 1954 dans notre organe italien d’alors, "Il Programma Comunista", du n° 13 au n° 19, n’était pas un ouvrage isolé, mais s’inscrivait dans un travail de longue haleine sur l’économie, commencé bien avant guerre et dont on peut résumer les principaux jalons comme suit: "Les éléments de l’économie marxiste", écrit en 1929 pour un groupe de militants confinés à l’île de Ponza, est une lecture du livre I du Capital. Écrit durant la guerre, "Propriété et Capital" fut publié en série dans "Prometeo" de juin-juillet 1948 à février 1950. Il avait pour principal objet de démontrer que les formes de propriété apparues en Russie et en Occident – c’est-à-dire les nationalisations, les sociétés anonymes, la concession, l’adjudication, etc. – n’étaient pas nouvelles et allaient dans le sens historique du capital à devenir toujours plus anonyme.
L’expression la plus pure se trouvait alors dans le bâtiment, où l’entreprise le plus souvent n’est pas propriétaire du parc de machines, mais le loue, et où les capitaux sont avancés par les banques. Le capitaliste, qui dans ce cas n’a pour simple titre juridique que son savoir faire, empoche une partie de la plus-value grâce à sa position stratégique et ne risque plus rien qui lui appartienne. «Le bourgeois ayant enfin rejoint sa forme idéale se montre désormais dépouillée, privé de propriété immobilière ou mobilière, privé d’argent, et surtout privé de scrupules. Il n’investit ni ne risque plus rien qui lui appartienne, mais la masse des produits lui reste légalement dans les mains, et avec elle le profit».
L’État en intervenant toujours plus dans l’économie, en soumettant les intérêts particuliers de chaque capitaliste aux intérêts généraux des capitalistes comme classe, devient, de ce fait même, toujours plus subordonné au capital. Dans ces conditions, le capital fonctionne mieux, tout en pourrissant sur pied et en devenant toujours plus parasitaire. «La production de surprofit devient gigantesque au fur et à mesure que s’éloigne la figure du chef d’industrie, qui par compétence technique apportait des innovations socialement utiles. Le capitalisme devient toujours plus parasitaire, à savoir, au lieu de gagner et accumuler peu en produisant beaucoup et en faisant consommer tout autant, gagne et accumule énormément en produisant peu et satisfaisant mal la consommation sociale».
Ce qui explique que les nationalisations, sous la gauche mitterandienne, furent une grande affaire pour la bourgeoisie. Celle ci ne prend plus de risques, l’État les prend pour elle. Dans la bonne tradition usuraire, il ne lui reste plus qu’à couper les coupons et à encaisser les intérêts de l’argent prêté à l’État; argent qui lui a été auparavant avancé en remboursement des entreprises nationalisées, qui se trouvaient alors pour la plupart en état de faillite.
Aujourd’hui le débat entre l’aile gauche et l’aile droite de la bourgeoisie ne porte pas tant sur les dénationalisations, mais sur l’extension à donner à la déréglementation: la législation dans divers domaines est devenue trop pesante et entrave la formation du profit. Il s’agit pour la bourgeoisie, afin d’exploiter plus librement le prolétariat, de la réformer et de supprimer quelques lois. Comme, par exemple, dans l’industrie du bâtiment où diverses lois contraignantes définissent les normes de la construction, rendant ce secteur moins rentable.
Outre ces deux ouvrages, de novembre 1953 à juin 1954 fut publiée une série de "Fils du Temps" sur la question agraire et la théorie de la rente chez Marx, où l’on démontrait comment les superprofits, réalisés par les grandes entreprises à l’ère impérialiste, n’ont rien de nouveau et ont la même origine que la rente dans l’agriculture: la situation de monopole. L’origine du surprofit avait déjà été analysé par Marx, en son temps, avec la Grande Bretagne, dont la situation de quasi monopole industriel lui permettait de réaliser de vrais surprofits sur le marché mondial.
A partir de la réunion de Cosenza de 1956, après les longs travaux théoriques qui avaient été consacrés à la Russie, tant du point de vue historique, économique que politique, fut traité le cours historique de l’économie capitaliste en Occident.
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Nous publions aujourd’hui "Volcan de la production ou marais du marché", dont le titre original est "Économie marxiste et économie contre-révolutionnaire", comme un premier pas vers la participation de la section française au travail économique développé par le parti et plus précisément en vue d’un travail d’analyse de la crise économique du capitalisme depuis 1975 à nos jours. Pour cela, ce texte sera suivi de la publication du rapport économique de la réunion de Cosenza de 1956 – "Le cours historique de l’économie capitaliste en Occident" – qui servira de base à ce travail.
