Parti Communiste International |
Conférences tenues par notre parti à Turin, Gênes, Bologne, Florence, et Rome en Octobre-Novembre 2016. Le texte est paru dans notre organe italien, Il Partito n° 386 et 387, 2017. Il a été traduit en anglais et en espagnol.
Notre Parti se réfère au Rapport du PC d’Italie sur la Tactique du
Parti et sur la question du Front unique syndical, présenté
lors du 4ème congrès de l’Internationale Communiste en novembre 1922 dont voici un passage :
« (...) les communistes proposent une action commune de toutes les forces
prolétariennes encadrées dans les organisations des plus diverses
tendances. Cette tactique ne doit jamais entrer en contradiction avec
la tâche fondamentale du parti communiste : la diffusion au sein de
la masse ouvrière de la conscience que seul le programme communiste
et l’encadrement organisationnel autour du parti communiste la
conduiront à son émancipation. (...) La tactique du front unique
[syndical] est donc un moyen de conquérir une influence idéologique
et organisative prépondérante du parti.(...) La tendance
instinctive des masses à l’unité doit être utilisée lorsqu’elle
peut servir à un emploi favorable de la tactique du front unique ;
elle doit être combattue lorsqu’elle conduirait au résultat
opposé ».
En effet dans le domaine syndical, l’unité d’action des travailleurs est essentielle. C’est pourquoi la tactique du Front unique Syndical de classe, c’est‑à‑dire la voie d’unification des organisations syndicales en un seul front national, voire internationale, un front unique de combat opposé au front bourgeois, constitue une direction que les militants syndicaux de notre parti indiquent aux travailleurs lors des luttes. Mais lorsque les travailleurs ne parviennent pas à se séparer des directions syndicales traîtres au nom de “l’unité” de la lutte, le rôle des militants syndicaux du parti sera alors de démasquer la félonie de ces directions intégrés au système patronal, voire même d’indiquer aux travailleurs la création de nouveaux syndicats de classe : en dehors et contre !
Voici un autre passage du rapport de 1922 :
« Le grave problème tactique du front unique présente donc des limites
au‑delà desquelles notre action manquerait son but. Ces limites
doivent être définies en ce qui concerne le contenu des
revendications et les moyens de lutte à proposer et en ce qui
concerne les bases organisationnelles à proposer ou à accepter
comme plate‑forme des forces prolétariennes.
« Les revendications que le parti communiste avance pour le front unique [syndical] ne doivent pas entrer en contradiction avec les
programmes des divers organismes dont on propose la coalition, et
doivent pouvoir être atteintes par des méthodes de lutte qu’aucun
de ces organismes ne refuse par principe.
« C’est de cette manière seulement qu’on pourra faire une campagne contre les organisations qui refuseraient d’adhérer à la proposition de front unique : et dans le cas contraire, c‘est de cette manière seulement qu’on pourra utiliser le développement de l’action au profit de
l’influence communiste ».
La tâche de nos militants syndicalistes est d’indiquer aux autres travailleurs la voie d’unifications des organisations syndicales de classe en un seul front national, voire international. Ce mot d’ordre est valable quelque soit le pays, mais il doit être appliqué en tenant compte de l’histoire et de la situation des organisations syndicales du pays. L’éventail des indications tactiques du parti dans le domaine syndical est donc divers et varié, fonction des situations particulières et nationales. En effet, les caractéristiques des organisations de luttes économiques dans chaque pays peuvent varier : existence de syndicats de base en dehors des organisations syndicales de régime comme en Italie, création ou ébauche de coordinations hors des directions syndicales de régime uniquement lors des mouvements de grève comme en France, ou syndicalisme étatisé ou corporatif, de régime, intégré aux forces réactionnaires bourgeoises.
Le rôle des militants syndicaux du parti est donc de combattre les directions syndicales ouvertement collaborationnistes et celles opportunistes, et leur opposition à l’unité d’action des travailleurs et à celle des organisations syndicales de classe. Il en est de même quand il s’agit de directions syndicales qui semblent poursuivre cette unité de classe mais seulement verbalement et partiellement, comme ce fut dans le cas par exemple de l’ Intersyndicale lors du mouvement contre la réforme des retraites en France en décembre 2019 - janvier 2020 en France : il sera alors nécessaire de démasquer la lâcheté et la traîtrise de cette conduite, en indiquant les taches pratiques, correctes et cohérentes, que le mouvement de lutte des travailleurs doit assumer. C’est de cette façon que la classe travailleuse parviendra à résoudre la question, comme cela a déjà été fait pour quelques pays, à savoir si le syndicat de classe renaîtra de la reconquête de l’organisation syndicale tombée dans les mains du syndicalisme de régime, ou au contraire « en dehors et contre » celle-ci, comme en Italie dont le texte ci-dessous expose la situation syndicale en 2017.
* * *
Notre Parti a organisé une série de rencontres en Italie – Bologne, Florence, Rome, Gênes et Turin – autour du thème du Front unique syndical de classe. Ce thème a été choisi parce que la question a refait surface et touche la petite (mais non négligeable) partie du mouvement syndical italien qualifiée de "syndicalisme de base", ainsi que les courants d’opposition de gauche au sein de la Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL). En juillet dernier, les syndicats de base ont annoncé deux grèves générales séparées et concurrentes prévues pour l’automne. Deux grèves, l’une le 27 octobre et l’autre le 10 novembre qui se sont effectivement déroulées.
Contre cette division, et soutenant une grève générale unitaire de tout le syndicalisme de base et de classe, nos camarades ont collaboré avec des militants de différentes organisations syndicales – USB, CUB, Confédération Cobas, ainsi qu’avec les courants d’opposition interne de gauche de la CGIL ou “Il sindacato é un’altra cosa” (“Le Syndicat c’est autre chose”) – afin de rédiger un Appel intitulé : “Pour un front unique syndical de classe, pour une action générale de toute la classe travailleuse, en défense de la liberté de grève”.
Nous avons rendu compte de notre activité liée à la rédaction et à la diffusion de cet Appel dans notre dernier numéro de Il Partito (“Le parcours accidenté mais orienté vers un front unique syndical de classe”, Il Partito n° 385, octobre 2017), et nous poursuivons dans ce numéro en y introduisant le tract distribué lors des deux grèves.
Notre parti est retourné faire de l’agitation au sein de la classe et du mouvement syndical en Italie avec le mot d’ordre de "Front unique Syndical de Classe” et son corollaire "l’unité d’action des travailleurs". Et il l’a fait – selon sa méthode et sa tradition – par le biais de sa fraction syndicale, c’est‑à‑dire ses camarades travailleurs et militants dans les organisations syndicales. Tous sont intervenus de façon disciplinée et en conformité avec la position syndicale, commune et unique, du parti.
Le Front unique syndical de classe et l’Unité d’action des travailleurs sont deux piliers de la tactique révolutionnaire du communisme, cet ensemble de règles d’action que le parti, par toute son expérience historique et sur la base de sa théorie et de son programme, a sélectionné comme appropriées et nécessaires dans la poursuite de son objectif politique, le Communisme.
