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Nos maigres forces militantes éparses au sein de la contre-révolution encore triomphante nous ont fait interrompre durant plusieurs années nos publications françaises. Aujourd’hui enfin nous en reprenons le cours.
La Crise avec un grand C est bien là! Solidement installée depuis maintenant deux décennies, elle nous laisse des intervalles de plus en plus brefs de répit qualifié de "reprise" par nos "condottiere", afin de calmer leurs angoisses sur la fin possible de leur système, et surtout d’endormir celles des "exclus" dont le nombre ne cesse de croître. Ces derniers attendent impatiemment que les portes de la prospérité s’ouvrent sur eux, et peu de nos politiques ont le culot d’affirmer comme le RPR Philippe Séguin à la télévision il y a quelques semaines que l’époque du travail pour tous est finie à jamais. Ceci signifie et justifie évidemment la nécessité des "organisations humanitaires", des "samu sociaux", des dispensaires pour déshérités, des rentes pour misérables telles le RMI, et j’en passe..., afin de canaliser les masses pauvres du monde blanc, le tristement nommé "quart monde", dans les circuits d’assistance dont l’A.N.P.E ne sera bientôt qu’une des branches! Quant aux heureux élus du travail salarié, ils auront la "fortune" de connaître l’augmentation de leur productivité, de leurs cotisations sociales, de leurs impositions, de leur temps de travail à fournir avant leur mise au repos définitif.
Notre vieille taupe creuse avec assiduité le sous-sol de cette société capitaliste qui règne sur le monde entier. Et la crise économique qui le secoue si durement et si souvent a aujourd’hui gagné le globe terrestre. Les mass media nous abreuvent de nouvelles planétaires de plus en plus catastrophiques et de plus en plus déformées par les manipulations politiciennes. L’intervention militaire française au Rwanda en est un bien triste exemple! Présentée comme une aide "humanitaire" pour stopper les massacres dont le son et l’image nous étaient martelés du matin au soir par les chaînes de radio et de télévision, l’arrivée des troupes françaises soulagea les bonnes consciences des gens nantis bouleversés par cette intoxication dramatiquement stérile. Or cette intervention qui n’aboutit finalement qu’à de nouveaux massacres, des déportations de masses désespérées, des épidémies de choléra assassines, avait un tout autre but que celui humanitaire: il s’agissait de soutenir un des camps au pouvoir, d’assurer la "stabilité politique de la région", et ceci sans tenir aucunement compte des populations martyres.
Face aux tourmentes dont le rythme semble s’accélérer, la classe dominante internationale voit ses antagonismes de clan s’aiguiser, mais elle ne laisse pas échapper pour autant les rênes du pouvoir. Elle a bien compris que la crise économique n’est pas conjoncturelle comme il lui plaisait de le rêver, mais structurelle: il lui faut donc trouver des remèdes pour survivre à la maladie fatale qui ne se cache plus. Elle tire ainsi son énergie de l’exploitation de plus en plus féroce des forces vives d’un prolétariat à genou, paralysé par ses défaites successives, incapable de se défendre même de l’extermination physique comme en Yougoslavie, au Rwanda, en Palestine, en Irak, etc. Les impérialismes les plus forts tentent de trouver des accords économiques pour se partager "élégamment" les miettes du gâteau, au dépend de leur prolétariat national et des pays moins développés; mais leurs antagonismes sont exacerbés et les luttes intestines bien vivaces sur les champs de batailles ouverts sur toute la planète.
Sur la scène tragi-comique de la politique quotidienne, les bouleversements, les coups de théâtre se succèdent et soulignent clairement le fait que la bourgeoisie vit aussi une crise structurelle et tente désespérément de trouver une solution à tous les niveaux. En Europe, l’écroulement brutal du mur de Berlin a eu le fantastique avantage pour nous communistes de dévoiler au prolétariat mondial encore illusionné par les prêcheurs staliniens que le système capitaliste a effectivement envahi toute la planète depuis la grande défaite des années 20; la crise économique a déferlé sur les pays de l’Est et la Russie, y semant la misère, le chômage, la guerre, et le démantèlement du sinistre mur de Berlin ne fut qu’un de ses maigres effets. La Yougoslavie s’est transformée en camps de tueries sauvages où s’affrontent indirectement les différents impérialismes mondiaux sur le dos d’un prolétariat coupé de ses traditions de classe, divisé par les idéologies régionalistes, pseudo-ethniques et religieuses, et surtout bien bourgeoises.
De la même façon au niveau national, les bourgeoisies parasites se divisent, les différents clans ne parviennent plus à s’entendre sur un partage "discret" des richesses nationales extorquées à leurs masses laborieuses. La vague de "nettoyage" qui fait tomber les têtes de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires notoires, de ministres ou leurs sbires, s’amplifie à vue d’oeil ressemblant bientôt à un ras de marée! L’Italie, la France, la Grande Bretagne et bien d’autres nations entreprennent une grande lessive grâce à un système judiciaire devenu soudainement plus scrupuleux! Or, nous communistes, savons que l’État de "droit", l’État démocratique va de paire avec les crapuleries de toutes sortes, les escroqueries sans vergogne, les "Affaires" distribuant largement l’or et les privilèges aux hommes de pouvoir et leurs mercenaires dans cette société fondée sur l’exploitation de l’homme par l’homme; que l’État n’est que le comité d’affaires de la classe dominante, qu’il sert ses intérêts de classe, et les siens seulement! Si aujourd’hui les juges peuvent faire tranquillement leur travail sans risquer la dessaisie de leur dossier, la mutation, les pressions du pouvoir en place, voire l’assassinat, ceci s’explique par le fait que le consensus entre les différents clans bourgeois n’est plus à l’ordre du jour! Les bandes rivales tout comme celles mafieuses se battent au grand jour pour une nouvelle donne dont les conclusions par contre resteront plus secrètes!
Au niveau international, nous assistons à différents phénomènes apparemment nouveaux. L’intégrisme musulman fait des ravages et se répand comme une traînée de poudre; il correspond à une réponse bourgeoise face à la crise économique afin de maintenir l’exploitation et l’oppression des masses arabes et perses sous le joug d’un extrémisme religieux. Les pouvoirs en place, s’ils ne sont pas déjà islamistes (Iran, Arabie Saoudite, etc..) ne cherchent pas tant à lutter directement contre les intégristes musulmans que de négocier avec eux afin d’éviter des soulèvements populaires bien plus dangereux. L’Algérie illustre parfaitement les errements, les tractations de la classe bourgeoise frappée cruellement par les contrecoups de la crise économique mondiale et contrainte au niveau idéologique à faire "marche arrière", à pactiser avec les extrémistes religieux pour contenir les masses appauvries et prêtes à se mettre en mouvement pour leur survie. Il s’agit encore une fois de vérifier une règle bien établie et originelle régissant les différents clans de la classe dominante: lorsque ces derniers affichent sur le terrain de se battre, ils discutent aussitôt dans les coulisses une nouvelle répartition de leurs pouvoirs respectifs sur les masses à exploiter. Ce phénomène de l’extension de l’intégrisme musulman peut être aisément comparé à l’extension des mouvements d’extrême-droite en Europe qui vivent surtout des amertumes causées par la disparition de la prospérité économique parmi la petite bourgeoise, mais qui demain pourraient devenir une carte politique de rechange pour la bourgeoisie qui jusqu’à ce jour s’en sert pour ses manoeuvres électorales.
Une autre caractéristique politique de ces dernières années correspond aux "pacifications" de mouvements "terroristes" nationaux, comme ceux de l’IRA pour l’Irlande du Nord, du mouvement basque, prêts eux-aussi pour le bulletin de vote et une petite part du pouvoir. De vieux conflits semblent trouver une solution "démocratique" – et pour certains un prix Nobel à la clé – grâce à l’intervention diplomatique, musclée ou financière, des Américains: OLP-Israël où Arafat accepte d’être le porte-parole officiel du diktat sioniste; l’Afrique du Sud blanche et noire qui prend la voie prévue par notre parti (cf. La Gauche n°13 de 1987), celle de l’entente entre le parti majoritaire blanc et l’ANC sur le modèle rhodésien précédent, c’est-à-dire la passation "pacifique" du pouvoir entre le gouvernement blanc de Smith et le parti de Mugabé, évidemment encore une fois sur le dos du prolétariat; enfin Haïti où les Américains sont allés rechercher un prêtre "gauchiste" pour calmer les masses en mouvement et les mettre sur le chemin pernicieux de la démocratie. La liste ne s’arrête pas là, mais tous ces exemples ont en commun une stratégie utilisée par les classes dominantes depuis le début du siècle: d’une part il s’agit toujours pour la bourgeoisie de s’allier un homme ou un parti représentant le prolétariat ou les masses déshéritées pour rétablir une situation de guerre civile, et d’autre part le prolétariat et les masses déshéritées se trouvent ainsi enchaînées au char démocratique et voient leur exploitation organisée de façon toujours plus féroce.
Le prolétariat mondial n’a plus rien à espérer de ce monde
capitaliste.
Toutes les cartes ont été utilisées par les classes dominantes pour
le tromper, le trahir, l’exploiter et le massacrer sans hésiter si leur
existence est en jeu. Se pose aujourd’hui le problème aigu de la survie
physique du prolétariat mondial à travers les crises, les guerres
civiles
et les conflits impérialistes: seules la destruction de l’État
bourgeois,
la révolution "rouge", la disparition des classes et du salariat
permettront
son émancipation définitive et une Histoire digne pour l’humanité
entière!
La classe bourgeoise, sa presse, ses politiciens et ses policiers, se sont bien vite empressés d’agiter le spectre de mai 68 aux premières lueurs d’explosion de jeunes en mars-avril! Mais de qui se moque-t-on pour tenter ainsi de nous faire prendre des vessies pour des lanternes ?
Le mouvement de la jeunesse en 68 concernait les étudiants des universités, grandes ou petites, et d’une partie des lycéens, c’est-à-dire des futurs salariés nécessaires à la société bourgeoise alors en pleine expansion. La dernière décennie avait vu en effet la masse des salariés s’accroître et devenir majoritaires dans la population active aux dépens des artisans petits bourgeois, agriculteurs, épiciers, etc... et ceci pour tous les pays industrialisés occidentaux. C’était une époque de prospérité économique occidentale, et la contestation estudiantine partie des universités américaines (et japonaises!), c’est-à-dire de pays hautement industrialisés et "heureux" de l’être, gagnait le vieux continent. Son message idéologique de liberté, de fraternité (nous ne sommes pas loin de la triade de la révolution bourgeoise du 19 ème siècle: liberté, égalité, fraternité!), de remise en question des vieilles conceptions d’autorité, de répression, de morale petite bourgeoise caractérisant la génération de leurs parents et étouffant la société prospère des années soixante et son "individu". Les jeunes exigeaient d’avoir une place plus choyée dans un marché du travail alors plein d’espérance. Jamais, les marxistes de notre acabit n’ont parlé de mai 68 comme d’un mouvement révolutionnaire; sa seule force fut d’avoir été rejoint, avec l’occupation d’usines et la paralysie du monde économique, par le mouvement ouvrier qui seul portait des revendications de classe et des potentialités révolutionnaires. Et ce sont bien les prolétaires et non les étudiants qui effrayèrent le bourgeois.
Des discussions eurent lieu entre le prolétariat organisé dans les syndicats et la classe dominante organisée dans le patronat et le gouvernement. En effet la majorité de la population active était composée de salariés, et l’idée de la bourgeoisie, déjà avant les événements de 68, était de les faire "participer". De Gaulle, président de la République, et qui quittera le pouvoir en avril 69 après l’échec de son référendum, précisait l’esprit de la réforme à venir: «Il s’agit d’une réforme organisant les rapports humains de telle sorte que tous les intéressés, sur les sujets qui les concernent directement, prennent part aux études, projets et débats à partir desquels les décisions sont prises par les responsables. Cela doit s’appliquer sur trois plans conjugués: la nation, la région, l’entreprise». Ses successeurs préféreront au vocable de participation celui de concertation! Et nous marxistes, qui lorsqu’il s’agit de la lutte de classes perdons notre sens de l’humour, nous appelons cela de la collaboration de classe!
Les retombées des événements du printemps ouvrier de 1968 ont donc consisté en des mesures significatives. Au premier plan, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise et le statut protecteur des délégués syndicaux. Le mouvement syndical français s’était développé sur la base des métiers et des Bourses du travail, les discussions se faisaient directement avec le gouvernement ou le patronat, ce dernier montrant une hostilité séculaire de voir s’implanter les syndicats dans les entreprises. Après la vague des occupations d’usines au printemps de 68, le gouvernement, plus clairvoyant, pressa le CNPF (Conseil National du Patronat français) d’accepter dans le protocole d’accord dit de Grenelle le principe de l’institution des sections syndicales d’entreprise, principe qui fut légalisé par une loi du 27 décembre 1968. Cette loi constituait un pas en avant dans le chemin collaborationniste emprunté depuis la guerre de 14-18 par le syndicalisme traître à la classe ouvrière: les prolétaires se trouvaient enfermés dans les limites de l’usine, de l’entreprise, participant à des discussions de concertation sur l’amélioration de la rentabilité de "leur" outil d’exploitation! On ne pouvait pas mieux rêver pour la bourgeoisie! Et nous communistes orthodoxes, face à cette nouvelle trahison, nous clamons: que renaisse enfin le syndicalisme de classe, le syndicalisme hors de l’usine, celui des chambres syndicales, celui des Bourses du travail, où les prolétaires se rassemblent pour des revendications qui dépassent leur propre métier, leur atelier et leur entreprise!
Une autre mesure apportée par le heurt du mai prolétarien fut celle de la transformation du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) en SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) institué par une loi du 2 janvier 1970, en vue de faire bénéficier les salariés de la croissance. Le SMIC comme nous pouvions le prévoir n’a guère porté les fruits de ses promesses en raison en partie de la manipulation des indices qui n’enregistrent pas tous les mouvements des prix. La mensualisation des salaires constitua une autre réforme qui avait pour effet de permettre l’indemnisation totale ou partielle à la charge de l’employeur et pendant une période déterminée, des arrêts de travail imputables à la maladie ou à un accident du travail, compte tenu des indemnités journalières versées par la Sécurité sociale. Elle n’était prévue pour les ouvriers payés à l’heure ou au rendement que par quelques rares conventions collectives et accords d’entreprises. Une déclaration commune du CNPF, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et des syndicats de salariés, datée du 20 avril 1970 en recommandait la généralisation. Devant la résistance des employeurs dans quelques branches d’industrie, une loi du 19 janvier 78 en a rendu le principe obligatoire, mais son application ne sera effective qu’à compter du 1er juillet 80.
D’autres mesures concernaient le contrôle du droit de licenciement, l’âge de la retraite et l’amélioration des pensions, l’évolution des prestations familiales. Toutes ces mesures issues du printemps ouvrier de 68 se donnaient pour but d’améliorer la sécurité et la protection sociales des salariés dans un contexte économique favorable. Or avec la crise économique de 74-75, nous assistons à une tendance inverse, à une remise en question de tous les "acquits" de la prospérité; gouvernements, patronat et syndicats traîtres se remettent à la table des négociations pour présenter aux travailleurs un programme de "crise".
Ainsi avec mai 68, la bourgeoisie optait pour la méthode de la "concertation" et les soi-disant représentants de la classe ouvrière pour une collaboration encore plus vile. De Gaulle avec ses harangues patriotiques et ses médailles d’ancien combattant fut bien vite remplacé par notre bonhomme de Georges Pompidou, sans passé de résistant, bon technocrate, ex-enseignant en littérature devenu larbin du banquier Rothschild. Nous plongeâmes plus profondément dans les abîmes de la démocratie, dans les affres de la société de consommation à tout crin, de l’individualisme forcené, de la domination des mass-média et des spots publicitaires. Et sous les pavés de 68, jetés sur les représentations de l’ordre et de l’autorité par nos braves étudiants, ce ne sont pas la plage et les douceurs de vivre qui furent retrouvées, mais la misère psychique de l’aliénation de l’individu, qui face à la crise économique et à ses souffrances physiques, se retrouve nu et désespéré comme un électron projeté hors de son atome.