Pourquoi n’avoir pas commencé par la publication des "Éléments de l’économie marxiste" qui aurait donné tous les concepts économiques fondamentaux développés dans le Capital ? En fait, un élément contingent est intervenu; la traduction de "Vulcano" était déjà prête alors que celle des "Éléments" reste à faire. D’autre part, "Vulcano" situe très bien le coeur du problème. Ce texte d’un côté rappelle la méthode scientifique suivie par Marx dans le "Capital", ainsi que les principaux concepts économiques fondamentaux sur lesquels s’appuie l’analyse économique marxiste, de l’autre il démontre que toutes les théories économiques bourgeoises, et notamment celle du welfare avec laquelle nous polémiquions alors, et les différents ajournements que les opportunistes de tous poils veulent apporter à la théorie économique marxiste, ne sont que de vieilles rengaines.
Ce qui prouve, une fois de plus, l’invariance tant du marxisme que de l’idéologie bourgeoise et confirme notre conception selon laquelle les grandes théories ne naissent pas à n’importe quel moment de l’histoire, mais surgissent d’un bloc, en un seul jet, à certain tournant historique annonçant le passage à un nouveau mode de production. Il en fut ainsi de la théorie marxiste qui avec la publication du "Manifeste du Parti Communiste" de 1848 se trouva totalement formée.
Les théories économiques bourgeoises à la mode aujourd’hui, et en particulier celle du welfare, ou maintenant de Friedman, ont leur origine, non pas dans les théories économiques de l’époque où la bourgeoisie était encore révolutionnaire, mais dans celle décrépie et parasitaire de l’évêque Malthus.
De même, les différentes conceptions économiques opportunistes, qu’il s’agisse de l’aile parlementaire dont la dernière forme historique fut le stalinisme, aujourd’hui superdégénéré, ou de l’aile anarcho-syndicaliste à la Sorel, avec ses variantes conseillistes, et dont les derniers et plus éminents représentants furent Gramsci-Pannekeok, sont invariantes depuis leur formulation par Proudhon.
Toutes ces théories, qu’elles soient anarcho-syndicalistes à la Sorel, ou conseilliste à la Gramsci, ou encore étatiste à la Joseph Staline, ont toutes pour point commun fondamental avec les théories bourgeoises officielles de se situer du point de vue du marché, alors que nous, nous nous situons du point de vue de la production.
Volcan de la production ou marais du marché ! Là est le dilemme: irruption cataclysmique de la production, après une période historique d’accumulation forcenée du capital, polarisant de nouveau la société bourgeoise en classes distinctes et les poussant à un heurt romanesque, ou plénitude du marché où les comptes de classe disparaissent sous la paix sociale.
Possibilité, en partant des lois propres à la production capitaliste, de calculer avec une rigueur mathématique l’orbite historique du capital, et donc de prévoir avec certitude sa mort et l’avènement du Communisme, tout comme Newton qui calculant l’orbite des planètes pouvait prévoir tout leur cours ultérieur, ou indéterminisme et triomphe de la subjectivité: chaque consommateur suivant l’orbite qui lui est propre au gré de ses goûts et de sa fantaisie, la science économique n’ayant plus alors qu’à enregistrer les variations de prix.
Communisme vivant déjà au sein de cette société avec le prolétariat organisé socialement dans la production, c’est à-dire une classe d’hommes qui, étant séparés de toute propriété sur les moyens de production et de consommation, ne travaillent pas directement pour leurs besoins, comme l’artisan du Moyen âge, mais ceux de la société – évidemment aujourd’hui il s’agit des besoins du capital – et ce, grâce à la coopération et la centralisation, d’une manière organique comme un seul corps, et donc possibilité d’une société non mercantile, sans production marchande et sans salariat, ou Démocratie. La multitude informe et sans visage remplaçant les classes et chacun, en fonction de la grosseur de sa bourse, achète librement les marchandises présentées qui lui plaisent pour les consommer à sa guise: le capitaliste la force de travail pour la faire suer sang et eaux dans la fabrique, le prolétaire la belle voiture rutilante pour se payer des fins de semaine à la campagne.
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Pour appliquer la méthode scientifique à l’étude de la société humaine, Marx ne part pas de la volonté, de la conscience qu’ont les hommes d’eux mêmes, mais des rapports sociaux que ceux-ci ont tissé dans la production, indépendamment de leur volonté et de leur conscience, en fonction des conditions naturelles et historiques. Il cherche les lois économiques propres à chaque mode de production, et notamment les lois de leur devenir, les lois de leur passage à un autre mode de production.