La tactique a une portée aussi cruciale pour le Parti communiste que la théorie et le programme politique puisque ces derniers sont étroitement liées à la pratique. La thèse caractéristique de notre courant à ce sujet est que ce que le parti fait détermine ce que le parti est : la bonne tactique fait le bon parti, et inversement quand la tactique est erronée. La tactique n’est pas une aire de travail qui peut être laissée à d’hasardeuses alchimies, choisies selon la devise de la fin justifie les moyens, mais les moyens doivent être accordés avec la fin. Notre parti se distingue donc parce qu’il cherche à définir à l’avance l’ensemble des règles tactiques qu’il entend utiliser lors d’une situation donnée. Ce fut l’une des précieuses leçons à tirer de la pire défaite du mouvement communiste : la dégénérescence du parti russe et de la Troisième Internationale.
Le rapport veut démontrer que les deux lignes d’action mentionnées ci‑dessus sont les bonnes, tant sur le plan syndical que des objectifs politiques du parti, et comment la première s’intègre pleinement dans la seconde.
La situation
actuelle
Notre camarade vient de nous donner un bref aperçu préliminaire de la situation économique mondiale de même que du mouvement ouvrier et syndical en Italie.
Ici nous ne faisons que répéter la façon par laquelle le capitalisme continue de s’enfoncer dans sa crise mondiale au niveau économique (lire le rapport sur “Le Cours du Capitalisme Mondial” publié dans les numéros précédents de Il Partito).
Les conditions de la classe travailleuse en Occident ont suivi un cours semblable à la crise : l’amélioration des règles de vie et d’emploi, qui fut gagnée à partir des années soixante au cours de luttes ardues et de dizaines de victimes dues aux forces policières, a été attaquée au milieu des années 70, d’abord lentement puis de manière accélérée.
Le mouvement syndical italien est dominé par les grandes confédérations syndicales traditionnelles (CGIL - Confédération Générale Italienne du Travail, CISL - Confédération Internationale des Syndicats Libres, UIL - Union Italienne du Travail), qui ont depuis des décennies abandonné et renié les principes et les méthodes de la lutte de classe pour adopter un syndicalisme ouvertement collaborationniste. Ces syndicats conservent encore le contrôle de la majeure partie de la classe salariée syndicalisée bien qu’ils perdent lentement en force. S’opposent à eux, un ensemble restreint d’organisations syndicales très diverses, dites “de base” qui, malgré certaines distinctions entre elles non négligeables, se déclarent partisanes de la lutte de classe, d’un syndicalisme “de conflit” et “anti‑concertation”.
La conduite du Parti en Italie face aux syndicats dans cet après guerre
Notre parti qualifie la CGIL comme étant un syndicat de régime depuis sa reconstitution “par le haut” en 1944, lors du Pacte de Rome, opérée par les principaux partis composant le Comité de Libération Nationale - CLN (Démocratie chrétienne, Parti communiste italien, Parti socialiste). La nouvelle organisation syndicale renaissait de ses cendres en soumettant les intérêts de la classe ouvrière à ceux de la Nation. Pour le marxisme révolutionnaire, la Nation et son État (qu’on appelle aussi Pays ou Patrie) ne représentent rien de plus que la classe bourgeoise organisée pour défendre les intérêts du Capitalisme. Cet assujettissement apparaissait également clairement dans son nouveau nom CGIL qui ajoutait le “I” (Italiano) national à celui originel, de 1906 à 1927, de CGdL, qui avait été au contraire un syndicat “rouge” et de classe, tout en étant dirigé par des réformistes.
Cette nouvelle soumission de la CGIL au régime bourgeois se conformait à l’idéologie du parti qui la dominait, le Parti Communiste Italien stalinien, avec sa théorie de la "démocratie progressive" selon laquelle, suite à la chute du fascisme – chute que nous affirmions n’être qu’apparente (1) – aurait été instauré un nouveau régime de "nouvelle démocratie", désormais ouvert à la classe ouvrière et capable d’améliorer progressivement le capitalisme, jusqu’à le transformer en socialisme sans passer par les traumatismes révolutionnaires.
Il est clair que cette théorie nie les fondements mêmes du marxisme révolutionnaire selon lesquels le capitalisme ne peut être réformé et la démocratie est une forme de gouvernement du régime bourgeois – la plus conforme à sa préservation (“La meilleure coquille du capitalisme”, comme le définit Lénine) – complémentaire et non opposée à sa domination totalitaire. En fait, ceci n’était rien de plus qu’une nouvelle proposition de l’opportunisme social-démocrate issu de la Deuxième Internationale, contre lequel Lénine et le Parti communiste italien des origines s’étaient si fièrement battus.
Le cours historique a démontré la faillite de cette théorie. Quatre décennies dans la spirale de la crise économique, lente mais inexorable, ont démontré que le capitalisme post fasciste ne vaut pas mieux que celui d’avant. Les améliorations obtenues par la classe ouvrière après la Seconde Guerre mondiale n’ont pas été le fruit d’un capitalisme soi‑disant différent ou de son régime complètement démocratique et prétendument nouveau, mais des luttes ouvrières qui éclatèrent dans cette phase de croissance vigoureuse de l’accumulation des rentes et des profits (les “Trentes Glorieuses”). Après avoir trompé deux générations de prolétaires, le faux parti communiste italien disparaissait, la plupart de ses membres ayant renié l’arsenal théorique qu’elle avait précédemment soutenu et qui se faisait honteusement passer pour marxiste.
Dès le début du second après‑guerre, la nouvelle CGIL désormais syndicat de régime, notre parti reconstitué a néanmoins envisagé deux perspectives possibles pour la renaissance, nécessaire tout autant qu’inévitable, du syndicat de classe : soit par la reconquête du syndicat de régime sur une ligne de classe; soit par sa renaissance en dehors de celui‑ci et contre celui‑ci.
Puisqu’un véritable parti communiste doit savoir donner une direction pratique immédiate à la lutte incessante des travailleurs, il s’agissait en cet après guerre de rejoindre la CGIL et de lutter pour la ramener aux positions de classe, parce que c’est en son sein que se trouvait la fraction la plus combative de la classe ouvrière. Durant les décennies de croissance économique, bien que s’opposant souvent à la structure de la CGIL, qui avait depuis lors commencé à éradiquer les principes et les méthodes de la lutte des classes, les travailleurs réussirent à utiliser cette organisation pour mener des batailles difficiles et obtenir des résultats significatifs.
La situation a changé avec la réouverture du cycle de crise capitaliste dans la première moitié des années 1970. Selon son principe qui soumet les intérêts de la classe ouvrière à ceux de la Nation, la CGIL est alors devenue une ambassadrice, au sein de la classe laborieuse, de la nécessité de faire des sacrifices au nom d’un prétendu intérêt national supérieur. C’est ce qui s’est produit de façon très claire avec le soi‑disant « virage » réalisé dans le quartier de l’EUR à Rome (2) en février 1978.