Dès 1975 la crise économique prévue par notre parti il y a plus de 50 ans, débutait son travail de sape du monde prolétarien, les syndicats traîtres se révélaient de plus en plus traîtres lors des luttes d’abord vindicatives puis de plus en plus désespérées de la décennie 75-85; et l’arrivée des socialistes au pouvoir en 81, nouvelle carte jouée par la classe dominante pour tromper les masses et les bercer de dernières illusion, permit de structurer la société française dans la crise et d’attaquer les classes petites bourgeoises encore protégées par les vestiges de la prospérité. La droite revenue au pouvoir continue ardemment ce travail. Le premier ministre Balladur allié au président de la République socialiste Mitterand se fait le chantre du dialogue social avec ses avancées sereines et ses reculades précipitées; par cette valse à deux temps, il résout "mollement" mais sûrement le conflit des agriculteurs liquidés par le GATT, celui des marins pêcheurs étranglés par la politique européenne, la crise des transports déficitaires et "trop" subventionnés par l’État de la compagnie aérienne Air france, du réseau du métro et des bus parisiens RATP. Le reprise en main d’Air France est un modèle en soi; après une avancée gouvernementale d’un plan de mesures de "redressement" provoquant une réaction dure et organisée du personnel d’aéroport, une reculade dans laquelle on change d’homme de main: un vétéran de la restructuration de la RATP, Mr Blanc, proche du socialiste Mitterand, est nommé à la direction de la compagnie. Sa tactique consistera à se passer des syndicats, peu représentatifs en France et depuis des décennies (moins de 10% des salariés sont syndiqués), à discuter, non pas avec le travailleur organisé mais avec le travailleur isolé, "responsabilisé" à travers l’arme du référendum, déjà utilisé ailleurs, mais qui dans les restructurations délicates d’entreprises, est l’arme de l’avenir pour museler les réactions des travailleurs.
Et nos jeunes dans tout cela ? Pour eux, (et pour les moins jeunes aussi), le message est clair: la crise économique mondiale, le marché du travail qui se rétrécit comme une peau de chagrin, le chômage pour un jeune sur 4. Pas de travail, pas d’argent, pas de vie. NO FUTURE. Ils deviennent inquiets ou désespérés. Il y a les enfants des parents chômeurs, des parents émigres chômeurs, des familles éclatées qui ne joue plus leur rôle de maintien de l’ordre; les enfants des banlieues tristes, des collèges techniques moroses; les études seront courtes, le chômage est prochain; et depuis quelques années, la banlieue "black-blanc-beur" bouge: les jeunes se révoltent à la moindre étincelle, au moindre tabassage d’un des leurs par un policier par trop raciste, et montent à Paris à la moindre manif; ils n’ont rien à perdre, rien à protéger de cette société qui les abandonne, et s’ils peuvent casser, ils le font à ravir; la politique et les politiciens, ils n’en ont rien à cirer! Il y a les enfants des professions libérales, des employés, des petits et moyens bourgeois, des ex-babas cool de 68; ils sont inquiets; leurs études seront plus ou moins longues, souvent dans le secteur technique où depuis une bonne décennie on promet le maximum d’emplois; mais aujourd’hui ils savent que leurs diplômes ne les sauvera pas; ils vont aux manif, ils crient leur hargne mais ne cassent pas trop; pour eux, ce sont les "battants", ceux qui en veulent, qui s’en sortiront!
Venons-en aux faits et aux chiffres. Pourquoi les décrets d’application du 24 février sur la loi votée en décembre 93 sans remous sur le CIP (Contrat d’insertion professionnel) ont-ils mis le feu aux poudres et provoqué l’agitation des jeunes en mars-avril ?
Aujourd’hui sur 3 millions de jeunes en âge de travailler, environ un sur 4 est sans emploi, soit 4 fois plus qu’en Allemagne, 50% de plus qu’en Grande Bretagne (Le Monde du 3/03/94). En un an la part des moins de 25 ans (près de 800 000) parmi les demandeurs d’emploi est passée de 19,8 à 22,6%. La tendance est encore plus prononcée pour les titulaires d’un diplôme. Leur proportion parmi les jeunes chômeurs a presque quintuplé en 4 ans pour avoisiner les 10%. Comme le déclare un historien du mouvement syndical cité par le Monde du 18-3: "Hormis les périodes de guerre, il y a bien longtemps que l’on n’a pas vu une génération devoir se résigner à vivre moins bien que ses aînés. Et cela vaut également pour ceux qui ont opté pour une voie moins gratifiante, mais présentée comme la plus efficace, celle de l’enseignement technique et professionnel, pour s’insérer dans la vie active ".
Mais de quoi s’agit-il réellement ? Comme le commente le journal Libération du 14/03/94, le nouveau gouvernement mené par Papa Balladur a entrepris un vaste remaniement de la législation de l’emploi (et bien sûr de tous les "acquis" sociaux) dans le but de prendre des mesures pour lutter contre le chômage, ce fléau social qui rend si impopulaire les gouvernements successifs et de plus en plus ardues les sauteries électorales. Or nous marxistes, nous savons bien que sous ces discours démagogiques se cachent la volonté de trouver des méthodes pour diminuer les salaires, augmenter les cadences, et licencier "en douceur". On nous berne avec des projets tarabiscotés d’amélioration de l’emploi, de travail pour tous: un peu moins d’heures de travail pour chacun pour un peu plus d’heures pour son prochain, de plans quinquennaux de relance économique! Des discussions et des tables rondes entre le gouvernement, les syndicats, le patronat, les parlementaires se déroulent sans d’ailleurs que la presse en fasse beaucoup d’échos! Les lois sont votées discrètement et les décrets d’application essayent de passer tout aussi discrètement.
Ainsi de juin à décembre 93 une loi était en préparation à travers de longues discussions avec les "partenaires sociaux" portant sur la réduction du temps de travail, la refonte des systèmes de formation, la modification des instances représentatives du personnel, etc. Le CIP en faisait partie. Il fut décidé pour remplacer les autres types de contrat d’insertion des jeunes dans le marché du travail, comme le contrat de qualification (au nombre de 10 000 en janvier 93) et le contrat d’orientation (291!), et qui s’étaient révélés absolument inefficaces. Le premier projet du CIP fit son apparition en août 93 sur proposition du gouvernement et devait concerner des contrats de 6 mois à un an pour les moins de 26 ans de niveau de formation égal au plus au niveau 4 (le baccalauréat). A la demande des syndicats notamment de la CGC (syndicat des cadres), cette proposition du gouvernement fut élargie, comme s’il s’agissait là d’une mesure avantageuse pour les jeunes!
Le 15-16 septembre 93, toutes les centrales syndicales et le patronat sont interrogés sur le texte en préparation par la commission parlementaire, et le texte comprenant en outre le projet sur le CIP est voté fin décembre sans provoquer le moindre remous. Il stipule que le CIP est ouvert aux jeunes de moins de 26 ans d’un niveau égal au plus au niveau 4, la rémunération par l’entreprise devant être égale au moins à 80% du SMIC s’il n’y a pas de formation, à 45-65% si l’entreprise lui assure une formation. Le CIP est ouvert aussi aux jeunes d’un niveau de formation égal ou supérieur au niveau 3 (bac plus deux ans d’études). Ainsi avec le CIP, vite surnommé le SMIC-jeunes, ce ne sont plus seulement les jeunes sans diplômes qui sont touchés. Le symbole de la valeur des diplômes est ouvertement remis en cause, alors que des mécanismes de sous rémunération existent déjà pour les jeunes en entreprise depuis de nombreuses années. Or la politique de l’emploi menée depuis une bonne décennie n’a guère eu d’effet sur l’embauche des jeunes (le Monde du 18/03/94) malgré les exonérations des charges pour l’entreprise, l’accès à l’emploi étant réservé pour l’essentiel aux salariés de 30 à 50 ans.
Les trois décrets d’application de la loi votée fin décembre sortent le 24 février 94 et provoquent aussitôt des vagues de protestation. Le CNPF refuse de soutenir le gouvernement et les syndicats enfourchent le train des revendication des jeunes. Il nous est encore difficile d’expliquer ce revirement après le consensus des mois précédent si ce n’est par d’autres discussions en cours. Ce SMIC-jeunes va donner la fièvre aux étudiants des grandes villes et villes moyennes où sont concentré nombre de futures diplômés bac plus 2. Si le mouvement des lycées de l’automne 90 touchait des établissements de banlieue, des lycéens de milieu social modeste, souvent d’origine étrangère, scolarisés dans les filières techniques les moins prestigieuses, le mouvement actuel suit un paysage universitaire des filières techniques qui s’est profondément modifié ces dernières années sous l’effet de l’augmentation des effectifs et de la délocalisation à marche forcée (le Monde du 20-21 mars). Les IUT (Institut universitaire de technologie) sont nés en 1966, et en 1980 ils comptent 53 000 étudiants, 68 000 en 90; les bacheliers de l’enseignement supérieur y sont majoritaires. Les STS (section de techniciens supérieurs) qui correspondent à un bac plus 2 ont pris le plus grand effectif; ce sont des vitrines des régions et des entreprises, moins coûteuses que les IUT. Début 80, ils reçoivent 68 000 élèves, 228 000 en 94 dont 40% dans l’enseignement privé, soit une augmentation de 300%, et 12% de l’enseignement supérieur. Les bacheliers technologiques se dirigent de plus en plus massivement vers les STS. Les étudiants de faculté à études longues se manifestent moins dans ce mouvement.
Faisons une chronologie des différents épisodes de cette contestation de mars-avril. Une première réunion entre syndicats se tient le 28 février avec des représentants CFDT, FO, CFTC, CFC-CGC, la CGT n’étant pas invitée; elle décide d’organiser un rassemblement le jeudi 3 mars devant l’Hôtel Matignon, résidence du Premier Ministre, où doit se tenir un sommet avec les syndicats. Le jeudi 10 mars, une manifestation à l’appel des syndicats cités mobilise quelques dizaines de milliers de lycées et étudiants à Paris et en province; 12000 personnes à Paris où des incidents éclatent à Montparnasse aboutissant à 7 blessés parmi les policiers, 14 interpellations (surtout des jeunes de banlieue). Au même moment éclatent des émeutes à Garges les Gonesses, cité-dortoir du Nord de Paris, à la suite d’un meurtre d’un garçon de 16 ans le 7 mars, le bruit ayant couru que son meurtrier (de la même banlieue) devait être relâché.
Le samedi 12 mars la CGT mécontente d’avoir été mise à l’écart organise une manifestation à Paris et en Province avec l’aide de ses troupes et qui selon la préfecture de police rassemble 26 personnes à Paris (150 000 selon la CGT!). Le 23 mars, les étudiants de l’IUT de Paris, organisés par l’UNEF, se mettent en grève suivis le 24 par 10 IUT de la région parisienne. Le jeudi 25 mars, à l’appel de tous les syndicats cités, des manifestations sont organisés dans toute la France. Des heurts parfois durs de produisent. A Paris, environ 30 000 jeunes défilent de Denfert Rochereau à la place de la Nation où se produisent pendant 2h des affrontement en soirée avec les forces de l’ordre immobiles pendant une bonne heure au grand dam des commerçants et de leurs commerces saccagés par les "casseurs"; et pourtant 2500 hommes en tenue et 800 en civils sont sur le terrain. Le bilan de la préfecture de police (le Monde du 27-28 mars) est le suivant: 112 blessés parmi les policiers, quelques dizaines chez les manifestants; 240 interpellations dont 150 parmi lesquelles des mineurs sont relâchées dans la nuit; samedi matin, 90 personnes sont mises à la disposition de la police judiciaire dont 74 font l’objet d’une procédure judiciaire. Le nombre des "casseurs" avoisinerait 1000 personnes, parmi lesquelles les mass-media sont heureux de reconnaître les "spécialistes de la guérilla", c’est-à-dire quelques dizaines de militants anarchistes, des "excités" des banlieues dures et des "hooligans" néo-nazis. En fait parmi les interpellés se trouvent en majorité des collégiens ou des lycéens, parfois des étudiants, ou de jeunes adultes cantonnés à des petits boulots (coursiers, serveurs, etc.).
En province, les manifestations furent très nombreuses: 20 à 30 000 manifestants à Lyon (deux jeunes Algériens interpellés sont expulsés vers l’Algérie 3 jours après en guise d’exemple, puis rapatriés le 11 avril), 12 à 15 000 à Toulouse, 10 000 à Grenoble, 11 000 à Nantes où les affrontements furent violents et la répression policière rude. Une autre manifestation est prévue à Paris le jeudi 31 mars avec toute la province. Le gouvernement recule et par un décret du 30 mars abroge les 3 décrets du 24 février. La manifestation est maintenue et réunit 40 000 personnes, la plus importante depuis le début du mouvement il y a 5 semaines. Cette fois-ci encore les heurts sont importants, les saccages nombreux, les policiers impassibles durant deux heures, attendant les ordres de leurs supérieurs pour riposter: Le ministre de l’Intérieur mis en cause, Mr Pasqua, répondra qu’il s’agissait d’éviter des morts! La répression s’abat ensuite: 335 personnes interpellées (on compte 2 à 3000 "casseurs" cette fois-ci); 65 sont présentées à la justice dont 28 mineurs, 8 comparus devant le tribunal correctionnel; et le 4 avril 3 condamnations avec sursis de 1, 2 et 4 mois, des amendes de 2000 à 3000f.
Le gouvernement, décidé d’éviter au maximum l’affrontement avec les étudiants, a reculé une nouvelle fois, mais nous savons bien qu’il va bientôt, sous le couvert du dialogue avec les jeunes, de discussions médiatisées comme un grand spectacle, réajuster son tir en coulisse. En effet les modalités qui doivent transformer le CIP n’ont toujours pas été arrêtées; elles prévoient qu’une entreprise qui embauche un jeune de moins de 26 ans pendant 18 mois bénéficiera pendant les 9 premiers mois d’une aide mensuelle de 1000F portée à 2000F si le contrat est signé avant le 1er octobre 94. Le mouvement de contestation des jeunes ces dernières semaines en France n’a donc pas mis la bourgeoisie en transe. Sursaut d’une jeunesse à qui on arrache ses dernières illusions, la contestation a été vite reprise en main par la classe dominante qui a pour elle un savoir faire imparable pour anesthésier "l’agressivité". En outre, ce mouvement n’a à aucun moment trouvé un relais dans le monde des travailleurs. La grève largement suivie des transports parisiens du jeudi 7 avril n’a pas eu la faveur de la une des journaux, comme ce fut le cas pour la contestation des jeunes; or il s’agit de répondre à une attaque certaine dirigée contre tous les travailleurs de Paris et de sa banlieue avec une remise en cause du statut étatique de ces transports, et à la clé une augmentation drastique de leur coût pour les utilisateurs! Et c’est bien aux heurts avec la classe travailleuse que se prépare sérieusement la bourgeoisie! Que renaisse le syndicalisme de classe et que se mette en mouvement le prolétariat révolutionnaire, encore assommé par les coups de son ennemi, et notre papa Balladur se transformera bien vite en chef militaire.
Fidèles à notre méthode, nous donnons ici une vue d’ensemble de la production industrielle des 7 principaux pays industrialisés et du monde. Pour cela, nous insérons ces nouvelles données dans les séries antérieures. Elles confirment, comme nous le verrons, les perspectives, désormais classiques, que nous traçons depuis maintenant un demi-siècle, confirmant ainsi la validité des théories sur lesquelles elles s’appuient.
Les appareils d’économies statistiques, dont est amplement pourvu le monde capitaliste, nous ont fourni une large gamme de données que nous avons pu mettre sous forme de tableau et de graphique, en nous appuyant sur les lois de la science marxiste de l’économie. Il en ressort une nette confirmation de ces lois, qui énoncent l’écroulement et la mort du mode de production basé sur le capital et le salariat.
Si nous regardons la répartition des principaux pays industrialisés et de l’ensemble du monde, du point de vue de l’augmentation annuelle moyenne de la production industrielle, sur les 11 années qui courent de 1980 à 1991 (voir le tableau 1), il en ressort: que le Japon vient en tête avec un rythme de croissance supérieur de 50% à celui du trio constitué par les États-Unis, l’Allemagne et l’ex-Union Soviétique, et un rythme triple vis-à-vis de l’Angleterre, de la France et de l’Italie. Les données concernant le monde, pris globalement, nous montrent que la production industrielle y a crû plus rapidement que parmi les principaux pays industrialisés.