Dans son étude des lois de la société capitaliste, il construisit un modèle à trois classes: le prolétariat salarié, la bourgeoisie industrielle, les propriétaires fonciers. Marx n’est pas le premier à construire un modèle économique, puisqu’il fut précédé en cela par les grands économistes bourgeois, du temps où la bourgeoisie était révolutionnaire.
L’utilisation du modèle pour rendre compte de la réalité est proprement la démarche scientifique. Quand Niels Bohr voulut expliquer la structure et les lois physiques de l’atome, il proposa un modèle atomique à l’image du système solaire où les électrons de charge négative gravitent autour d’un noyau central de charge électrique positive, sur des orbites bien définies, l’attraction gravifique étant remplacée par celle électromagnétique. Bien que grossier ce modèle permit de décrire les lois et d’expliquer les propriétés fondamentales de l’atome. Par la suite le modèle fut affiné et tout en s’approchant plus de la réalité devint plus complexe et aussi plus irréel.
Marx construisit donc un modèle type de la société bourgeoise, abstrait, irréel si l’on veut, mais qui rend parfaitement compte de ses lois tendancielles. Ce modèle comprend les grandeurs mesurables que sont le capital constant, le capital variable et la plus value qui ont pour fondement le concept de valeur qui se définit non pas en partant de la sphère de l’échange, mais de celle de la production.
Par rapport au prix, le concept de valeur, qui ne peut se définir dans la production qu’à l’échelle sociale et non pas à celle de l’entreprise, a opéré dans l’économie la même révolution que le concept de masse, découvert par Galilée, dans le domaine de la physique par rapport au poids.
Si les grands économistes classiques de la bourgeoisie, lorsque cette dernière était dans sa phase ascendante, se sont approchés de ce concept, les économistes vulgaires d’aujourd’hui, qu’ils tirent leur filiation de Malthus ou de Proudhon, le rejettent totalement. En effet pour la bourgeoisie et ses épigones de gauche, admettre ce concept, qui pour eux est pire encore que celui de dictature du prolétariat, revient à reconnaître la fin inéluctable de la société bourgeoise et avec elle de la démocratie.
Le modèle type avec ses trois classes et ses grandeurs mesurables, outre qu’il permet de décrire tout le cours historique de la société capitaliste, avec sa circulation de valeur – et donc de la plus value – de classe à classe, permet aussi de calculer le degré de développement du capitalisme dans un pays donné.
A côté des trois classes pures décrites par Marx se trouvent celles liées aux modes de production antérieurs et qui disparaissent lentement au fur et à mesure que le capital s’étend: petits paysans, artisans, boutiquiers, professions libres, etc. Ainsi on a calculé qu’avant guerre l’Italie était capitaliste pour 33%, la France pour 40%, les USA pour 40-45% et l’Angleterre, le plus vieux pays capitaliste, effleurait à peine les 50% avec 47-48%. Quant à la Russie, à la fin du siècle dernier, d’après Lénine, l’indice était de 17% (1/6) et à l’aube de la révolution il avait rejoint les 25%.
Afin de mesurer le parcours fait par le capital depuis lors, il est intéressant de refaire les calculs pour aujourd’hui. Nous prendrons comme année de référence 1974, c’est-à-dire l’année où la production industrielle, avant la crise de 1975, a rejoint son maximum et où le chômage était mininum, ce qui rend les calculs plus simples.
D’après les statistiques fournies par l’OCDE, l’industrie en Italie employait 7 470 000 personnes. Si pour calculer le nombre de prolétaires l’on applique non pas le facteur 7/10 comme en 1953, mais 8/10, l’on obtient 5 976 000. A ce nombre l’on doit ajouter celui des ouvriers agricoles, soit 1 253 000, ce qui fait 7 229 000. Reste à calculer le nombre des prolétaires dans les services. Ce qui n’est pas évident. L’Italie est restée un pays très petit bourgeois avec de très nombreux petits boutiquiers et un nombre important de professions libérales dans les villes. Aussi appliquerons nous à ce secteur, qui comprend, outre les professions de police, l’armée, les bureaucrates de l’État, etc, le même coefficient que nous avions appliqué à l’agriculture pour avoir les prolétaires; c’est-à-dire 4/10. Donc 8 099 000 x 0,4 = 3 239 000. Soit en tout: 10 358 000 vrais prolétaires. Rapporté à la population active (19 057 000), l’on obtient: 55%. L’Italie serait passée de 35% en 1939 à 55% en 1974 !