Dès lors, des groupes de travailleurs, minoritaires mais consistants, se trouvèrent dans la nécessité, non par choix idéologique mais pour la pratique de la lutte, de s’organiser en dehors de la CGIL. En effet, cette dernière, par rapport aux trois décennies précédentes, se révélait désormais de moins en moins utilisable dans la lutte défensive de la classe travailleuse.
Par cette orientation spontanée du mouvement ouvrier – en se basant sur le Parti et son analyse de la collaboration de classes de plus en plus flagrante de la CGIL – et sur la base de trente années d’expérience au sein des luttes de nos groupes ouvriers, nous avons conclu qu’il n’était plus possible de reconquérir ce syndicat pour lui donner une direction de classe. Dès lors, nous considérâmes donc ce syndicat comme étant définitivement de régime, irrécupérable pour la lutte de classe , et nous indiquâmes aux travailleurs la voie de la reconstruction du syndicat de classe en dehors et contre lui (3).
La justesse de la nouvelle tactique syndicale – tactique qui n’est pas nouvelle puisqu’elle était déjà proposée dans l’immédiat second après guerre comme alternative à la reconquête des syndicats de régime, si cette dernière s’avérait impossible – pour le mouvement ouvrier s’est trouvée confirmée par la suite avec la formation des syndicats de base. C’est un processus caractérisé par des avancées et des reculs, mais qui ne cesse de croître au sein de la classe, confirmant qu’il est le produit d’ une nécessité matérielle.
L’unification
nécessaire des luttes ouvrières
En l’espace de quatre décennies, bien que la CGIL n’ait pas encore eu l’occasion de revenir aussi ouvertement à demander aux travailleurs de se sacrifier pour sauver le pays comme en 1978, elle a constamment empêché la véritable organisation de la classe pour la lutte défensive contre la crise capitaliste. En d’autres termes, elle se comportait comme l’état‑major d’une armée qui la maintenait immobile face à l’offensive ennemie.
Notre parti est donc confronté à la question de savoir comment les travailleurs peuvent se défendre face à la crise du capitalisme. A cet égard, l’orientation de l’action syndicale que nous considérons fondamentale est l’unification des luttes en dépassant les limites catégorielles et d’entreprises.
Une lutte qui se limite à une seule entreprise ou à un seul lieu de travail doit nécessairement aller de pair avec les intérêts de l’entreprise. En période de croissance économique, les profits élevés des entreprises offrent des perspectives plus larges aux revendications des travailleurs ; et des batailles menées au sein d’un seul emploi, une seule entreprise, ou encore d’une seule catégorie peuvent permettre des améliorations.
Mais même alors, le Parti était en faveur d’une action syndicale qui unirait les luttes au plus haut niveau afin d’éviter l’indifférence des travailleurs vis‑à‑vis du reste de la classe, l’esprit d’entreprise et le corporatisme. Ces tares qui sont le produit de décennies de syndicalisme de régime de la part de la CGIL, CISL et UIL, les affligent gravement aujourd’hui.
Mais c’est en période de crise économique que l’orientation vers l’unification des luttes des travailleurs devient vitale. La concurrence de plus en plus acharnée entre entreprises, les faillites ou les soi‑disant restructurations limitent les capacités de l’entreprise au point de réduire à zéro les perspectives de revendication syndicale au sein d’une entreprise unique. Parfois, ces perspectives deviennent mêmes négatives : elles peuvent amener les travailleurs à accepter des réductions de salaire, des licenciements et toute autre détérioration des conditions de travail afin d’empêcher la fermeture de l’entreprise. Le syndicalisme qui se limite à l’entreprise en crise passe de la défense des travailleurs à la défense de l’entreprise. Dans des milliers de conflits, qui suivent inexorablement la même voie et qui mènent presque toujours à l’échec, les travailleurs sont convaincus qu’il existe un certain intérêt commun entre le travailleur et l’entreprise, que la vie de l’exploité dépend des intérêts de son exploiteur. Le suprême dogme bourgeois revient donc à la charge : le capitalisme ou la mort.
Tant que la perspective de combat ne dépasse pas les limites de l’usine, les travailleurs sont condamnés à se priver de la possibilité d’unifier leurs luttes et objectifs. La satisfaction des besoins des travailleurs ne peut s’obtenir de la confrontation d’un seul patron, mais de celle de toute la classe capitaliste – industriels, financiers, propriétaires terriens – et son régime politique. Cela permet à l’action syndicale d’offrir des perspectives revendicatrices plus larges que celles dictées par le cadre économique étroit de l’entreprise individuelle et ainsi de se développer sur la base d’une force beaucoup plus grande.
Le processus d’unification des luttes de la classe ouvrière doit se dérouler à deux niveaux. Le premier, plus élémentaire, consiste à faire grève ensemble, dans le temps et l’espace : faire coïncider le jour de la grève et unir physiquement les cortèges des manifestations, où le nombre fait la force. Le deuxième niveau, qui ne peut être établi qu’au premier niveau, consiste pour le mouvement ouvrier à exprimer des revendications qui unissent toute la classe et rendent nécessaire l’unification des luttes : augmentations de salaire pour toutes les catégories professionnelles avec des augmentations plus importantes pour les catégories les moins bien payées (4) ; réduction généralisée du temps de travail pour le même salaire ; salaire complet pour les travailleurs licenciés ; abaissement de l’âge de la retraite et un niveau de rétribution des retraites égal au dernier salaire (5) ; services sociaux (école, santé, transports) gratuits pour la classe travailleuse.
Plus un mouvement général de classe s’affirme et se développe, moins le travailleur dans une seule usine est opprimé.
Il est important de souligner qu’une lutte générale de la classe travailleuse pour atteindre ces objectifs, tout en préservant la forme d’un mouvement syndical, est déjà, en soi et de manière intrinsèque, une importante réalité politique qui voit les deux classes ennemies de cette société s’affronter. Pour parvenir à cette unification des luttes ouvrières, une organisation est évidemment nécessaire. Même s’il y avait un mouvement spontané de groupes de travailleurs dans cette direction – ce que nous espérons et qui se réalisera certainement – un tel mouvement devra se munir d’une organisation adéquate pour se défendre, se rassembler, et pouvoir se développer.
Le syndicalisme
“de base”
La situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la classe travailleuse italienne pour agir est encore plus grave que celle de l’absence de l’instrument syndical. En effet le champ de bataille – le réseau des milliers de lieux de travail sur le territoire – est contrôlé à tous les niveaux par les structures syndicales de régime dont la tactique asphyxiante, tout au long de l’après-guerre, visait précisément à empêcher cette unification, en particulier au cours de ces quarante années de crise.
Par ailleurs, le syndicalisme de base s’est révélé jusqu’à présent insuffisant pour accomplir cette tâche, en partie à cause de conditions objectives défavorables mais, à notre avis, également à cause d’erreurs en matière de politique syndicale, dont l’une des plus importantes concerne l’unité d’action.