La confrontation des 5 premières années (1980-1984) avec les 6 dernières (1985-1991) montre que l’ex-Union Soviétique est passée de la première place à la dernière avec une diminution de l’incrément de 80%. C’est à la fois le prix payé pour la perte de l’Empire, et le résultat de la sévère récession économique qui touche les pays de l’ancienne fédération et qui a conduit à son éclatement. L’Angleterre et les États-Unis, l’ancien et le nouveau patron du monde, perdent respectivement 31% et 9%. Le Japon, l’Allemagne, la France et l’Italie améliorent leur position: le Japon de 21%, l’Allemagne de 4 fois et la France de 10 fois. L’Italie fait mieux que tous les autres car elle part de données négatives. Le monde, pris dans son ensemble, double passant de la 5ème position à la 3ème, confirmant une fois de plus que l’origine de la crise doit toujours être recherchée parmi les principaux pays industrialisés.
Toutefois, en prenant pour notre analyse la période qui va de 1980 à 1991, nous avons opéré un peu à la manière des économistes bourgeois qui choisissent au hasard les années, sans tenir compte du fait que l’on se trouve au début, au milieu, ou à la fin d’un cycle; et ceci quel que soit le pays. À cause de cela l’analyse se maintient à un niveau quantitatif, c’est-à-dire à la superficie des phénomènes.
Or ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant de montrer, comme dans une course sportive, les fléchissements et les accélérations qui modifient la position respective des différents pays durant les différentes phases de leur parcours (aspect certainement non secondaire, que l’on prend toujours en considération dans une analyse approfondie des phénomènes économiques), que de mettre en évidence les caractéristiques fondamentales communes à tous. Quel que soit le parcours plus ou moins accidenté, parsemé d’épisodes de tension et d’alliances temporaires, que l’on soit dans une phase d’ascension ou de descente, il s’agit toujours d’une course macabre dans laquelle plus nos 7 as s’approchent de la ligne d’arrivée, et plus ils se précipitent vers l’écroulement et la mort.
Pour aller dans cette direction, nous devons faire un saut qualitatif en insérant les données du tableau I du "Corso" (p 26-33). Ceci nous permet de mettre en évidence les maxima atteints par la production et de mettre à jour, sur cette base, le tableau III du "Corso" (p 46-57) pour nos 7 pays industrialisés. Nous obtenons ainsi un tableau III bis dont les séries vont de 1913 à 1991. Sur un arc de temps d’environ 80 ans, ce tableau nous montre de façon dynamique et palpitante la décroissance inexorable du taux d’incrément de la production industrielle.
Les années qualitativement égales, pour l’ensemble des 7 pays et pour le monde, sautent aux yeux: 1913, 1929 (sauf pour la France qui connut la récession en 1930, et l’Union Soviétique où l’accumulation du capital battait alors son plein avec des taux vertigineux), 1973-1974, 1979 (1980 pour l’Italie. Le Japon et l’Union Soviétique ne connurent pas alors de récession), 1989-1991. Durant ces années plus denses, les 7 principaux pays industrialisés et le monde ont marqué de manière indélébile leur histoire économique et par voie de conséquence leur histoire politique. Surtout quand leur concurrence effrénée s’est transformée en lutte armée ouverte plus ou moins généralisée.
Avant d’examiner le tableau III bis, il est opportun de faire quelques remarques sur la façon dont les économistes bourgeois présentent les faits et sur les critères qu’à l’inverse nous utilisons pour élaborer nos propres tableaux. Tandis que les bourgeois choisissent au hasard les années de départ, sans tenir compte du cycle d’accumulation du capital, nous prenons comme référence les années qui correspondent aux maxima atteints par la production. C’est-à-dire le maximum atteint au cours d’un cycle et qui précède les années de récession où les indices de la production industrielle chutent brutalement. A l’inverse les économistes, lorsqu’ils ne prennent pas les années au hasard, pour exalter les taux de croissance, prennent souvent comme référence les minima atteints au cours de la récession. Ce qui évidemment fausse la perspective et n’a aucun contenu scientifique, sinon un contenu de propagande et d’apologie.
Si nous regardons le tableau I où les années sont prises au hasard, pour chacune des séries (1980-1991, 1980-1985, 1985-1991) nous avons dû modifier la position respective de chaque pays. En outre aucune loi économique, sinon le pur hasard, ne ressort de ce tableau. A l’inverse, si nous construisons notre tableau en nous appuyant sur les maxima atteints par chaque pays, la place de chacun d’eux correspond à l’ancienneté de l’apparition du capitalisme. Et la baisse tendancielle du taux de profit ressort nettement. Ainsi lorsque l’on présente les faits à la manière des bourgeois, règne le chaos et toutes les manipulations sont possibles. Par contre si nous utilisons nos critères, les lois causales ressortent nettement.
Le tableau III bis, qui couvre approximativement 80 années, commence par l’année 1913. Année de production maximale pour tous les pays et où l’industrie allemande rejoint pour la première fois celle du Royaume Uni avant de la dépasser. Il se termine avec un autre maximum entre 1989 et 1991, suivant les pays. Dans ce tableau, nous confronterons les 60 premières années (1913-1973) avec les 20 dernières (1973-1991). Nous obtenons ainsi trois séries: 1913-1991, 1913-1973, 1973-1991.
Lorsque l’on compare les deux dernières séries, on peut voir que le
Royaume Uni voit l’incrément annuel moyen diminuer de 42%, La France de
43%, l’Allemagne de 33%, les États-Unis de 40%, le Japon de 57%,
l’Union
Soviétique de 50% et l’Italie de 52%; tandis que le monde voit le sien
diminuer de 34%. Il est à noter comment dans ces trois séries ressort
nettement le rapport inverse entre l’âge du capitalisme et l’incrément
moyen annuel: plus, pour un pays donné, le capitalisme est ancien et
plus
petit est l’incrément. Lorsque l’on regarde le tableau horizontalement
de gauche à droite, ce qui correspond à l’ancienneté décroissante des
différents capitalismes, les incréments moyens augmentent. Si l’on
regarde
le tableau verticalement, pour chaque pays, l’incrément moyen diminue
inexorablement. Nous avions déjà bien mis en lumière cette loi
économique
dans "Il Corso" avec les tableaux 1 et 2 (p60-61). Cependant ces
tableaux
se terminent avec l’année 1985, car nous n’avions pas de données
statistiques
qui allaient au delà. Or l’année 1985, pour aucun pays ne correspond
à un maximum.
I
I
D’un cycle à l’autre, l’aplatissement de la différence entre l’incrément minimal et celui maximal devient de plus en plus manifeste. Pour la période de 16 années (17 ans pour la France) qui va de 1913 à 1929, le rapport entre l’incrément le plus haut et le plus bas est de 42, tandis que pour la période de 15/18 ans qui va de 1973 à 1991, le même rapport est 3.9. Même si l’on tient compte du fait que pour la période 1913-1929, l’incrément le plus mauvais pour l’Allemagne (0.18) est nettement en dessous des 0,77 que l’on trouve chez le Royaume Uni, la France, etc.., le nouveau rapport obtenu (9) est nettement au-dessus des 3.9 de la dernière période.
Nous avons reproduit sous forme de graphique les indices annuels de la production industrielle du tableau I du "Corso" pour les principaux pays industrialisés et pour l’ensemble du monde. Toutefois, nous nous sommes limités à la période 1913-1991 du tableau III bis.
Les deux grandes crises de surproduction de 1929 et 1973 ressortent nettement. Après cette dernière les courbes confirment, ce que tout un chacun a pu remarquer dans sa vie quotidienne, qu’aucune reprise généralisée soutenue n’a eu lieu. La douce pente des courbes ne correspond pas à ce que l’on aurait dû avoir lors d’une reprise économique. Cela indique bien que la grave crise type 1929 que nous attendons est encore à venir. Et cela finalement est mieux ainsi. Cette période de crise larvée prépare bien mieux le prolétariat à la tourmente révolutionnaire à venir avec le tremblement de terre qui s’annonce, que si la crise de 1973, après tant d’années de prospérité et d’abrutissement générale, avait débouché en déflation généralisée.
Pour des raisons opposées aux nôtres, Samuelson, économiste bien connu, pense lui aussi qu’il est mieux que les choses se déroulent ainsi. Dans une récente interview, il répondait au journaliste qui trouvait qu’une croissance de 3% pour 1994 serait bien trop faible: "Je définirais une croissance d’environ 3% adéquate, oui tout à fait adéquate. Si la croissance économique devait être plus forte, il y aurait quelques raisons de s’en préoccuper". Évidemment, les préoccupations de Samuelson, qui de façon bornée nie la crise actuelle, sont totalement opposées aux nôtres. Il reconnaît que le système économique est vieux, et pour des raisons de conservation, il pense qu’il vaut mieux que l’économie se meuve avec précaution. L’époque où les économistes s’inquiétaient lorsque les rythmes élevés à deux chiffres faiblissaient, semble se perdre dans la nuit des temps.
Un autre Gourou de l’économie bourgeoise, Galbraith reconnaît que "la reprise est plutôt lente". Il rappelle que dans les temps passés, lorsqu’il était encore jeune (il a aujourd’hui 85 ans), l’économie après une crise explosait de vitalité. Et d’ajouter sentencieusement avec de manifestes regrets: "Une chose est sûre, la sous classe de ceux qui se trouvent à la base de la pyramide sociale aura d’autant plus d’opportunité d’améliorer son sort, que la croissance économique sera rapide". Pour tous ces professeurs d’économie, la dialectique n’est pas leur fort. Entièrement formés à l’école de la pensée métaphysique, il va de soi qu’après chaque crise doit suivre une croissance élevée. Et tout ce qui est bon pour le capital doit l’être pour tout le monde.
Remarquons que le prolétariat n’est plus la base de la pyramide sociale et que la fraction du prolétariat qui se trouve au chômage est reléguée dans les limbes de la sous classe. Et ceci pour la simple raison qu’il s’agit de ponctionner le prolétariat: "Encore une fois, la société de ceux qui peuvent satisfaire leurs besoins, de ceux qui sont socialement satisfaits (les salariés pour 90% et la petite, moyenne et haute bourgeoisie pour 10%), doit partager (c’est-à-dire répartir suivant vos critères) les sacrifices pour sortir de la récession". Et il ajoute: "Pour avoir le plein emploi, pour que la reprise économique dure et s’étende sur tout le territoire", les égoïstes qui ne font pas partie de la sous classe "devraient simplement payer plus d’impôt, tout le problème est là". Il précise que "les grands pays industriels doivent s’unir et soutenir un programme commun de stimulation à la croissance, un gigantesque programme public universel pour créer des emplois". Il termine candidement en confessant: "Qu’il faudra certainement beaucoup de temps pour obtenir des résultats concrets". Laissons tomber ce voeu pieux d’un apôtre de l’économie bourgeoise pour rappeler un de nos points cardinaux tant de fois rabâchés: c’est seulement quand le capitalisme est né et lorsqu’il était encore jeune qu’il connaissait des taux de croissance élevés, donnant l’opportunité au prolétariat, à cause des conditions difficiles dans lesquels il se trouvait et aux transformations sociales brutales et rapides, d’accoucher d’une doctrine et d’un parti, dont les armes théoriques et l’organisation lui permettent de se défendre dans les phases de croissance et de passer à l’offensive dans les phases de crise de surproduction.
Si dans les phases de prospérité le prolétariat voit ses conditions de vie s’améliorer, son exploitation relative (c’est-à-dire l’extorsion relative de la plus-value grâce au gain de productivité) augmente constamment. Dans les phases de crise, non seulement l’extorsion relative de la plus-value continue, mais ses conditions de vie régressent et deviennent tout à fait précaires. C’est seulement en abolissant les rapports de production capitalistes que le prolétariat pourra améliorer régulièrement et de façon décisive ses conditions de vie.
Nous pouvons fournir un panorama plutôt éclairant sur le sujet. Nous
nous limiterons à l’Italie, mais l’exemple vaut pour
tous les pays.
COURS DU CAPITALISME ITALIEN DE L’APRÈS-GUERRE
De 1982 à 1983 un ensemble de décrets contre les grèves, pour l’auto réglementation et le règlement des conflits du travail a été promulgué.
Ces décrets furent complétés en 1992 par l’abolition de l’échelle mobile. Ceci peut laisser croire que, dans une bonne partie de l’après-guerre, les salaires auraient augmenté régulièrement.
L’appui apporté par la CGIL (Confédération Général Italienne du Travail), à l’abolition de l’échelle mobile, fut justifié par son secrétaire général comme une mesure responsable visant à éviter une crise gouvernementale. Seule une organisation syndicale inféodée aux intérêts du capital pouvait se moquer de la volonté de lutte des travailleurs contre une politique tendant à aggraver leur situation économique.
Avant de continuer, faisons un retour à 1929 en nous plaçant sur un plan international. En 1929 la production industrielle des USA atteignait l’indice 205 (sur la base 100 pour 1913), enregistrant le nouveau maximum historique. Durant les trois années successives, en un crescendo d’incréments négatifs (-12,7, -17,3, -21,6), l’indice descendait à 116, correspondant à une chute de -43,4%. La grande crise qui avait fait le tour du monde arrivait à son point le plus aigu. En 1937, l’indice remontait péniblement à 220. En 8 ans, de 1929 à 1937, la production industrielle des États Unis a cru au rythme plus que modeste de 0,9% l’an. En 1938, l’indice s’écroulait à 161, accusant une chute de 26,4%, plus du double de celle de la première année de la grande crise. Si le parallélisme pour les années suivantes avait été respecté, cela aurait été la fin du capitalisme aux États Unis et dans le reste du monde. Il fallait monter aux créneaux et l’unique solution fut de canaliser la crise dans le second grand massacre mondial.
Encore une fois, le capitalisme réussit à s’en sortir. La défaite militaire des régimes fascistes d’Allemagne, du Japon et d’Italie se traduisit par la victoire politique du fascisme à l’échelle internationale: les superstructures politiques modernes du fascisme (intégration des syndicats, intervention de l’état dans toutes les sphères de l’activité économiques et sociales, rôle secondaire du parlement, etc..) furent empruntées dans l’après-guerre par tous les États. La démocratie sous sa forme fasciste devint le rempart le plus sûr de la sauvegarde des intérêts du capital contre le prolétariat. Le centre politique du nouvel ordre mondial d’après guerre ne pouvait se trouver que dans le pays dont l’appareil productif s’était révélé le plus puissant: les États-Unis d’Amérique. L’immense destruction de travail vivant et de travail mort permit la reprise de l’accumulation mondiale sur la base de la nouvelle division impérialiste des marchés et des zones d’influences, telle qu’elle est issue du nouveau rapport de force entre les différents centres impérialistes.
La phase "d’accumulation qualitative", une juste expression de Marx, caractérise le premier quinquennal post-belliqueux, dans l’ensemble du monde, comme en Italie.
Dans ce dernier pays, la nécessaire restructuration de l’appareil productif concerna d’abord les secteurs traditionnels de l’industrie textile et alimentaire, ainsi que la production d’électricité qui devait s’adapter aux nouvelles exigences. La restructuration du capital fixe, qui avait subi de grands dommages, exigeait beaucoup plus de temps. Les secteurs sidérurgiques et mécaniques dont le taux de destruction dépassait les 20%, ainsi que celui de la chimie, devaient attendre une phase ultérieure.
Dans le même temps le capital variable avait subi une destruction égale à 25% de la force de travail disponible avec deux millions de chômeurs et 3 millions de chômeurs partiels. Une situation qui de fait représentait la base sociale nécessaire pour la remontée des profits et l’accumulation de la plus-value.
Quelle était la situation du prolétariat italien en ces temps difficiles ? Les salaires en chute libre depuis des années furent bloqués à un niveau remarquablement bas. Les prix eux, gonflés par une inflation galopante (entre 1939 et 1945 les prix furent multipliés par 25), furent bloqués à un niveau s’entend extrêmement haut. En définitif, les salaires, entièrement consacrés à la consommation des produits de première nécessité, furent bloqués lorsque leur niveau était égal à la moitié de ceux d’avant-guerre.