FRANCE: Industrie: 8 266 000 x 0,8 = 6 612 000. Ouvriers agricoles: 484 000. Services: il est notoire que ce secteur y est beaucoup plus concentré qu’en Italie. La France est en effet le 3ème exportateur mondial de services. Nous y appliquerons donc non pas 4/10, mais 5/10. Donc 10 178 000 x 0,5 = 5 089 000. Ce qui donne un total de 12 185 000 prolétaires. Rapporté à la population active de 20 814 000 personnes, l’on obtient 58-59%. Pourcentage supérieur à celui italien, ce qui est normal, mais qui montre que l’Italie tend à combler son retard par rapport à la France.
ANGLETERRE: Industrie: 7 941 000 x 0,9 = 7 146 000. Ouvriers agricoles: 316 000. Services: 6 902 000 x 0,5 = 3 451 000. Total 10 913 000 prolétaires. Ce qui donne avec une population active de 15 322 000 personnes 70% !
ÉTATS UNIS: Industrie: 21 656 000 x 0,9 = 19 490 000. Agriculture: 1 119 000 prolétaires. Services: 27 753 000 x 0,5 = 13 876 000. Total: 34 485 000. Rapporté à la population active de 52 349 000 on a 65%.
ALLEMAGNE: Industrie: 12 554 000 x 0,9 = 11 298 000. Agriculture: 250 000 ouvriers agricoles. Services: 11 933 000 x 0,5 = 5 966 000. Total: 17 514 000. Soit sur une population active de 26 411 000 personnes: 66%. Pourcentage égal où légèrement supérieur à celui des États Unis, ce qui est normal, l’Allemagne étant le premier exportateur industriel mondial.
JAPON: le Japon est un cas intéressant et réserve quelques surprises. Industrie: 19 570 000 x 0,8 = 15 656 000. A côté de grandes entreprises, le Japon possède toute une poussière de petites entreprises et un nombreux artisanat. C’est pourquoi il semble plus raisonnable d’appliquer le facteur 0,8 comme pour la France et l’Italie, plutôt que 0,9. Ouvriers agricoles: 470 000. Services: la population employée dans les services est fabuleuse et correspond à l’existence de nombreux petits boutiquiers et professions libérales. 25 950 000 x 0,4 = 10 380 000. Total: 26 506 000 vrais prolétaires. Rapporté à la population active qui est de 52 590 000 personnes, l’ont obtient 50%. Ce qui peut sembler faible au regard de la puissance industrielle du Japon. Mais même en appliquant le coefficient 0,9 à l’industrie, puis celui de 0,5 aux services, l’on a respectivement 54%, puis 59%. En résumé, le taux de capitalisme au Japon y est du même ordre de grandeur, ou un peu inférieur, à celui de l’Italie ou de la France. Ce qui, compte tenu de sa population (environ 100 millions d’habitants) et du fait que le capitalisme y est né plus tard, est très vraisemblable.
Tout grossiers que soient ces calculs, ils nous donnent une image assez fidèle de la réalité. L’Angleterre, le plus vieux pays capitaliste, y est capitaliste pour les 2/3; par contre, les autres oscillent autour de 60%, et le Japon, le plus jeune capitalisme d’entre eux, autour de 54%. La masse petite bourgeoise y est donc encore très importante, ce qui est normal.
Mais la thèse marxiste est que, bien avant que la société bourgeoise ne rejoigne les 100% de pureté capitaliste, nous aurons renversé la bourgeoisie et relégué au musée de l’histoire son mode de production mercantile et avec lui la démocratie.
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Lors de notre polémique avec la théorie du welfare, qui prévoyait un développement sans heurt et la pérennité du capitalisme, nous réaffirmâmes la théorie catastrophique du capitalisme de Marx, et dans les années suivantes, c’est-à-dire 1955-56, nous indiquâmes 1975 comme future date possible de la grande crise déflationniste d’entre les deux guerres. Nous nous appuyâmes pour cela sur le lointain débat de 1926 où le grand Trotski, pourfendant la théorie contre-révolutionnaire du socialisme dans les limites de la seule Russie, cria sa foi dans la révolution internationale, affirmant qu’il fallait rester au pouvoir à l’attendre même si elle devait tarder encore cinquante ans. Ces 50 ans n’avaient pas été donnés au hasard, mais résultaient d’un calcul de Préobrajenski sur le temps nécessaire à la jeune industrie soviétique pour rattraper l’Occident; ce qui devait conduire à une nouvelle super crise de surproduction. 1926 plus 50 ans, cela nous amenait à 1976.