Par exemple, la critique généralement correcte des principes des syndicats de régime par le syndicalisme de base a été suivie, dans la grande majorité des cas, par une non‑participation voire un boycott des mobilisations que ces syndicats de régime promeuvent. Cette attitude a certainement sa raison d’être ; les syndicats confédéraux commettent souvent diverses ignominies sur les lieux de travail; la réaction des délégués des syndicats de base est souvent de refuser de se mettre en grève et de descendre dans la rue aux côtés de ces traîtres, avec lesquels ils se heurtent quotidiennement. Par conséquent, cette directive, si elle émane des dirigeants, est partagée par une partie substantielle des militants des syndicats de base.
Cependant, si un tel comportement est compréhensible, on ne peut ignorer son caractère superficiel : il ne s’agit pas de se battre aux côtés des délégués et des responsables des syndicats collaborationnistes mais de se battre avec les travailleurs qu’ils mobilisent.
Ne
pas participer aux grèves appelées par les confédérations de
régime est contre-productif pour diverses raisons:
1. Tout
d’abord, les syndicats de base ayant cette conduite apparaissent à
la masse des travailleurs, toujours contrôlés par le syndicalisme
de régime, comme des déserteurs sur le terrain d’une bataille :
nous sommes présents et vous ne l’êtes pas;
2. Les travailleurs les plus combatifs, qui
appartiennent aux organisations syndicales de base, isolés dans
leurs action, grèves et manifestations, abandonnent le reste de la
masse au contrôle et à l’influence du syndicalisme de
régime;
3. Avec une
pratique affinée et consolidée par une longue expérience, le
syndicalisme de régime, quand il mobilise les travailleurs, veille
toujours à ne pas ordonner des actions ni trop faibles, proches de
l’échec, ni trop fortes, dont il pourrait perdre le contrôle. En
privant ces grèves et ces actions de la présence des travailleurs
les plus combatifs, organisés dans les syndicats de base, avec leur
enthousiasme, énergie, leurs critiques et mots d’ordre, il est
plus facile pour le syndicalisme de régime de contrôler ses
propres mobilisations.
Ces considérations ont une valeur générale, mais il est toujours nécessaire de considérer chaque mobilisation avec ses propres caractères. Là où, par exemple, il y a des entreprises ou des catégories dans lesquelles les syndicats de régime ont déjà été vaincus par les syndicats de base, l’attitude peut évidemment être différente. C’est le cas, par exemple, d’importantes entreprises de logistique où SI Cobas est la force dominante et où les syndicats de régime sont réduits à des conditions de minorité extrême, voire absents. Au contraire, chez les métallurgistes, par exemple, le contrôle de la FIOM CGIL est encore solide et l’implantation syndicale du syndicalisme de base est très faible.
Il ne faut pas non plus sous‑estimer la résilience du syndicalisme de régime qui contrôle encore la majorité des travailleurs : si les dernières années ont été caractérisées par un manque de mobilisation de la CGIL, cela n’exclut pas qu’elle change de registre dans le futur, et qu’elle instaure un nouveau militantisme, organise de fausses mobilisations, comme elle est certainement capable de le faire ; pensez à ce que la FIOM de Landini (6) a fait après l’accord de Pomigliano en juin 2010 (voir «L’opposition de façade de la FIOM épaule le corporatisme de la CGIL», Il Partito n°377, 2016), illusionnisme de combat dans lequel une part non négligeable du syndicalisme de base est également tombée.
Notre parti préconise de lutter au sein des syndicats de base en s’affirmant comme opposition, en cohérence avec l’unité d’action des travailleurs, de participer aux grèves appelées par le syndicalisme de régime – si ces grèves sont susceptibles de mobiliser une partie substantielle de la classe travailleuse – et d’intervenir dans les manifestations organisées par ceux‑ci. Bien sûr, en se distinguant clairement des syndicats de régime et en transmettant les revendications et les moyens d’action des syndicats de base parmi les travailleurs en grève.
Conceptions
opposées sur la nature des grèves
A la base de ces deux positions, celle de l’unité d’action et celle de la majorité des dirigeants du syndicalisme de base, qui visent à des grèves séparées et concurrentes, il y a deux conceptions opposées par rapport à la grève et au processus de croissance et de développement du mouvement ouvrier : la première se fonde sur les besoins réels de la classe ouvrière et sur la nécessité de défendre ces besoins ; la seconde place au centre et comme moteur de ce processus le facteur de “conscience”, de compréhension de la réalité sociale par les travailleurs. Dans le mouvement ouvrier et syndical, tout d’abord les travailleurs parviennent à une prise de conscience progressive, diffuse et individuelle, de la réalité de leur condition sociale; et c’est alors seulement qu’ils développent le jugement adéquat, les motifs rationnels, et les convictions propices pour s’organiser adéquatement en syndicats combatifs et pour mener la lutte.
Pour nous marxistes, le processus se déroule selon un parcours inverse, dans lequel la conscience est le résultat ultime et toujours partielle, pas le point de départ. D’abord, instinctivement, on entre au combat ensemble et on comprend immédiatement que le nombre est le premier facteur de force ; ensuite, après une longue expérience, les masses en arrivent à mieux comprendre et à évaluer les orientations des différents partis et groupes politiques.
Il convient de noter ici que les syndicats de base eux‑mêmes ne sont pas issus d’un processus de conscience progressive des travailleurs, mais sous la poussée de fortes mobilisations de certaines professions. La conception matérialiste de la grève et du développement du mouvement ouvrier a pour moteur non la tête des travailleurs, mais leur cœur et leur ventre vide.
En second lieu, il nous semble que quatre décennies de pratique de grèves séparées par le syndicalisme de base ont clairement démontré son inefficacité. Ces mobilisations, en particulier celles qui sont générales, intercatégorielles, sont toujours extrêmement minoritaires, réduites à d’anodines manifestations d’opinion, ne constituant jamais une épreuve de force pour faire plier le patronat, que la majorité de la classe ouvrière ne remarque même pas ou, dans le meilleur des cas, considère comme une agitation inutile de la part d’une minorité extrémiste.
Il est important de faire la distinction entre les protagonistes du mouvement ouvrier. À la base se trouve la masse des travailleurs. Une partie de cette masse est encadrée par l’organisation syndicale. Dans celle‑ci, on distingue la base des inscrits, les militants, les délégués, les dirigeants territoriaux et enfin les dirigeants nationaux.
En général, dans un syndicat « sain », en gravissant les échelons de cette pyramide, le niveau de conscience des problèmes liés à la lutte syndicale augmente. Ne serait‑ce que parce qu’un travailleur en décidant de s’impliquer davantage dans le travail du syndicat, par exemple en devenant délégué, – parce qu’il est vraiment passionné par cette lutte et par la pratique de cette activité – acquiert avec le temps et l’expérience de plus en plus de connaissances.
Juger la base des inscrits d’un syndicat selon les mêmes critères que ses dirigeants, en les considérant les uns et les autres comme des traîtres à la classe ouvrière, est donc une grave erreur qui ne sert qu’à justifier le refus de faire grève avec eux. Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille ignorer partout l’existence de certains travailleurs opportunistes, ou pire encore.