Durant ces années le capital international, sous l’étiquette du "Plan Marshall", réclama, mieux intima la stabilisation de la lire: le gouverneur de l’époque de la banque d’Italie, Einodi obéit, dévaluant la lire de 300%! En remerciement, il fut nommé président de la république.
Une fois la période quinquennale de reconstruction terminée, les bases économiques et sociales solidement fixées, l’on passa à la période successive de développement quantitatif de la décennie 1950-1960.
La production industrielle, qui en 1950 avait rejoint l’indice 224, par rapport au 100 de 1913, atteignit en 1960 l’indice 535, enregistrant la remarquable augmentation annuelle moyenne de 9.1%. Les revenus, quant à eux, et donc les salaires voyaient leur augmentation moyenne égaler les 6%. Un bon tiers inférieur à celui de la production industrielle. Et si les statistiques portaient, non pas sur l’augmentation annuelle moyenne des revenus en général, mais sur les salaires ouvriers, l’augmentation comme on peut s’y attendre serait sûrement plus basse.
Le secteur automobile, privilégié, vit sa production augmenter de 17.6% en moyenne annuelle, un rythme double de celui de la production industrielle dans son ensemble. De 127800 unités en 1950, la production passa à 644600 unités en 1960. Conformément aux accords entre branches du capital, l’État pourvut à la construction des routes. De même, l’industrie électroménager et la chimie marquèrent un rythme de développement supérieur à celui de la moyenne de l’industrie. Les prix des produits de ces industries subirent une baisse relative en regard de l’inflation qui en moyenne oscillait autour des 2%. Les profits recueillis quant à eux augmentèrent de 35%.
Par contre l’augmentation des salaires et de la production des produits alimentaires et de première nécessité se trouvait bien en-dessous de la moyenne industrielle: 5% pour les premiers et 4% pour les seconds. Il en ressort que la voie italienne de la reprise continuait à être caractérisée par des velléités impérialistes.
La force de travail employée augmentait en moyenne au rythme annuel de 3% l’an. La productivité, obtenue en rapportant l’augmentation de la production à l’augmentation de la force de travail occupée, avait triplé. En 1960, les données officielles donnaient un taux de chômage de 3%. Mais le taux d’occupation, surtout féminin, était beaucoup plus bas que la moyenne européenne, avec de larges couches de travailleurs précaires et sous payés.
L’Italie était déjà un impérialisme fort, même si secondaire. Elle s’assigna un rôle durable et spécifique dans les secteurs traditionnels et mécaniques, de consommation, et des outils de précision; et ceci avec une composition industrielle et commerciale mixte, de moyenne technologie et une échelle de production moyenne, mais suffisamment élastique et adaptable aux exigences du grand capital des multinationales. En conformité aux différentes phases du cycle du capital mondial, l’Italie réalisait une fonction tampon, tant dans sa participation à la production impérialiste mondiale, que dans sa réponse aux exigences tumultueuses de la circulation du capital.
Le début des années 60 virent les conditions de travail du prolétariat s’aggraver à vue d’oeil. Les luttes qui en résultèrent portèrent aux premiers contrats collectifs de quelques significations depuis la fin de la guerre.
La récession de 1964 provoqua l’intervention de la banque centrale avec sa politique de restriction du crédit. L’inflation alors de 6% retomba à 3%. Les conquêtes partielles sanctionnées dans les contrats furent en substance vidées de leur contenu. Le salaire social réel diminua. A la fin des années 60, le revenu national et l’effet de ciseaux entre salaire et productivité atteignit un maximum historique, reportant les conditions de vie relatives des familles des salariés à 80% de celui de 1952.
L’arrêt successif de l’embauche, le début de la sélection de la force de travail, l’augmentation des formes de travail irrégulières furent la réponse patronale aux augmentations relatives de salaire (au rythme de 9% l’an) et aux prétendues conquêtes sur le poste de travail. Ces dernières en fait servirent de tremplin à la restructuration technologique liée au nouveau machinisme.
Sous l’influence du capital financier international, en Italie, comme dans le reste du monde, les sources de profits non industrielles (rentes, spéculations sous toutes ses formes, notamment monétaires; symptômes d’une longue phase de crise qui frappait à la porte) se développaient à vive allure. Il fut tout de suite évident que le coût du travail, la partie variable du capital était l’anneau faible du cycle des métamorphoses du capital. La crise du capital se transformait en crise du travail. Le taux de profit, devenu trop bas dans l’industrie et ne permettant plus une accumulation suffisante du capital, ne pouvait être relevé qu’au détriment du capital variable.
Au début des années 70, on assiste à la fin du système de Bretton Woods (avec l’inconvertibilité et la dévaluation du dollar), au ralentissement du commerce mondial et au début toujours plus marqué de formes de protectionnisme et de guerres commerciales entre la CEE, les États-Unis et le Japon.
L’unique objectif atteint par la grande bourgeoisie internationale fut de reprendre le plein contrôle de la force de travail. L’hyperinflation se répandit dans l’ensemble du monde avec des taux à 2 chiffres, pour ne pas parler des pays étranglés par le crédit international où les taux d’inflation étaient à 3 ou 4 chiffres. En Italie, sous l’effet de l’inflation engendrée par le capital, les prix entre 1970 et 1975 furent multipliés par 5, tandis que les revenus augmentaient seulement au rythme de 3% l’an. Durant cette période où la demande de matière première était forte, l’indice de la production industrielle atteignit un nouveau maximum en 1973-1974, la spéculation se déchaîna sur les matières premières faisant monter leur prix de façon spectaculaire à partir de 1972. Les prix du pétrole augmentèrent à leur tour à partir de 1973. Une étude approfondie montrerait que la récession qui s’en suivit n’a pas pour origine l’avidité des cheikhs arabes, comme la propagande le faisait croire, mais les mécanismes économiques du capital qui ont déchaîné la spéculation sur les matières premières et l’hyperinflation pour diminuer le revenu des ouvriers.
En 1975 Kissinger, secrétaire d’État américain, formula son projet de relance impérialiste connu sous le nom de Nouvel Ordre économique international. Avec l’arrêt de l’accumulation, la destruction de capital, la chute du taux de profit et l’écroulement du commerce international, la crise de surproduction atteignit son maximum en 1975. La crise se compléta aussi par la destruction de capital variable, avec la reproduction de l’armée industrielle de réserve; non pas seulement le chômage, mais aussi peu à peu le développement du travail précaire et du travail à temps partiel.
Depuis, en Italie comme dans beaucoup d’autres pays industrialisés, le taux de chômage n’est jamais descendu en dessous des deux chiffres.
La fiscalisation des charges sociales (grâce à laquelle l’État pare à la crise et soutient la restructuration des entreprises), l’acceptation de l’augmentation de la charge de travail, pour le moment extensive (suppression de jours fériés, heures supplémentaires), en opposition avec ce qui avait été établi dans les contrats précédents, l’aggravation des conditions de travail, devenues la nouvelle norme, s’est accompagnée parallèlement de l’intégration et l’institutionnalisation des confédérations syndicales.
Incroyable: désormais, c’est le patronat qui, par rapport aux buts que se fixe le gouvernement, avance aux syndicats les "revendications"!
En 1926, au palais Vidoni fut défini un accord syndical de même teneur: l’organisation syndicale était "libre", mais seuls les syndicats fascistes, institutionnellement reconnus, pouvaient passer des accords. Eux seuls (et non les travailleurs) étaient titulaires des droits syndicaux (à commencer par le droit de grève). L’accord national prédéterminait toutes les questions d’intérêts généraux et politiques, niant toute autonomie aux luttes du prolétariat. Qu’y a t-il de différent aujourd’hui ?
Le début des années 80 voit désormais les travailleurs à la merci de la Grande Corporation nationale et internationale, avec le licenciement en masse de la FIAT. La part de la masse salariale sur le revenu national, qui avait dépassé les 70% en 1975 (surtout à cause de l’écroulement des profits durant la phase aiguë de la crise), retomba à 65% en 1989. Les conséquences de la réorganisation de la phase précédente se traduisirent par une augmentation du salaire réel inférieure à celle des autres pays impérialistes, parmi lesquels les États-Unis, pourtant champion en la matière, et par une augmentation de la productivité horaire venant juste derrière le Japon. Évidemment cette dernière se fait au détriment de l’occupation et de l’ensemble des heures travaillées. Par contre le travail à temps partiel et précaire, légal et non légal, se mit à fleurir. Le résultat global de ces deux tendances fut une diminution du coût du travail par unité produite, en terme réel, supérieure à tous les autres concurrents impérialistes.
A partir des années 80, sur cette base, l’augmentation de la productivité du point de vue intensif pouvait être relancée (rythme de travail, temps morts, réorganisation du processus du travail, en attendant une complète automatisation du contrôle).
L’entière reconfiguration productive constituait une phase de préparation pour tenter de restituer une "efficacité" capitaliste (c’est-à-dire sur le plan du taux de plus-value et du taux de profit), grâce d’abord à la flexibilité de la force de travail, puis à l’introduction d’un système d’automation plus poussé alors insuffisant.
Quant au mythe du "retour au marché", il suffit de remarquer qu’au mot d’ordre "plus de marché", n’a correspondu, en aucun pays, l’autre devise "moins d’État", mais au contraire "plus d’État" en faveur des entreprises et de la spéculation privée, au détriment de la fonction sociale. Le credo "plus de marché" a toujours représenté une fausse métaphore pour garantir la liberté d’action du grand capital financier, monopoliste et transnational, contre tous les autres couches et classes sociales sur le marché mondial.
La situation sociale désormais était telle, que toute perspective d’une consolidation néocorporatiste impliquait de nécessaires changements du système politique, tout-à-fait prévisibles. Une des options était la dissolution du PCI (Parti Communiste Italien). C’est le capital international qui a donné ses ordres et qui a reçu l’historique: "A vos ordres!"; il s’agit-là de bien plus qu’un tournant.
La classe dominante a couronné son effort de vingt d’années en annulant finalement la soi disante "anomalie italienne", qui montrait un rapport des forces entre les classes moins défavorable au prolétariat italien que dans la moyenne des autres pays impérialistes.
La stratégie offensive du capital s’est fondée sur la reconstitution d’une ample armée industrielle de réserve et grâce à la pression qu’elle exerce, sur l’obtention de la plus grande flexibilité et fluidité de la force de travail.
La crise de surproduction mondiale de 1974-1975, se traduisit en Italie par une contraction de plus de 5% en terme réel du chiffre d’affaire industriel, par une augmentation des stocks, par une diminution du taux d’utilisation des installations de 6% et par un affaissement de 10% de la production industrielle.
Par voie de conséquence, le taux de profit brut moyen dans l’industrie, passa de 21% à 17%, provoquant l’arrêt des investissements de la part des capitalistes: sur deux ans, les investissements chutèrent de 12%.
La reconstitution d’une ample armée de réserve industrielle tendait à ramener, tant le prix que la quantité de la force de travail, dans les limites imposées par les nouvelles conditions de valorisation du capital.
A la suite de l’augmentation générale du prix des matières premières, ils utilisèrent à fond l’inflation. Ainsi entre 1974 et 1980 les prix à la production de l’industrie manufacturière augmentèrent en moyenne annuelle de 17%, portant l’indice des prix de 100 à 256, tandis que dans la même période, l’indice des prix à la consommation passa de 100 à 300. Parallèlement la monnaie fut dévaluée de 60%, consentant sur le marché international jusqu’en 1978 un gain de compétitivité de 6% en matière de prix, sauvant ainsi les profits industriels et commerciaux.
Entre 1976 et 1980, le revenu brut des salariés respectivement à l’inflation passa de l’indice 100 à 75, mais le salaire social réel du prolétariat diminua bien plus, par suite de la réduction du nombre des salariés employés.
De 1974 à 1980 le nombre de chômeurs, compte tenu de la "cassa integrazione", passa de 5.6% de la population active à 8.2%.
La stratégie multiforme, suivie par le capital italien, permit au taux de profit brut de retrouver en 1978 le niveau de 1974, d’avant la crise, et d’atteindre le maximum de 24.3% en 1980.
Durant toute la décennie des années 80, l’on assiste à une spéculation effrénée qui conduit à un gonflement du capital fictif. C’est la financiarisation qui comporte une nette inversion des taux d’intérêt réels à l’échelle internationale, qui passèrent au positif à grande vitesse.
C’est durant cette décennie que débute la seconde phase de reconstitution de l’armée industrielle de réserve, débilitant encore plus la classe travailleuse. L’occupation ouvrière, qui en 1960 correspondait à 70% de la force de travail occupée, tomba à moins de 50% au plus fort de la crise en 1975.
Ainsi, à la suite de toutes ces mesures et à la réduction des frais financiers, qui dans les grandes entreprises tombèrent en dessous des 10% du profit brut (la plus-value), les profits industriels nets des grandes entreprises ont battu des records d’augmentation de plus de 300%.
Reflet de l’augmentation de la centralisation du capital opéré par l’impérialisme mondial, le poids relatif des petites et moyennes entreprises en Italie diminua fortement.
Les événements dramatiques de la période examinée (très rapidement, mais notre travail n’est pas de nature culturel et académique, mais un travail révolutionnaire de parti), qui ont impliqué le capital et la force de travail dans des relations contradictoires toujours plus tendues, nous conduisent à une conclusion nette et précise: la myriade de capitaux, qui opèrent désormais depuis longtemps en n’importe quel point du globe, que ce soit dans le domaine de l’industrie, du commerce, des services ou de la spéculation, s’affrontent avec une férocité croissante pour s’approprier la plus-value obtenue de l’exploitation du travail salarié. Ceci parce que la réalisation de la plus-value sur le marché devient de plus en plus difficile. Les capacités d’absorption du marché se trouvent dépassées par la production toujours plus massive de marchandises.
Mais si les marchandises ne se vendent pas, la production devient inutile. Le capital vit tant que la plus-value peut être réalisée sur le marché, autrement c’est la crise de surproduction et la paralysie.
Une solution consiste à augmenter le taux de plus-value de façon relative et absolue. Cependant si l’augmentation de la productivité permet bien dans un premier temps d’augmenter le taux de profit en augmentant le taux de plus-value relative, lorsque les nouvelles conditions techniques se généralisent à l’ensemble des entreprises, la diminution relative du capital variable par rapport au capital constant conduit à une nouvelle baisse du taux de profit. D’autre part dans les conditions actuelles, l’augmentation de la productivité se traduit par une diminution du nombre des travailleurs employés. Dans les deux cas l’augmentation de la productivité ne fait qu’aggraver les contradictions du capitalisme, en accentuant la baisse tendanciel du taux de profit et en rendant plus difficile la réalisation de la plus-value sur le marché, car plus de production avec une masse salariale réduite conduit à un goulot d’étranglement.
L’autre solution, la guerre impérialiste à l’échelle planétaire, par sa destruction massive de capitaux, et son massacre de prolétaires, crée les conditions qui permettent au capital de recommencer tout un nouveau cycle historique d’accumulation. La guerre en ramenant la composition organique du capital à un niveau antérieur représente un vrai bain de jouvence pour le capitalisme. Dans l’après-guerre, comme l’Allemagne et le Japon l’ont démontré, le capitalisme bat des records d’accumulation, les taux de profits sont vertigineux, comparables aux taux de sa naissance. La destruction massive de capital constant, les bas salaires, l’introduction à large échelle de nouvelles technologies à grande valeur ajoutée, tout cela fait que l’accumulation part sur de nouvelles bases pour une nouvelle période historique.
Mais avant d’en arriver là, d’autres crises de surproduction se présenteront. Nous pouvons prévoir sans trop de difficultés que la situation de crises chroniques que connaît le capitalisme débouchera sur une crise mondiale de surproduction d’une ampleur sans précédent, bien supérieure par son amplitude à celle de 1929.
Une telle crise ramènera une fraction non négligeable du prolétariat vers ses traditions de classe; celle du Manifeste de 1848. L’alternative qui se posera au prolétariat sera celle de la guerre impérialiste ou de la révolution: ou le prolétariat se laissera embrigader dans une nouvelle aventure impérialiste, comme en 1914 et en 1939, ou il aura la force d’abattre ce monstre odieux et ignoble en renversant de façon résolue la bourgeoisie, en se battant fermement et de façon décidée sur son propre terrain inscrivant sur son étendard:
(Prometeo, II, n° 3-4)
A la suite des "Éléments de l’Économie Marxiste", qui était un commentaire du premier livre du capital, nous avons publié quelques remarques "sur la méthode dialectique", qui devaient initier une nouvelle série sur ce que l’on peut appeler "le côté philosophique du marxisme".