A partir des calculs que nous fîmes de notre côté dans les années 50, en nous basant sur la baisse tendancielle de l’incrément de la production industrielle – traduction physique de la baisse tendancielle du taux de profit – et sur la différence de croissance entre la production industrielle et le marché international, nous rectifiâmes le tir et indiquâmes 1975.
A six mois près, la prévision faite par le parti s’est réalisée avec une précision d’horloge. Certains pourront ergoter et dire que la crise est apparue dès 1973 dans quelques pays, mais en fait 1975 est l’année où tous les pays sont entrés en même temps en crise. C’est aussi l’année du plongeon maximum.
Il est vrai que la crise n’eut pas l’ampleur prévue par le parti. On n’eut pas le cataclysme attendu qui aurait pu déchaîner la lutte des classes à l’échelle internationale. Toutefois, 1975 a signé un tournant dans l’histoire de l’accumulation du capital de cet après guerre. Depuis lors, les 30 années de prospérité que le capitalisme a connues sont définitivement révolues pour ce cycle historique.
L’Europe en effet, et de façon générale tous les grands pays industrialisés, y compris ceux de la zone russe – Gorbatchev récemment a déclaré qu’il fallait s’habituer à ce que des travailleurs restent sans travail pendant une période plus ou moins longue avant de trouver un emploi et que, pour équilibrer leur bilan et améliorer leur productivité, les entreprises devraient pouvoir procéder à des licenciements – fait de nouveau connaissance avec le chômage et la misère.
D’après les statistiques officielles, le chômage pour l’ensemble des pays impérialistes a crû comme suit: de 10 millions durant la récession partielle de 1970-71, il passe à 20 millions en 1975, pour croître constamment depuis, rejoignant les 30 millions en 1980, puis les 35 millions en 1982, et aujourd’hui les 40 millions.
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A propos de la misère, voici ce que l’on pouvait lire dans le journal "Le Monde" du 28 décembre 1983: «Durant les trente glorieuses (1945-1975), nous avons eu l’illusion de pouvoir éradiquer cette pauvreté-là, les revenus augmentaient, les gens étaient scolarisés, soignés, la protection sociale s’étendait à toutes les catégories en difficultés. Manifestement, la pauvreté a beaucoup reculé durant cette période et le confort a gagné toutes les catégories sociales (...) Les nouveaux pauvres sont apparus très vite après le premier choc pétrolier, dès que le chômage a dépassé le volant quasi incompressible de 2 à 3% de la population active». En France durant la même année, l’État reconnaissait officiellement 600 000 pauvres et la CGT en déclarait 1 000 000. Il s’agit de ceux qui n’ont pour vivre en tout et pour tout, tant pour se nourrir, se vêtir et payer le loyer, que 40 F par jour.
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D’après l’indice général de la production industrielle, la chute de la production pour les principaux pays impérialistes, sauf pour l’URSS dont l’indice a continué de croître au rythme de 7-8% l’an, a été de 7 à 9%. Seul le Japon a connu une diminution de 14%. Mais si l’on se réfère aux secteurs traditionnels de l’industrie, c’est à dire à la sidérurgie, au bâtiment, à la production de ciment, à la production automobile – une des branches qui a fait la prospérité de cet après guerre – à la construction navale, etc, la chute de la production a été alors plus dramatique et a tourné autour de 20 à 25%.
Ainsi la production de fonte, par rapport au maximum atteint en 1973-74, suivant les pays diminue de 21 à 29%, sauf pour l’Italie et le Japon pour lesquels on obtient respectivement un petit -3% et -4%.
La production d’acier connaît une chute identique (de -21% à -25%), sauf encore pour l’Italie et le Japon pour lesquels on a -8% et -14%.
Pour la production de ciment la diminution est plus faible et tourne autour de -15 à -22%, sauf cette fois-ci pour la France et l’Italie: -9% et -6%.
Dans le bâtiment, la disparité est plus grande. Ainsi en France la construction atteint son maximum en 1975 avec 524 300 logements neufs construits, pour décliner ensuite régulièrement et rejoindre en 1985 le nombre de 295 000 logements. Ce qui donne sur 10 ans une diminution de 43% ! Pour l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie, on a respectivement -15, -14 et -7%, mais seulement -3% pour le Japon. Par contre les États-Unis connaissent une formidable dégringolade avec -52% ! Exactement celle que nous augurons, dans un avenir pas si lointain, pour toute la production industrielle dans l’ensemble du monde capitaliste.
Pour le secteur automobile, les chiffres varient de -23% à -34%, sauf pour la France et le Japon avec -8 et -12%. Ce qui est tout de même honorable.