La grève est un phénomène social, vivant dont les caractères sont essentiellement irrationnels. On l’a souvent comparée à un incendie. Un incendie a besoin de certaines conditions pour s’enflammer (combustible, oxygène, température, allumage). Une fois allumé, plus il s’étend, plus il est difficile de l’éteindre ; par contre, une fois éteint, après avoir consommé une partie du combustible, passé un certain temps, il devient plus difficile de l’allumer de nouveau. Ce n’est pas par hasard si, dans un passé récent, les dirigeants des syndicats de régime qui ont été envoyés dans les usines pour réprimer les grèves se faisaient appeler pompiers. Et de manière significative, toute une série d’accords entre employeurs et syndicats de régime visant à prévenir de vraies grèves introduisent des procédures dites de refroidissement qui trahissent déjà leurs intentions et montrent comment les employeurs et les faux syndicats, vendus au patronat, comprennent très bien la véritable nature de la grève.
La grève est le constituant primordial et élémentaire de la lutte des classes. Elémentaire parce que c’est la première façon dont un groupe de prolétaires s’oppose collectivement – et presque toujours inconsciemment au début – à l’oppression du capitalisme. Primordial parce que dans une véritable grève, même la plus petite, tous ces facteurs – essentiellement d’ordre émotionnel – destinés à faire croître et mûrir la lutte de classe jusqu’à son résultat final – la reconnaissance de son parti, le parti communiste – et qui permettent de développer la lutte en vue d’une prise révolutionnaire du pouvoir politique, doivent être reconnus sous leurs formes embryonnaires. Vue d’en bas, la révolution est vécue comme une grande grève par la masse des travailleurs.
Vice versa une vraie grève est une petite révolution. Les travailleurs se trouvent dans une situation complètement différente et nouvelle. Ils sont libérés de l’oppression du travail et disposent enfin du temps nécessaire pour se rencontrer et réfléchir. La nouvelle situation collective libère des énergies qui cherchent à approfondir les problèmes de nature syndicale qui les passionnent et la volonté de tester la force de leur classe. C’est dans le feu de la lutte que sont créées dans la classe les conditions d’une compréhension plus générale des problèmes qui l’affligent. Et plus le feu grandit et s’étend, dans un processus d’unification des luttes ouvrières, plus les conditions sont créées pour que se répande la conviction qu’il est possible et utile d’affronter aussi la question du salariat, non seulement au niveau syndical, mais aussi au niveau politique, en considérant les différentes orientations sociales des différents partis, dont chacun propose sa solution générale à l’histoire de la lutte des classes.
Rien de cela n’arrive le plus souvent en l’absence de lutte, pendant les deux heures de rassemblement au cours duquel les travailleurs se retrouvent à écouter les sermons de deux, trois ou quatre syndicats différents sur des problèmes complexes et souvent présentés délibérément de façon compliquée ; travailleurs épuisés par le travail et conscients d’avoir à y retourner après la courte pause. Ainsi, pour la masse des travailleurs, contrairement à la petite minorité de militants syndicaux, l’action vient d’abord et la compréhension ensuite.
Confondre les rôles et les sujets, s’adresser à la masse des employés et les regarder comme s’ils partageaient les mêmes fausses croyances et les mêmes préjugés que les dirigeants de leur syndicat ne peut conduire qu’à de graves erreurs et à l’incapacité d’intervenir contre ceux‑ci.
La question se pose donc à savoir quelles conditions sont nécessaires au déclenchement de véritables grèves. Pour nous communistes, ces conditions, s’agissant d’un phénomène élémentaire, ne sont pas de nature complexe, même s’il n’est pas facile de prévoir les conditions propices pour les déclencher. On en dénombre deux : d’une part, la présence d’un véritable malaise chez les travailleurs, par exemple une nouvelle mesure du patron qui fait l’effet d’une entaille dans la chair vive de leur existence quotidienne ; d’autre part, le fait que les travailleurs constatent qu’ils comptent un nombre suffisant de camarades prêts à combattre. Comme les militants syndicaux n’ont pas la faculté d’intervenir sur la première condition, sinon pour écouter l’humeur et le moral des travailleurs, c’est donc sur la seconde condition qu’il est nécessaire d’agir.
C’est à ce moment là que le mot d’ordre d’unité d’action des travailleurs doit être affirmé. Lutter au sein des syndicats de base pour qu’ils participent, avec leurs propres revendications, aux grèves promues par le syndicalisme de régime dans le but de créer les conditions les plus favorables pour que ces mobilisations atteignent un niveau de force telle qu’elles échappent au contrôle des syndicats de régime sur leurs inscrits. Se mobiliser avec les syndicats de régime ne signifie pas, comme le prétendent la plupart des dirigeants des syndicats de base, se fondre avec eux et les favoriser : les militants des syndicats de base expliqueront aux travailleurs en grève ce qui les distingue des syndicats de régime. Il s’agit au contraire d’utiliser de façon adéquate ces syndicats soumis au capital.
Car – et nous terminons ici cette partie du rapport – pour la masse des travailleurs, embrasser le syndicalisme de classe et ses revendications n’est pas une question de choix, mais un problème de force ! C’est lorsqu’ils se sentent forts qu’ils comprennent qu’ils ont réellement la possibilité de se battre pour des objectifs plus ambitieux et selon des méthodes plus intransigeantes. Tant que les revendications, même sacro‑saintes et classistes, se basent sur des mobilisations extrêmement minoritaires, la masse de la classe salariée est contrainte de se tourner vers le syndicalisme qui apparaît le plus fort, le plus complaisant et le plus clientéliste. Un comportement bien sûr opportuniste ; mais c’est celui d’une classe opprimée, et qui restera opprimée tant qu’elle ne trouvera pas enfin la force d’affronter ouvertement la classe sociale ennemie qui l’opprime.
Front
unique
syndical
de classe
Par conséquent, pour le syndicalisme de base, se joindre aux grèves promues par le syndicalisme de régime ne signifie pas faire grève avec les structures de ces syndicats mais plutôt avec les travailleurs que ces syndicats de régime mobilisent. Il s’agit de suivre la directive de l’unité d’action des travailleurs, qui est le moyen le plus approprié pour combattre ce syndicalisme, et non de rechercher un front commun entre les syndicats de base et les syndicats tricolores. Un tel front unique syndical serait en contradiction flagrante avec la nature définitivement de syndicat de régime de la CGIL et avec l’orientation tactique que nous avons prise depuis la fin des années 1970 pour reconstruire le syndicat de classe en dehors d’elle et contre elle.
Le mot d’ordre du Front Unique Syndical de Classe est étroitement lié à celui de l’Unité d’action des travailleurs, mais il ne coïncide pas avec celui‑ci. Il remplit plutôt sa fonction en évoluant parallèlement. Afin de clarifier cette orientation, il faut expliquer ce qu’est l’Appel à une grève unitaire de tout le syndicalisme de base et de classe, que nous avons mentionné dans l’introduction.