Le marxisme pose la question philosophique de façon originale et en ce sens refuse de se laisser classer parmi les différents courants philosophiques historiquement répertoriables. Nous ne dirons donc pas qu’il y a une philosophie marxiste, mais nous ne dirons pas non plus que le marxisme n’est pas une philosophie, ou que le marxisme n’a pas une philosophie. Cela donnerait lieu à équivoque et à un grave péril, en laissant croire que le marxisme se pose sur un terrain "étranger" à celui que les philosophes ont hypothéqué depuis des millénaires. L’on pourrait en déduire, aboutissant ainsi à une grave déviation, que le militant marxiste, après avoir accepté quelques directives d’action politique et sociale et reconnu quelques théories économiques et historiques, resterait libre d’accepter l’une des nombreuses philosophies: réalisme ou idéalisme, matérialisme ou spiritualisme, monisme ou dualisme, etc.
Le marxisme exclut toutes les philosophies connues historiquement, mais de façon différente de celle dont chaque philosophie condamne les autres. Ainsi, au moins de façon négative, il a aussi une position caractéristique en matière de philosophie.
Comme exemple mémorable d’une telle position, beaucoup d’entre nous se rappelle la déclaration de Gramsci au congrès de Lyon en 1926. Bien qu’il s’agisse de la tactique du parti, il fut conduit à déclarer durant le vaste débat: Je donne acte à la Gauche d’avoir finalement acquis et partagé sa thèse, selon laquelle pour adhérer au communisme marxiste il ne suffit pas de souscrire à une doctrine économique et historique et à une action politique, cela implique aussi l’acceptation d’une vision bien définie, et distincte de toutes les autres, de tout le système de l’univers, y compris matériel.
Alors que Gramsci comprenait donc que celui qui passe sous la bannière communiste doit engager les termes de sa pensée scientifique et philosophique, et se débarrasser fermement de ce qui provient, même à travers un sérieux effort d’étude, de sources non classistes et non marxistes, ses épigones posthumes depuis lors glissent toujours plus vers la plus éclectique tolérance envers les positions idéologiques les plus diverses; sceptiques et confessionnelles, incrédules et mystiques, individualistes et adorateurs de l’État. Ils reflètent ainsi, par leur inconsistance et le mépris ostentatoire des principes, les manifestations actuelles de relâchement idéologique et théorique du monde bourgeois, auquel ils n’opposent que le reproche petit-bourgeois d’avoir violé ses sages traditions et ses tables institutionnelles.
Dans ce premier essai, fidèles à notre méthode, nous ne prétendions pas reposer ces vastes questions avec de nouvelles trames ou des systématisations originales. Comme nous nous référions à des passages cruciaux, s’entend, des oeuvres de Marx et d’Engels, nous voulûmes chercher pour notre clarté et celle d’autrui un point de référence adverse, ou si l’on veut une ligne de mire. Nous la trouvâmes chez Croce, en tant que relateur ordonné et infatigable dans sa façon d’enfoncer depuis toujours les clous contre les nôtres, avec le mérite réciproque de n’avoir pas dévié.
Le passage de Croce était le suivant: "La dialectique a uniquement lieu dans le rapport entre les catégories de l’esprit, et vise à résoudre le dualisme, ancien et difficile et qui semblait presque désespéré, entre la valeur et ce qui est sans valeur, entre le vrai et le faux, le bien et le mal, le positif et le négatif, l’être et le non être".
Nous rétorquâmes qu’au contraire pour les marxistes la dialectique a lieu dans les représentations par lesquelles les processus de la nature se reflètent dans le cerveau humain, et que nous traitons cette manière de s’imprimer, de se refléter, de se représenter, de se faire décrire ou "raconter" de la même façon que n’importe quel autre groupe de rapports entre processus matériels, par exemple entre le chimisme de l’engrais et la physiologie de la cellule végétale.
Un abîme sépare les deux conceptions. Pour Croce, toute description et plus encore toute explication que la pensée donne de la nature et du monde est purement occasionnelle et secondaire. La science et la vérité sont d’une certaine manière les résultats d’un heurt de la pensée avec elle-même, d’une "parthénogenèse de l’esprit", dans les limites de laquelle le chercheur la recherche et effectue ses découvertes. Pour les marxistes (laissons tomber l’habituelle formulation glissante de l’existence en soi et pour soi du monde et des choses comme objet de connaissances, et l’équivoque d’une matière fétiche opposée à un esprit fétiche) la pensée et l’esprit sont les derniers arrivés, les plus faibles, les plus vacillants, précisément parce que plus élaborés et plus complexes, plus corruptibles et évanescents. Dans le difficile processus de la vie de l’espèce, de l’histoire, des sciences, des luttes pour s’organiser contre la nature ambiante, les hommes parviennent à systématiser, à travers de longs chemins, des structures et des "engrenages" dont la représentation de la "réalité physique" est suffisamment bonne pour valoir comme science. Nous croyons que "la science est possible". Elle ne conduit pas pour autant à tomber en extase devant l’inscrutable lumière qui s’allumerait, dans des conditions mystérieuses, dans le moi (ou les moi, on n’a jamais bien su ?) pensant.
Comme il est facile dans ce domaine de faire une salade avec le langage et le vocabulaire utilisé, et de mettre en avant des algorithmes forgés par des conventions différentes et de ce fait incomparables, nous allons les reprendre calmement. Pour commencer nous examinerons trois points en nous référant à certains passages de Croce. Comment il voit la possibilité générale de la science à l’époque actuelle. Comment il explique son critère. Comment il explique celui marxiste, et dans quelle mesure nous acceptons la formulation qu’il donne de nos thèses qu’il rejette.
Puisque nous ne sommes pas de ceux qui pensent que le marxisme se sauvera, dans la dure rafale que lance sur lui un monde ennemi, par des circulaires en provenance d’un centre organisé qui veut monopoliser l’orthodoxie théorique, mais qui réussit de moins en moins à se faire entendre d’une vaste organisation (bien que cela soit aussi nécessaire à une science de classe, incompréhensible à Croce, mais qui à lui seul ne vaut rien), nous devons reconnaître que le plus grand danger provient de la négation moderne de la validité des résultats scientifiques à laquelle se prétend parvenue, avec les dernières découvertes et après des avancées très audacieuses, la théorie de la nature. Cette conquête remplit naturellement de joie le monde bourgeois, et les raisons historiques et classistes nous sont tout à fait claires.
Qu’il puisse y avoir une science prolétarienne fait rire Croce. Mais il est indéniable que durant toute la bataille révolutionnaire libérale, à laquelle il ne cesse de se relier, la lutte entre deux partis armés s’accompagna de la lutte entre deux philosophies, celle autoritaire, et celle critique, sous des aspects multiples; littéraires et nationaux, mais avec un dualisme unique, européen et mondial.
La bourgeoisie industrielle se plut à déclarer possible de façon sûre la science des forces de la nature, en dehors des normes sociales ou religieuses, et elle brisa sans égards les obstacles. Mais ensuite il lui déplut qu’avec les mêmes armes: le doute, la contestation de l’autorité, la critique, l’induction, on parvint à prétendre voir clair, non seulement dans le "squelette" de la nature matérielle, mais aussi dans celui de la société et de l’histoire humaine.
Aujourd’hui, pour repousser cette seconde et effrayante révolution philosophique, le capitalisme dominant revient sur son orgueilleuse prétention à connaître les ossatures et les dynamismes du monde physique.
Naturellement Benedetto Croce (qui, sérieux, rappelle à tout moment qu’il n’est pas un connaisseur spécifique des sciences naturelles, ce qui en soi n’invalide pas sa construction qui "repose sur la tête") fait vigoureusement levier sur cette conclusion largement admise de la "pensée moderne" depuis presque un demi-siècle. Mais laissons-le le dire lui-même.
"Si on me demande en quoi consiste la grande acquisition philosophique que notre époque a faite sans trop s’en apercevoir, je dirais que c’est le renversement des croyances positivistes, une remise en cause si radicale qu’elle semble miraculeuse.
"Les sciences naturelles et les disciplines mathématiques ont cédé de bonne grâce à la philosophie le privilège de la vérité, et, résignées, voire même sereines, elles confessent que leurs concepts sont des concepts de commodité, d’utilité pratique, qui n’ont rien à voir avec la méditation du vrai. Un allemand a même écrit que les sciences ne sont rien d’autre qu’un Kochbuch, un livre de cuisine, offert aux hommes pour qu’ils s’en servent pour produire les nombreux objets utiles à leur vie.
"Je ne dirai pas les noms des savants, ni même des philosophes qui ont accompli cette conversion nécessaire, depuis Bergson et Poincaré en France à Avenarius et Mach en Allemagne. On peut dire que l’oeuvre accomplie a eu un caractère collectif".
Dans cette prémisse, nous nous en tenons naturellement aux énonciations et ne passons pas à la critique et à la réfutation. Pour Croce, aujourd’hui, en 1952, il est acquis que les sciences ont "cédé leur caractère cognitif à la philosophie". Ceci est le résultat d’une lutte de plusieurs décennies. Ce qui peut laisser perplexe l’homme de la rue. Croce reconnaît donc deux domaines distincts: celui de la philosophie et celui de la science. Le bourgeois qui précédait Croce d’un siècle (nous verrons le moment venu comment pour Croce les théoriciens marxistes sont aussi des bourgeois; mais il ne se préoccupe pas tellement de savoir si les théoriciens du criticisme bourgeois étaient nobles ou même prêtres), le bourgeois, disions-nous, de l’époque classique des révolutions libérales antiféodales voyait, à sa manière, la science positive soustraire progressivement un champ de connaissance, grâce à des découvertes glorieuses, à la religion d’abord, et à la philosophie théorique elle-même ensuite. Cette victoire, du moins dans l’opinion commune, était due à la force de la méthode expérimentale par contraste avec la recherche sur des textes revêtus de l’autorité traditionnelle et avec la pure spéculation du penseur. Sacerdotes et philosophes avaient jusqu’alors "cheminé" dans le monde des fantasmes et des rêves. Les savants modernes, dans leurs laboratoires plus ou moins reliés aux grandes fabriques capitalistes, travaillaient sur un "terrain solide" et nous conduisaient finalement à la notion indiscutée du vrai.
Nous ne sommes pas du tout hostiles à la condamnation de toute la rhétorique de classe et de philistins qui fut édifiée sur cette déification des sciences positives, à des fins sociales et pour éviter que le puissant instrument d’investigations puisse être utilisé, non plus dans l’intérêt du patron, mais dans celui des salariés.
Il s’agira ici de voir comment Croce pour reconquérir le terrain utilise les termes. Le domaine de la science expérimentale est humilié et éloigné de celui de la notion du "vrai". Ce même homme de la rue aurait dit que sacerdotes et philosophes se nourrissent de choses abstraites, fabricants et savants de choses concrètes. Par abstrait on entend en pratique quelque chose de non palpable et que l’on n’évalue qu’avec les "yeux de l’esprit". Par concret quelque chose qui se solidifie sous nos doigts, comme l’eau qui gèle, ou l’argile qui durcit à la cuisson, ou le plâtre qui prend. Les Anglais, ces impitoyables empiristes, appellent "concrète" notre conglomérat de ciment; le béton des Français.
Croce s’en tient lui au concret (que nous dirons.... véritable Croix et délice de tous les faux marxistes qui transportent en cachette la contrebande philosophique) et laisse l’abstrait aux mécaniciens, physiciens, chimistes, etc. Sa pensée précise sur les problèmes biologiques mérite quelques développements.
Empirique, qui équivaut à expérimentale, est pour Croce associé à abstrait. Sa position est la suivante: une série de vérifications et de relevés sur la nature matérielle, qui permet d’établir une loi scientifique, n’est qu’une construction gratuite par laquelle le chercheur décrit, à sa manière, la nature dans un modèle abstrait. Pour le moment ce n’est pas la peine d’aller au-delà, pour ce qui regarde la prétendue caducité et vacuité des "lois" que la science déclare avoir trouvées et exprimées. On comprend que chaque fois qu’un ensemble de faits isolés sont "passés au crible" et ordonnés en lois ou formules, on aboutit à ces universaux, à ces généralisations que Croce raille tant; et donc celui qui veut saisir ce que tous les cas concrets ont en commun, se met en dehors de tous ces cas concrets, non plus considérés un par un, et donc "fait abstraction d’eux". Il est naturel que si nous ne voulons pas abstraire, nous ne pouvons pas non plus ni lire, ni écrire, et pauvres de nous, nous ignorerions alors Benedetto Croce.
Ce n’est pas encore le moment d’aborder cette question; limitons-nous à un exemple de l’infâme "mécanique". La loi du mouvement uniformément accéléré remonte à Galilée et s’enseigne à l’école selon la formule que les espaces sont proportionnels aux carrés des temps nécessaires à les parcourir. Nous pouvons définir un tel mouvement avec sa formule si nous faisons trois relevés des positions du mobile. Avec son abstraction le calculateur peut alors prévoir une 4ème position. Maintenant admettons, que depuis que le monde est monde, que l’on prenne un astre cent fois plus massif que le soleil, ou un grain de poussière, jamais quatre mesures concrètes n’ont cadré avec la loi. Ainsi le mouvement uniformément accéléré de Galilée, dans le concret, si l’on veut, n’existe pas. Mais que sur cette notion on n’ait pas solidement avancé et bâti non seulement l’industrie et la technique, mais la science (et la philosophie! voilà qui laisserait abasourdi Aristotele lui-même). Malgré tout ce que peut dire Croce c’est une thèse qui serait rejetée par Poincaré et par Einstein.
Tout ceci n’aurait été qu’un jeu inutile ? Le livre de cuisine est-il le résultat d’un jeu inutile ? Ou ne condense-t-il pas, d’une certaine manière, des notions sans lesquelles il est impossible de vivre et a fortiori de philosopher ? Cette question devra être étudiée de manière plus approfondie.
Pour le moment nous ne faisons que présenter Croce, comme le ferait n’importe quel présentateur radiophonique, et rien d’autre.
Pour lui la science est donc un ensemble d’abstractions et d’empirismes qui ne conduit pas à la connaissance du vrai. Cette connaissance est possible cependant, mais ne prend pas l’aspect d’un système de lois naturelles. Elle ne peut être atteinte que par l’esprit et dans l’esprit et se présente comme la possibilité de faire des jugements de valeur, éthiques, esthétiques. Mais il vaut mieux citer quelques passages.
Croce exclut le principe de causalité dans les questions historiques. "Le concept de causalité est certainement le nerf des sciences naturelles qui se meuvent dans les abstractions, et de ce fait est à l’opposé de ce que réclame l’histoire qui se déroule dans le concret. Il est possible de jouer avec les abstractions et de rapporter le fait à l’une ou l’autre cause, mais dans le concret on a à faire à la conscience, dont la voix ne trompe pas et découvre chaque erreur quand il s’agit d’en persuader autrui ou soi-même".
Donc le réseau des lois causales n’est pas inhérent à la nature, mais il se crée et se défait presque à volonté dans la tête ratiocinante du physicien; tout est donc incertain. Le fait sûr se trouve dans la conscience. Nous exposons afin de mieux aligner nos positions par la suite.
Avec ces lumières directrices de la conscience, qui sont bien plus indicatrices que celles du ratiocineur (évitons de polémiquer!) on peut construire, il est clair, le seul système valide: "Une philosophie de l’esprit qui devient capable de comprendre le monde en mouvement, l’histoire". Arrivé à ce point, la lutte contre le camp ennemi se rallume encore une fois: "Dans son nouveau sens l’histoire comprend bien plus qu’il n’était admis auparavant, car elle embrasse tout entière la soi-disant histoire naturelle".
En effet pour Croce l’étude historique est possible, mais se réduit à un enregistrement incessant et indéfini des cas concrets et doit avoir horreur des lois causales. L’étude de l’histoire pour Croce est donc une météorologie des événements humains, à laquelle tout pronostic, tout bulletin de prévision de temps est interdit. D’où l’antithèse avec le marxisme, l’horreur pour la prétention de pouvoir indiquer les développements historiques futurs.