Dans toutes ces branches, sauf le secteur automobile en Allemagne, au Japon et en France, le maximum atteint en 1973-74 ne fut jamais rejoint par la suite. Par exemple, pour reprendre l’automobile, le maximum de la période 1976-79 est inférieur de 6,5% pour les États-Unis, de 17% pour l’Italie et de 31% pour l’Angleterre. On obtient des chiffres identiques sinon supérieurs pour l’acier, le ciment, le bâtiment ou les chantiers navals.
Après la chute de 1975, l’économie mondiale connut une reprise de 1976 à 79 et entra de nouveau dans une récession de 1980 à 83. Mise à part l’Angleterre si l’on se réfère à l’industrie manufacturières, à l’exclusion de l’industrie minière pour laquelle la chute de la production générale est de 15% au lieu de 7% en 1975, cette seconde récession, au regard des indices généraux, fut moins sévère que la première, puisque les incréments vont de -4 à -8,5%. Cependant si l’on se réfère aux mêmes secteurs clés de l’économie, la chute de la production, sauf pour l’Allemagne et le Japon dont la productivité industrielle est plus élevée, fut identique ou plus importante.
Ainsi pour l’Italie et le Japon qui n’avaient connu qu’un petit -3 et -4% pour la fonte en 1975, cette fois-ci l’incrément est respectivement de -13 et de -8%. Pour l’acier, l’on a -17 et -12% à la place des -8 et -14%. En France les incréments pour la fonte et l’acier sont respectivement de -29 et -25% au lieu de -22 et -21%. Mais c’est l’Angleterre et les États-Unis qui connaissent les chutes les plus mirobolantes: fonte -32 et -49% au lieu des -29 et -21% ! Acier -35 et -46% au lieu des -25 et -23% ! Et l’URSS, fonte 0% et acier -3%.
Si l’on prend le ciment, l’on a: Italie -10% au lieu de -6%; l’Allemagne -20 au lieu de -22%: le Japon -10 au lieu de -16%; mais l’Angleterre -26% (!) au lieu de -15%, et les États-Unis -25 au lieu de -20%, la France -16 au lieu de -9%, et l’URSS -2,4%.
Pour la construction, la France connaît une diminution continuelle de 1975 à nos jours, soit en tout -42%; l’Angleterre -20 au lieu de -15%; les États-Unis -45 au lieu de -51%, chute presque identique mais en partant d’un niveau inférieur de 1972 à celui de 1973; Allemagne -4 au lieu de -14%. Mais en fait l’on n’a pas les résultats pour l’année 1982 qui est celle du point le plus bas pour la production. Pour le Japon, l’annuaire de l’ONU ne nous fournit les chiffres que jusqu’en 1980. Ce qui nous donne un petit -3%, chiffre identique à celui de 1982. L’URSS, en 1980-81, 0%.
Pour l’automobile, France -21 contre -8%; Italie -17 contre -26%; Angleterre -33 contre -34%; Allemagne -10 contre -23%, et le Japon -10 contre -12%. Mais les États-Unis -45 contre -30% ! Et l’URSS pour finir -2%.
En résumé, à part quelques exceptions, les résultats sont identiques ou supérieurs à ceux de 1975. On ne doit pas oublier que pour tous ces produits, les maximums de 1979 étaient déjà inférieurs à ceux de 73-74.
Fait nouveau, bien que minime, mais cependant significatif, l’URSS a connu dans ces branches industrielles, pour la première fois depuis la guerre, une diminution de la production ou bien une stagnation dans le cas de la fonte et de la construction. Ce qui se reflète, au niveau de l’indice général, par une diminution de l’incrément à partir de 1978 qui rejoint en 1982 le minimum de +2,3%.
Aussi, si l’on regarde les incréments de la production industrielle en URSS depuis 1970, on constate deux périodes; celle de 1970 à 75 où l’incrément tournait autour de 7 à 8% et celle d’après 1975 où la croissance industrielle russe manifeste un net ralentissement: 1976, +5%; 1977, +6%; 1978, +4,5%; 1979, +3,3%; 1980, +4%; 1981, +3,3%; 1982, +2,3%; 1983, reprise: +4,5%.
On le voit, la récession de 1980-82 s’est faite sentir en URSS par un net ralentissement de la croissance de l’industrie et même par une stagnation ou par une petite chute de la production dans certaines branches industrielles. Ce fait nouveau dans cet après guerre montre qu’en URSS aussi les conditions pour une formidable crise de surproduction deviennent de plus en plus mûres.