L’Appel (7) s’intitulait “Pour un front unique syndical de classe”. Le terme "classe" indique également qu’une entente au niveau de l’action n’a été jugée possible qu’au sein du syndicalisme de base et avec les groupes et courants d’opposition de gauche au sein de la CGIL, mais excluant ce syndicat.
L’appel s’adressait non seulement à « tous les travailleurs » pour qu’ils se joignent à la grève et la soutiennent, mais aussi « aux inscrits et aux militants » de toutes les organisations syndicales de base pour faire pression sur leurs dirigeants afin qu’ils surmontent les divisions et appellent à une grève unitaire; et « aux inscrits et aux militants des courants d’opposition de gauche de la CGIL » pour soutenir une telle grève quoi qu’en décide la direction et quelles que soient ses intentions. Il ne s’agissait donc pas d’un appel aux dirigeants des syndicats, comme certains l’ont mal compris au départ, mais aux membres de la base de ces syndicats.
Mais nous prenons bien en compte que, depuis quarante ans, non seulement les dirigeants des syndicats de base n’ont pas réussi à réaliser une unité organisationnelle, mais pas même une unité au niveau de l’action. En effet, au lieu de se réduire, ces divisions semblent devenir de plus en plus graves, comme en témoigne la énième proclamation de deux grèves générales séparées et à 15 jours d’intervalle l’une de l’autre.
Nous sommes convaincus que l’unité d’action complète et organique du syndicalisme de base ne sera possible qu’en se défaisant de l’emprise de la majorité de ses dirigeants actuels. Loin de donner du crédit à ces dirigeants, l’appel se voulait donc un acte de guerre envers eux.
L’unité d’action du syndicalisme de base – et de combat – sera la prémisse de la réalisation d’un Front Unique Syndical qui sera de classe aussi parce que, ne pouvant s’accomplir et se réaliser que par une lutte contre les dirigeants actuels, il permettra enfin de soutenir une réelle politique syndicale.
Cet objectif permettra la création d’un pôle syndical – annonciateur de la création d’un seul Syndicat de classe – avec une masse sociale telle qu’elle générera une attraction suffisante pour s’opposer à celle, dominante encore aujourd’hui, du syndicalisme de régime.
Cela ne veut pas dire que la formation du futur Syndicat de Classe se fera nécessairement par la fusion organisationnelle des syndicats de base actuels. Il est possible que certaines de ces organisations, voire même leur entièreté, ne se montrent pas à la hauteur de cette tâche et cèdent face au processus d’encadrement du régime politique bourgeois, comme cela s’est déjà produit à la CGIL ; ou encore que ces organisations soient balayées par lui et que de nouveaux organismes de lutte ouvrière apparaissent pour répondre à cette nécessité historique.
Cette possibilité n’est pas en contradiction avec les directives syndicales exposées ici et le travail que le parti accomplit pour leur affirmation dans le mouvement ouvrier et syndical, puisque cette intervention ne peut évidemment être effectuée que dans les organisations qui existent actuellement... Et non encore dans celles qui sont à venir.
Il est important de clarifier la relation entre les deux approches tactiques dans le mouvement syndical que nous avons décrites jusqu’à présent.
Nous considérons l’objectif du Front Unique Syndical de Classe comme indispensable pour parvenir à la réalisation la plus complète de l’unité d’action des travailleurs. Notre parti n’exclut pas la nécessité, et sa tâche, de s’adresser directement aux masses prolétariennes en leur indiquant la nécessité d’unifier les luttes revendicatives, et en leur proposant, en plus de l’unité d’action, des objectifs fédérateurs. Cela renforcerait la lutte menée dans le même but au sein des syndicats. Mais nous ne devons pas nous leurrer. L’unification des luttes de la classe travailleuse ne peut être réalisée en évitant la bataille au sein des syndicats pour l’affirmation de la bonne unité d’action.
Les syndicats sont les sujets fondamentaux, organiques et vivants du mouvement ouvrier. Ignorer leur rôle et abandonner la lutte en leur sein ne peut que conduire à une dispersion générale des forces. Ceci est vrai non seulement dans une situation historique comme celle d’aujourd’hui, dans laquelle est manifeste l’état de faiblesse et de débandade de la classe ouvrière ; mais aussi dans des situations où les travailleurs retourneront au combat avec hargne et développeront une bien meilleure conscience de leur condition de classe exploitée comparativement à maintenant.
Notre parti peut l’affirmer grâce à la grande expérience d’une lutte aujourd’hui plus que séculaire, puisque nous nous considérons comme les fidèles continuateurs d’un courant politique qui a eu l’occasion historique et le mérite de jouer un rôle de tout premier plan à l’époque où l’avancée du prolétariat révolutionnaire, de la Révolution d’Octobre à 1923, était à son point culminant. Ce courant, la Gauche Communiste Italienne, né vers 1912 au sein du Parti Socialiste Italien (PSI) en réaction au développement en son sein du réformisme, s’est organisé en 1919 sous le nom de Fraction communiste abstentionniste et, en janvier 1921, a conduit la scission qui mena à la fondation du Parti communiste italien. La Gauche en occupa la direction jusqu’en 1923 et représenta la majorité de ses membres jusqu’en 1926, date à laquelle, au Congrès de Lyon, l’emporta le courant centriste, expression de la de la contre-révolution stalinienne dans le parti russe et dans la Troisième Internationale, avec ses épigones dans le parti italien (Togliatti).
Dès les mois qui ont suivi sa fondation, le Parti Communiste D’Italie s’est engagé dans la bataille pour le Front Unique Syndical parmi les organisations de classe de l’époque. Le Comité syndical communiste envoya une lettre à la CGdL, au Syndicat des chemins de fer (SFI) et à l’USI proposant « l’établissement du front unique prolétarien au niveau syndical et la grève générale nationale pour la défense de la classe travailleuse » afin de faire face « au développement de l’offensive capitaliste ».
Même dans les années où le prolétariat italien et européen déployait la plus grande vigueur, amenant toute l’Europe au bord de la révolution prolétarienne, les divisions entre les syndicats ont été un obstacle et un dommage pour le mouvement ouvrier, et le parti considéra comme tâche inéluctable de lutter en leur sein pour la plus grande unité d’action possible. En même temps, il n’a pas manqué de s’adresser directement aux travailleurs.