"Dans une pareille reconstruction historique (reconstruction donc, quelque chose de plus qu’un simple enregistrement), je considère non les hommes dans leur vie dite personnelle et privée, mais leurs oeuvres c’est-à-dire leur travail". Ne nous leurrons pas, nous n’allons pas vers un point de rencontre. Le travail de Croce n’est pas le travail social de l’homme moyen, au contraire c’est la création exceptionnelle, le chef-d’oeuvre.
Avec un concept indubitablement remarquable, l’auteur veut s’élever au-delà de la limite de la personnalité. "On avertit même qu’il s’agit d’oeuvres dans lesquelles le monde entier dans chacune de ses parties concourt. Il serait par conséquent tout aussi simplificateur qu’arbitraire de les associer à un individu déterminé". Il s’agit pourtant d’oeuvres tout à fait exceptionnelles, les plus hautes, auxquelles "on donne d’habitude l’épithète de divin".
Dans ces oeuvres très rares Croce reconnaît la "valeur objective tournée vers l’universel", qu’il nie résolument à la recherche expérimentale et à la description du monde par des lois scientifiques. Ces oeuvres qui laissent des empreintes et font étapes sur le chemin de l’humanité, ont pour intermédiaire des auteurs, Artiste ou Poète, voire même, comme Croce semble le concéder, un législateur ou un homme d’État. Mais d’une certaine façon si le seul individu est peu, la collectivité est trop. D’une certaine manière le monde comme nature et comme humanité (et comme divinité, ne vous semble-t-il pas ?) s’y traduit mystérieusement. "Les oeuvres sont certainement le résultat de l’action des muscles et des nerfs des hommes, mais elles ne se confondent pas avec eux. Une sorte de répugnance est ressentie lorsque l’on fait cette confusion. Les passions privées cernent de toutes par les oeuvres des hommes, mais ces dernières restent distinctes et supérieures".
Procédons avec mesure. Dans cette constellation d’oeuvres suprêmes, on ne reconnaît que la seule région où sont en vigueur les valeurs générales comme celles de l’Art, de l’Ethique et bien sûr de la logique. Ce sont ces certitudes concrètes qui nous sont données d’atteindre (à nous tous, ou seulement à la très noble théorie, même si elle n’est pas strictement cristallisée parmi la liste des hauts esprits ?). Non seulement la partie laissée à tous les autres hommes dans la succession des jours a une valeur accidentelle, contingente et privée, en ce sens que l’on exclut des faits historiques tout jugement de valeur morale, lorsque les protagonistes en sont les masses, les classes d’hommes ou des organismes sociaux et politiques. Mais nous avouons que l’application des valeurs du Bien et du Mal, érigées en cette stratosphère de l’esprit, à la conduite des "affaires privées" du particulier nous laisse sceptiques.
En d’autres termes la Dialectique, découvrant enfin ces valeurs suprêmes, nous fournit une boussole avec laquelle nous savons juger les actes d’Oreste, ou de Macbeth et émettre des sentences. Mais elle nous ne la donne certainement pas pour l’oeuvre de Brutus ou de Walter Audisio et nous nous demandons si elle nous la fournit pour Caroline Fort.
Nous nous excusons si nous avons mal rendu la construction d’autrui. Il ne nous déplaît pas si presque tout le terrain ayant été contesté à la science, d’amples régions ont été soustraites à la morale, ne laissant sur pied avec une portée universelle que la seule esthétique. Nous ne tenons pas à relever ce qui est tombé et nous doutons de la solidité d’assise du reste.
Sur ce point encore une citation confirmant notre pauvre lecture: "En premier lieu, je pose une théorie de l’art dont dérive toutes les vérités qui lui sont propres.... en second lieu, une puissance appelée génie qui seule donne vie à l’art…"
Il est clair qu’une telle construction, bien que comportant un classement des très grandes oeuvres qui ne peut être laissé à l’accidentel et à l’arbitraire, et tout en déployant un tissu connectif dont il est difficile d’entrevoir l’entrelacement dans le temps et l’espace entre oeuvres ou, si l’on veut, entre génies (non plus le verbe, mais le Beau fait chair ?), laisse en dehors et de côté le travail de tous les hommes, sans exception, ainsi que les types et les formes dans lesquels ce travail conduit à la production et ses diverses formes à travers les lieux et le temps. Cette action des masses manque d’histoire, ou en constitue un fond neutre dans la pénombre, incapable d’exprimer aucun potentiel qui est inhérent à l’esprit et se libère avec la venue des génies.
Et pourtant un poème, le premier poème grec, dont nous ne savons pas s’il est un des Primats et si le vieil Hésiode est l’un des As de la poésie (terre à terre que nous sommes, nous nous demandons s’il ne serait pas possible de construire une théorie philosophique... du sport avec ses champions et ses exploits ?), traite des Travaux et des Jours. Le même mot ergai désigne les oeuvres des grands et le travail de tous. Aujourd’hui du reste, nous appelons oeuvre aussi bien la journée du travailleur agricole que la Walkyrie. Tekhnê signifie aussi bien technique qu’art. Pourquoi la technique, le geste productif commun à tous à un stade social donné, conduirait-elle seulement aux vulgaires chapitres, empiriques et abstraits, à partir desquels on a laborieusement édifié la technologie, la physique expérimentale et les mathématiques, alors que la grandeur, la noblesse ne se trouveraient que dans l’art des rares génies dont la connaissance leur permettrait seuls de construire une doctrine ?
Travail et Art sont pour nous la même chose et pour Dante et la scolastique la violence en eux était le même péché.
De la doctrine des rapports entre l’homme-espèce et la nature amie et ennemie, nous n’expulsons pas d’un coup de pied au cul l’Art et ses sommets. Nous disons qu’il est possible de construire une histoire du travail, de la technique et de la production, sur les solides fondements desquels, on peut ériger une histoire de la science appliquée et fondamentale, et une histoire de l’Art, dont les produits sont inexplicables si l’on n’envisage pas le dur chemin à ouvrir auquel contribuent chaque jour tous les hommes. "Ergai kai emèrai!".
L’art des hommes exprime non pas la puissance du génie, mais le degré atteint par ce que Marx appela la puissance de l’espèce.
Que la première aille aussi au-delà des limites étroites de la personne, idolâtrée par les spiritualistes et les juristes purs, est une constatation précieuse mais insuffisante.
Le second aspect qui nous intéresse, après avoir cherché à donner une énonciation, peut être émaciée, de la pensée de Croce, est le jugement qu’il porte sur le marxisme. Qui dans certain cas s’élève au-dessus des banalités courantes, mais que nous rejetons dans les autres cas.
Là où Croce énonce la reculade cognitive de la science, et prend acte que s’y associent toutes les écoles actuelles de bon niveau, quelle que soit leur recette, transcendantalisme ou immanentisme, mysticisme ou criticisme, il remarque "qu’une philosophie s’est tenue à l’écart du mouvement moderne; il s’agit du matérialisme historique de Karl Marx, fier à ce qu’il semble d’être né avant 1848".
Concernant une telle fierté, que nous avouons volontiers partager, tous devraient s’en étonner, excepté ceux qui croient que la Théorie surgit sans contributions empiriques. Empiristes, nous le sommes, mais nous procédons par siècle et non à la petite semaine, quoiqu’à leur tour il arrive que les semaines comptent comme des siècles. Mais nous en reparlerons le moment venu.
Il cite ensuite Lenin, à qui il reconnaît des notions de science naturelle égales à celles d’Engels (il n’en est peut-être pas ainsi, mis à part... les semaines). Il rappelle l’oeuvre de Lenin "Matérialisme et Empiriocriticisme", livre qu’il n’a pas lu mais qu’il a vu cité; aveu admirable permis seulement aux vrais monstres d’érudition.
Eh bien, sa lecture lui causerait une grosse désillusion. Lenin soumet avant tout à une critique complète et puissante les doctrines de Mach et d’Avenarius et les envoie au tapis, après avoir indiqué des points qui pour Croce ne seraient pas du tout décisifs. Pour Lenin, la démonstration se résume à la thèse que le "nouveau" critère de philosophie naturel est contenu dans les critères anciens, désormais renversés. Ces critères sont le fidéisme, ou système de croyances religieuses et surnaturelles, le solipsisme, ou point d’arrivée extrême de l’idéalisme où l’on nie l’objectivité du monde, comme par exemple chez Berkeley. Pour Lenin toutes ces tendances étaient répudiées d’une manière unanime par tous les participants à la discussion. Pour démolir l’empiriocriticisme il n’avait donc qu’à prouver qu’il nie la réalité physique du monde, ou en admet la création, ou voit dans la sensation et le sentiment humain un phénomène qui peut se détacher du rapport avec les stimuli externes, du milieu, etc...
Ceci s’explique par le fait que Lenin écrivait avant tout contre des éléments du parti qui avaient accueilli favorablement cette philosophie, la trouvant compatible avec le marxisme. Et aussi par le fait que depuis presque un demi-siècle, il semblait, à cause de la convergence sur les mêmes positions négatives d’écoles aussi différentes que la philosophie critique allemande, le matérialisme classique français, le positivisme expérimentale d’origine plus récente, que la partie théorique fut pour toujours jugée contre l’existence de Dieu, contre la création, et contre toute étude des manifestations de la pensée qui faisait abstraction de la vie biologique...
Ceci dit la valeur de l’oeuvre de Lenin demeure, et il suffit de la lire en liaison avec un ouvrage plus adapté à réfuter le "néoanti-scientifisme" postérieur et toutes les philosophies fondées sur l’esprit. Nous pensons que pour Croce, l’Anti-dühring d’Engels, qu’il connaît bien, est plus probant pour définir notre attachement à notre vieille philosophie. Par la suite, nous tenterons quelques connexions entre les deux stades historiques de la lutte de l’école marxiste contre ses contradicteurs. Exacte donc l’affirmation que les marxistes sont restés en dehors et contre ce grand mouvement de bricoleurs.
Même la définition de philosophe réactionnaire était un point d’approche à l’époque de Lenin où le contradicteur bourgeois admettait le besoin de théories antimédiévales et révolutionnaires, ou d’y avoir eu recours à un moment donné. Aujourd’hui que la seule réaction possible est la conservation du capitalisme, elle n’impressionne plus, mais fait honneur à Croce lui-même. Et voila un point éclairci.
Un autre point est la violente attaque contre l’étude de l’histoire telle qu’elle serait comprise et menée par les marxistes: "monotone, vide et désespérément ennuyeuse". Qu’on nous fasse grâce de certaines histoires enseignées en Russie et ailleurs, dans lesquelles Allah est Marx et Staline son prophète. Comment peut-on juger monotone, vide et désespérément ennuyeuse l’histoire, par exemple, du Dix-huit Brumaire et des Luttes de classe en France ? Qualifiez-la si vous voulez de drame et de poésie, de songe et de proclamation, si la démonstration scientifique ne vous convainc pas, ou vous laisse indifférent; mais ensuite, chapeau bas!
Voyons la démonstration et laissons de côté le jugement esthétique qui donne plutôt une maigre preuve de sa renommée! "L’étude de l’histoire par Karl Marx rend apparent, avec une puissance que l’on pourrait qualifier d’historico-radioscopique, le squelette qui régit le grand corps de l’histoire, la structure économique". Passons cette première énonciation, même si elle est ironique. De même de vieilles écoles voulaient interdire de regarder à l’intérieur du corps humain, et l’objection à ce que le couteau anatomique ne vous fouille après la mort fut justement ensevelie non seulement au cours d’une mémorable bataille "philosophique", mais ensuite par la découverte de la radioscopie qui s’applique à l’organisme vivant et le dévoile.
A partir de maintenant nous dénonçons le verbalisme de Croce. "Marx grâce à ce concept interpréta avec sûreté non seulement toute l’histoire européenne de ces deux derniers siècles, mais aussi celle universelle, parce que la substance reste toujours la même: l’indigne exploitation que les minorités dirigeantes ont toujours faite des peuples". En fait la thèse est mal posée parce que dans certaines phases les minorités dirigeantes ont émancipé certaines classes de l’exploitation. La thèse du "droit" est pire, parce que l’indignité est un jugement éthique étranger à Marx. Mais avançons doucement et reproduisons encore une citation. "L’histoire est l’histoire des luttes, mais le communisme ne veut rien savoir des luttes, sauf que pour y mettre fin une fois pour toute, il admet une action violente... Son idéal (sic!) est la paix entre les hommes. Et puisque la lutte naît, d’après ce qu’il croît, de l’oeuvre du mal contre le bien, le moyen de l’extirper du monde est d’arracher le mal du monde; et puisque... les raisons du mal se trouveraient dans la propriété privée... il faut supprimer la propriété privée, considérée comme le mal du mal". Et voici l’argument final: "Une fois le mal ainsi congédié, puisque qu’il n’y a d’histoire que de lutte, devrait alors surgir le doute que l’histoire puisse continuer".
Accusés ainsi de vouloir "arrêter l’histoire", nous marxistes, nous ne nous serions pas arrêtés devant la grave difficulté de ne pouvoir définir ce qui ne serait "même pas une époque différenciée de l’histoire", parce que réduite à l’éternité, immobile et toujours égale à elle-même. Nous sommes tombés au niveau du chrétien, qui croit sérieusement qu’après la vallée de larmes prennent fin les péchés et par conséquent la Rédemption. La vie s’arrête, ainsi que la mort, et s’établit, en soi et en dehors du temps, une inutile et statique béatitude ou damnation.
Et allez! S’il y avait un arbitre, nous lèverions ici le bras, comme le coureur arrêté dans son sprint, ou le footballeur poussé irrégulièrement par un adversaire. Mais il n’y a pas d’arbitre et les désaccords et les luttes, comme nous l’affirme notre illustre adversaire, ne sont pas près de finir.
Si nous voulons nous en tenir à la "lettre" du marxisme, un certain Manifeste commence par dire: l’histoire de l’humanité est l’histoire de la lutte des classes. Un certain Engels écrivit ensuite qu’avec la révolution communiste "on sort de la préhistoire de l’humanité". Nous n’avons donc pas la prétention que l’histoire ne puisse pas continuer: au contraire c’est la préhistoire qui s’arrête et l’histoire commence seulement alors! Nous prétendons oui, que les luttes de classe finiront. Est-ce que cela implique une série immobile de jours identiques à eux-mêmes ? Un moment, de grâce, nous y répondrons peu après. Une note ajoutée par la suite à ce passage indique: que l’histoire écrite est l’histoire de la lutte des classes, car les premières manifestations de la vie de l’espèce humaine, d’après des découvertes au mieux postérieures à 1848, ne connaissaient pas encore la lutte des classes et les premiers agrégats de l’espèce humaine vivaient de façon communiste.
Vous nous prêtez par conséquent un faux schéma: une longue histoire de luttes de classe entre oppresseurs et opprimés; un futur Eden communiste qui succède à l’ultime et suprême lutte révolutionnaire et réalise une Paix immuable et immobile.
Notre schéma "officiel" est au contraire bien différent: antépréhistoire (pour vous la barbarie) du communisme primitif; la préhistoire de l’humanité racontée dans vos épopées guerrières et constituées de féroces luttes de classes (que vous appelez succession de civilisations, ou encore réalisation des valeurs de l’esprit); histoire, qui commence avec la suppression des classes, dont vous niez l’inépuisable fécondité et dont nous n’entrevoyons qu’une faible partie!
C’est à peine si les plus anciens utopistes réduisirent la question à la lutte contre un principe mauvais, qui reviendrait de façon récurrente dans toute organisation humaine, et que, finalement isolé comme un virus quelconque, l’on réussirait un jour à extirper pour fonder l’ère de l’humanité heureuse. On pourrait leur imputer de voir dans l’histoire le heurt entre les deux principes du bien et du mal, qui doit finir par la victoire du premier. Mais c’est justement Marx qui a balayé pour toujours de telles banalités.