En outre, cette seconde récession se caractérise par une durée bien plus importante que la première: 4 ans (1980-83) au lieu d’une année en 1975.
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Grâce à leurs immenses ressources financières qu’ils tirent du pillage du monde entier, et grâce à l’intervention de l’État dans la sphère économique, les grands États impérialistes ont pu éviter que la crise de 1975 ne débouche en déflation générale.
Sous le couvert de transfert technologique, les pays impérialistes, pour trouver de nouveaux débouchés, ont cherché à augmenter leurs exportations vers les pays du Tiers-monde. Si bien que ces derniers, qui absorbaient en 1972 30% des produits manufacturés des métropoles, en absorbaient 40% en 1980. Cependant ces importations accrues n’ont pu être réalisées qu’au prix d’un endettement croissant.
La dette du Tiers-monde de 100 milliards de dollars en 1970 est passée à 474 milliards en 1980 – soit près de 5 fois plus – puis à 672 milliards en 1982, pour finalement atteindre temporairement la valeur de 863 milliards en 1985. Un accroissement aussi vertigineux d’endettement, en devenant un fardeau de plus en plus insupportable pour les pays concernés, ne peut aboutir qu’à un point de rupture.
A l’origine, ces pays s’endettaient pour importer des biens manufacturés et s’industrialiser; aujourd’hui ils s’endettent seulement pour payer leurs créances. Depuis la récession de 1980-82, à la suite de l’effondrement du cours des matières premières, tous ces pays, notamment le Mexique, le Brésil, l’Argentine, le Vénézuéla, le Nigéria, sont en quasi état de cessation de paiement, menaçant de banqueroute les banques nord-américaines et bon nombre de banques européennes et japonaises.
On se rendra mieux compte de la situation si l’on sait que les neufs plus grandes banques américaines ont prêté 130% de leur capital au Mexique, au Brésil et à l’Argentine réunis. Le nombre de faillites bancaires aux États-Unis est passé en moyenne annuelle de 10 entre 1960 et 1980 à 42 en 1982 et à près de 70 en 1983 !
Toutefois, de ce point de vue, la plus grosse bombe à retardement
ne se trouve pas dans les pays du Tiers-monde, mais dans les métropoles
impérialistes elles-mêmes, qui n’ont pu éviter jusqu’ici
la déflation que par la fuite en avant dans l’endettement. Et ceci
est encore plus vrai pour la période qui a suivi la récession
de 1980-82. Les États-Unis ne sont sortis de la récession
qu’à l’aide d’un déficit budgétaire record et d’un
endettement encore plus vertigineux des entreprises privées (cf
au tableau).
1974 | 1984 | |
Dettes publiques | 543 | 1573 |
Dettes des entreprises | 900 | 2600 |
Dettes des ménages | 670 | 1830 |
Total | 2113 | 6003 |
C’est-à-dire qu’entre 1974 et 1984 l’endettement total des États-Unis a été multiplié par 3.
Ce qui est vrai pour l’Amérique du Nord l’est aussi pour l’Europe et le Japon. La dette publique de l’Allemagne en 1983 s’élevait à 20,4% du PNB et celle de la France à 22,3% contre 35,5% pour les États-Unis et 52,5% (!) pour le Japon. Mais c’est l’Italie qui bat tous les records: la dette publique italienne est passée de 44,3% du PNB en 1972 à 61,9% en 1980 et à 78,9% en 1983 ! Lorsque la déflation frappera à la porte, le réveil sera dur pour l’Italie !
Si l’on ajoute à l’endettement public celui privé, les pourcentages deviennent proprement mirobolants. Pour les États-Unis, il dépasse les 180% !
Aujourd’hui les grandes entreprises américaines ne s’endettent plus pour investir, ou augmenter leur productivité, mais de plus en plus pour spéculer. Le résultat est que les États-Unis, pour la première fois depuis 1914, sont devenus les débiteurs du monde entier. Mais il arrivera un moment où il faudra payer, où il ne sera plus possible de continuer à vivre en tirant des traites sur le futur. Alors la spéculation effrénée de ces dernières années, la stimulation artificielle de la production se transformeront en leur contraire. Le volcan de la production, libérant les gigantesques forces qui se sont accumulées depuis la dernière guerre, fera sauter en l’air les rapports de propriété maintenus jusqu’à là artificiellement et déchaînera la lutte des classes.