Les dirigeants réformistes de la CGdL qualifièrent la proposition communiste de “démagogique et inconsciente”. Le Syndicat des chemins de fer et l’USI, tout en se déclarant en faveur du front unique, ne prirent pas en considération l’invitation des communistes. La tactique du parti fut de contourner ces positions défaitistes et lâches par un appel adressé directement au prolétariat. Le rapport du PCd’I au IVe Congrès de l’Internationale communiste se lit comme suit : « La question fut posée par les communistes directement au sein de la masse, dans laquelle ils trouvèrent un fort écho ; en même temps, la CGdL fut invitée à discuter de notre proposition dans un Congrès national. »
Les 7 et 8 septembre 1921, les communistes organisèrent à Milan une conférence nationale réunissant une centaine de délégués représentant plus de 500 000 travailleurs de toute l’Italie membres de la CGdL et de l’Union des chemins de fer. Le document final indiquait : « Les communistes visent pour objectif principal la réalisation de l’unité de toutes les organisations économiques du prolétariat italien. »
La campagne pour le front unique commença à porter ses fruits. Le conseil d’administration de la CGdL fut contraint de convoquer le Conseil national qui se tint à Vérone au début du mois de novembre 1921. L’ordre du jour concernait le front unique et la grève générale nationale. On peut encore le lire dans le rapport mentionné ci‑dessus : « Contre une telle proposition se rangèrent presque tous les bureaucrates syndicaux de la CGdL (....) De nombreuses organisations syndicales, bien que non dirigées par les communistes, ont accepté la proposition communiste. (...) Malgré tous les obstacles et toutes les entraves, la pression des masses pousse inexorablement vers le front unique (...) L’histoire de l’accueil donné à notre proposition en août 1921 peut se résumer en quelques mots : obstructionnisme de la part des dirigeants syndicaux, sympathie toujours croissante des masses. » (“Rapport du Comité exécutif du PCd’I au Komintern sur la tactique du parti et la question du front unique” juin 1922.
Lutte syndicale et lutte politique
Il ne s’agit pas, dans le contexte actuel de repli de la classe travailleuse, de répéter la même approche tactique proposée durant ces années de grande avancée du prolétariat révolutionnaire ; ni de transposer mécaniquement, par la force, la conduite pratique du parti, ce qui en ferait une parodie.
En
tant que communistes révolutionnaires, nous croyons que nous pouvons
reconnaître dans chaque grève les éléments de la rébellion
prolétarienne contre l’oppression du capitalisme – éléments
destinés à croître au cours du développement de la lutte de
classe. De la même façon,
notre doctrine nous permet
d’identifier les processus de leur formation embryonnaire. Malgré
les limites de l’activité syndicale imposées par les conditions
d’aujourd’hui, nous apercevons les caractéristiques
fondamentales qui sont apparues clairement et distinctement de
l’expérience des grandes batailles du passé et qui, nous le savons,
réapparaîtront dans celles à venir :
–
l’opposition des dirigeants
syndicaux réformistes et opportunistes ;
–
la tentative en apparence inexplicable de groupes politiques, tels
que les anarchistes, de se prononcer en faveur du front unique
syndical ;
–
l’accueil enthousiaste de la masse prolétarienne, même des
travailleurs qui adhèrent à des partis opposés au nôtre ;
–
l’adhésion des structures syndicales, territoriales et de catégorie,
même si elles ne sont pas dirigées par la fraction du parti, à la
directive syndicale communiste.
Après avoir expliqué la fonction des deux lignes d’action dans le domaine syndical et les raisons pour lesquelles nous les considérons comme correctes, il s’agit d’expliquer comment elles s’inscrivent dans la lutte politique pour le communisme.
La relation entre le parti et le syndicat est un problème toujours actuel dans le mouvement syndical que seul le marxisme révolutionnaire pose correctement.
Notre école prévoit la croissance du parti dans une relation déterminée avec la relance de la lutte de classe, mais exclut la possibilité de pouvoir diriger la classe travailleuse, orientée vers la conquête révolutionnaire du pouvoir politique, sur la base d’un nombre d’adhérents augmenté par la seule activité de propagande et de prosélytisme. Ce sont des tâches fondamentales et nécessaires, mais insuffisantes.
Si l’on s’en tient à la thèse de Marx selon laquelle, à chaque époque, l’idéologie dominante est celle de la classe dirigeante, le Parti continuera de constituer une minorité de la classe pendant longtemps, même après la conquête du pouvoir. La force qui permet de catapulter cette minorité révolutionnaire à la tête de la classe travailleuse est celle de la guerre sociale – guerre de la classe ouvrière contre les classes bourgeoises – et en particulier la lutte syndicale. C’est dans ce domaine que les directives pratiques du parti seront suivies par les travailleurs, qu’ils soient ou non communistes, parce que ces directives se seront révélées être les mieux adaptées à leurs besoins au cours de la lutte.
C’est pourquoi le véritable parti communiste n’a pas besoin d’instrumentaliser le mouvement ouvrier et syndical car le plein développement de celui‑ci crée en fait les conditions les plus favorables à la réalisation de ses objectifs politiques. Comme l’affirme le Manifeste du Parti communiste, « les communistes n’ont pas d’intérêts distincts de ceux du prolétariat tout entier ».
Le parti ne cherche donc pas à « politiser » de force le syndicat. Il traduit en termes de directives d’actions pratiques les thèses théoriques qui le distinguent de tous les autres partis. Par exemple, dans l’environnement syndical, le Parti ne propose pas des mots d’ordre tels que "le capitalisme ne peut être réformé, il doit être renversé", mais plutôt "la lutte à outrance contre l’exploitation capitaliste", conscient qu’au cours du développement de la lutte des classes, le second mot d’ordre finira par coïncider avec le premier. Il n’écrit pas non plus de propagande antireligieuse dans les communiqués syndicaux, mais il explique plutôt la nécessité d’une solidarité entre travailleurs indépendamment de toute opinion politique, philosophique ou religieuse.
Par exemple, l’une des thèses du Deuxième Congrès de l’Union des Syndicats de Base affirme qu’il faudrait "relever le défi de politiser le conflit" (voir notre article : « USB à son Deuxième Congrès national », Il Partito n°384). Même la direction de SI Cobas a souvent répété qu’en l’absence – selon ses dires – du parti communiste révolutionnaire, le syndicat devrait jouer un rôle de "suppléance".
Le respect de la fonction et de la nature du syndicat ne veut pas dire qu’il faille dévaluer la fonction du parti.
Les camarades du parti, qui sont aussi des travailleurs et des militants dans les syndicats, doivent exprimer clairement leurs opinions et faire de la propagande ainsi que du prosélytisme au sein du syndicat. Mais la fonction fondamentale de la fraction syndicale communiste dans le syndicat, n’est pas de transformer celui‑ci petit à petit en demi parti, qui soutiendrait le premier en se tenant à ses côtés : cet objectif, considéré comme évident et nécessaire et poursuivi par toutes les autres forces politiques, vient nier le syndicat ou nuire à son sain développement. Plutôt, le travail primaire de la fraction syndicale communiste s’effectue en respectant la nature et la fonction du syndicat – différentes de celles du parti – dans leur défense et dans la lutte pour l’affirmation des directions d’action qui favorisent son renforcement maximum.
L’affirmation d’une orientation classiste totalement cohérente dans les syndicats et dans la classe est le résultat de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie (dont la lutte entre ses différents courants se reflète au sein du mouvement syndical) et de l’orientation syndicale cohérente émanant de la politique révolutionnaire du Parti communiste marxiste. Cette lutte ne peut donc avoir une issue favorable qu’en présence du Parti communiste. Sans la présence du Parti, le mouvement syndical – dirigé par d’autres partis et courants politiques – ne peut utiliser qu’occasionnellement et partiellement la bonne méthode de lutte. En l’absence du Parti, il est malheureusement destiné à trahir ou montrer son inadéquation au fur et à mesure que s’aggravera la crise sociale.