La lutte ne naît pas du heurt entre le mal et le bien, mais elle représente un passage nécessaire et une condition de toute une série de luttes jusqu’à celle ultime pour laquelle nous sommes l’objet de tant d’ironies. Chaque passage était nécessaire au suivant, et chaque lutte également "bonne", c’est-à-dire utile au processus général. Quand le communisme primitif cède la place et quand la première classe prolétarienne surgit, nous ne crions pas: vados retros satanas et que le bien triomphe! Nous applaudissons à tout rompre (en admettant que l’on peut acquérir au guichet de l’histoire les billets pour tout le spectacle), et nous crions: Enfin! Les forces productives ne peuvent pas se développer si ne naît pas la propriété sur les terres, les choses et finalement sur les hommes, du moment que les hommes sont nombreux, les terres rares et les distances entre les groupes mineurs.
Il faut à Croce et aux siens une radioscopie, que n’inventa pas Roentgen, pour voir jusqu’aujourd’hui le même esprit inhérent à tous les hommes; les mêmes valeurs servent à expliquer la portée de la domination et de la liberté, de la servitude et de l’émancipation. Nous travaillons sur l’abstrait, sur le nombre empirique des habitants des terres fertiles d’une aire donnée, sur la quantité de grains de blé ou de riz qu’ils savent extraire, et sur d’autres choses du même genre, et nous disons: à cette levée de rideau, le communisme ne convient pas, la division du sol est meilleure.
Ces renversements continuels sont pour nous la clé de l’histoire, et en chacun d’eux non seulement les "valeurs" de bien et de mal, comme elles sont projetées dans la pensée commune des hommes, se renversent sans cesse, mais la même classe se fait porteuse, sous les mêmes habits idéologiques, d’effets opposés..
Pour être concret (si on nous le permet), en présence de la lutte de la bourgeoisie, nous voyons un facteur révolutionnaire tant qu’il s’agit d’abattre les institutions médiévales et féodales. Nous ne condamnons donc pas cette lutte au cri qu’incroyablement on nous prête de: vive la Paix! D’abord une pareille lutte ne peut conduire à la paix sociale (ni à la paix entre les États) et nous le savons bien. Mais nous avons hâte que la bourgeoisie soit victorieuse justement parce que ceci nous conduit vers une autre lutte; celle du prolétariat moderne contre la bourgeoisie. La bourgeoisie est donc le Mal et le Bien dans l’histoire, les luttes de la bourgeoisie sont donc le Mal et le Bien. La paix tant que persiste le capitalisme n’est ni Mal ni Bien, car elle n’est pas réalisable, etc... Tout ceci peut être pour d’autres discutable et objet d’opinion, mais pour nous cela suffit à établir, sans autre exemple, que nous n’avons jamais songé à introduire dans l’histoire ces notions de Mal et Bien; ce fut Marx qui les en expulsa, élimant l’illusion que l’histoire eût le mandat de les réaliser.
A part que, les ayant retirés de l’histoire, nous ne savons pas quoi en faire.
L’adversaire nous attend cependant sur le côté mystique, parce que nous déclarons comme certain que cette lutte moderne du prolétariat et de la bourgeoisie est la dernière, qu’elle ne donnera pas naissance à une nouvelle classe dominante, mais qu’elle mettra fin à la division en classe de la société.
Ce résultat serait arbitraire et gratuit, étant donné que la règle qui veut que la lutte engendre la lutte conduirait ici à une conclusion opposée, la lutte engendrant la paix. Faites-nous grâce de ce vocabulaire stupide. Si deux États qui pourraient se faire la guerre restent l’arme au pied, c’est la paix: chacun conservant le pouvoir sur son territoire. Si deux classes ne s’affrontent pas à l’intérieur d’un État, le rapport de force et les formes de production restant inchangées (et il ne peut en être autrement), ceci est la paix de classe, c’est-à-dire la collaboration de classe, et non seulement ce n’est pas notre "idéal", mais nous l’abhorrons furieusement.
Par conséquent la révolution prolétarienne n’établira pas un "contrat de paix" ente les classes, tout comme elle n’établira pas un "contrat de travail entre capitalistes et salariés. Ce sera la fin, d’abord du pouvoir de classe de la bourgeoisie, puis de l’économie fondée sur le capital et le salariat.
Si cette étape a un caractère nouveau et original, ce n’est pas parce qu’un Marx ou un parti marxiste en est arrivé à dire: nous avons découvert que le Mal est la propriété privée, le Bien suprême la paix sociale! Mais parce que pour la première fois s’est réalisé un ensemble de conditions, que seul le capitalisme pouvait fonder; production et consommation sociales et mondiales, rupture de tous les cercles de vie isolés, exaltation des forces mécaniques et physiques en général utilisées dans la production.
Quoiqu’il en soit, la lutte entre les hommes cessera t-elle jamais ? D’abord, le monde est vaste et les fondements de la production capitaliste ne s’étendent pas encore dans sa majeure partie. Il présente des oasis de sable et des marais mouvants à chaque pas. De même l’ensemble du monde industrialisé, innervé par les réseaux modernes, caractéristiques du capitalisme développé, après la chute de la bourgeoisie, demandera un long effort non seulement pour le démantèlement des liens matériels, mais aussi pour éliminer et se débarrasser des empreintes idéologiques et psychologiques des temps actuels; cela nécessitera des générations entières, tandis que les vicissitudes "géographiques" du passage au communisme à travers les continents apparaissent en grande partie imprévisibles aujourd’hui.
Mais quand nous disons que les luttes militaires, idéologiques et politiques ne sont que le résultat de la poussée économique, nous disons "qu’à l’origine était la lutte" et qu’elle ne cessera jamais. La poussée économique est la poussée pour le besoin physiologique; la lutte de chaque être, chaque jour pour sa subsistance. Si la brute dispute son repas à l’autre brute, l’homme, comme animal social, commença sa vie d’espèce en groupe qui luttait tous ensemble pour sa nourriture et ses autres besoins contre l’ensemble de la nature. Seule la discordance, entre les moyens de satisfaction et le mode d’accumulation, provoqua la lutte entre les hommes regroupés en groupe et en classe. Quand la puissance d’accumulation des ressources atteinte par l’espèce augmente, les raisons de l’affrontement pour le partage disparaissent.
C’est pour cela qu’après la victoire du communisme on ne cessera pas de lutter. Mais les hommes seront toujours plus solidaires dans la lutte contre les difficultés qu’il faut vaincre dans l’intérêt commun. Si vous voulez soutenir que les ressources seront toujours conquises par certains groupes et que les autres se consacreront à leur arracher, nous en discuterons selon les données réelles du processus historique.
Cependant n’ignorez pas que le travail aussi est une lutte, de même que la production collective et la capture des énergies naturelle, et ceci jamais ne cessera. Et s’il vous plaît de définir la lutte par les traumatismes et par le sang, faites la statistique des morts par automobiles au 20° siècle après J.C, et celle des morts par flèches ou par dague au 20° siècle av. J.C.
Non, messieurs les philosophes, rassurez-vous, le communisme ne sera pas la fin de l’histoire, mais signera le point de départ de ses étapes les plus riches. La démonstration est tellement vaste que nous n’avons pas besoin, pour enrichir d’intensité dramatique le cours des générations futures, de recourir aux explorations extraterrestres, ni à la guerre avec les martiens. Ce qui permettrait évidement à l’esprit de se tranquilliser de l’horrible perspective que nous l’envoyons à la retraite.
Il convient de laisser cette question du Bien et du Mal, que nous nous sommes vus inopinément affublés, pour en aborder d’autres où Croce nous fait plus d’honneur, ou plus exactement à sa faculté de compréhension des causes.
"Hautement significatif de la nature du communisme... est l’aversion et la répugnance qu’il a toujours démontré envers un concept fondamental de la vie de l’esprit et de l’histoire, celui de la "liberté", qui non seulement ne trouvait pas de place dans les vieilles utopies du type de la Cité du Soleil, mais qui est aussi combattu par les partis communistes modernes…"
Enfin nous pouvons respirer, bien que partout où nous portons le regard, nous voyons le monde infesté de partis soi-disant communistes qui nous servent la liberté à toutes les sauces.
Mais c’est l’intention qui compte. En fait Croce attaque Babeuf qui, dans la première formulation glorieuse du communisme par la Ligue des Egaux, d’une certaine manière acceptait la "liberté formelle" bourgeoise, mais revendiquait ajouter à cette dernière la "liberté réelle". Aujourd’hui encore, nombre d’anarchistes, prenant acte de la liberté civile, disent qu’il reste à conquérir la liberté sociale. Imbéciles, s’écrie Croce, et ici il a raison: "le concept de liberté est toujours formel, c’est-à-dire "moral", et n’est jamais conditionné par la possession de quelconques biens économiques". Traduit dans le langage commun: l’homme libre peut être pauvre et le pauvre peut être libre.
Le vrai tournant est ici bien situé. Marx "conseilla d’appuyer les efforts des libéraux contre les régimes absolutistes, pour se séparer ensuite de ces alliés occasionnels". Très bien. Il y a eut une rencontre historique entre bourgeois et prolétaires (aujourd’hui terminé depuis longtemps), mais il n’y a jamais eu de rencontre, pourrait-on dire, "philosophique". Nous n’avons "aucuns idéaux" en commun et nous ne provenons pas d’un "tronc de civilisation" commun. Vous avez dit clairement que l’on ne peut pas faire levier sur votre revendication libérale pour passer aux revendications sociales et économiques. Ce n’est pas que le libéralisme s’arrête à mi-chemin et que nous devons ensuite continuer seuls: il se met au contraire en travers du chemin contre notre objectif social et ceci depuis le début.
Hors d’ici donc la liberté formelle et morale, et la liberté tout court! C’est une parole vide, et le marxiste qui s’en sert, même à des fins d’agitations, est un mystificateur de la pire espèce, parce qu’il mystifie ceux pour qui il dit lutter.
Oui, messieurs: pour Marx "la porte d’entrée au communisme c’est la dictature". Taxée de provisoire ? Nous avons envie de répondre comme Michel Adam, personnage de Jules Vernes à qui l’on demandait: mais comment reviendrez-vous de la Lune ? Pour le moment nous y allons, nous verrons ensuite là-haut.
Pour Marx le dépassement "aurait comporté l’abolition de l’État".
Tout à fait exacte. Pas moins éclairante la remarque sur l’État: "c’est-à-dire de la première institution qui garantit la liberté dans sa forme juridique".
Libertaires qui, sans faire de tort au vieux Babeuf, voulez poser inconsidérément le pied sur les marches libérales, réfléchissez.
Nous marxistes, nous avons nos papiers en règle: Au diable la liberté! Au diable l’État!
Un passage de notre formulaire est ici revenu à l’esprit de Croce, qui avait eu le tort d’avoir oublié ceux concernant la lutte et l’histoire. Marx appela la Révolution communiste: "le saut du règne de la nécessité à celui de la liberté".
Aucune contradiction et nous vous le démontrons. Vous voulez libérer, non l’esprit qui est la liberté elle-même, mais l’individu. L’individu commun, et aussi celui hors normes, est sujet à la loi déterministe et lié à la Nécessité: non seulement il ne fait pas ce qu’il veut, mais il ne sait pas ce qu’il fait. Tant que les hommes regroupés en classes lutteront contre d’autres classes, la société, l’espèce humaine seront aussi soumises à cette nécessité menaçante. Mais en sortant de l’histoire dramatique des classes, la société comme un tout, non dans ses éléments personnels, se libéra de millénaires d’impotence. Diriger la technique et le travail, l’immense activité de tous, ici réside la seule, la vraie libération; la première. De même que la première conscience et connaissance, que vous prétendez avoir découvert depuis l’aube des temps dans la lumière de l’esprit.
Babeuf, lui encore, aurait le premier jeté les bases de l’évaluation marxiste et de l’irrévérence envers toutes les formes de la vie spirituelle, religieuse, philosophique, scientifique et poétique" lorsqu’il osa dire (et nous ne connaissions pas cette magnifique citation): "la valeur de l’intelligence est question d’opinion. Il faudrait examiner si la valeur de la force naturelle et physique ne la vaut pas".
Et bien, le pessimisme, qui transpire à chaque page de l’auteur que nous avons bien voulu suivre, nous autorise à établir un bilan négatif du travail de l’intelligence et de la conscience; si ce sont là les "valeurs" absolues, c’est à dire les seules grandeurs qui permettent d’écrire avec certitude le bilan des entrées et des sorties. Au sommet de cette civilisation magnifiée, qui nous trouve irrévérencieux et iconoclaste, le bilan ne serait être plus désastreux.
Si Babeuf, qui lança le premier cri révolutionnaire, en croyant libérer le prolétariat de la tromperie du concept de citoyen, exprima maladroitement une illusion de liberté, il n’en donna pas moins le signal du nouveau chemin de classe.
Il convient que la force naturelle et physique,
que l’on appelle justement lutte, révolution et dictature, rejoigne les
corps et non les esprits. Pour que rompant véritablement les barrières
sans pitié de la nécessité, les humains se lèvent vers des champs
illimités
d’activités multiformes et grandioses. Et qu’enfin, les résultats
déformés
et tordus auxquels l’usage et l’abus de l’intelligence, ainsi que
l’hypocrisie
d’un contrôle de la conscience ont donné lieu, soient dépassés au point
d’être à juste raison inscrits dans la préhistoire, dans les ténèbres
de laquelle nous sommes encore honteusement immergés.
(3 e partie)
Les 13, 14 et 15 mai derniers s’est tenue à Turin la réunion générale du Parti. Outre les camarades locaux, des représentants des sections de Gênes, Naples, Florence, Cortona, La Spezia, de l’Angleterre, de la France et un nouveau groupe espagnol étaient présents. L’hospitalité des camarades turinois a permis, encore une fois, une organisation parfaite et un déroulement rationnel des séances. Comme pour la précédente réunion de janvier, nous avons anticipé le début de la réunion organisative au vendredi après-midi de façon a exposer et écouter sans hâte les nombreux travaux que conduit le parti: initiative prise à titre expérimental et qui s’est confirmée indiscutablement utile pour une meilleure intégration du travail et de l’activité de notre petit mouvement qui aspire à se maintenir avec cohérence sur la trace d’une tradition géante. Pratiquement tous les camarades auxquels le parti avait confié des tâches, soit d’intervention externe soit d’étude et de recherche, ont pu ainsi largement exposer leurs progrès ou d’éventuelles difficultés, et recevoir des approbations et des conseils.
Nous savons bien que les opinions personnelles et la liberté de critique sont variables et n’entrent pas dans notre fonction de parti. Seule la confrontation des faits historiques avec les textes de la doctrine marxiste, méthode qui est la nôtre depuis un siècle et demi, prépare le futur et s’oppose à la mélancolique résignation bourgeoise: ne plus comprendre, ni vivre, ni lutter.
Samedi après-midi, tous les compagnons à part quelques rares exceptions étant arrivés, une brève introduction du Centre du parti tirait, des récentes et misérables mises en scène électorales italiennes, une nouvelle confirmation de toutes nos thèses et prévisions sur l’essence fasciste de la démocratie bourgeoise contemporaine et sur l’attitude invariante d’hostilité du parti vis à vis de toutes les métamorphoses du gouvernement de l’État capitaliste.
Puis commençait l’exposition des rapports si nombreux qu’il fut
nécessaire
d’en résumer certains, renvoyant à la lecture de notre presse pour une
publication plus complète.
Le cours de la crise capitaliste
L’habituel travail de recueil, d’enregistrement et d’illustration graphique des données sur le cours du capitalisme fut exposé en premier.
L’examen de la production industrielle des plus grands impérialismes montre que la récession capitaliste est en phase de dépassement et de probable reprise, malgré les faiblesses et les incertitudes. La récession est arrivée en 1990 chez les impérialismes russe et américain et a gagné le Japon et l’Allemagne. Les USA en sont sortis les premiers. Nonobstant les rythmes élevés de croissance des années 93-94, la reprise depuis deux ans y est dans l’ensemble sans vigueur, avec des alternances d’accélération et de ralentissement dans les taux de croissance et un lent dépassement des niveaux maximum atteints avant la crise, crise qui du reste était restée limitée. En Allemagne de l’Ouest la production industrielle de ce printemps (en comparaison des mêmes mois de l’année précédente) semble avoir fini de chuter, mais elle se trouve fortement réduite par rapport aux niveaux déjà atteints en 91; une forte contraction analogue du capitale industriel japonais dans les années de récession se développe encore même à des rythmes plus lents.