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A la place d’une crise aiguë, 1975 a ouvert une période de crises chroniques où les conditions d’une gigantesque crise, bien supérieure à celle de 1929, mûrissent à une vitesse accélérée. Finalement une telle situation est bien plus favorable pour la révolution. L’état de semi-crise dans laquelle se trouve le monde depuis 1975 prépare d’une certaine manière les masses: la fraction qui se détachera demain pour rejoindre les rangs du Parti sera bien plus importante qu’elle n’aurait été si la récession de 1975, après ces terribles années de prospérité d’après guerre, avait immédiatement débouché en déflation générale. Bien qu’il ne soit pas possible d’écarter scientifiquement d’autres hypothèses – notamment que la 3ème guerre mondiale n’éclate avant que la crise économique n’ait pu développer toutes ses potentialités; c’est-à-dire jusqu’à la déflation générale, et donc avant une quelconque reprise de la lutte des classes – le tableau économique que nous venons de brosser, bien que sommaire, montre suffisamment que la perspective tracé par le Parti dans les années cinquante reste entièrement d’actualité. Aussi conclurons nous avec elle:
«Une étude récente d’économistes bourgeois américains sur la dynamique mondiale des échanges calcule que la course actuelle à la conquête des marchés (qui, après le second conflit mondial, s’est dissimulée derrière le louche puritanisme de la secourable Amérique) atteindra un point critique en 1977. Vingt ans nous séparent encore de la nouvelle flambée de la révolution permanente conçue dans le cadre international, ce qui coïncide tant avec les conclusions du lointain débat de 1926 qu’avec le résultat de nos recherches de ces dernières années (cf. "Synthèse des rapports aux réunions de Bologne, Naples et Gênes", in "il Programma comunista", n° 15 et 16 de 1955).
«Une nouvelle défaite ne pourra alors être évitée que si la restauration théorique n’attend pas pour se faire qu’un troisième conflit mondial ait déjà regroupé les travailleurs derrière tous les drapeaux que l’on sait (contrairement à ce qui se passa en 1914 et qui contraignit Lénine à un effort gigantesque). Cette restauration devra pouvoir se développer bien avant, avec l’organisation d’un parti mondial n’hésitant pas à proposer sa propre dictature. Une telle hésitation liquidatrice est le fait de ceux qui regrettent que cette dictature ait un "petit goût" personnel et qui finalement s’acoquinent avec ceux qui expliquent la question russe par des révolutions de palais opérées par des grands hommes ou des brigands, des démagogues ou des traîneurs de sabre.
«Au cours des vingt ans qui nous restent à subir, la production industrielle et le commerce mondiaux connaîtront une crise qui aura l’ampleur de la crise américaine de 1932; elle n’épargnera pas le capitalisme russe. Elle pourra constituer la base du retour de minorités appréciables et décidées sur des positions marxistes qui seront fort loin de faire une apologie quelconque des pseudo-révolutions antirusse de type hongrois, dans lesquelles paysans, étudiants et ouvriers combattent côte à côte à la manière stalinienne.
«Peut-on hasarder un schéma de la future révolution internationale ? Son aire centrale sera constituée par les pays qui ont répondu aux ruines de la guerre par une puissante reprise productrice, en premier lieu l’Allemagne – y compris celle de l’est – la Pologne et la Tchécoslovaquie. L’insurrection prolétarienne qui suivra l’expropriation extrêmement féroce de tous les possesseurs de capital popularisé, devrait avoir son épicentre entre Berlin et le Rhin et attirer à elle rapidement le nord de l’Italie et le nord-est de la France.
«Une telle perspective n’est pas accessible aux minus qui ne veulent pas accorder une heure de survie relative à aucun des capitalismes, tous égaux à leurs yeux, à exécuter en série, sans se préoccuper de savoir s’ils disposent de missiles atomiques au lieu de canons à culasse.
«La preuve que Staline et ses successeurs ont révolutionnairement industrialisé la Russie, tandis qu’ils castraient contre-révolutionnairement le prolétariat mondial, c’est que la Russie sera pour la nouvelle révolution une réserve de forces productives et seulement ensuite une réserve d’armées révolutionnaires.
«Dans cette troisième vague historique de la Révolution, l’Europe continentale deviendra communiste politiquement et socialement ou bien le dernier marxiste aura disparu.
«Le capitalisme anglais a déjà brûlé les réserves qui lui permettaient, ainsi que le lui reprochèrent Marx et Engels, d’embourgeoiser à la façon labouriste l’ouvrier anglais. Lors du suprême conflit qui aura alors lieu, ce sera le tour de celui qui niche aux USA, dix fois plus vampire et oppresseur. A la répugnante émulation d’aujourd’hui se substituera le mors tua vita mea social».