Lors des batailles, en démontrant son adéquation et sa congruence face aux besoins de la lutte ouvrière croissante, la politique syndicale communiste gagnera l’adhésion des travailleurs qui ne sont pas membres du Parti ; mais aussi parmi des travailleurs membres d’autres organisations politiques. Nous en avons eu un petit aperçu dans la bataille menée ces derniers mois afin de soutenir la grève unitaire du syndicalisme de base. L’appel à la grève a été rédigé par les camarades du Parti et des militants syndicaux qui n’appartiennent pas à notre parti, mais il correspondait entièrement à notre position.
Les partis politiques agissant dans le mouvement ouvrier et adversaires de notre parti communiste peuvent parfois être poussés à partager certaines des directives syndicales communistes ; mais, au mieux, ils oscillent autour de la bonne ligne d’action et ne coïncident que très rarement avec elle. Tôt ou tard, ces partis non‑communistes sont destinés à tenter de faire plier le mouvement syndical pour l’instrumentaliser selon leurs propres objectifs politiques, révélant ainsi que ces objectifs ne sont pas en accord avec les nécessités du mouvement syndical.
L’opposition à la grève unitaire, partagée par les dirigeants actuels des différents syndicats de base, démontre déjà que les objectifs des groupes politiques opportunistes qui dirigent ces syndicats entrent en contradiction avec les besoins du mouvement des travailleurs. De la même façon, parmi les partis se qualifiant de “prolétariens et révolutionnaires”, tous ont affirmé – en paroles – partager la directive d’unité d’action, et certains de leurs militants travailleurs syndiqués se sont exprimés en sa faveur, tandis que ceux qui ont soutenu effectivement l’Appel à la grève unitaire se comptent sur les doigts de la main.
Dans ce mouvement, qui voit les partis osciller autour de la politique syndicale classiste correcte, se révèle la contradiction avec leur base ouvrière et leurs fractions syndicales qui tendront de plus en plus à ne pas suivre les directives de leur organisation politique mais plutôt celles du parti communiste.
C’est de cette façon que le syndicat assurera cette fonction de courroie de transmission entre la minorité des marxistes révolutionnaires organisés dans le parti et la masse de la classe prolétarienne.
Dans ce processus, les directives de front unique syndical de classe et d’unité d’action des travailleurs jouent un rôle fondamental, car ce sont elles qui peuvent conduire toute la classe travailleuse à se mettre en marche pour s’opposer à toute la classe bourgeoise et à son régime. Comme l’a expliqué Marx, lorsque le mouvement syndical parvient à mobiliser l’entièreté de la classe travailleuse pour défendre ses intérêts, cela représente déjà un mouvement politique.
L’affirmation de la politique syndicale classiste émanant de la fraction communiste, et sa défense par une large base prolétarienne, conduisent au renforcement mutuel du mouvement ouvrier et du parti communiste.
La mobilisation générale du prolétariat, déterminée par le progrès de la crise économique mondiale, prend le chemin de la révolution d’autant plus que le capitalisme devient de moins en moins capable de nourrir ses esclaves salariés. Profitant des conditions objectives de fragilité du capitalisme et de son régime à l’échelle mondiale, la grève générale, finalement dirigée par le seul parti communiste, se transforme en insurrection pour s’emparer du pouvoir, premier pas vers l’émancipation de la classe travailleuse et le communisme.
Cette tactique communiste de Front unique sur le terrain syndical est contrebalancée par le rejet de tous les fronts sur le terrain politique. Notre Parti ne poursuit pas d’objectifs intermédiaires à la conquête révolutionnaire du pouvoir et rejette toutes les alchimies politiques inévitablement liées à ces objectifs intermédiaires que l’opportunisme propose toujours dans la fausse perspective d’un rapprochement révolutionnaire.
C’est de la combinaison de ces deux attitudes tactiques apparemment opposées – unité d’action maximale du prolétariat dans le domaine des revendications immédiates, indépendance maximale et distinction par rapport à tous les autres partis – que la plus grande efficacité et le pouvoir révolutionnaire de notre classe vont se développer.
1 - Pour notre Parti, si les États “fascistes” ont été vaincus militairement par les Alliés, le fascisme a en fait gagné la guerre...
2 - Une nouvelle stratégie syndicale fut élaborée lors d’une conférence unitaire des délégués des trois grands syndicats de régime italiens CGIL, CISL, UIL à EUR en janvier 1978. Les syndicats réformistes étaient déjà passé d’un syndicalisme de contestation à un syndicalisme de négociation, affirmant ainsi la nécessité de limiter les augmentations salariales pour “le bien de l’économie nationale”. En 1973, la CGIL avait déjà proposé au gouvernement et aux patrons une “trêve sociale et une alliance avec les capitalistes les plus avancés dans le cadre d’une programmation démocratique”. Cette orientation syndicale fut accélérée avec la victoire électorale du PCI en juin 1976 et l’aggravation de la crise économique mondiale : les avantages salariaux et sociaux acquis doivent être “compatibles” avec le développement économique national !
3 - Nous renvoyons le lecteur à notre texte paru dans notre organe italien Il Partito Comunista n° 64, 1979 : “Fuori e contro gli attuali sindacati” (“En dehors et contre les syndicats actuels”).
4 - Ceci est une revendication syndicale classique de notre parti : que les augmentations salariales soient plus hautes pour les catégories les moins bien payées de façon à réduire les différences salariales entre les diverses catégories.
5 - Le système de rétribution des retraites en vigueur en Italie jusqu’en 1996 permettait d’obtenir un niveau de rétribution des retraites équivalent à 100% du dernier salaire. A partir de 1996, graduellement, a été introduit en Italie le système “contributif”, avec des niveaux de retraites qui devaient correspondre à 60% du dernier salaire.
6 - Maurizio Landini a été élu secrétaire général de la FIOM (Fédération des employés et des ouvriers de la métallurgie adhérant à la CGIL) de 2010 à 2017, puis membre du secrétariat général et secrétaire général de la CGIL en janvier 2019. En 2010, Landini de la FIOM refusa de signer l’accord de Pomigliano faisant suite à des grèves lors d’une offensive patronale de la FIAT de Pomigliano, s’opposant ainsi à la CGIL. Mais cette “opposition” fut seulement verbale.
7 - Il s’agit en effet d’un Appel diffusé parmi les travailleurs lors de l’appel à des grèves séparées et concurrentes, organisées en octobre et novembre 2017 en Italie, par deux fronts des syndicats de base : d’un côté l’USB, la Confédération Cobas, Orsa, Unicobas, Usi ; de l’autre la CUB, Si Cobas, ADL Cobas, Sgb, Slai Cobas, Usi Ait. Cet Appel rédigé par nos militants syndicaux avec d’autres militants du syndicalisme conflictuel et intitulé “Pour unifier les luttes de la classe ouvrière. Pour le front unique syndical de classe” a été publié dans Il Partito n°386 de novembre-décembre 2017.