Si dans certains pays la crise est la plus grave de l’âpres guerre, elle reste cependant une récession typique des cycles brefs, comme celle des années 80-82, ou le fléchissement de 86-87, qui s’intercalent à l’intérieur d’une phase de dépression qui a débuté il y a vingt ans dans les pays de capitalisme mûrs et s’est étendue au monde entier avec l’écroulement des taux d’accumulation.
Les données du commerce extérieur, des prix à la production et des matières premières, des taux de chômage et des taux d’intérêts concordent à montrer la possibilité d’une lente et incertaine reprise, dont la signification de classe est déjà délimitée par le véritable visage de la reprise américaine, où sous la réduction du chômage officiel et l’augmentation de l’emploi se cachent une misère croissante et l’insécurité des conditions d’existence des prolétaires. Les difficultés du capitalisme se lisent aussi dans les convulsions des monnaies, dans les tentatives de contenir l’inflation pour la conquête des marchés engorgés de marchandises et dans la lutte pour l’affirmation des valeurs comme monnaies internationales, dans les polémiques sur les taux d’intérêts et dans les laborieuses tractations commerciales, générales ou bilatérales, liées à la crise et aux difficultés de la reprise et aux déséquilibres importants des balances commerciales. On eut souligner l’importance du déficit américain et de l’actif japonais, ainsi que la reprise du surplus commercial allemand; la guerre commerciale USA-Japon a bouleversé les marchés des valeurs et influencé la crise gouvernementale japonaise.
Les USA, qui ont drogué la reprise avec des taux réels mineurs,
voient
leurs importations pousser la reprise économique mondiale, augmenter
leur
déficit commercial et celui de la balance des paiements, donc croître
leur dépendance vis à vis du crédit des autres impérialismes. D’où
leurs accusations d’immobilisme et d’"égoïsme" adressées à l’Europe
et au Japon et les sollicitations répétées pour l’expansion forcée
du crédit bancaire dans ces pays, où les taux d’intérêts sont liés
aux cycles économiques déphasés en retard, et influencés par un marché
des capitaux financiers de plus en plus internationaux.
Un second relateur continuait avec l’étude sur les écrits économiques de Marx publiée dans notre revue sous le titre "Raison et Révolution". Il nous faisait un rappel de la partie exposée en janvier des arguments du 4e chapitre du Capital sur le rapport renversé dans le capitalisme entre homme et choses, avec "les choses qui achètent les hommes" et où les moyens de production, sous forme de capital fixe "utilisent" le travail humain.
Toujours dans le but de dévoiler le mystère de la forme-capital, on analysait le cycle complexe du Capital Marchandise, M...M’, lequel, comme dit Marx, renvoie "oltre sé stesso". Cette forme, la seule adéquate pour décrire le mouvement d’ensemble du capital industriel, subsume la circulation et la production du Capital. Ce dernier, dans cette formule, apparaît comme le début et la fin du processus; il est donc présupposé. La forme M’...M’reflette en soi que les déterminations capitalistes ont pénétré les choses; les moyens de production et les moyens de subsistances sont du capital, elles ont désormais atteint "la fixité de formes naturelles de la vie sociale". Le mysticisme de la forme-capital fait un pas de plus en avant avec le passage de la formule M = c + v +pv (formule sociale de la valeur et non mathématique) où reste encore visible que c’est le capital variable qui produit la plus-value, à la formule M = k + p (autre formule sociale et non mathématique) où k = prix du coût englobe en soi c autant que v comme des parts constituantes du capital et donc sans différence entre eux. La catégorie mystifiante du prix du coût réalise, dans la conscience réifiée du capitaliste, cette inversion entre sujet et objet déjà analysée dans le processus immédiat de production. Dans cette formule le pv apparaît non plus comme un dv, comme dans la première, mais comme un dk. Le profit est ainsi encore égal à la plus-value comme quantité, mais en apparaissant comme un dk il apparaît comme un produit du capital et donc occulte l’exploitation de la force-travail.
Le camarade annonçait la poursuite de cette étude sur le chapitre
du taux moyen de profit, par l’affirmation duquel le capital devient
pleinement
une puissance sociale.
Un jeune camarade espagnol commençait l’exposition d’une étude sur les origines du capitalisme en Espagne avec des références aux écrits historiques de Mars et d’Engels sur l’argument.
Les écrits de Marx et d’Engels les plus importants et les plus approfondis sur l’Espagne sont constitués par une série d’articles publiés dans le journal de New York, Daily Tribune, ceux de 1856 rassemblés sous le titre de "L’Espagne révolutionnaire". Sont importants en outre les documents rédigés par Marx et Engels à l’usage de la Première Internationale pour ce qui concerne les faits et l’organisation espagnole; enfin nous avons d’Engels, de 1873, "Les bakounistes en action. Mémoire sur les soulèvement en Espagne durant l’été 1873". On peut y ajouter des articles épars, principalement sur le Daily Tribune et la correspondance avec les membres espagnoles de l’Internationale.
Le premier groupe d’articles de 1854 se concentre sur la situation espagnole de 1807 à 1820, avec un préambule décrivant de façon matérialiste les principaux courants historiques qui ont traversé le pays les siècles précédents.
L’incapacité à assumer son rôle révolutionnaire, son manque de détermination à organiser les masses pauvres en faveur de ses intérêts de classe est la caractéristique de la bourgeoisie espagnole. C’est pourquoi Marx, bien qu’il utilise souvent le terme de Révolution pour divers soulèvements militaires et populaires, n’en reconnaît de fait l’importance historique qu’à ceux de 1521 et aux insurrections armées du XIX, que Marx analyse de plus près.
Bien que les masses intervinrent de façon décisive en de nombreuses occasions, les représentants politiques du libéralisme bourgeois, face à ces mouvements pour des réformes libérale, ou reculèrent terrorisés par les masses en action ou, quand ils réussirent à prendre le pouvoir, furent incapables d’appliquer des réformes radicales et se transformèrent en collaborateurs de la monarchie.
En lisant des pages de Marx, le camarade analysait la guerre civile
au XVI des cités de Castille unies dans la soi disant Junta Santa
contre
l’absolutisme. Enfin il rapportait les jugements de Marx sur la guerre
d’indépendance, en relation avec l’invasion de l’armée napoléonienne,
dans laquelle ne manqua certes pas la disponibilité des classes pauvres
à se mobiliser pour la lutte.
ONU - Occupation Militaire de l’Europe
Le compte-rendu d’une étude sur le heurt interimpérialiste sur la
scène européenne concluait les travaux du samedi. On y affrontait
l’histoire
et la fonction de l’Alliance Atlantique, instrument de l’occupation
militaire
de l’Europe mais dont le but prédominant est son exploitation
économique
dans la période post belliqueuse. On commentait le statut original de
l’ONU et ses redéfinitions au cours du temps dans le sens de
l’intéressement
de l’aspect ouvertement capitaliste et de l’accroissement géographique.
Ces tendances sont constantes jusqu’en 1973 quand Kissinger arrive à
tenir
ensemble dans le "nouveau atlantisme" même le Japon, et jusqu’au
"post-1991"
quand sont confiées à l’ONU des tâches non régionales mais de puissance
mondiale comme dans le Golf ou en Somalie. L’étude paraîtra dans notre
presse avec d’importantes citations tirées du journal du parti de tout
cet après-guerre.
Reprenant les travaux le dimanche matin avec l’Histoire de la Gauche, la prise de position lucide de la Fraction face aux antagonismes internationaux qui, dès les années 20, anticipaient les grandes manoeuvres qui devaient conduire avec la complicité de l’État soviétique dégénéré au second massacre mondial, était exposée.
Le résultat inévitable des antagonismes entre les puissances impérialistes, quand la crise économique paralyse la production et le marché, est la guerre. La Guerre est donc la manifestation de la crise du capitalisme, non sa cause. Mais pour que le plan de l’impérialisme puisse se réaliser il est nécessaire que le prolétariat soit encadré sur les différents fronts de guerre et qu’il combatte pour la cause et les intérêts capitalistes des États nationaux, oubliant sa mission historique qui est l’émancipation de l’exploitation, réalisable à travers la révolution sociale.
La tâche du parti révolutionnaire est celle de la dénonciation constante et continuelle des préparatifs belliqueux du capitalisme, non pour soulever la classe exploitée au nom d’une paix impossible, mais afin qu’elle soit prête à prendre les armes pour la guerre civile. C’est ce que la Fraction de la Gauche communiste italienne fit obstinément, démontrant, à travers sa presse et sa propagande, comment chaque manifestation pacifiste entreprise soit par les États bourgeois, soit par les partis du vieux et du nouvel opportunisme ne servirent qu’à masquer les préparatifs d’un nouvel et plus terrible heurt inter impérialiste à travers lequel le mode de production capitaliste aurait pu, après les immenses destructions, reprendre souffle pour recommencer un nouveau cycle d’accumulation et de développement et pour représenter ensuite, à la fin de cette phase, la nécessité d’un nouveau conflit mondial encore plus désastreux.
En se fondant sur la lecture et l’analyse des travaux parus dans la presse de la Fraction, le rapport montrait l’impossibilité des différentes puissances impérialistes à vivre ensemble pacifiquement et à trouver un accord pour la répartition de l’exploitation et des marchés mondiaux, ni même durant la période de développement et de reconstruction post-belliqueuse. Tout équilibre, si on peut parler d’équilibre, se basait exclusivement sur des rapports de force incontestables qui empêchaient les pays antagonistes de menacer les règles cannibaliques issues de la guerre (dans le cas spécifique celle de 14-18). Ainsi, tandis que la France imposait son dictât à l’Allemagne vaincue et aux nations mineurs, elle même, dans le même temps, sentait peser sur sa tête la super puissance économique et militaire des États Unis qui écrasaient effectivement l’Europe.
Les divers impérialismes européens empêchés qu’ils étaient à cause de leurs antagonismes à trouver une stratégie commune à opposer à la puissance d’outre-Atlantique, malgré les tentatives accomplies par les partis social-démocrates et l’hypothèse de la constitution des États Unis d’Europe, se rendant compte de leur faiblesse, ne trouvaient rien de mieux que d’exprimer des déclarations formelles et serviles d’amitié envers les USA.
Un autre aspect très intéressant mis en relief par le rapport est la démonstration de la fausseté de la thèse opportuniste qui voudrait expliquer la politique extérieure des États comme dépendante des types de régime politique qui les guident et non de leurs nécessités économiques. Nous avons au contraire vue que le fascisme et la social-démocratie quand elles prennent la tête d’une nation continuent la même politique parce que identiques sont les intérêts de leurs capitalismes. Pour donner un exemple, la politique de l’anschluss entre l’Allemagne et l’Autriche fut lancée à la fin des années 20 par le gouvernement demo-socialiste allemand et, s’il revint à Hitler de le réaliser, ceci fut dû au simple fait qu’à l’époque l’Allemagne n’avait pas encore la force de déchirer les protocoles jugulaires de Versailles. Un autre aspect significatif est la coïncidence entre les intérêts de l’Italie fasciste (victorieuse mais mutilée) et l’Allemagne social-démocrate (vaincue mais revancharde).
Le rapport se terminait par la description de la conférence
internationale
de Lausanne qui en 1932 se concluait en déclarant "la liquidation de la
guerre". L’étude se poursuivra avec l’analyse des faits qui
conduisirent
à la seconde guerre mondiale, et avec l’exposition de l’attitude de
l’unique
courant resté fidèle à la doctrine du marxisme révolutionnaire: la
Gauche communiste.
Un autre relateur illustrait la base historique et sociale des actuels mouvements extrémistes religieux dans les pays de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. On donnait d’abord une vue d’ensemble rapide des racines économiques de l’Islam, qui durant des siècles, d’après Engels, se résumèrent à des heurts entre tribus nomades et cités commerçantes. Un cycle qui se répète jusqu’à l’arrivée du mode moderne de production capitaliste. Ces nouveaux intérêts se reflètent dans le monde musulman à travers divers courants successifs de pensée, dont certains tendent à adapter la lecture des textes sacrés aux intérêts d’une bourgeoisie naissante: dans l’ordre le Réveil, réaction tendant à repousser les premiers germes du capitalisme Egypte, Turquie et Perse; puis le Réformisme qui, au contraire, est un mouvement urbain, en dialogue ouvert avec la culture occidentale et qui cherche à dépasser les interprétations traditionnelles du Coran dans un sens moderniste et bourgeois. L’ultime courant est précisément le Fondamentalisme, qui est interprété comme une réaction, diffuse surtout parmi les couches les plus pauvres de la société, mais à caractère interclassiste, qui s’oppose à la modernité laïque, qui remplacerait l’exploitation capitaliste comme responsable de la misère des masses.
On en venait donc à considérer la réalité des pays arabes qui est celle de la faiblesse nationale, économique et politique, faiblesse bourgeoise que le Fondamentalisme ne dépasse pas mais accepte, enfermé qu’il est dans les étroites limites de si petits États.
Le rapport se poursuivra par l’approfondissement des situations
sociales
dans les trois principaux pays avec des traditions de lutte de classe:
Algérie, Egypte, Iran.
Le dernier exposé portait sur la signification de notre "dépassement" de l’utopisme.
Notre mystique conçoit une thèse qui exclut la contradiction typiquement bourgeoise entre utopie et science: quand notre parti et notre tradition a soutenu que le communisme n’est pas simplement un "rêve" utopique, mais une science, il n’a jamais voulu dire que notre science se réduit à celle conçue par les philosophies et théories bourgeoises, aggravées au fur et à mesure que le capitalisme s’est fourvoyé dans son irrémédiable décadence.
Nous avons toujours revendiqué notre capacité à "comprendre" et à aller au-delà des mythes, des religions et des personnalités charismatiques qu’on évoque pour chaque époque sans en cueillir la signification et la dimension par rapport aux puissantes déterminations sociales qu’ils expriment. "Ayant réglé leur compte aux prophètes, il le fit de même aux héros, que les vieilles conceptions de l’histoire mettaient au sommet, tant sous la forme de capitaine d’armes, que sous celle de législateurs et commandeurs de peuples et d’État".
Nous avons toujours été convaincus que ce sont au contraire "les plans de vie", dont nous sommes capables en tant que parti et en tant qu’organe de la classe, de déterminer les grands tournants historiques, comment ils se succèdent, mûrissent et s’imposent. Nous soutenons depuis toujours que, par conséquent, "le problème de la praxis du Parti n’est pas de connaître le futur, ni de le vouloir, mais de conserver la ligne du futur de sa classe".
Du reste, même les théoriciens les plus conséquents, même s’ils sont étrangers à toute science politique ou conscience politique, reconnaissent indirectement ce que nous soutenons au niveau militant: "on doit retenir que les choses futures sont réelles même si elles n’existent pas encore, et que les choses passées sont réelles, même si elles n’existent pas maintenant" (Putman, philosophe américain). Quand les philosophes et les théoriciens du régime "raisonnent", sans le savoir, ils donnent raison à notre point de vue.
Les plus graves arbitres de la pensée sont toujours ceux qui se
réclament
de l’individualisme ancien et nouveau, propres à la liberté subjective,
à son illusion de se soustraire au déterminisme de fer du matérialisme,
qui ne veut pas lui reconnaître la force et la possibilité d’être
transformé
par une praxis révolutionnaire qui comporte la connaissance de
l’histoire
et la capacité de direction du mouvement révolutionnaire. C’est
pourquoi
nous excluons, comme nous l’avons toujours exclu, que les théories
naissent
à chaque bruissement de fronde, mais sont le condensé historique et le
fruit de bilans que seules les grandes forces historiques sont chargées
de faire. A notre époque seul le parti historique et formel de la
Révolution
prolétarienne y est habilité.
Un compte-rendu détaillé de notre fraction syndicale, chargée d’intervenir dans le mouvement syndical d’opposition terminait la réunion. IL développait son activité d’organisation et de propagande dans le sens de la renaissance d’une association unitaire défensive de classe, travail que depuis toujours nous développons avec le maximum de nos forces.
Notre camarade ne cachait pas les faiblesses et les incertitudes
d’orientation
et de lutte présentes parmi les travailleurs, qui aujourd’hui cependant
nous trouvons dans un nombre de plus en plus exigu disposés à organiser
ses camarades en vue d’engagements majeurs d’un lendemain, peut-être
non
lointain, de mobilisation générale des masses ouvrières contraintes
à se défendre des effets de la crise.